Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

VIII
L'ÉCUREUIL VOLANT

 Cette nuit-là, les maux de tête d'Adoniram reprirent avec violence. Et, le dimanche suivant, il gisait sur son lit, vaincu par la douleur, n'ayant qu'un seul désir, celui d'échapper à ce martyre.

Hough, qui avait quelques notions empiriques de médecine, émit l'opinion que ces « névralgies » étaient causées par les émanations fétides des marais environnants. Anne, qui partageait cette opinion, projeta d'envoyer Adoniram à Serampore, dès qu'il irait mieux.

Au bout de deux semaines, une amélioration se produisit et, quand Adoniram, affaibli mais heureux de voir que le mal avait cédé plus vite cette fois-ci, put de nouveau s'installer sous la véranda avec son maître, Anne lui fit part de ses intentions.
Il refusa cette proposition avec véhémence. Pour lui, la Birmanie, et rien que la Birmanie, toujours.
- Vous aimez ce sale trou ! s'écria Mme Hough, dont le premier enthousiasme pour Rangoon, s'était changé en haine et en mal du pays.
- Je déteste Rangoon. Mais je ne me pose pas en victime. La simple vérité est que je suis actuellement la seule personne au monde, prête à prêcher le Christ aux Birmans. C'est mon seul titre, celui qui justifie ma vie. Pourquoi risquerais-je cette vie dans un voyage qui a ma santé pour seul but ?
- N'avez-vous jamais le mal du pays, Frère Judson ? demanda Hough, non sans envie dans la voix.
- Oh ! mais si...

Adoniram ferma les yeux - l'été à Plymouth - la maison de paroisse, toute blanche, à Salem. Il n'ajouta rien. Les Hough, déconcertés et un peu irrités, retournèrent au travail. Anne, qui les secondait dans leur effort pour apprendre la langue, demeura en arrière et vint poser un ferme baiser sur les lèvres de son mari, dont elle savait la peine.
- C'est dur d'être sage. Mon chéri, je ne puis penser au sort du pays quand je te vois ainsi. Je t'aime trop. Mon amour n'a-t-il pas le droit de compter parmi les intentions de Dieu pour nous?

Adoniram ouvrit les yeux.
- Mon départ te paraît-il si nécessaire ? Ne fais pas appel à notre amour, je suis alors sans défense. La décision doit être prise en dehors de nos sentiments.

Il lui serra la main, lui sourit avec toute sa passion de très jeune homme.
- Aide-moi, chérie!

Ils échangèrent un long regard, chargé de tout ce que signifiaient pour eux ces quatre années de leur mariage. Anne sourit.
- Veux-tu me laisser t'aider, Don chéri ?
- Avec joie.
- Voici ce que je te propose. Si tu vas à Amarapura. Je resterai ici avec les Hough. Hough ne pourra jamais être qu'un imprimeur. Si quelque chose t'arrivait, tout ton travail serait perdu. Te rappelles-tu ce que le Dr Carey nous racontait de leur champ de Mission à Chittagong, au nord-est de la Birmanie, sur la côte du Bengale ?
- Oui, certes. Avant de quitter la région, ils avaient fait de nombreux convertis et un pasteur.

Anne approuva de la tête.
- Félix Carey m'a dit qu'il avait vu cet indigène, lors de son dernier voyage à Chittagong ; il tentait de maintenir et de continuer l'oeuvre entreprise, mais était très découragé par sa propre ignorance. Voici ma proposition. Comme ces gens parlent le birman, tu pourrais me laisser ici avec ce pasteur, pendant ton voyage à Amarapura, et je suis sûre que cet homme de la même race ferait plus de convertis qu'un blanc. Nous pourrions arriver à de bons résultats, je le sens, et si... tu refuses d'aller à Serampore pour ta santé, fais d'abord cette navigation de trois semaines, et ramène ce pasteur de Chittagong à Rangoon. Cela calmera-t-il ta conscience ?

Les lèvres contractées d'Adoniram se détendirent en un sourire.
- Anne, ma chérie, si tu avais été un homme, tu aurais convaincu Benjamin Franklin lui-même par ta faconde ! Chittagong! J'en serai revenu en moins d'un mois. Quelle bonne idée ! Quand crois-tu que je serai assez bien pour partir ?
- Plus vite tu quitteras Rangoon, mieux cela vaudra. Nous demanderons à Maung Nau, le pêcheur, de découvrir pour toi un bateau faisant ce voyage.
- Quelle femme je possède !
- Pas du tout. Anne courait déjà chercher le jardinier.

La décision prise, l'impatience du départ gagna Adoniram. Mais il fallut plusieurs jours pour découvrir, non seulement un bateau qui fit ce trajet, mais qui fût pourvu d'un rudiment de cabine. C'était la saison froide, - un froid très relatif pour un fils de la Nouvelle-Angleterre - mais cependant dangereuse pour Adoniram, dans ce déplorable état de santé.

Durant les recherches de Maung Nau, Maung Shway-gnong se trouvait dans un état d'esprit voisin de l'hystérie. Il désirait vivement accompagner son élève, moitié par affection, moitié parce qu'il avait envie de quitter le pays avant que le vice-roi ou le gaing-ôk, eussent vu ce qui sortait de la presse. Mais, en même temps, il avait peur que son activité ne fût confondue avec celle du missionnaire, maintenant que le vrai travail commençait. Adoniram, qui redoutait ce voyage solitaire, souhaitait la compagnie de son maître, mais il ne voulait pas influencer sa décision.
Maung Shway-gnong continua à hésiter jusqu'au jour où Maung Nau découvrit un bateau convenable. Il annonça alors qu'il partirait avec le mieux aimé de ses élèves, et s'en fut emballer ses effets. Mais, au moment fixé pour le départ, sur la rive, Adoniram reçut, de la main d'un enfant, qui s'enfuit aussitôt, un message écrit sur une feuille de palmier. Ce mot, sans salutation ni signature était, sans discussion possible, de la main du professeur: « Le gaing-ôk possède un exemplaire de l'Évangile. Il a fait chercher celui qui a appris à l'animal étranger à écrire dans une si belle langue. Celui-ci ne verra pas de longtemps son élève peut-être plus jamais. »

Appuyé au bras de George Hough, Adoniram lut à haute voix cette missive, et soupira :
- Pauvre homme ! Je ne lui ai apporté que des soucis qu'il ne veut pas me laisser changer en joies.
- Vous lui avez donné bien plus que vous ne croyez, Frère Judson. Venez, il me faut du temps pour vous installer confortablement à bord, sans quoi Mme Judson Me fera des reproches.

Ils grimpèrent sur le bateau.

C'était le jour de Noël 1816, et la première fois qu'Adoniram quittait Rangoon depuis quatre ans. Il ne pouvait apprécier le poignant contraste existant entre le garçon aux joues pleines qui, du pont du Georgiana, s'était émerveillé à l'apparition du Shwé Dagôn, et l'être usé par la maladie, décharné, qui contemplait maintenant cette même splendeur avec l'effroi de celui qui sait.
Le bateau, au milieu de la rivière, attendait que la marée l'emportât. C'était une petite embarcation, à moitié pontée, la proue et la poupe surélevées, à là manière birmane. Un écureuil admirablement sculpté. en ornait l'avant, et Hough, avec une fantaisie inaccoutumée, l'avait baptisé l'Ecureuil-Volant. Faible encore, Adoniram demeurait accroupi sur le pont, parmi les grandes jarres de terre contenant le «gnapi», poisson conserve qui répandait une odeur innommable. Il y était endurci, comme à bien d'autres pestilences de Rangoon. Allongé sur un rouleau de cordages, il observait la rivière encombrée, spectacle divertissant pour un enterré de la jungle. Des bateaux chargés de riz, de gnapi, des embarcations de guerre dorées, des canots de messagers du roi, dont les équipages chantaient, composaient une charmante distraction de vacances. Il mangea de bon appétit le repas que Koo-chil avait serré dans un panier de jonc, et quand les moustiques devinrent insupportables, il rentra dans sa minuscule cabine.

Le lendemain matin, il constata qu'ils avaient déjà traversé le grand banc de sable et se trouvaient bien avant dans le golfe de Martaban. L'air était vivifiant. Adoniram l'aspira profondément, son sang circulait mieux, son cerveau se dégageait. Toute la journée, il demeura étendu à l'ombre de la voile latine, lisant ou parlant aux marins, et le soir, il se sentait rajeuni de dix ans. Leur route passait à l'ouest, puis au nord, le long de la côte d'Arakan. À midi, le troisième jour, il vit, pour la première fois, les montagnes d'Arakan à l'est desquelles s'étendait la Birmanie. Il accomplissait un voyage record. S'il découvrait rapidement les convertis, Adoniram calcula qu'il serait vraisemblablement de retour à Rangoon en moins de trois semaines.

Mais le cinquième jour, un vent du nord-est se mit à souffler. Les montagnes disparurent dans les nuages. Durant vingt-quatre heures, il n'y eut ni soleil, ni étoiles, et l'embarcation ne put que courir devant la tempête. Adoniram tenta de communiquer au capitaine ses notions de navigation, car celui-ci, comme tout Birman, était un caboteur de rivière et de côte, mais ignorait tout de la haute mer. Il dessina une carte de la Baie du Bengale et essaya de le persuader de prendre, au compas, la direction de Madras. Mais rien n'y fit. L'orage devait être. Tous à bord savaient que le vent et les vagues, les sauts, du bateau, le danger, étaient partie intégrante de leur karma. Alors, pourquoi se tourmenter ?
Pourquoi?

Durant sept jours ils furent ballottés au gré des flots. La nourriture qu'Adoniram avait emportée était épuisée; il fut obligé de se rabattre sur le riz, moisi et l'infect gnapi, à moitié pourri. Après trois ou quatre jours de ce régime, constamment mouillé, Adoniram dut se mettre au lit avec une forte fièvre et des maux de tête.

Quand, par hasard, le capitaine pensait à lui, il se montrait plein d'égards ; mais Adoniram demeurait étendu solitaire, durant des heures interminables, sur son lit de planches et sa paillasse. Tantôt conscient de la situation au milieu des grondements de l'orage, de la chute échevelée des vagues, du claquement des voiles tendues. Parfois, très loin de la réalité, luttant contre la douleur jusqu'au délire libérateur.

Le douzième jour, ils plongèrent dans un calme de feu. La tranquillité et la chaleur rendirent à Adoniram ses esprits, mais il était trop faible pour bouger. Le capitaine qui pensa à lui apporter de l'eau de pluie semblait convaincu qu'ils naviguaient à l'extrémité de la plus grande mer du monde. Ceci faisait partie des rudes ordonnances de la Loi. On attendait, en chiquant le bétel, et en répétant les prières à Bouddha.

Pendant deux semaines encore, le calme persista. Puis c'était juste un mois après qu'ils eussent quitté Rangoon - un vent favorable se leva de l'est. Étendu presqu'inconscient dans sa cabine, Adoniram fut ramené à la réalité par le claquement de l'eau contre le flanc du bateau. Un instant après, le capitaine venait annoncer que le vent les poussait vers Calcutta.
Ils demeurèrent en mer un temps interminable ! Ils auraient pu rejoindre la côte des Indes en cinq ou six jours. Adoniram, à demi-mourant, demeura encore sept longues semaines sur l'Ecureuil-Volant. Il ne reprenait conscience qu'à de rares moments. Il comprit pourtant, à travers son délire, quand ils parvinrent en vue de la côte de Coromandel, qu'ils ne pourraient aborder, à cause du vent et des courants hostiles. Il savait qu'à la faveur de rencontres en mer, ils obtenaient un peu de riz et d'eau douce. Pour le reste, la faim, la saleté et les souffrances l'absorbaient entièrement.

Dans ses moments de lucidité, il priait comme jamais encore il n'avait prié, non seulement pour avoir de l'aide et pour obtenir un soulagement de ses maux, mais pour comprendre avec plus de foi les desseins mystérieux de Dieu. Il priait afin de trouver plus de force pour atteindre les coeurs, pour mettre la Croix sur chacun des fronts bruns du bord. Mais sa faiblesse ne cessait d'augmenter La maladie ne voulait pas le lâcher.
Pourquoi?

Il observait longuement la mer bleu foncé. Son seul désir était d'obéir aux ordres du Christ, d'apporter son enseignement à tous. Avait-il mal compris le commandement ? N'était-il qu'un égoïste surmené, infidèle à son Dieu ? Prenait-il la place de quelqu'un d'autre, mieux préparé pour cette tâche ? Était-il puni pour sa présomption ? Où était Dieu pour le Lui demander ? Où donc était-Il ?
La question la plus terrible qu'un homme puisse se poser.

Dans ses moments de moindre lucidité, le Bouddha Gautama faisait irruption dans ses prières ; le visage calme et magnifique, désormais aussi familier que le sien propre, apparaissait au pied du lit d'Adoniram, obstruant la lumière de la lune ou des étoiles, disant doucement : « Ce sont les fous qui se demandent si j'ai été, dans les temps passés, si je serai dans les temps à venir, si je suis vraiment, comment je suis. C'est un être humain, d'où vient-il, où va-t-il ? Insensés! Insensés ! »

Des heures durant, la pensée d'Adoniram se débattait avec cet avertissement, le répétait à l'ombre du capitaine qui se penchait vers lui avec une gourde pleine d'eau, le murmurait à l'écureuil perché sur la proue. D'où vient-il ? Où va-t-il ?
Le Bouddha revenait constamment le harceler:
« Voici les choses auxquelles on devrait penser - ceci est la souffrance, voici l'origine de cette souffrance, voici le chemin qui mène hors de la souffrance. »
- Où donc est-ce chemin ? s'écriait Adoniram.

Point de réponse. Une nuit chaude, pourtant, après que Bouddha l'eût poursuivi plus que de coutume, une pensée du gaing-ôk vint le secourir. C'était l'une des phrases du dialogue entre le Béni et le berger qui le soulagea de cette question éternelle.
« La pluie tomba alors, et remplit la mer et la terre. En entendant l'eau du ciel, Dhaniya dit : « Pour nous le profit est grand d'avoir pu voir le Béni ; en toi, nous trouvons un refuge, en toi, doué de l'oeil de la sagesse sois donc notre maître, Ô grand Sage ! »

Se réfugier en Bouddha, dans la paix du néant. Était-ce la réponse ?

Alors, avec un effort immense, il tendit ses mains affaiblies vers quelque chose - la robe du Christ, tachée de sang.

Un jour, de longues semaines plus tard, il s'aperçut que le tiraillement qu'il ressentait à l'épaule n'était pas un tigre qui cherchait à l'arracher au bambou sur lequel on le crucifiait, mais bien le capitaine qui lui répétait cette question : voulait-il être porté à terre ?

Mais, ce fut seulement après avoir bu ses premières gorgées d'eau potable depuis des mois, que son esprit s'éclaircit, et qu'il se rendit compte que le bateau avait jeté l'ancre devant Masulipatam, au nord de la province de Madras.
- Voulez-vous aller à terre ? demanda le capitaine, pour la centième fois.
- Il le faut, murmura Adoniram. Pour que ma femme puisse retrouver ma tombe. Donne-moi de quoi écrire, capitaine.

Avec un effort démesuré, il parvint à tracer quelques mots.
« Pour un Anglais, à Masulipatam. Je suis un missionnaire américain désespérément malade à bord d'un bateau indigène. Je vous supplie, au nom de nos ancêtres communs, de m'aider à trouver à terre, un endroit où je puisse mourir et être enterré décemment. »

« A. JUDSON. »

Le capitaine partit avec le message.
Beaucoup plus tard, un marin vint l'avertir qu'un bateau anglais approchait. Adoniram se retourna pour tâcher de le voir. L'Ecureuil-Volant était à l'ancre, à deux ou trois milles d'une côte plate et ingrate. Il vit approcher, à forces de rames, une embarcation dans laquelle il distingua la capote rouge d'un militaire et le manteau blanc d'un civil. Il les regardait, comme on voit venir des messagers du ciel. Et, quand il entendit le son infiniment précieux de la langue anglaise: - Ohé du bateau, Monsieur Judson! - c'en fut trop. Il retomba sur sa paillasse, en larmes.


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