Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU


IX
ORIGINES COMMUNES

 

Quand les Anglais pénétrèrent dans sa cabine, Adoniram avait retrouvé son calme. L'expression de pitié et d'horreur qui se peignit sur leurs visages le renseigna sur l'affreux spectacle qu'il présentait. Il demanda instamment qu'on lui envoyât un infirmier pour le nettoyer. Mais ils n'y consentirent pas. Avec mille précautions, ils le couchèrent sur une natte propre et, en évitant le plus possible les secousses à son corps meurtri, ils l'amenèrent à terre, dans leur bateau.

Le capitaine Leigh, de l'armée de terre, le mit dans un palanquin et le porta à son bungalow. Il le coucha, fit venir un médecin et un infirmier, et lui prêta du linge.
En peu de jours, Adoniram retrouva ses esprits et quand, après une semaine de traitement, sa dysenterie et ses maux de tête diminuèrent, il commença, très vite, à regagner des forces.

Quel merveilleux bien-être de se trouver dans cette maison bien ordonnée, avec des serviteurs parfaits et une substantielle nourriture anglaise ! Chaque jour, la diane et le couvre-feu rappelaient, de façon réconfortante, l'autorité anglaise maintenant la discipline dans cet Orient tumultueux. Comme il était bon aussi de pouvoir reprendre contact avec les événements mondiaux ! Il apprit que l'Europe avait été entièrement remaniée par le Congrès de Vienne, que Napoléon avait subi un échec définitif à Waterloo et que, par le traité de Gand, les Etats-Unis étaient fortifiés dans leur nationalisme. Ce ne fut que lorsque la conversation tomba sur la Birmanie, qu'il reprit conscience de sa situation.

Son hôte lui raconta que le vieux roi de Birmanie prétendait régner sur le Bengale jusqu'au-delà même de Calcutta et, qu'à moins que les Anglais ne reconnussent cette souveraineté, il enverrait des forces, par terre et par mer, pour prendre et détruire tous les établissements anglais.
- Mais l'Angleterre veut-elle la guerre avec la Birmanie ?
- Dieu nous en garde ! s'écria le capitaine. Le gouvernement anglais fait tout son possible pour l'éviter. Le prix d'une campagne de soumission et du maintien de la paix en Birmanie serait énorme. Mais, à franchement parler, Judson, j'ai bien peur que la guerre n'éclate, d'un moment à l'autre. Nous ne pouvons tout de même pas laisser les Birmans traverser le Bengale, en saccageant tout, à leur manière.

Quelque chose se déclencha dans le cerveau d'Adoniram. Anne ! Ce n'était pas qu'il n'eût constamment pensé à elle, depuis son départ de Rangoon. Mais, bien qu'il eût ardemment désire sa présence, il l'avait sentie bien en sûreté, sous la rude protection de George Hough. Rangoon serait le premier point d'attaque si les Anglais se voyaient forcés d'envoyer une flotte en Birmanie ! Et, dans ce cas, vingt Hough seraient impuissants à la protéger.

Dès cet instant, il perdit toute paix de l'esprit. Le capitaine lui assura, mais sans le convaincre, que l'ouverture des hostilités n'était pas imminente et, qu'au cas où la ville subirait un bombardement, on donnerait aux blancs, toutes chances de s'échapper.
- Vous ne connaissez pas les Birmans! L'Ecureuil-Volant est-il reparti ?

Le capitaine Leigh sourit malicieusement.
- Mon cher Judson, heureusement pour vous il a levé l'ancre depuis plusieurs jours, et je pense qu'aucun bateau ne quittera plus le port de plusieurs mois. Vous voyez que les circonstances vous forcent à demeurer ici, pour consolider votre santé.

Mais le capitaine ne connaissait pas mieux Adoniram que les Birmans.
- J'ai un peu d'argent, environ trois cents roupies. Croyez-vous que cela me suffise pour louer un palanquin jusqu'à Madras ? demanda-t-il, les yeux suppliants. N'essayez pas de me dissuader. Vous avez été pour moi un véritable Samaritain. Ajoutez encore à vos bienfaits celui de me faciliter mon départ pour Madras.
- Judson ! Comment un mari protégera-t-il sa femme, s'il meurt en route ?
- Je ne mourrai pas, capitaine. Je dois souffrir jusqu'à ce que je sois apte à remplir ma mission. Ma femme est une si petite chose, sans défense...

Il se laissa de nouveau tomber sur l'oreiller, la gorge serrée.
Leigh, lui-même, dut éclaircir sa voix.
- Je verrai ce qu'on peut faire au sujet du palanquin, dit-il d'un ton contrarié.

Le dixième jour après son arrivée à Masulipatam, par les soins excellents du capitaine Leigh, Adoniram fut installé dans un palanquin à quatre porteurs, commodément aménagé, et partit pour ce voyage de trois cent milles.

Durant ces journées, l'inquiétude qui ne l'avait pas quitté depuis sa conversation avec Leigh, s'apaisa. Le palanquin était vraiment très confortable. Un lit de huit pieds de long et de quatre de large, entouré de volets qui laissaient passer l'air mais retenaient la chaleur et la poussière. Pendant les trois semaines du trajet, il s'appliqua à guérir. Ses yeux ne lui permettant ni de lire, ni d'observer le paysage de la côte indienne, il dormit, mangea, et chassa de son esprit toutes les pensées troublantes. Les porteurs procurés par le capitaine Leigh étaient de braves gens. Et quand le palanquin fut enfin posé dans la cour de la Mission anglaise de Madras, Adoniram avait recouvré la santé, sauf en ce qui concernait ses yeux.
C'était le 8 avril 1818.

Dès le jour de son arrivée, il chercha un passage pour Rangoon. Mais en ce temps-là, personne ne partait pour cette dangereuse destination. Le paisible Anglais de la Mission ne put l'aider, et le gouvernement fit semblant d'ignorer les projets de l'Américain.
Comme les jours se passaient en tentatives stériles, l'impatience gagnait Adoniram, et son angoisse croissait de sentir Anne en danger.
Son goût des entretiens intellectuels - dont il avait été sevré si longtemps, - ne parvenait pas à modérer son inquiétude grandissante.
Tout le jour, il parcourait le port, s'entretenant avec les marins, jusqu'à ce que chaque Anglais ou indigène de Madras à Calcutta fut informé qu'Adoniram Judson voulait regagner Rangoon
Une fois seulement, son intérêt intellectuel domina, pour un moment, son impatience. Un après-midi de la fin de juillet, alors que la chaleur l'avait chassé du quai vers la Mission, il trouva ses hôtes, MM. Thompson et Loveless, engagés dans une âpre discussion devant la table à thé.
Adoniram se glissa mollement jusqu'à sa place, et but une rafraîchissante tasse de thé. Il ne tendit d'abord qu'une oreille distraite à la conversation qui devait l'intéresser de plus en plus.
- Elle était française jusqu'au coeur, hystérique et blasphématrice ! s'écriait le pasteur Thompson.
- Mais non, vous êtes terriblement injuste, mon cher, protesta Loveless. Elle avait un esprit rare, une âme transportée par Dieu.
- Quelles bêtises, s'exclama Thompson, le visage plus congestionné que jamais. Cette pauvre loque, pleine de convoitises et trop folle pour retrouver aucun mari, après qu'elle eût conduit le sien à la tombe, a commis un des pires sacrilèges qu'il m'ait été donné de connaître ; elle a fait de Jésus-Christ son amant, son époux. N'est-ce pas énorme ? Et...
- Son amant spirituel, voyons ! interrompit Loveless. Il essuya ses moustaches tombantes. Tâchez donc d'user d'autant d'impartialité qu'il vous est possible, en face d'une Catholique !

Thompson se pencha vers Loveless, suffoqué. Adoniram, fortement intéressé et amusé aussi, vint à leur secours.
- Mes chers hôtes, de grâce, dites-moi qui bouleverse ainsi votre entente cordiale ? Je suis dévoré de curiosité.
- Madame Guyon, la malheureuse et innocente Madame Guyon!
- Innocente ! Cette vieille sorcière du Moyen-Age! rugit Thompson.
- Allons, elle est morte ! Je vous en prie, cessez de vous battre et racontez-moi tout.

Les deux Anglais se regardaient férocement. Adoniram éclata d'un rire franc.
- Que diraient vos paroissiens s'ils vous entendaient vous disputer au sujet-ci une femme? Monsieur Thompson, auriez-vous la gentillesse de me raconter l'histoire ? Monsieur Loveless pourra ensuite vous contredire.

Les interlocuteurs qui commençaient à se calmer ne souriaient pourtant qu'à contre-coeur. Thompson se versa une tasse de thé bouillant et commença :
- Madame Guyon est une Française morte, il y a une centaine d'années. Elle n'approuvait pas les rites de l'Église Catholique, bien qu'elle eût toujours avec elle un Père confesseur. Elle développa une méthode très obscure de communion avec le Tout-Puissant. Elle nomma cette méthode quiétisme et écrivit à ce sujet une quantité de bêtises - pardon, Loveless - dans son autobiographie. Un bel exemplaire nous en a été envoyé récemment, nous l'avons lu tous deux, et voilà le sujet de notre dispute.

Le pasteur avait recouvré en parlant sa bonne humeur habituelle. Il demanda :
- Ai-je exposé le cas honnêtement, Loveless ?
- Tout à fait. Puis, se tournant vers Adoniram, Loveless expliqua :
- Elle est excessive, hystérique même, par moments, mais néanmoins, j'estime qu'elle a prêché une grande doctrine. Je la laisserai parler.

Il prit, sur le bord de la fenêtre, un livre relié de cuir, et en feuilleta les pages.
- Voici le passage où elle relate la naissance de sa nouvelle conception de l'adoration. Elle recherchait le contact avec Dieu dans la prière mais ne pouvait y parvenir. Désespérée, elle alla voir un prêtre, récemment sorti d'une retraite de cinq ans, à qui elle fit part de ses peines. Voici ce qu'elle dit : « Il me répliqua aussitôt : « C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre coeur, et vous l'y trouverez. » En achevant ces paroles, il me quitta. - Ces paroles furent pour moi un coup de flèche qui percèrent mon coeur de part en part. - 0, mon Seigneur, vous étiez dans mon coeur et vous ne demandiez de moi qu'un simple retour au-dedans pour me faire sentir votre présence! 0 bonté infinie, vous étiez si proche, et j'allais courant là pour vous chercher, et je ne vous trouvais pas. La vie était misérable et mon bonheur était au-dedans de moi! - 0 Beauté ancienne et nouvelle, pourquoi vous ai-je connue si tard? - Puisque, dès lors, vous fûtes mon Roi, et mon coeur devint votre royaume, où vous commandiez en souverain et où vous faisiez toutes vos volontés ».
Loveless ferma le livre.
- Je vous le demande, mon ami, en toute impartialité, ces paroles sont-elles celles d'une vieille folle?
- Non, certes pas, répondit Adoniram avec chaleur. Il tendait la main pour prendre le livre, mais le pasteur le devança.
- Un instant ! je n'aime pas qu'on m'accuse de médisance. Laissez-moi vous lire un autre passage.

À son tour, il feuilleta le livre.
- Écoutez-moi ça ! Mme Guyon presse le prêtre qui lui avait donné de bons conseils à devenir son directeur spirituel et son confesseur. Avec sagesse, ce dernier hésite et prie pour connaître le parti qu'il doit prendre. Il entend Dieu lui dire : « Ne crains point de te charger d'elle; c'est mon épouse. ». Il retourne donc vers Mme Guyon et accepte d'être son conducteur spirituel. Elle est subjuguée. « Quoi ! votre épouse, ce monstre effroyable, d'ordure et d'iniquité qui n'avait fait que vous offenser, abuser de vos grâces et payer vos bontés d'ingratitude! - Mon mari se fâcha de ma dévotion : et elle lui était insupportable. Il disait, que vous aimant, ô mon Dieu, si fortement, je ne l'aimerais plus : car il ne comprenait pas que le vrai amour conjugal est celui que vous formez vous-même dans le coeur qui vous aime ».

Le pasteur jeta le livre par terre.
- Vous ne trouvez pas cela choquant?
- Peut-être prenez-vous le texte trop littéralement, suggéra Adoniram. Je n'approuve pas ce que vous venez de lire, mais les paroles que M. Loveless a citées ont, je dois l'avouer, atteint chez moi, une corde très sensible. J'aimerais beaucoup connaître le livre intégralement.
- Je vous en céderai bien volontiers ma part, répondit Thompson, en se versant une quatrième tasse de thé. Il avait, plus que jamais, l'air de friser une crise d'apoplexie. J'espère seulement que Madame Judson ne mettra pas obstacle à la présence de ce livre dans sa maison.

Adoniram sourit.
- Et vous Loveless?
- Bien sûr, Judson, mais à une condition. C'est que, lors de notre prochaine rencontre, vous ne direz franchement ce que cette femme vous a procuré de réconfort moral. Elle m'a beaucoup donné!

Le pasteur gronda :
- Laissez-moi vous verser encore du thé, Loveless. C'est souverain quand le sang vous monte à la tête. Et vous, Judson, prenez-en à titre préventif.
- Hélas, mes yeux ne me permettent pas encore de lire; mais je reprendrai volontiers du thé.

Tout se termina donc par de francs rires, et Adoniram mit « Madame Guyon » dans le coffre en bois de santal qu'il rapportait à Anne. Il était certain qu'un trésor insoupçonné l'attendait entre les couvertures de cuir du livre. Il pria qu'Anne et lui pussent en faire ensemble la découverte.
Il eût aimé s'entretenir encore longuement du quiétisme avec Loveless, si le passage tant attendu pour Rangoon ne s'était brusquement présenté. Le capitaine anglais d'un petit bateau de commerce vint assister à la Mission aux prières du matin. Après le service, Adoniram se précipita vers lui. Le capitaine qui ne faisait pas son métier pour l'amour de l'art, demanda un prix exorbitant : 17 roupies pour la traversée. Adoniram ne sourcilla même pas. Il lui donna tout de suite la moitié de la somme, et bondit dans sa chambre pour emballer ses modestes effets. Ce jour-là, le 20 juillet, le bateau appareilla à midi.

Le voyage fut sans histoire et, le 2 août, ils jetèrent l'ancre à l'embouchure de la rivière, à 25 milles en aval de Rangoon. Le lendemain matin, quand le pilote monta à bord, Adoniram le pressa de questions sur la Mission.
- Il n'y a pas de Mission, ô étranger, grogna le pilote. Ils sont tous partis pour Calcutta depuis trois semaines. Ils craignaient le choléra et l'imprimeur ne voulait pas travailler pour le vice-roi. S'ils avaient attendu un peu plus, les choses se seraient améliorées. L'ancien vice-roi a été rappelé à Amarapura.
- Qui est le nouveau vice-roi?
- Je ne le connais pas, répondit le Birman évasivement.

Il n'y avait rien d'autre à faire qu'à arpenter le pont, jusqu'à ce qu'apparût le Shwé Dagôn, immuable dans un monde de changement. Il le vit luire dans la douceur du crépuscule. Le bateau s'immobilisa. Comme Adoniram, impatient, attendait que l'inspecteur indigène eût lentement préparé sa chique de bétel et commençât à examiner son maigre bagage, il aperçut soudain, dans la pénombre, sous une pile de caisses, la malle en cuir de cheval qu'Anne et lui avaient emportée en voyage de noces.
- Mais, c'est le bagage de Ma Judson!
- Oui, elle est revenue, depuis quinze jours. Elle a quitté le bateau.
- Elle est revenue!

Le Birman commença une longue explication qu'Adoniram ne put écouter. Il abandonna son sac entre les mains du fonctionnaire, et courut le long du quai vers les chemins familiers. Il traversa, en toute hâte, le bazar désert, monta vers la pagode, et ouvrit le portail. Il y avait de la lumière! Il sauta de pierre en pierre, jusqu'à la véranda où il s'arrêta, parce que son coeur battait trop fort. La lampe silhouettait M. Beg Pardon, elle luisait sur la table bien connue, elle éclairait le visage d'Anne, soudain extasié.


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