Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XVI
JONATHAN DAVID PRICE

Adoniram estimait que Maung Shway-gnong avait bien droit à une récompense pour sa conduite de la veille. Comme il lui en faisait part, le professeur leva les yeux de la traduction des Psaumes dans laquelle il était absorbé, et dit lentement :
- O mon ami, permettez-moi de recevoir maintenant le baptême.
- Avec joie.

Le même soir ils pénétraient ensemble dans l'eau. Maung Shway-gnong en sortit affermi dans sa décision de servir Dieu en Birmanie.
Cette conversion fut un puissant stimulant pour la petite église. Malgré les faiblesses de l'homme et ses nombreux ennemis, c'était l'une des personnalités marquantes de Rangoon. À la fin de la saison des pluies, le nombre des baptisés atteignait dix-huit.

L'isolement absolu dans lequel vivait le missionnaire fut rompu par l'arrivée d'une lettre de la Société des Missions Baptistes, qui annonçait du renfort en la personne de J. D. Price, médecin missionnaire, et de sa femme. Les Hough, d'autre part, avaient reçu ordre de quitter leur sûre retraite de Serampore pour regagner le front de Rangoon.

Adoniram se sentit à la fois étrangement heureux, et troublé par ces nouvelles. Jusqu'alors, les recrues envoyées d'Amérique n'avaient pas été rien que bénédiction. Même le courage et l'intelligence de James Colman n'avaient pu suppléer à sa mauvaise santé. À Chittagong, il faisait du bon travail, mais ses forces déclinaient lentement. Dans sa dernière lettre, il avouait sentir déjà sur lui l'emprise de la mort.
Adoniram se demandait malgré lui quelles seraient les faiblesses du docteur Price. Anne l'avait-elle vu ? Si oui, tout serait bien. Mais comme il semblait dur de vivre sans la moindre nouvelle de sa femme ! D'interminables mois avaient passé depuis son départ de Calcutta, l'année précédente, et depuis, pas le plus court billet !

Les Price suivirent de près la lettre annonçant leur arrivée : ils débarquèrent à Rangoon au début de décembre 1821.

Le docteur, un grand homme maigre au teint terreux, aux yeux bleus très clairs, aux cheveux blonds hérissés, n'était certes pas beau, mais une expression de bonté adoucissait ce visage. Elle frappa Adoniram au premier regard. Price représentait l'Américain type, et son accent de la Nouvelle Angleterre fit monter une vague violente de mal du pays au coeur du missionnaire. Sa femme, qui paraissait plus intelligente et plus fine, avec quelque chose d'usé et de nerveux, évoquait aussi fortement le pays natal.

Adoniram leur abandonna la Mission et s'installa au zayat. Maung Shway-gnong, après un examen qui n'avait rien de flatteur, refusa de leur servir de professeur, mais en procura un qui, déclara-t-il non sans ambiguïté, n'avait pas de culture susceptible d'être blessée.

Durant les premières semaines, personne ne parut prendre le docteur très au sérieux. Mais Price n'en sembla nullement troublé et affirma que « ces gens-là chanteraient sur un autre ton quand il aurait commencé à les opérer ».
- J'espère que les victimes ne chanteront pas en paradis, prévint Adoniram, moitié par plaisanterie, moitié en avertissement.

Price, qui avait travaillé dans les hôpitaux, montrait me grande habileté manuelle le confort de la Mission s'en trouvait fortement accru mais le véritable homme de science ne se manifestait guère.

En janvier, les Hough firent leur réapparition avec leur presse ; toutefois, par un malencontreux oubli, les caractères étaient restés à Serampore. Adoniram les installa avec les Price, et fut heureux d'avoir une retraite au zayat car il lui restait bien peu de temps pour la méditation; cependant, c'était une occasion de mettre en pratique les règles de vie et de prière qu'il s'était secs.

Un jour, trois mois environ après son arrivée à Rangoon, le docteur entra en trombe dans le zayat, où Adoniram écrivait.
- Frère Judson, le bébé de Ma Baik n'est pas aveugle. Ses paupières sont seulement collées par un morceau de peau. Je puis lui rendre la vue en dix minutes, si sa mère me permet de fendre cette membrane !
- Savez-vous ce que fera Ma Baik, si vous blessez son enfant ? Elle a prié, des années durant, pour l'avoir.
- Elle m'arrachera vraisemblablement les membres un à un, ricana le docteur.
- Elle est bien capable de le faire.
- Précisément, voilà pourquoi j'ai recours à vous : si vous lui en donnez l'ordre, elle acceptera tout.
- Mais, que puis-je dire, Docteur ? Je ne connais pas votre habileté ; et les yeux de ce bébé...
- Ne lui servent de rien et seront toujours inutiles, si l'on ne fend cette membrane. Frère Judson, comment voulez-vous que je commence mon oeuvre ici, si personne ne me fait confiance ?

Price se passa la main dans les cheveux avec nervosité.
- C'est vrai, dut admettre Adoniram. J'en parlerai à Ma Baik.

Il la trouva, nourrissant son enfant dans la véranda, s'accroupit auprès d'elle, et lui exposa la proposition de Price. À son grand étonnement, la femme ne se refusa pas dès l'abord à écouter.
- Que feriez-vous, Maître, s'il s'agissait de votre bébé Roger ?
- Je l'ignore. Laisse-moi y penser et pose l'enfant dans mes bras.

Il arpenta la pièce un instant, observant le petit visage brun avec attendrissement. Derrière les paupières closes, on sentait, fermes, les globes des yeux. Il appuya son visage contre la tête, duveteuse.
- Petit enfant de Ma Baïk, que voudrais-tu qu'on fit pour toi ?

Adoniram souriait à la mère.
- Après tout, l'enfant ne peut être plus complètement aveugle que maintenant.
- Que le docteur étranger vienne pendant que j'ai le coeur ferme, décida Ma Baik.

Un instant plus tard, Price et sa femme se mettaient à l'oeuvre. On entendit bientôt le cri de joie de la mère qui apercevait, pour la première fois, les yeux bruns grands ouverts de son enfant.

Dès ce jour, la réputation du docteur Price fut établie à Rangoon. Il réussit plusieurs opérations. Par-dessus tout, il aimait tailler et couper; sa grande habileté manuelle ne semblait toutefois pas doublée d'une connaissance approfondie des organes internes. Il se confinait, du reste, dans les opérations superficielles, les ablations de tumeurs.

Adoniram lui vouait une grande reconnaissance pour le prestige que ses interventions faisaient rejaillir sur la Mission. Il espérait seulement qu'aucun malade ne mourrait sous son scalpel.

La malchance, qui avait poursuivi chacune des nouvelles recrues, paraissait avoir pris fin. Adoniram en fit un jour la remarque à George Hough.
- Ne vous vantez pas encore, avertit l'imprimeur en tortillant sa barbiche. Madame Price lutte contre la fièvre depuis une semaine. Je crains que le couteau du docteur ne s'avère inutile dans ce cas-là.

Adoniram se hâta vers la malade. Il avait l'habitude des maladies de l'Orient. Un seul regard suffit à l'alarmer. Il ordonna à la frêle petite femme de se mettre au lit sans tarder et apprit à son mari sceptique, que sa fièvre provenait de l'une de ces terribles maladies, spéciales à Rangoon, qu'avec Anne ils avaient nommée « fièvre de la jungle ». Il parvint enfin à convaincre Price qui s'empressa alors de soigner sa femme. Mais rien ne pouvait enrayer les progrès du mal ; elle mourut dans la nuit du 2 mai.
On la mit en terre, à côté du petit Roger.

La Mission tout entière fut attristée par cette mort imprévue; le vide était d'autant plus grand, que la communauté était bien restreinte. Price grandit dans l'estime d'Adoniram par la manière dont il accepta cette épreuve : après une journée de larmes amères, il se replongea avec ardeur dans l'étude de la langue et dans son travail médical.

Malgré ce drame, l'avenir de la Mission semblait s'annoncer de manière favorable. L'assistance se faisait de plus en plus nombreuse au zayat. Si seulement Adoniram avait pu savoir quelque chose d'Anne, il se fut senti heureux. Mais juillet succéda à juin sans apporter de lettre. Au début d'août, un orage éclata dans la vie paisible et ordonnée du missionnaire.

Le vice-roi, sur son éléphant, s'arrêta devant le zayat, et lui intima un ordre qui, pour être énoncé en termes fleuris, n'en demeurait pas moins impératif :
- Maître étranger, le Roi des Éléphants Blancs ayant transporte son palais et sa cour à Ava, trouve maintenant le temps de s'occuper de ses sujets. Aussi ordonne-t-il de lui envoyer le docteur étranger que vous accompagnerez comme interprète.

Adoniram s'inclina, incapable de trouver un mot de réponse. Le vice-roi semblait pleinement satisfait d'avoir transmis l'ordre de son souverain et repartit sans attendre. Le missionnaire le regarda s'éloigner, puis se laissa tomber sur les marches du zayat, en proie à une extraordinaire confusion de sentiments.

Quel peuple étrange ! Après les angoisses du refus royal, le travail en cachette, les peurs, les espoirs suivis de désespoirs, se trouver maintenant invité à la cour ! Être appelé à accompagner Jonathan Price et son scalpel, sans même qu'on mentionnât la Mission !

Sa première réaction fut de refuser. Adoniram n'abandonnerait pas son église, au moment précis où elle commençait d'être prospère, ni sa traduction, d'une importance si essentielle - il travaillait l'épître aux Romains - pour ce long et usant voyage de l'Irrawaddy, au bout duquel il ne trouverait probablement qu'incertitude. Un nouvel échec paraissait presque certain avec l'être instable qui détenait le pouvoir.
Mais il ne devait pas se décider, sans au moins en avoir parlé à Price. Il se dirigea donc vers la maison pour annoncer la nouvelle. Aucun de ses trois auditeurs ne partagea sa répugnance à obéir aux ordres du roi.
- Depuis votre arrivée en Birmanie, vous avez lutté pour établir la Mission sur une base ouverte et franche, s'écria George Hough. Il ne faut refuser sous aucun prétexte.
- J'en suis à peu près arrivé à cette conclusion que la seule chose permanente dans ce pays, c'est la jungle. Ne vous y trompez pas, mes frères, on nous appelle pour couper des tumeurs, non pas pour planter la Croix.
- Mais, mais, bégaya Price, au comble de l'excitation, nous ne pouvons pas refuser. C'est l'ordre du roi - d'un roi!
- Un roi! grogna Adoniram. C'est un païen faible et primaire, complètement dépendant d'une femme plus criminelle que Jézabel et Salomé réunies. Vous ne pouvez parler ainsi que parce que vous ignorez tout de lui.

Mais les autres ne voulaient pas se rendre et, au fond de son coeur, Adoniram savait bien qu'ils avaient raison. Quel que pût en être le résultat, il fallait saisir cette occasion de servir sa cause. Il dut reconnaître qu'il était « capricieux, et bien trop attaché à l'enceinte de la Mission » - une définition de Madame Hough à qui il répondit en manière de plaisanterie :
- La vigne-vierge commence à m'envahir de toutes parts Très bien, docteur, votre interprète se tiendra prêt!

Price et les Hough applaudirent. Le missionnaire les regardait ces visages sans les voir, tout absorbé par les souvenirs : ceux de James Colman et de lui-même, devant la maison du premier ministre à Amarapura. Et pourtant, cette seconde ambassade paraissait presque comique, après la première, et tout ce qui s'était passé depuis... Soudain, à la stupéfaction des trois autres, il éclata d'un rire sonore.


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