Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XI
L'HOMME DE JÉSUS-CHRIST

 

En revenant du bazar le lendemain, Koo-chil annonça qu'on parlait beaucoup de la maladie du roi, et qu'on semblait redouter l'avenir. La succession au trône étant toujours assurée au prétendant qui avait assassiné tous ses rivaux, une vague de barbarie menaçait le pays. L'anarchie régnerait, certes, à Rangoon. En attendant la mort du roi, la vie continuait morne et calme, chacun ayant son épée à portée et son coutelas suspendu au cou.

À la Mission, on espérait que les troubles politiques empêcheraient l'attention de se porter sur le zayat. Ces voeux paraissaient se réaliser : Adoniram poursuivait en paix son programme.

Avec une énergie farouche, les Colman s'étaient mis à l'étude de la langue, sous la direction d'Anne. Le malheureux Weelock n'allait pas mieux et l'on pensait que, seul un voyage en mer, pourrait prolonger sa vie. Mais, tant qu'aucun bateau anglais ne se hasarderait dans le port, ce projet resterait irréalisable.

Adoniram passait toutes ses journées au zayat. Les événements extérieurs avaient pour lui moins de réalité que son sentiment d'entreprendre enfin cette mission surhumaine : essayer de sauver de l'enfer ce peuple de huit millions d'âmes. Seule, la conscience permanente qu'il avait de ce fardeau lui permettait de se maintenir, corps et âme, dans le zayat, annonçant, de semaine en semaine, la Bonne Nouvelle aux ombres de la jungle, aux tigres furtifs, aux païens indifférents, dont la horde caquetante défilait sans arrêt, sous les pluies interminables.
Durant ces longues heures d'averse, pas une seule question, pas un être dont la curiosité semblât éveillée. Seul, Maung Shway-gnong apparaissait parfois, de nuit, pour venir l'interroger.

Un matin de juin, Ma Baïk, qui marmonnait souvent des imprécations contre le zayat, s'arrêta à la galerie, en revenant du bazar. Sous son parapluie ruisselant, elle avait un air acariâtre; évidemment, elle voulait scandaliser Adoniram, car elle vint se planter devant lui sans enlever ses sandales!
- Maître étranger, nous allons vous quitter, moi, mon mari, mes poules et mon buffle. Nous retournerons à notre bateau de pêche.
- Et pourquoi donc, Ma Baïk?
- Parce que vous insultez le Bouddha Gautama avec ce zayat. Il se passe de mauvaises choses ici.
- Voyons, Ma Baïk, tu as vécu trop longtemps avec nous et tu as été trop bonne pour te borner à nous menacer. Enlève tes sandales, assieds-toi près de moi, et discutons.
- Retirer mes souliers dans cette maison de démons! Mais, vous ne comprenez donc pas! Vous ne voyez pas l'esprit de mort qui rôde sur nous tous? Pourquoi l'autre animal blanc meurt-il en crachant du sang par la bouche? Croyez-vous que nous allons rester tous ici, sans rien tenter pour échapper à la malédiction de cette maison que vous avez construite pour votre Dieu?

Adoniram hésita avant de répondre. Il voulait mesurer ses mots. Une vieille femme, portant une corbeille de figues vertes sur la tête, sans doute attirée par la perspective d'une dispute, venait de s'arrêter devant la véranda.
Adoniram répondit à son regard interrogateur:
- Ma Baïk se fâche parce que j'essaie de faire ce que mon Dieu m'a ordonné.
- Aye! dit la vieille qui scrutait le visage du missionnaire. Ils m'ont tous dit que vous étiez un sauvage, et vous parlez mieux que bien des moines!

Ma Baïk menaça l'arrivante de sa sandale boueuse :
- Va-t-en, Ma So!

Mais elle avait affaire à forte partie! La vieille l'attrapa par une cheville, et, d'un geste rapide comme l'éclair, lui arracha son tamein.
- Rentre, Ma Baik, et voile ta nudité.

Ma Baïk, outragée dans sa pudeur et en larmes, alla se cacher. La vieille souriait d'un air de connivence.
- Si mon fils avait du bon sens, il réussirait vite à donner à ma belle-fille un meilleur caractère!

Elle lui lança son tamein :
- Va, ma fille, et raconte tout au vice-roi

La seule réponse fut un sanglot.
Adoniram pria la vieille de venir à l'abri. Elle gravit les premières marches, s'arrêta hésitante, puis redescendit.
- Le risque est trop grand. Ne pouvez-vous me dire d'ici, Maître étranger, ce que votre Dieu vous commande de faire?
- Il m'a ordonné, répondit Adoniram d'une voix qui portait loin, de dire aux Birmans qu'il y a un moyen d'effacer tous les péchés et d'entrer dans la paix éternelle, dès la fin de cette vie.
- Aye!

Ma So avait gardé le panier de figues en équilibre sur sa tête blanchissante; elle le déposa par terre, sans quitter des yeux le missionnaire vers lequel elle se pencha.
- Votre visage est vrai et pur. Je suis une femme aux nombreux péchés. Mon karma est très mauvais. Vous prétendez que ces péchés peuvent être enlevés? Comment est-ce possible, puisque la Loi prévoit une justice immuable?
- Il en est bien ainsi de la Loi de Bouddha Gautama. Mais la Loi à laquelle j'essaie d'obéir n'a pas été faite par un homme, elle est l'oeuvre du Créateur de l'univers, qui a envoyé son Fils sur la terre pour Ôter aux hommes le fardeau de leurs péchés.

Sous la véranda, les sanglots bruyants avaient cessé. Adoniram qui essayait en vain, depuis des années, de convaincre Ma Baik de l'écouter, considérait cet incident comme providentiel. Il continua :
- Ce Fils s'appelle Jésus-Christ. Écoute, Ma So, pendant que je te parle de lui!

Il commença le récit de la vie la plus humaine, la plus divine qui ait jamais été. Anne, qui rentrait à la Mission, s'arrêta pour regarder avec émotion le touchant spectacle de cet homme, au visage pâle, à la voix profonde, de cette vieille femme haletante, aux vêtements trempés, dans la lumière blafarde et triste de cette journée tropicale...
Une heure plus tard, Adoniram parlait encore:
« Puis, ayant fait quelques pas en avant, il se jeta sur sa face et pria ainsi : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. »

Visiblement, Ma So était touchée. Elle tortillait ses doigts.
« Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est accompli. Et, baissant, la tête, il rendit l'esprit. »

Il s'arrêta. La vieille pleurait. Elle se ressaisit, et appela d'un ton adouci:
- Viens, ma fille!

Ma Baïk apparut, en rampant.
- Tu as entendu le Maître étranger? interrogea Ma So.
- Oui, et c'est vraiment la première fois,
- Et tu vivais depuis si longtemps dans son jardin, petite nigaude! Quelle est cette façon de traiter le zayat de maison de démons?

Ma Baïk tendit ses mains vers le missionnaire
- Je ne connaissais pas l'histoire. Que pouvais-je faire? Le moine m'avait ordonné de parler ainsi.
- Va dire au moine que tu lui as obéi, dit Adoniram avec bonté. Mais que, dorénavant, il s'adresse directement à moi.
- Dis-lui aussi que je te battrais si tu quittais la Mission, ajouta Ma So.
- Méfiez-vous de la parenté d'un homme comme de la piqûre d'une guêpe, répartit Ma Baïk, le visage tout plissé de malice. Pour une fois, je t'obéirai, Ma So.

Elle ouvrit son parapluie chinois, et disparut dans le jardin.
Avec un large sourire édenté, Ma So s'apprêtait à ramasser son panier de figues pour partir. Au dernier moment, elle se rassit et dit :
- Je suis une vieille femme pleine de péchés, ô Maître. Mais vous dites que le Seigneur jésus pourrait les écarter de mon karma?
- Oui, si vous croyez en lui.

Elle posa son fardeau sur sa tête et disparut dans le jardin. Adoniram se leva pour rentrer chez lui, mais il entendit des pas s'approcher et le visage ridé de Ma So se montra une fois encore :
- Ces mots du Seigneur Jésus me tiennent aux entrailles. Puis, elle disparut, cette fois définitivement.

Le lendemain matin, quand Adoniram pénétra dans le zayat, il y trouva Ma So avec trois ou quatre hommes.
- Nous sommes venus pour entendre parler du Seigneur Jésus, avec mon mari et mes deux frères. Ils vont vous écouter.

Peut-être avaient-ils été amenés par contrainte. Mais ils demeurèrent parce qu'ils étaient charmés et intéressés. Ils passèrent toute la journée avec Adoniram, l'accablant avidement de questions.
Le missionnaire se sentait comblé. Après ces années d'apparente stérilité, ces brusques perspectives de récolte spirituelle...

Et, comme chaque jour l'assistance grandissait, jusqu'à ce qu'un cercle complet d'hommes et de femmes l'entourât, aucun doute ne subsistait en lui sur l'accueil qui serait fait à la nouvelle doctrine.
Une seule chose l'inquiétait : l'assistance changeait constamment. Il semblait même, qu'excepté Ma So, son fils, Maung Nau, et Ma Baïk, personne n'assistât plus de deux fois aux réunions du zayat. Et, comme les jours passaient, l'assemblée changeait de caractère; au lieu des braves gens du début, sincèrement désireux de s'instruire, une foule d'oisifs bruyants et moqueurs venaient y occuper les longues heures pluvieuses. Adoniram refusait de parler à cette racaille. Parfois même, il rentrait à la Mission, épuisé et découragé.

En juin, Ma So vint s'installer auprès de ses enfants. Elle s'attacha beaucoup à Anne et obtint qu'elle lui apprit à lire. Mais son ardeur pour le christianisme diminua lorsqu'elle s'aperçut que la rigueur des principes de la nouvelle doctrine était plus grande encore que celle du bouddhisme.

L'absence d'esprit de suite des Birmans était vraiment décourageante. Durant les semaines de ce printemps, Adoniram connut toute la gamme des sentiments : de la certitude éblouissante d'un succès immédiat au doute que, même un seul converti, pût être baptisé dans l'année. Seul, Maung Nau montrait un intérêt persistant.

Dans Rangoon, on commençait à appeler Adoniram : l'homme de Jésus-Christ. Ce nom lui fut du reste décerné par un être étrange.
Un matin, parmi les premiers visiteurs, arriva l'un des bourreaux du vice-roi. Il salua et dit:
- Maître étranger, je suis bourreau.

Adoniram, qui l'avait vite reconnu aux stigmates de son visage, essayait de cacher son horreur.
- Ce Jésus dont vous parlez pourrait-il effacer ces lettres gravées au feu sur la peau de mes joues et de mon front, si je lui offrais d'assez belles offrandes ?

Puis, comme le missionnaire hésitait :
- Vous êtes bien l'homme de Jésus-Christ ? Vous savez donc ce qu'il faut faire.
- Si Jésus-Christ venait aujourd'hui à Rangoon, et que vous alliez à lui, vous, bourreau, avec un coeur humilié et repentant, et une foi absolue, il enlèverait certainement vos marques. Il le ferait encore, bien qu'il soit au ciel, si vous aviez maintenant une foi et un repentir suffisants. Mais, vous repentez-vous vraiment ? N'avez-vous aucun espoir hors de lui ? Croyez-vous vraiment en Christ, ou en Gautama ?
- Je ne puis croire ce que je ne vois pas, répondit l'homme, avec tristesse.

Il s'en alla. Bien qu'Adoniram tentât plusieurs fois, par la suite, de lui parler, alors qu'il se terrait comme les chiens parias dans la ville, le bourreau ne voulut rien entendre. Ce cas obsédait le missionnaire qui sentait que sa foi avait été insuffisante en cette occasion. Il était tout abattu quand il entendait les enfants crier sur son passage : « l'homme de Jésus-Christ » ;

Maung Shway-gnong le décevait aussi. Après sa belle explosion de franchise et de confiance, il était revenu à ses anciens doutes, à ses questions, à ses polémiques. Il ne se rétractait pas quant à sa foi en Dieu, mais il rejetait tous les autres éléments du christianisme. Pourtant, il continuait à être sensible à la force de persuasion du raisonnement d'Adoniram, et lorsqu'il entendait ce dernier réfuter les arguments d'un indigène, il applaudissait et murmurait entre ses dents : « J'ai la connaissance, mais ceci est de pure sagesse. »

Un soir, Maung Nau et Maung Shway-gnong demeuraient seuls dans le zayat avec Adoniram. L'ancien maître discutait avec âpreté la question de l'expiation. Découragé, le missionnaire restait souvent silencieux. Son attitude finit par impressionner Maung Shway-gnong, qui se tut, l'air gêné.
C'est alors que Maung Nau éleva la voix, pour la première fois :
- Mon Maître, aidez-moi! Je ne mange, ni ne dors, tant je pense à mes péchés. Bouddha ne peut les enlever de mon karma. Dans la nuit et la souillure de toute ma vie, je ne puis voir qu'une aide : Jésus-Christ. Comme j'aimerais, de tout mon coeur, lui appartenir

Maung Shway-gnong frissonna :
- Si l'on n'avait pas aussi peur de l'exécution!

Les grosses joues brunes de Maung Nau se contractèrent, ses yeux se remplirent d'angoisse, mais il dit posément :
- Je serai sûrement torturé. J'en ai pris mon parti. Si le Maître veut bien me montrer comment il faut faire, j'appartiendrai à Christ.

Les lèvres pâles, mais le regard ferme, Adoniram répondit :
- Il est terrible pour moi de penser que vous devrez peut-être souffrir. Je vous épargnerai en tous cas le pire ; car, si vous en venez à confesser Dieu et Christ publiquement, et que l'on vous arrête, je m'offrirai à votre place.

Les deux indigènes le regardaient fixement, leurs esprits pénétrant lentement le sens incroyable de ces paroles. Puis, Maung Shway-gnong eut un petit rire :
- Personne ne comprendrait. Simplement, on vous crucifierait tous deux.
- Pourquoi ris-tu, espèce de gabelou et de déserteur ? s'écria Maung Nau indigné. Est-ce comique, vraiment, que le Maître étranger m'aime tellement qu'il donnerait son corps à la place du mien et souffrirait comme le Christ ? Ricanes-tu parce qu'il vit sa religion et se comporte comme seul l'un de nos plus grands moines le ferait ? Et même, as-tu jamais entendu parler de l'un d'eux qui mourrait pour un disciple ?
- Le Maître étranger n'est pas encore mort!
- Et il ne mourra pas pour moi. Je ne le permettrais pas. Mais, tant que je vivrai, je n'oublierai jamais qu'il me l'a proposé.
- Ne t'émeus pas autant de tout cela, dit Adoniram avec douceur. En fait, j'ai tout aussi peur que Maung Shway-gnong, et ce serait pour moi un effort surhumain de tenir ma promesse. Dieu seul pourrait me le permettre. Pas plus que vous, je ne suis un héros.

Maung Nau lui lança un long regard reconnaissant.
- Je suis décidé, mon Maître, montrez-moi comment je puis me donner à Dieu.
- J'essaierai, dit Adoniram humblement.
- Comment peut-on se donner à l'Inconnu ? questionna Maung Shway-gnong, avec perfidie.
- Jésus-Christ nous l'a montré.

Le jardinier semblait avoir vaincu toute crainte. Il articula, non sans ironie :
- Le tigre ne gronde que quand il a peur !

Adoniram retint un sourire, puis, s'adressant à Maung Nau :
- Mon ami, avant de pouvoir te baptiser, il faut que je te sache désireux de suivre les enseignements du Christ. Je te mettrai donc à l'épreuve pendant un mois. Pour que je puisse juger si tu as vraiment compris, tu répondras, par l'intermédiaire de Ma Judson, aux questions que te posera Maung Colman.

Le jardinier se leva. Avant de partir, il demanda, avec un clignement d'oeil malicieux :
- Si je vis en paix avec Ma Baïk, la meilleure des femmes, pendant un mois entier, ne sera-ce pas déjà une preuve ?
- Presque, dit Adoniram en riant. Seulement, on m'a raconté que tu voulais rendre une seconde femme...

Maung Nau sortit rapidement du zayat.


Table des matières

Page précédente:
Page suivante:
 

- haut de page -