Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XIV
LA PETITE ÉGLISE

 Le 6 février, les missionnaires levèrent l'ancre.
Grâce au courant, le voyage de retour durerait bien moins longtemps que l'aller. Pour eux, le charme de la navigation sur l'Irrawaddy s'était évanoui. Ils ne mirent même pas pied à terre lorsqu'une semaine après, le bateau s'arrêta pour la nuit devant Prome. Là plus belles pagodes ne les tentaient pas, Ils ne posèrent aucune question à Koo-Chil quand celui-ci ramena à bord un magnifique rôti de buffle.

Le découragement d'Adoniram était bien plus grand que celui de son compagnon qui, lui, n'avait pas prépare six années durant sa requête au roi ! Après plusieurs jours de tentatives infructueuses Colman renonça à égayer cette détresse totale qui le désarmait. Mais il poussa une exclamation de joie quand, derrière les cabines, apparut un visage familier : Maung Shway-gnong ! Peut-être ce vieil ami pourrait-il apporter quel, que réconfort.

Adoniram fut tout heureux de revoir son ancien professeur. Il l'embrassa avec effusion et lui demanda Se venir partager leur dîner. Ses yeux brillaient de nouveau, tandis qu'il lui servait une généreuse portion de viande :
- Je sais bien que vous autres Birmans, aimez manger la viande, lorsque c'est nous qui avons tué l'animal !

Maung Shway-gnong sourit et récita la phrase du cérémonial mortuaire de son pays : « Que les morts ainsi que ceux qui sont présents puissent partager le mérite de l'offrande! »
- Êtes-vous venu à notre rencontre, ô mon maître ?
- Mon frère est malade ; je suis allé le voir. Mais, si vous le permettez, j'aimerais bien retourner avec vous jusqu'à Rangoon. Racontez-moi ce qu'il vous est advenu dans la ville dorée.

Adoniram soupira. Sa défaite était encore trop récente pour qu'il pût en parler facilement. Mais l'avis de Maung Shway-gnong pouvait être précieux. Aidé de Colman, qui commençait à se débrouiller dans le langage courant, il décrivit leur réception à la cour.
- Et maintenant, il ne me reste vraisemblablement qu'à abandonner la Birmanie pour aller à Chittagong, conclut-il.
- Vous a-t-on beaucoup parlé de guerre avec les Anglais, là-bas ?
- Nous n'avons rien entendu de plus que les vanteries habituelles. Mais en quoi un conflit pourrait-il changer notre situation ?
- Je pensais que la Présence Dorée n'oserait pas torturer un Anglais si elle n'avait pas l'intention de déclarer la guerre d'une manière imminente.
- Vous savez, aussi bien que moi, mon maître, que suis américain et que je ne crains pas pour moi seulement. Il y a Maung Nau, un de nos convertis, et Maung Ing, qui espère être bientôt baptisé, et d'autres encore, pour lesquels nous sommes remplis d'espérance.

- Vous n'avez rien à craindre pour moi ! s'écria le Birman avec défi.

- Pourquoi serions-nous inquiets pour vous ? J'ai appris qu'avant de quitter Rangoon, on vous avait vu au Shwé Dagôn, priant ostensiblement.

Maung Shway-gnong grognait, l'air angoissé.
- Vous êtes injuste. Depuis votre départ, pas une seule fois je n'ai croisé mes mains tendues vers une pagode. Il est vrai que je suis parfois la foule, pour éviter les soupçons ; mais je ne fais que monter et descendre, sans m'arrêter. Direz-vous encore que je ne suis pas l'un de vos disciples ? Que me manque-t-il ?
- Vous ne serez véritablement un disciple que quand vous aurez renoncé à tenir le Christ caché dans votre coeur, que vous ne le renierez plus devant les hommes.

Le Birman ne répondit pas.
Sur la grève, des jeunes filles chantaient en vannant le riz. Après un silence, Colman reprit :
- Y aura-t-il une seule personne pour s'aventurer dans le zayat, quand on saura que le roi nous refuse sa protection ?

Le professeur ne répondit pas directement
- Voici ce que je vais faire : j'irai moi-même chez le gaing-ôk, et je le ferai taire. C'est possible, puisque la vérité est avec moi.
- Mon pauvre ami, dit Adoniram doucement, touché par ce courage. Peut-être réussirez-vous à le faire taire, mais il a des chaînes et des fers pour vous torturer. Souvenez-vous...
- Hé ! Hé ! Croyez-vous que je puisse l'oublier ? N'est-ce pas cette pensée qui me fait ramper comme le serpent qui vole la proie du tigre ?
Adoniram lui donna une tape amicale.
- Un jour... Dieu vous rendra capable...

Colman, avec un juvénile enthousiasme, se leva, disant ardemment :
- Regardez l'étoile du soir, qui monte, flamboyante et pure. Écoutez les grenouilles. Tout de même, le monde est si beau, mes amis.
- Jeunesse, jeunesse! soupira Maung Shway-gnong. Je vais maintenant retourner chez mon frère, mais je serai ici à l'aube pour appareiller.
Il disparut dans le crépuscule.
- Quelles perpétuelles apparitions et disparitions je me demande si ses amis ne l'accusent pas de sorcellerie.
- Ma So dit de lui : « Une puce saute sans soulever de poussière », répondit Adoniram en souriant.
- En tout cas, il nous a distrait dans notre tristesse.
- Mon cher Colman, je crains de vous avoir fait peser tout cela bien lourdement sur les épaules ; je tâcherai d'être un peu plus gai dorénavant.

En effet, durant les derniers jours du voyage, Adoniram fit des efforts immenses pour s'arracher à son désespoir. La présence du professeur avec qui recommençaient les vieilles discussions sur les questions religieuses, l'aida à reprendre courage. Le refus du roi s'estompait derrière les multiples explications qu'il lui fallait donner sur les miracles du Christ.
Ils atteignirent Rangoon le 18 février.
Tous furent d'accord : il fallait se transporter à Chittagong. Quoique convaincu de cette nécessité, Adoniram en tomba malade. Il dut s'aliter. Le visage tourné contre la paroi, il priait Dieu de le laisser mourir.

Anne était à son chevet, sans oser rien dire. Il gravissait un calvaire qui dépassait son imagination. Toute la nuit, il lutta contre une obsédante vision : celle d'un Adoniram Judson, au visage bouleversé, sur le pont d'un bateau. La mer était d'une indescriptible beauté, mais dans ses vagues dorées, des enfants, par milliers, se noyaient, criant et suppliant : « Adoniram, notre Maître, sauvez-nous! » Éperdu, Adoniram répondait : « Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! » Il se sentait seul au monde, vivant encore après la fin de toute humanité, au delà des temps, cherchant toujours Dieu, qu'il ne connaissait pas encore !

Ce fut seulement à l'aube qu'il put se mettre à prier, en se couvrant le visage de ses mains tremblantes : « Père Céleste, montre-moi la route. Au nom de Ton Fils qui monta sur la Croix pour frayer un chemin à tous ceux qui luttent, qui tombent, qui abandonnent ; fais-moi connaître si les souffrances des Birmans font partie de Ton grand plan ? Doivent-ils mourir pour vivre ensuite ? Faut-il qu'ils soient torturés pour parvenir jusqu'à Toi ? Jésus, portes-tu toi-même la coupe amère à leurs lèvres ? Dois-je demeurer dans ce pays et envoyer mes disciples à la torture ? Est-ce là le chemin et la vérité ? »
Il s'arrêta, retenant son souffle, comme pour écouter avec son âme elle-même. Mais il ne sentait que le silence d'une mort totale...

Le lendemain, Colman partit à la recherche d'un bateau. Sa femme et Anne commencèrent les emballages. Adoniram arpentait la véranda, les mains derrière le dos, le menton appuyé sur la poitrine, luttant contre lui-même pour reprendre contact avec le monde extérieur, le soleil, les oiseaux, les cloches de la pagode et les chansons presque heureuses des deux femmes préparant leur départ de la ville triste et chaude. Il marchait depuis une heure, comme en cage, lorsqu'un appel l'arracha à cette bataille :
- Maître !

Il releva sa tête alourdie. Un groupe d'indigènes se tenait devant l'escalier : Ma Baïk et Ma So, Maung Nau, Maung Ing et quatre autres hommes et femmes qu'il ne connaissait pas.
- Maître, répéta Maung Nau, nous venons à vous, porteurs d'une requête.
- Approchez, mes amis, répondit Adoniram, surpris.

Ils ôtèrent leurs sandales, saluèrent profondément et vinrent s'accroupir sur les nattes. Le missionnaire s'assit au milieu d'eux. Maung Nau ouvrait la bouche, mais Ma So le devança :
- Maître, nous ne voulons pas que vous nous quittiez !
- Il est inutile de rester, mes amis. Nous ne pouvons ouvrir le zayat, dit Adoniram, avec un triste sourire. Le culte public nous est défendu. Personne n'ose étudier la religion.
- Maître, reprit Maung Nau, le visage contracté comme s'il retenait ses larmes, je suis désespéré de votre prochain départ, je ne dors ni ne mange. J'ai fait le tour de mes voisins ; ceux qui sont ici veulent apprendre la religion, quelles que soient les conditions présentes. Voici mon beau-frère, sa femme, des cousins...
Les nouveaux-venus approuvaient de la tête. Maung Ing, plus âgé que ses compagnons, se pencha en avant, et de sa voix chaude :
- Restez encore avec nous, mon Maître ; quelques mois seulement jusqu'à ce qu'il y ait dix disciples. Faites alors de l'un d'entre eux le maître, nous n'aurons plus de souci. Ce que je connais déjà de la nouvelle religion me fait croire qu'elle continuera alors à s'étendre, même après votre départ.

Ma Baik, le visage inondé de pleurs, murmurait:
- Amé ! Pourquoi ai-je renvoyé mon baptême Qu'adviendra-t-il de mon karma, maintenant ? J'irai dans le plus bas des enfers.

Le coeur battant, Adoniram promenait son regard du petit groupe de suppliant à sa femme et à Mme Colman qui s'étaient approchées pour écouter. Avant qu'il eût pu leur dire sa joie, l'une des femmes reprit :
- Maître, j'ai souvent assisté aux réunions du zayat. Je croyais que vous resteriez toujours ici et que donc rien ne pressait. Est-ce bien de nous abandonner ainsi ? N'avez-vous pas répété souvent que ce travail de conversion n'était pas le vôtre, mais celui de Dieu, et qu'Il le poursuivrait en dépit de tous les dangers ?
- Prions tous, dit un des hommes, d'une voix forte.

Une autre voix s'éleva :
- J'ai construit une pagode pour acquérir des mérites et m'épargner quelques-unes de mes vies futures. J'ai prélevé de lourds impôts lorsque j'étais percepteur, et j'ai élevé pour mes pêchés une magnifique pagode, au bord de la rivière. Mais cela ne m'a donné aucune paix. Mon âme est demeurée angoissée jusqu'à la dernière saison des pluies, au moment où, pour la première fois, je vous ai entendu parler de Jésus-Christ. Si Maung Nau ne conservait pas égoïstement son exemplaire de l'Évangile, je serais probablement prêt maintenant pour le baptême.

Adoniram retint un sourire. Maung Shway-Ba, ayant soulagé sa conscience, l'assistance demeurait silencieuse, en attente. Un instant plus tard, le missionnaire leva la tête pour prier : « J'ai reçu ta réponse, ô Éternel, et je promets maintenant de ne pas quitter la Birmanie avant que la Croix n'y soit plantée pour toujours. Père, aide-nous, aide ta petite église de Rangoon, Si la torture nous guette et que nous nous rétractions, sois, patient, ô mon Dieu, car ce seront seulement nos corps misérables qui te seront infidèles. Nos âmes t'appartiennent à jamais. Amen. »
Quand il rouvrit les yeux, il vit Anne qui lui souriait à travers ses larmes.

Le soir, dès que Colman fut rentré, un nouveau conciliabule réunit les quatre missionnaires. Après une longue discussion, on décida que les Colman partiraient pour Chittagong, où ils établiraient la Mission projetée. Ainsi, si Rangoon devait disparaître, Chittagong constituerait une réserve de forces vives. Les Colman eussent préféré demeurer sur place, mais les décisions d'Adoniram avaient force de loi.

Comme toujours dans le pays, le bateau ne partit que deux semaines après le jour annoncé. Durant cette attente, Colman mit à l'épreuve sa connaissance de la langue en essayant de répondre aux questions du petit groupe de fidèles qui, chaque soir, se réunissait au zayat, toutes portes closes. Il n'avait pas fait beaucoup de progrès, mais il savait gagner les coeurs de son auditoire en riant lui-même de ses erreurs. Il avait vraiment l'âme d'un missionnaire-né. Ce fut, pour les Judson, un terrible sacrifice de le voir partir avec sa jeune femme. Ils s'embarquèrent en mars.

Après leur départ, Adoniram s'astreignit à un nouveau programme. Il travaillait tout le jour à sa traduction de la Bible, et consacrait ses soirées aux réunions secrètes du zayat. Cette dissimulation nécessaire lui pesait lourdement.

Les fidèles craignaient sans cesse d'être attaqués et vivaient dans une extrême tension nerveuse, comme des assiégés. Cependant, mars et avril, brûlants, se traînèrent sans qu'ils fussent molestés. Cette liberté même paraissait inquiétante ; peut-être fallait-il l'attribuer à l'enfantillage des Birmans, qui n'agissent que par impulsions violentes ; peut-être leur désir de tourmenter les Américains s'était-il simplement évanoui...
Ils apprirent que le gaing-ôk avait été retenu à Amarapura pour instruire quelques-uns des enfants royaux. Tant que le zayat paraîtrait inactif, on oublierait vraisemblablement les missionnaires.

De très graves préoccupations pesaient, d'autre part, sur le gouvernement. Le Grand Roi, Maître des Éléphants blancs, guerroyait en Assam, et parlait ouvertement de conquérir tout le territoire hindou, au sud des Himalayas, et jusqu'à Calcutta. Pour la Présence Dorée, les possessions britanniques des Indes n'avaient aucune importance. Comme ses sujets, il ignorait tout de la géographie.

Selon la croyance birmane, en effet, le monde est constitué par une montagne haute de cinq millions de milles, entourée de quatre grandes îles. L'île la plus méridionale est le fief des hommes, Birmans et autres bouddhistes. Les Anglais et tous les autres peuples sont cantonnés dans les cinq cents petites îles qui entourent l'île méridionale.
Il était donc absurde, de la part des Anglais, de prétendre s'aventurer sur l'île du Sud, comme ils le faisaient, et il incombait évidemment à Bagyi-Daw, Roi de grandes vertus, Arbitre de la vie, de ramener celle-ci tout entière sous l'autorité des Pieds Dorés.
C'est pourquoi le roi tendait ses filets jusqu'aux plus lointaines frontières : il s'agissait de recruter le maximum de soldats. Beaucoup d'indigènes préféraient à cet enrôlement la perte de tous leurs biens,
Il y avait donc bien autre chose à faire dans le royaume que d'espionner la Mission étrangère !

Des expéditions de pillage, mal organisées et incapables de conquérir le pays, étaient fréquemment envoyées dans le protectorat britannique d'Assam. Le temps approchait où l'Angleterre, lasse d'envoyer des protestations écrites, recourrait à des moyens plus énergiques.

Les Birmans qui fréquentaient le zayat passèrent entre les mailles du filet des recruteurs jusqu'au début de l'été. Mais alors, Maung Shway-gnong fut pris; on l'envoya rejoindre les armées sur le Brahmapoutra, bien loin au nord. Sa femme et sa fille acceptèrent l'offre d'Adoniram, et vinrent habiter une hutte qu'elles construisirent dans le jardin de la Mission. Maung Ing fut baptisé ainsi que le voisin riche qui avait construit une pagode.

Au début de mai, Anne fut prise à nouveau par des douleurs de foie qui devinrent vite inquiétantes. Pour un temps, son mari ne songea plus qu'à lutter pour cette précieuse vie. Il lui administrait du mercure et du calomel. Il finit par écrire au docteur de Serampore pour lui demander conseil.

Adoniram souffrait lui-même d'un accès de fièvre, il était couché à côté de sa femme quand Maung Nau apporta la réponse du médecin. Il la lut avidement, puis s'étendit de nouveau, avec un grognement sourd.
- Que dit-il, Don chéri ?
- Il m'ordonne de m'amputer le bras droit et de m'arracher l'oeil droit pour deux ans.

Anne essaya de lever la tête pour le regarder, mais elle était sans forces.
- Sois sérieux, je t'en prie. Que dit-il ?
- Je te le répète, ma chérie. Il m'assure qu'il peut améliorer ton état pour quelque temps. Mais que la seule chance de te conserver en vie est de te faire quitter le pays pour deux ans au moins. Ce sera l'Amérique.
- Ce ne sera rien du tout, assura Anne, avec un faible essai d'autorité. Je ne quitterai pas ce pays.

Adoniram ferma les yeux et grogna - Il savait bien que, lorsque la fièvre le quitterait, il devrait renvoyer Anne, mais pour le moment il n'osait même pas y penser.
Les médicaments du docteur de Serampore permirent à Anne de se lever avant son mari. Mais, la première fois qu'il eut la force de se traîner jusqu'à la véranda, il lui dit avec un sourire forcé :
- Eh bien ! ma chère femme, je m'apprête à signer mon propre arrêt de mort.

Anne prit sa main amaigrie entre les siennes et murmura :
- Je ne puis te laisser seul. C'est impossible. Je préfère rester ici et y mourir.

Elle se penchait vers lui. Son visage était une vision de cauchemar, les yeux complètement jaunes, les cheveux décolorés. Adoniram serra les dents :
- Je veux bien affronter n'importe quel sacrifice pour sauver les Birmans, sauf celui qui t'attend et que je ne puis éviter. Il faut donc que tu partes, ma bien-aimée.

Elle rentra précipitamment dans la maison où il l'entendit pleurer. Mais, par crainte de faiblir dans sa résolution, il ne tenta pas de la rejoindre.
Elle finit pourtant par céder et commença ses préparatifs avec autant de tristesse que si elle allait mourir. Les Hough s'étaient installés à Serampore et Adoniram leur écrivit de retenir une place pour Anne à bord d'un bateau pour l'Amérique, ou, tout au moins, pour l'Angleterre. Ma Baïk et Maung Nau l'accompagneraient jusqu'à Calcutta sur un vaisseau portugais.

Anne retrouva son sens pratique pour faire ses emballages ; mais quand elle fut installée dans sa petite cabine, elle plongea son regard dans les yeux de son mari et lui dit, avec une tristesse infinie :
- Comment peux-tu croire que je me remettrai et serai heureuse en Amérique, alors que tu restes ici ? Je ne comprends pas pourquoi tu es si cruel, Adoniram. Ce n'est pas encore trop tard. Ramène-moi dans notre chère Mission. Si je dois mourir, que ce soit dans tes bras... Ou ne veux-tu pas que...
Il lui ferma la bouche de sa main.
- Anne, ma chérie, ne me brise pas le coeur. Que deviendrais-je si tu devais mourir ? Cette horrible séparation n'a qu'un but : te permettre de vivre. C'est parce que j'en suis certain que j'ai la force de te laisser partir.

Elle écarta la main de son mari :
- Comment pourrai-je me reposer quand je me demanderai ce que tu deviens ? Qui baignera tes yeux quand ils te feront mal ? Qui veillera à ce que tu n'oublies pas de manger ?
- N'importe quel serviteur s'en chargera. Mais ce que personne au monde que toi ne peut faire, c'est de soutenir mes pas quand Dieu paraît trop lointain. Tu prieras pour moi, toujours, n'est-ce pas ?
Il tomba à genoux près du lit et la serra sur son coeur.
Ils ne pleurèrent pas et ne s'adressèrent plus la parole. Quand il se sentit assez fort, il reposa tendrement Anne sur ses coussins et, avec un grand-soupir, il sortit de la cabine.


Table des matières

Page précédente:
Page suivante:
 

- haut de page -