Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

X
LE ZAYAT

 À minuit, ils parlaient encore. Les récits d'Anne étaient aussi émouvants que ceux d'Adoniram.

Durant quelque temps après son départ, tout avait été calme à la Mission. Mais, au moment où Anne commençait à espérer son retour, l'ancien vice-roi avait été appelé à un poste dans le conseil privé du roi, et le nouveau ne devait arriver qu'en mars. Pendant l'interrègne, les vols et les meurtres s'étaient multipliés à tel point que les Hough avaient pris peur. Hough se tourmentait surtout au sujet des femmes.

Quand le nouveau vice-roi était arrivé à Rangoon, il avait presque aussitôt convoqué Hough pour qu'il lui fournît des explications sur sa présence et son activité dans le pays.
- L'animal étranger viendra à moi avec des paroles de vérité; sinon j'écrirai ses mensonges avec le sang de son coeur.

Hough se sentait d'autant plus angoissé, qu'il lui fallait avoir recours à Anne comme interprète, et il était persuadé que le vice-roi serait agressif. En fait, grâce à l'habileté d'Anne, l'interrogatoire avait dégénéré en conversation d'affaires. La conclusion avait consisté en de nouvelles redevances : un lourd impôt de cinq ticals par mois, plus un versement direct, de la Mission au vice-roi, de cinq roupies sicca.
Une courte période de calme avait suivi cette discussion.
Mais, peu après, le choléra éclatait brusquement dans la ville. Jour et nuit, l'air avait été rempli du son des gongs destinés à effrayer les esprits de mort. Anne pensait que ce bourdonnement incessant était la principale cause de la démoralisation des Hough.

Adoniram, dès cet instant, se mit à entendre l'obsédante résonance...
- Ne crains-tu rien, chérie?
- Oh si! Ma peur dure encore. Mais laisse-moi finir mon histoire, pour que tu saches quelle lâche je suis! Il y a un mois, Hough a entendu dire qu'une guerre allait éclater entre l'Angleterre et la Birmanie. Quand les bateaux anglais quittèrent la rivière, il me supplia de l'accompagner à Serampore, jusqu'à ce que la situation fût meilleure. Il parvint à me persuader que nous en saurions plus sur ton sort si nous quittions ce lieu de pestilences ». Et, tu peux me croire, cette considération m'a influencée plus que la peur du choléra! Je résistai toutefois pendant plus d'une semaine. Puis, nous apprîmes qu'aucun bateau anglais ne pourrait désormais pénétrer dans les eaux birmanes, et je fus convaincue que, même si tu étais vivant, tu ne pourrais revenir. C'est ce qui me décida de partir à ta recherche. Nous avons vendu tout ce que nous ne pouvions mettre dans les malles, excepté la table et la chaise de Félix Carey, et avons remis la maison à Koo-Chil, à Ma Baïk et à son mari. Le dernier bateau anglais quittait le port le 5 juillet. Nous montâmes à bord. J'ai abandonné mon poste, Adoniram. C'est indéniable. J'ai abandonné notre Mission en Birmanie!

Adoniram l'embrassa. Elle secoua la tête, et, avec un geste d'amour, lui passa la main dans les cheveux.
- Plusieurs jours durant, nous avons descendu la rivière. Mais quelque chose d'étrange ralentissait la marche du bateau. Avant de traverser la barre et de pénétrer dans le golfe, le capitaine découvrit que sa charge était mal arrimée. Il fit jeter l'ancre et se disposa à remettre la cargaison en place.
- Au moment où l'ancre fit jaillir l'eau rouge, je sus pourquoi le bateau s'était arrêté. Dieu me parlait. Je n'écoutai pas Hough, et priai le capitaine de me ramener ici dans un canot. Bien entendu, j'ai perdu le prix de mon passage. Je rentrai à Rangoon le 20 juillet. Les douaniers ont refusé de laisser passer ma malle mais, fort heureusement, ne se sont nullement préoccupés de moi. Je t'ai attendu mon bien-aimé, aux ordres de Dieu.

Une fois encore, les Judson étaient seuls en Birmanie. Très pauvres. L'argent provenant de la vente des meubles avait passé au voyage. Hough avait emporté la presse et les fonds envoyés par les Baptistes américains étaient en retard de plus d'un an. Mais ils possédaient le jardin de la Mission et les trois serviteurs étaient si heureux de voir Anne et Adoniram réunis, qu'ils proposèrent de ne recevoir comme salaire que leur nourriture, jusqu'en des temps meilleurs.

À Madras, Adoniram avait pensé qu'après l'échec complet de son voyage par mer, il tenterait de retourner à Chittagong par terre, si tout allait bien à Rangoon.
Mais maintenant, il ne pouvait pas davantage entreprendre ce rude voyage avec Anne que laisser celle-ci à la Mission. La visite au roi fut ainsi remise à un avenir lointain.

Anne poussait Adoniram à se rendre sans elle à Chittagong. Mais il s'y refusa formellement et proposa un nouveau programme.
- Il nous faut absolument, quand nous aurons de nouveau quelques meubles, trouver assez d'argent pour acheter la parcelle de terrain qui sépare la Mission du chemin de la pagode. J'y construirai un zayat, et je prêcherai aux fidèles qui passeront. Sans me soucier des obstacles, je veux commencer ma vraie mission.

Un zayat ou maison de repos s'élevait à l'ombre de chaque pagode. C'était un lieu de méditation et de prière, où les moines et les prêtres expliquaient Bouddha.
- Un zayat! s'exclama Anne. Quelle bonne idée! Il n'y a que toi pour imaginer d'utiliser une de ces forteresses de Gautama pour y prêcher Christ! Nous prendrons ce qui nous reste de nos cadeaux : une centaine de dollars.

- J'ai bien peur que, pour le terrain, le zayat et son mobilier, nos réserves ne suffisent pas.
On se passera de meubles. Peut-être aussi pourrions-nous vendre la boîte en santal, bien que je déteste me séparer des objets que tu m'as donnés.
- Le vieux livre vaut-il quelque chose?
- Oh oui! Je sais que quand mes yeux seront remis et que nous en aurons le temps, nous y découvrirons ensemble des trésors insoupçonnés.
- Comme c'est intéressant! fit Anne, distraite. Je pense, mon chéri, que tu ferais bien d'aller voir l'entrepreneur pour discuter les plans avec lui.
- J'aimerais tant avoir Maung Shway-gnong pour me conseiller! N'a-t-on aucune nouvelle de lui?
- Non. Et s'il était ici, il te dirait sûrement de ne pas construire.
- Je saurais bien le convaincre!
- Qui sait?

Brusquement, Anne pâlit
Adoniram, regarde! Des blancs au portail!
Il se retourna. Deux hommes et deux femmes semblaient hésiter à pénétrer, dans la cour de la Mission. C'était des blancs, des gens de leur espèce !
Ils s'élancèrent à leur rencontre. Les Baptistes américains ne les avaient pas oubliés!

Deux jeunes ménages de missionnaires américains les James-Colman, les Edward Wheelock. Deux pasteurs consacrés... Ils apportaient des livres, des vêtements, de l'argent et les messages - combien précieux - des familles et des amis des Judson. Ils furent accueillis comme une réponse directe à tant de prières...
Un seul point noir : Wheelock, un garçon délicat, à la peau translucide, aux yeux bleus enfoncés, était si souffrant qu'il dut se mettre au lit dès son arrivée. Colman, plus résistant, malgré sa frêle apparence, s'endormit, épuisé, en buvant une tasse de thé.

Quand chacun se fut retiré pour la nuit, Adoniram secoua la tête avec tristesse :
- Ils sont envoyés de Dieu... Tous deux remarquables... Mais tous deux malades de la poitrine!
- J'ai bien peur que Wheelock n'en ait pas pour plus d'une année, soupira Anne qui brossait ses cheveux.
- J'écrirai en Amérique pour avertir la Société de ne plus envoyer de missionnaires qui n'aient pas autant de santé que de zèle. Colman est moins atteint que Wheelock, il a plus de vitalité, il résistera plus longtemps. Mais ils sont condamnés l'un et l'autre.
- Pauvres enfants!
- Enfants! s'exclama Adoniram. Mais ils ont le même âge que toi.

Anne se regarda dans le seul miroir qui leur restât, un petit carré de quelques centimètres de côté, dont son mari se servait pour se raser :
- Si toute ma figure ressemble à ce que j'en vois, mon chéri, c'en est bien fait de ma beauté!

Adoniram souleva la lampe. À la lumière vacillante, il examina gravement le visage souriant :
- Anne aimée, je suis plus convaincu que jamais de ton extraordinaire beauté. Tu as la teinte du vieil ivoire, je l'admets, mais tes traits sont admirables. Rien ne peut en altérer l'expression.
- Tais-toi. Je t'en supplie!
- C'est la pure vérité et tu adores l'entendre! Payez-moi d'un baiser, Madame Judson.

Elle l'embrassa longuement.
- Je ne veux pas paraître trop attachée aux biens de ce monde, mais tu ne saurais comprendre le plaisir que me font ces nouvelles robes. Ce sont les premières, depuis notre mariage.
- Je le sais, ma chérie. Aussi j'en ai honte envers mes ancêtres de la Nouvelle-Angleterre!

Ils sourirent. Ils se comprenaient parfaitement.
- Et je sais combien ces costumes de toile blanche te réconfortent. Tu détestes tant le mérinos noir!
- J'ai lavé mes vêtements blancs à bord de l'Ecureuil-Volant jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau douce, et que moi-même j'aie capitulé. Ma malle était vide quand on me porta à terre. Est-ce de la vanité ou une manie de vieille fille?
- Un peu des deux.

Ils terminèrent leur toilette. Avant d'éteindre la lumière, Adoniram reconnut :
- C'est bon de les sentir sous notre toit! Nous sommes bénis en tant de choses.
- Peut-être bien, murmura Anne.

On construisit donc le zayat. Wheelock restait souffrant; mais Colman fut vite assez bien pour aider. Le nouveau bâtiment qui mesurait environ huit mètres sur cinq mètres cinquante, se dressait à côté de petits monastères, de sanctuaires d'esprits, de pagodes et de zayats bouddhiques. Il était surélevé d'un mètre, à la manière birmane, et couvert de bambou. Le devant formait véranda, et ouvrait directement sur le chemin. Au milieu, une pièce servirait de lieu de culte; à l'arrière, une entrée donnait dans la cour de la Mission.

Les autorités de Rangoon semblaient ignorer tout de cette activité, peut-être à cause du versement mensuel de cinq roupies. Mais Colman se tourmentait de cette protection intéressée; et il communiqua son inquiétude à Adoniram. Pourtant, celui-ci ne voulut écouter ni les protestations de son compagnon, ni celles, plus secrètes, de sa conscience. Il commencerait à prêcher sans se préoccuper de rien d'autre. Il n'admettrait plus de faire dépendre ses projets des caprices brutaux du gouvernement de Rangoon.
Les retards inévitables à toute entreprise birmane reculèrent au printemps suivant l'inauguration du zayat. Elle eut lieu le 4 avril.
C'était un jour de Sabbat, une aube torride sur la jungle immobile. Après le petit déjeuner, la Mission au grand complet suivit Adoniram jusqu'au zayat où le culte fut célébré dans la salle centrale.
Puis Adoniram s'installa seul sur une natte, sous la véranda.

De nombreux fidèles passaient, allant à la pagode ou en revenant. Le jeune pasteur demeura silencieux un instant, la bouche sèche, le coeur battant.
Une vieille femme à la chevelure fleurie lui jeta, au passage, un mot grossier. Adoniram redressa la tête. Et, d'une voix basse, en birman, commença la grandiose invitation d'Ésaïe : « Vous tous qui avez soif, venez aux eaux. Même celui qui n'a pas d'argent! Venez, achetez et mangez. Venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer! - Prêtez l'oreille, et venez à moi, Écoutez et votre âme vivra : je traiterai avec vous une alliance éternelle... - Cherchez l'Éternel pendant qu'il se trouve; Invoquez-le tandis qu'il est près... »
Il s'interrompit.

Dans la tranquillité étale de la jungle, les voix d'enfants, répétant les paroles de Bouddha, arrivaient du monastère. Un groupe se forma à l'ombre du figuier, de l'autre côté lu chemin et se mit à discuter longuement sur l'obscénité des vêtements de l'animal étranger. Un indigène de classe élevée donna un ordre au serviteur qui tenait au-dessus de sa tête une ombrelle frangée de rose, et hâta le pas. Mais avant d'avoir passé, il lui fallut encore entendre une autre promesse d'Ésaïe : « Que le méchant abandonne sa voie, Et l'homme d'iniquité ses pensées, Qu'il retourne à l'Éternel, qui aura pitié de lui. À notre Dieu qui ne se lasse pas de pardonner.»
Ainsi s'écoula la matinée.

Dans l'après-midi, lorsque les ombres en forme d'épée des palmiers vinrent jouer sur les marches du zayat, la famille de la Mission vint écouter le premier sermon birman d'Adoniram. Wheelock avait tenu à quitter son lit. Les yeux brillants de fièvre, il essayait de répéter les quelques mots qu'il comprenait déjà. Il serrait les mains de sa femme dans les siennes. Quand le dernier cantique eut été chanté, ses lèvres pâles se teintèrent brusquement de rouge et Mme Wheelock le ramena vite à la maison.
Tout le monde les suivit. Il eut une terrible hémorragie que leurs efforts réunis ne purent arrêter avant la nuit tombée.
Quand tout fut tranquille à la Mission, Adoniram sortit dans le jardin.
Cette journée lui avait coûté un effort énorme.
Le Shwé Dagôn luisait, admirable, dans le clair de lune.
Adoniram secoua la tête
- Prince Gautama! les hommes ne peuvent vivre et mourir avec une philosophie seulement. C'est pourquoi on a inventé les esprits, M. Beg Pardon dans chaque maison. Si l'on ne donne Dieu aux hommes, il faut qu'ils se créent des démons..
- Mais comment connaissez-vous Dieu? demanda une voix familière.

Adoniram s'arrêta. Un visage d'ivoire, les traits hagards, se dessina à côté de la maison de M. Beg Pardon. Maung Shway gnong! À pas de velours, il traversa la véranda et vint s'asseoir aux côtés de son élève, avec autant de naturel que s'ils s'étaient quitté la veille.
- Mon cher maître, où donc avez-vous disparu si longtemps? Vous ressemblez à un esprit.
- J'ai eu de grands malheurs... J'ai fait un long voyage... du commerce avec les Shans...
- Mais quels malheurs?
- Vous les connaissez tous, ô mon élève. Ils viennent du trop grand intérêt que je vous porte. Le vice-roi et le gaing-ôk ont monté le roi contre moi. La Présence Dorée m'a poursuivi comme le tigre le buffle malade. Je suis allé au nord, jusqu'aux montagnes neigeuses des Kachins, au sud, jusqu'aux grèves de corail de Malaisie, à l'est, jusqu'aux jungles du Cambodge. Mais, me voici...
- Le roi a donc renonce à vous poursuivre?
- Les Pieds Dorés, à ce que l'on croit, vont entre, prendre bientôt un voyage de plaisir dans les régions célestes.
- Le vieux roi est mourant?
- Il y a longtemps déjà, je vous ai dit que le roi de la vie et de l'espace était immortel. Nous considérons simplement qu'il quitte le monde visible. Mais, ô mon élève, j'ai appris la nouvelle ce soir seulement. Ce n'est pas cela qui m'a fait revenir. Malgré le danger, je suis arrivé pour vous poser une question : Qui est Dieu? Et voici, je vous trouve opposant des arguments à Bouddha!

Adoniram retournait ces paroles dans son esprit. Il doutait beaucoup que Maung Shway-gnong eût surmonté ses craintes et fût parti pour Rangoon avant d'apprendre que le roi allait mourir. Sa joie de retrouver son vieil ami était profonde, bien qu'il n'eût plus besoin, maintenant, de ses services. Il renonça à poser aucune question gênante.
- Voulez-vous connaître mes aventures durant votre absence?
- Plus tard. Je suis venu de loin, méprisant les dangers, pour vous poser cette question : Qui est Dieu?
Il était sincère!
- Qui donc est-ce Dieu? Cette pensée me poursuit sans trêve. Un être sans commencement ni fin, c'est impossible!

Adoniram pesa longuement sa réponse.
- S'il n'y a pas d'être éternel, que faites-vous du monde et de tout ce que vous voyez?
- La destinée...
- La destinée? Mais, ô mon maître, la cause doit égaler l'effet. Sous cette natte que je soulève, une fourmi se promène. Si j'étais moi-même invisible, diriez-vous que c'est la fourmi qui a soulevé la natte? Le destin est moins qu'une fourmi, c'est un mot. Pour vous, qu'est-ce que le destin?
- C'est l'influence que les actions des hommes bonnes ou mauvaises, peuvent avoir sur leurs existences futures.
- Pour qu'il y ait une influence, il faut une cause déterminante.

Maung Shway-gnong se concentra pour exprimer sa pensée.
- Cette cause n'existe pas; donc il n'y a rien d'éternel.
- Mon maître, considérez ceci, c'est un gage de sagesse : à chaque but qu'on se propose correspond une cause.
- Si vous acceptez l'idée de but, vous admettez Dieu. Mais je nie le but.
- Quels sont les critères par lesquels vous distinguez les bonnes des mauvaises actions?
- Les préceptes de Bouddha décident pour tous les cas de la vie. C'est là où notre religion dépasse la vôtre.

Montrant le Shwé Dagôn, il poursuivit :
- Il est là, le roi de la compassion avec lequel le plus misérable d'entre nous peut communier. Le Bouddha est là. Comment l'âme pourrait-elle s'entretenir avec un intermédiaire? Dans le recueillement, pouvez-vous voir votre Dieu? Non, certes pas. C'est pourquoi vous avez dû faire descendre Dieu sur la terre, en la personne du Christ que vous nommez Fils de Dieu.
- Le Bouddha lui-même n'est pas dans son sanctuaire, vous le savez bien. Huit de ses cheveux sont cachés dans la maçonnerie de son autel; n'est pas un peu ridicule d'adorer huit des cheveux de la tête d'un homme?
- C'est bien plus ridicule encore de penser qu'un Dieu comme le vôtre peut entrer dans les flancs d'une femme, et naître comme n'importe quel enfant. Mais, du reste, des suppositions de cet ordre ne sont pas dignes de nous.
- C'est vrai, admit Adoniram.

Le professeur plongea ses yeux sombres dans ceux de son élève :
- En toute sincérité, votre âme s'entretient-elle directement avec Dieu?

Toutes les forces d'Adoniram se tendirent vers une réponse honnête. Dans la maison, Anne parlait à quelqu'un avec douceur. Le rossignol chantait. De temps en temps, on entendait le cri rude d'un corbeau.
- Maung Shway-gnong, je crois en Dieu absolument. Je crois sans doute et sans hésitation. Mais pour moi, Il est le grand Inconnu. Je ne puis Le trouver... Il s'arrêta, la voix brisée.
- Amé, comme vous êtes sincère! Seul un grand maître peut être aussi véridique.

Le visage illuminé, Maung Shway-gnong se prosterna devant Adoniram comme un Birman ne le fait que devant un prêtre illustre. Adoniram tendit les bras pour le relever mais le professeur demeura prosterné.
- Mon Seigneur (il utilisa le mot par lequel on s'adresse à un prêtre). Vous avez levé mes derniers doutes quant à la possibilité de croire en Dieu. Si vous croyez sans comprendre, je puis aussi le faire. Mais, pour ce qui est de Jésus-Christ et de son enseignement, mon Seigneur, je ne puis le considérer comme Dieu. Comme Gautama, il fut un homme.

Adoniram ne put répondre aussitôt. Après six ans d'attente et d'espoir, ce début de conversion d'une si belle âme, était trop émouvant pour qu'il pût garder toute sa sérénité. Après un silence, durant lequel Maung Shway-gnong prépara l'inévitable chique, le missionnaire poursuivit avec douceur :
- Oui, mon maître, ils ont eu de nombreux traits communs : la pureté, la bonté, leur grande sagesse et leur compassion. Mais Bouddha n'a pas aimé les hommes comme le Christ. Jésus est mort sur la croix pour les sauver!
- C'est impossible, dit simplement Maung Shway-gnong.
- Tout homme est plein de péché.

Le professeur approuva avec force.
Adoniram continua, la voix altérée par l'émotion
- L'homme pèche parce qu'il est éloigné de Dieu. Christ est venu au monde pour abolir la distance. Il l'a fait avec mon infinie sagesse, une obéissance si grande aux commandements de Dieu qu'il est mort sur la croix. Depuis lors, ceux qui deviennent disciples, de Christ sont affranchis du châtiment mortel qu'ils méritent.
- Non. Je ne croirai jamais cela! Je suis certain que toute vie porte, en elle-même, les principes de sa misère et de sa destruction. L'univers entier n'est que reproduction et destruction.
- Tout l'univers, c'est Dieu.

Le Birman se frotta le menton et se secoua comme pour chasser la gênante pensée :
- Ceci est trop grand pour moi, mon esprit déborde. Je reviendrai, mon Seigneur. Mais, si vous le permettez, je vais maintenant me retirer.
- Allez.

Adoniram lui sourit.
Il se prosterna, une fois encore, puis disparut comme il était venu en se glissant derrière la maison.
Adoniram se leva, et rejoignit Anne.


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