Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XIII
LE ROI

 

Dès leur arrivée à Amarapura, les missionnaires furent entourés par l'habituelle foule des curieux. Des femmes qui lavaient leur linge levaient les yeux ébahies. Un enfant qui ramenait un buffle trempé sur la rive s'arrêta pour les dévisager. On ne se gênait pas pour énoncer à haute voix des commentaires malveillants sur leur aspect. Des chiens s'approchaient pour les flairer.

Adoniram commença par questionner ceux qui l'entouraient. Quand on découvrit que l'étranger s'exprimait en birman, chacun voulut répondre, et il eut grand'peine à obtenir quelques renseignements utiles.

Les portes d'Amarapura se trouvaient à quatre milles à l'intérieur et la route y menait aisément, mais on refusait de lui louer des chevaux ou un char à buffles, par crainte des autorités. Ce jour-là, la Présence dorée était à Ava, la nouvelle capitale, dans laquelle elle s'installerait bientôt.

Le chef du village demanda la permission de monter à bord avec sa femme et quatre enfants. Il apportait en cadeau un paquet de thé imprégné d'huile de sésame. Mais il refusa de leur rendre le moindre service, ne voulut vendre aucune nourriture. Nul ne savait encore quel accueil le roi réserverait aux nouveaux venus.
Ce début n'était guère encourageant.

Ils passèrent la nuit dans leurs cabines, bercés par le tintement des cloches, et furent réveillés par les craquements des charrettes à boeufs longeant le rivage, dans une aube embrumée et mauve. Ils s'habillèrent avec soin : costumes de toile blanche, aux pantalons serrés, fixés sous les pieds, cols et cravates immaculés, puis se mirent en route, suivis de Maung Nau et de l'un des membres de l'équipage, Maung Ing, portant les cadeaux. Le jardinier était aussi sec et long que son compagnon était trapu et gras, ce qui valut de nombreux quolibets à la petite caravane. Un grand trafic de chars et d'éléphants soulevait des nuages de poussière. Des femmes, chargées de leurs achats de la matinée : ail, légumes, lézards séchés, poissons, fruits, lançaient au passage des remarques désagréables sur l'indécence des pantalons. Des effluves étranges flottaient dans le vent chaud.
Si le résultat de leur démarche ne les avait tant tourmentés, les missionnaires eussent trouvé le trajet très pittoresque.

Ils arrivèrent à la porte orientale de la ville vers le milieu de la matinée. Deux splendides tamaris l'ombrageaient. Un garde au casque de cuir rouge en forme de pagode examina en grognant leur passeport, puis leur ouvrit la porte. Ils étaient enfin dans Amarapura.

Ce n'était au fond qu'un Rangoon plus grand et moins humide. Chaque maison s'ornait d'une treille de vigne. Partout, l'on tissait la soie. Même dans les plus pauvres demeures, un métier étalait ses flamboyantes couleurs. La rue principale était bordée des deux côtés par une haute barrière de pieux blancs : c'était le chemin que prenait le roi, et aucun homme ne devait être, visible quand il y passait.

Ils rendirent leur première visite au vice-roi de Rangoon, maintenant l'un des quatre membres du conseil privé. Sa maison s'élevait aux portes du palais. Les missionnaires eurent la chance de rencontrer le grand homme et sa femme au moment où ils allaient monter dans une voiture à boeufs. Le vice-roi portait une somptueuse robe de soie rose, au-dessus de laquelle son visage apparaissait plus sauvage et sombre encore que naguère. Il ignora le salut d'Adoniram et se dirigea vers la voiture. Mais sa femme s'arrêta et sourit aimablement aux deux hommes. Maung Ing courut s'agenouiller à ses pieds et lui présenta une grande corbeille à ouvrage, toute garnie. Les yeux de la vice-reine étincelaient.
- C'est comme celle de Ma Judson ! s'écria-t-elle en saisissant avec ravissement le cadeau.

Le vice-roi, accroupi sous le dais de son étrange véhicule, garda les yeux baissés jusqu'à ce que Maung Nau, à genoux lui aussi, lui présentât une trousse de toilette. Il la prit d'un air morne, mais quand il en eut examiné le contenu, il ne put retenir un sourire qui découvrait ses dents cassées et noircies par le bétel.
- Que me voulez-vous, animal étranger ?
- Une audience avec Sa Majesté, Grand Conseiller.
- Pourquoi?
- Pour admirer la Face Dorée.

Le vice-roi grogna sentencieusement.
- Amé ! Le pou veut mordre l'éléphant. Très bien! Si vous le voulez, buvez l'eau amère, tous ceux qui y touchent deviennent fous.
- Nous n'avons pas peur, affirma Adoniram.
- Je m'en occuperai donc, reprit le vice-roi en ricanant. Retournez à votre camp et reposez-vous. On viendra vous chercher demain.

Les missionnaires saluèrent profondément.
- Allez, pauvres poux, leur lança-t-il encore.

Le conducteur se plia sur l'avant de la voiture, effleura les boeufs de sa cravache et, dans un vacarme étourdissant de roues et de clochettes, l'équipage s'ébranla sous les palmiers.

Adoniram et Colman échangèrent un sourire. Puis, obéissants, ils reprirent le chemin de leur bateau. Ils ne s'arrêtèrent qu'une fois en route, près d'un zayat ombragé d'un grand tamaris, au bord d'un lac. Colman était fatigué. Ils se reposèrent longuement, écoutant de jeunes voix dans un monastère voisin. Adoniram examinait son compagnon, avec inquiétude. Certainement ce garçon manquait d'endurance ; il avait les traits tirés, les cheveux blanchis par la poussière et la sueur. Mais quel ardent optimisme !
- Je sais exactement ce que vous pensez, mais ce n'est pas vrai. Je vais très bien et le monde est une belle chose, assura Colman.
- Oui, certes... Adoniram n'était pas sûr de traduire sincèrement sa pensée.

Quand ils arrivèrent au bateau, Colman prit un léger repas et se mit au lit. Adoniram, assis sur le pont, regardait la lune se lever, mais il ne pouvait penser qu'a l'entrevue toute proche. Il ne se coucha qu'après minuit. En entrant dans la cabine, il trouva son compagnon éveillé ; ils causèrent et prièrent jusqu'à l'aube.

Le messager royal arriva tandis qu'ils déjeunaient de riz et de poisson. Il intima aux missionnaires l'ordre de le suivre immédiatement, ce qu'ils firent en courant derrière le poney de leur guide. Maung Nau les suivait portant un cadeau pour le roi : une Bible en quatre volumes, spécialement reliée dans une couverture d'or. Adoniram avait insisté pour que ce présent fût en rapport avec leurs moyens et surtout avec leur activité. Ils parvinrent à la porte du palais vers midi. Par une petite poterne, ils furent admis dans une vaste cour, entourée de constructions disparates. Le messager les conduisit sous la véranda de l'un des bâtiments de moindre importance. C'est là qu'ils furent interrogés par un vieillard au torse couvert de tatouages. Il portait sur l'épaule gauche la cordelette de soie qui indiquait ses fonctions officielles.
- Étrangers Américains, qu'avez-vous à demander au roi, très exactement ?
- Nous venons lui présenter une requête, afin qu'il nous permette d'enseigner librement notre religion en Birmanie.

Adoniram tendit un papier calligraphié que le vieillard commença à lire.
- Il ne vous laissera jamais entrer. Vous n'auriez pas dû être si franc, dit Colman, en anglais.
- Je déteste tant les subterfuges !

Ils examinaient le Birman avec anxiété. Celui-ci leva les yeux au bout d'un long moment et leur lança un sombre regard :
- Et qui donc est-ce Dieu ?

À cet instant, un ordre retentit:
- Les Pieds Dorés vont avancer.

Le vieillard, jetant hâtivement une grande robe verte sur ses épaules, les entraîna.
- Saisissons cette occasion ! Mais comment voulez-vous propager votre religion dans cet empire ? ajouta-t-il, avec quelque pitié dans l'intonation. Il n'attendit pas la réponse :
- Venez, le roi, célèbre aujourd'hui sa victoire sur Cathay. Évidemment, vous n'avez pas choisi le meilleur moment !

Les deux missionnaires se hâtaient à la suite de ce guide peu encourageant. Il les conduisit dans une immense salle ouverte, en longeant un admirable bassin de marbre. Ils traversèrent des couloirs aux piliers dorés, aux treillages d'albâtre délicatement entrelacés, aux escaliers bordés d'une balustrade d'esprits et de démons. La salle était surélevée de plus de deux mètres. Tandis qu'ils ôtaient leurs souliers, le guide leur ordonna de se prosterner pour saluer le palais.

La toiture était soutenue par de nombreuses colonnes finement sculptées, au-dessus de leurs bases rouges. Ces piliers, les poutres et le dais luisaient, recouverts d'or. Le sol était dallé de blanc. Adoniram et Colman furent poussés au milieu de la salle, avec une demi-douzaine d'autres suppliants. Ils venaient de s'asseoir et inspectaient ce cadre grandiose, quand tous les Birmans se jetèrent la face contre terre. Les Américains demeurèrent mi-assis, mi-agenouillés, les mains devant les yeux.

Le roi traversait lentement la salle.
C'était un homme de trente-cinq ans environ, petit de taille, les jambes fortement arquées. Malgré un front fuyant, son visage était agréable. Il portait un paso de soie blanche rehaussée de rouge, et une veste brillante presque complètement cachée sous un amoncellement de chaînes et de colliers d'or. D'une main, il tenait une épée au fourreau d'or, de l'autre, la queue d'une vache blanche du Thibet.
Il avançait avec dignité, voire avec arrogance. Il s'arrêta au passage devant les deux blancs.
- Qui est-ce ?

Personne ne paraissait oser répondre. Adoniram parla de sa voix profonde, plus profonde que d'ordinaire:
- Nous sommes des professeurs étrangers, grand roi.

Bagyi-Daw sourit, non sans bienveillance.
- Comment, vous parlez le birman ? Seriez-vous les moines dont on m'a parlé hier ?
- Nous sommes les professeurs, ô grand roi.
- Quand êtes-vous arrivés ?
- Au crépuscule, il y a deux jours, grand roi.
- Vous enseignez une religion ? demanda-t-il encore.

Son regard allait du visage éthéré de Colman, à celui de son compagnon, résolu et fort.
- Oui, grand roi.
- Vous êtes donc des moines, des célibataires ?

Adoniram expliqua qu'ils n'avaient rien de monastique et décrivit leur vie à la Mission. Le roi écoutait, tout en lissant ses cheveux avec la queue de vache. Aucun indigène n'avait encore osé lever son visage de terre.
- Pourquoi vous autres Anglais, portez-vous toujours ces vêtements serrés sur vos jambes et sur vos têtes ?
- C'est notre usage, grand roi. Nous ne sommes toutefois pas anglais, mais bien américains.
- Vous êtes tous les mêmes, espèces d'Européens grogna le roi qui, brusquement, piqua de son épée le large chapeau de paille d'Adoniram, l'examina avec soin, puis le posa sur son propre chef.

Aucun des spectateurs rampants n'osait esquisser le moindre sourire. Au bout d'un instant, Bagyi-Daw jeta le chapeau à terre, et se remit à questionner les missionnaires : avaient-ils des enfants, buvaient-ils du rhum, s'enivraient-ils comme tous les étrangers ? Avaient-ils des théories contraires à celles des Birmans sur le système des étoiles et tuaient-ils des animaux pour les manger ?

Quand Adoniram eut répondu à chacune de ces questions, Bagyi-Daw sourit, l'air satisfait, et se mit à déambuler tranquillement jusqu'à son trône. Il l'épousseta soigneusement de sa queue de vache et s'assit.
- Maintenant, je suis prêt à entendre votre requête.

Le guide souleva alors son visage de terre, juste assez pour pouvoir lire :
« Les professeurs américains sont présents pour solliciter la faveur du Roi très excellent, souverain de la terre et de la mer. Ayant appris que le pays était calme et prospère sous l'autorité royale, nous sommes arrivés dans la ville de Rangoon, dans le territoire de Sa Majesté. Nous avons obtenu du gouverneur de la ville la permission de venir jusqu'ici contempler la Figure Dorée. Nous avons atteint maintenant les Pieds Dorés. Nous souhaitons ardemment que cette permission nous soit accordée, qu'à l'abri du pouvoir royal, nous puissions propager notre religion, que ceux que satisfait notre enseignement puissent le suivre sans être molestés, qu'ils soient Birmans ou étrangers. C'est la grâce pour laquelle nous nous présentons devant l'excellent Roi, souverain de la terre et de la mer. »

Le roi écoutait, les yeux attentivement fixés sur les missionnaires. Il tendit la main. Le guide rampa jusqu'à lui et lui remit la requête. Il la lut tranquillement. Pendant qu'il était absorbé dans sa lecture, Adoniram s'approcha du guide et lui donna une petite brochure contenant les principes élémentaires de la doctrine chrétienne Quand le roi eut terminé sa lecture, il tendit le papier sans un mot et prit la brochure.

Adoniram, les lèvres sèches, priait silencieusement:
« 0 Dieu, aie pitié du pays, aie pitié de son roi ! »

Bagyi-Daw parcourut les premières lignes où était affirmée l'existence d'un Dieu unique, éternel, étranger aux vicissitudes de la mortalité, hors duquel il n'est pas d'autre dieu. Il jeta alors la brochure à terre, avec mépris. Le guide la ramassa et la rendit au missionnaire.
Le roi regardait fixement à travers les colonnes, dans la direction du palais d'où parvenait un faible roulement de tambour.

Le guide retira alors la couverture de l'un des livres de la Bible et le présenta au roi. Celui-ci n'y prêta pas la moindre attention. Adoniram avait la gorge serrée.

Au bout de quelques instants, durant lesquels il avait examiné avec attention le profil de son roi, le guide interpréta ainsi l'auguste décision :
- Le Roi se demande pourquoi vous sollicitez une semblable autorisation. Les Portugais, les Anglais, les Musulmans et gens de toutes autres religions n'ont-ils pas le droit d'adorer, chacun selon son rite ? Quant à votre requête, le Roi ne donne pas d'ordre. Vos livres sacrés ne l'intéressent pas. Emportez-les.

Il s'arrêta. Bagyi-Daw ne bougeait pas.
- Dites au grand roi, tenta Adoniram, en désespoir de cause, que Maung Colman est un habile médecin.

Sans daigner regarder les missionnaires, le roi répondit :
- Qu'ils aillent chez mon docteur, le prêtre portugais, que celui-ci examine s'ils peuvent m'être de quelque utilité, et que l'on me fasse un rapport.

Puis, il descendit brusquement de son trône et alla s'asseoir sur un coussin, de l'autre côté de la salle, les yeux fixés sur la procession qui s'avançait maintenant dans la cour.

Le guide se leva.
- Suivez-moi, vite !

Ils descendirent en hâte les escaliers. Dans un éclair, ils aperçurent un éléphant blanc abrité de parasols dorés, une longue file de dignitaires en rouge, des lanciers en uniformes verts, des danseuses, des astrologues vêtus de robes blanches, étincelantes d'étoiles d'or, des mousquetaires en bleu... Ils passèrent la petite poterne dont n'ouvrait - à ce que leur apprit leur guide avec un sourire cruel - que pour sortir les cadavres, et suivirent un serviteur jusque chez le prêtre portugais.

C'était un vieillard au visage grave, complètement rasé. Ils le trouvèrent à deux milles au sud du palais, sur le seuil de son église, une petite construction en bois de teck, au milieu d'un terrain planté de cocotiers, au bord de l'Irrawaddy. Le prêtre les invita à s'asseoir sous le porche et écouta sans commentaires les explications du serviteur. Puis, il se tourna vers les missionnaires :
- Quoique je suppose que vous parliez le français comme moi, je crois plus sage que nous nous exprimions en birman afin d'être compris. Je ne vous poserai pas une seule question qui n'ait trait à la médecine. Je ne vous donnerai aucun conseil. Je ne demeure dans ce pays que pour officier auprès des demi-sang, descendants des catholiques français, amenés prisonniers de Syrie, il y a de nombreuses générations. Ma présence ici est tolérée, car je ne m'occupe pas de politique, ni d'aucune foi, sauf de la mienne, ni de personne que des catholiques. Le roi désire ardemment trouver un remède qui le garantisse contre toutes les maladies, et le rende immortel. Si vous ne lui apportez pas cette panacée, vous lui êtes inutiles.

Les trois blancs se regardaient avec un profond sérieux. Les tourterelles roucoulaient. Une porte se referma bruyamment. On entendait chanter. Colman sourit avec douceur et dit en anglais :
- Mon cher Judson, pourquoi prolonger ce supplice ?
- Mon ami me conseille de ne pas vous importuner plus longtemps, traduisit Adoniram.
- Je regrette...
- Merci.

Ils saluèrent et reprirent le chemin du bateau, leur Bible sous le bras.
Ils ne se tiendraient pas encore pour battus ! De par sa race, le roi devait être vénal. Puisqu'ils n'avaient pas d'argent pour le tenter, il faudrait trouver un autre moyen.

Ils apprirent par le chef du village que leur guide n'était rien moins que le premier ministre, dont l'autorité n'avait, au-dessus d'elle, que celle du roi. Après une nuit de réflexion, ils décidèrent d'essayer de faire plus ample connaissance avec cet important personnage. Ils retournèrent donc le lendemain à la ville, suivis de Maung Nau et de Maung Ing chargés de cadeaux, et se rendirent à la maison du haut dignitaire. Grâce à une pièce de soie et à une boite de thé de Chine, une audience leur fut immédiatement accordée.

Le ministre était à moitié étendu sur une natte, un cigare à la bouche, ridé comme un singe nouveau-né, mais l'air très intelligent.
- Monseigneur, commença Adoniram, nous croyons comprendre que votre grand roi décourage le commerce entre son pays et ses voisins, car il craint que la richesse de Birmanie ne soit exportée hors du territoire.

Les yeux enfoncés du ministre s'allumèrent.
- C'est vrai, animal étranger. Mais où donc voulez-vous en venir ?
- Si le commerce augmentait, votre peuple ne serait-il pas plus fortement imposable, ne construirait-on pas davantage de pagodes, la prospérité ne serait-elle pas infiniment plus grande ?
- C'est bien certain. Asseyez-vous, maîtres étrangers. Mais comment vous proposez-vous d'amener cette prospérité ?

Adoniram n'osait pas regarder son compagnon qui s'efforçait de suivre la conversation. Il ne voulait pas lui laisser voir encore l'espoir dont il sentait bien qu'on pouvait le lire dans ses yeux.
Ils prirent place à droite et à gauche du ministre, en ayant soin de ne pas tourner vers lui la pointe de leurs pieds. Il ne s'agissait pas, en un pareil moment, de manquer aux usages !
- Monseigneur, si l'on savait que les faveurs de votre roi s'étendent aux étrangers ; si l'on apprenait qu'il permet au christianisme de se propager dans son empire, beaucoup de chrétiens viendraient s'établir ici, et chacun sait que le commerce est actif là où s'installent nos communautés.

Le Birman tira plusieurs fois sur son cigare avant de répondre.
- Si vous demeurez quelque temps encore à Amarapura, j'essaierai de trouver un moment favorable pour présenter cette idée à la Présence Dorée.
- Nous vous enverrons une explication écrite et détaillée de notre proposition.
- Vous pouvez le faire. Mais ne vous y trompez pas, le roi a été mal disposé contre vous, avant même de vous voir. Vous avez offensé l'un des moines les plus révérés. Personnellement, je n'y attache que fort peu d'importance. Vous pouvez revoir le roi mais souvenez-vous qu'il y a trois chances de vous sauver si un serpent vous fascine, mais il n'y en a qu'une avec le roi... Allez maintenant.
- Nous partons, Monseigneur.

Une fois de plus, ils reprirent, découragés, le même chemin, suivis de leurs serviteurs. Seul Colman trouva assez de forces pour dire avec un triste sourire :
- Après tout, le monde est beau ... pour les Birmans.

Le soir même, ils firent parvenir le texte de leur proposition au ministre. Le lendemain, qui était un dimanche, ils se reposèrent. Le lundi se passa à attendre une audience. La lune était haute quand le dignitaire vint leur dire, sans aucune dureté d'ailleurs :
- Quelle que soit la longueur de votre attente, il ne subsiste aucune chance pour que vous obteniez ce que vous demandez. Le danger est grand pour vous de demeurer ici. Retournez à vos affaires.
Il les quitta sur ces mots.

Malgré toutes les prières, les interminables préparatifs, l'expédition à Amarapura s'avérait un complet échec ! Les missionnaires étaient même trop abattus pour causer.

Durant la soirée, après qu'un bon dîner de Koo-Chil leur eût rendu quelques forces, ils s'entretinrent longuement de la volonté incompréhensible de Dieu qui s'acharnait à anéantir tous leurs espoirs. Colman, aussi simple dans sa foi que Maung Nau, conclut en disant que certainement le sens de leur voyage apparaîtrait clairement si, comme Dieu, ils connaissaient le commencement et la fin de toutes choses. Mais le visage de son compagnon restait fermé, malgré ces paroles d'espoir. Il ajouta :
- Nous devons avoir pleine confiance en Jésus-Christ.
- J'ai bien confiance en lui. Il demeure présent dans mon coeur. Mais où donc est Dieu? demanda Adoniram, avec une angoisse indicible.

Colman se tut. Un peu plus tard, ils allèrent se coucher.


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