Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XVIII
LE SILENCE INTÉRIEUR

 Le lendemain, la Présence Dorée rentra à Ava et consentit, le plus aimablement du monde, à l'achat du terrain de l'ancien monastère. Elle approuvait ainsi tacitement l'établissement dans sa capitale d'un centre de mission chrétienne.
Enfin, la Croix était plantée à Ava.
Le même soir, comme Adoniram rédigeait son journal, le docteur lui présenta la femme de son choix.
- Voici Ma Noo, annonça-t-il simplement.

Elle avançait les mains tendues, la tête renversée, dans la poignante attitude des nouveaux aveugles. Le missionnaire se leva, le coeur serre, comme par un remords, et conduisit avec douceur le petit être mutilé vers une natte sous la lampe, comme si cette chaude lumière pouvait la réconforter.
- Assieds-toi ici, amie de mon ami, et parlons ensemble.

Price, qui, de la porte, assistait à la scène, éclata en silencieux sanglots et s'enfuit.
Ils eurent un long entretien. Ma Noo était une âme bonne et simple, elle adorait le docteur et, à travers lui, le Christ. Elle accepta avec enthousiasme l'offre que lui fit le missionnaire de venir chaque jour chez lui, pour son instruction religieuse. Un enfant à la tête rasée vint la chercher; après son départ, Adoniram eut une grande conversation avec Price. Ce dernier venait d'obtenir du Prince Meng-myat-bo l'autorisation de se construire une maison sur l'un de ses terrains, de l'autre côté de la rivière, à Sagaing. L'emplacement était trop isolé pour y édifier la Mission, mais sa situation élevée le rendait plus salubre pour des blancs. Adoniram n'acceptait pas que son éloignement et une simple question de santé pussent compromettre les résultats chèrement acquis. En conséquence, il décida de préparer une maison à Ava pour le retour d'Anne.
- Toutes choses bien considérées, c'est peut-être la solution la plus sage, admit Price. Pour ma part, je suis décidé à vivre à Sagaing, car mes poumons me causent quelque inquiétude. Il est du reste possible que des installations séparées soient préférables, pour vous comme poux moi.
- J'ai l'intention, dès que ma maison sera prête, de retourner à Rangoon pour y attendre ma femme.

Le docteur examinait depuis un instant le visage émacié du missionnaire, les veines bleues sur les tempes, les épais cheveux mouillés de sueur bien que la nuit fût fraîche, les lèvres desséchées par la fièvre, les yeux angoissés...
- Si vous voulez mon avis, Judson, vous devriez venir à Sagaing et vous débarrasser au plus vite de cette fièvre. Sinon nous vous enterrerons bientôt. Vous ne pouvez continuer à travailler autant tout en souffrant, et c'est pure folie de vouloir retourner à Rangoon.
- Pourtant je vous affirme, Docteur, que la mort seule pourrait m'empêcher d'aller dans deux mois accueillir ma femme à Rangoon.

Price émit un grognement sourd puis, ouvrant un calepin, se mit à dessiner des plans de maison.
Son avertissement se révéla bientôt entièrement justifié. Deux semaines plus tard, aidé par Maung Ing, le docteur transporta Adoniram, dévoré de fièvre, dans sa nouvelle demeure de Sagaing; celui-ci, grâce à sa robuste constitution; résista à quinze jours de saignées, de quinine et de calomel. À la mi-janvier, Maung Ing retint pour lui une place sur un bateau qui descendait la rivière.
Il fit donc ses adieux aux nombreux amis qu'il comptait maintenant à la cour. Dans l'antichambre où Sa Majesté recevait sans apparat, il rencontra Lanciego, fort aimable. Comme les deux hommes conversaient avec animation, le roi, curieux, demanda :
- Étrangers, de quoi parlez-vous ?
- Majesté, le maître m'annonce son prochain départ pour Rangoon
- Pourquoi veut-il y retourner ? Qu'il n'y aille pas. Que le Maître et le Docteur restent ensemble. Si l'un des deux s'en va, l'autre sera malheureux dans la solitude.
- Il ne part que pour peu de temps, Majesté. Il va chercher sa femme et ses meubles, car il n'a encore rien amené ici. Il sera très vite de retour.

Le roi dévisageait Adoniram.
- Vous reviendrez, n'est-ce pas ?
- Oui, certainement, Grand Roi.
- Lors de votre retour, ferez-vous comme Gouger qui est constamment en route, ou resterez-vous avec nous, d'une façon définitive ?
- J'ai l'intention de m'installer alors en permanence.
- C'est bien ainsi.

Bagyi-Daw approuva de la tête, puis se retira.
Dans la soirée, Adoniram baptisa Ma Noo dans les eaux peu profondes d'une boucle de l'Irrawaddy et, un eu plus tard, l'unit par le mariage au docteur Price. Il demanda ensuite pardon à Dieu, car il avait peut-être péché en bénissant ce couple.

Le 22 janvier, il s'embarqua sur un bateau lourdement chargé de combustible et de nourriture. Les rives de l'Irrawaddy étaient la proie des brigands depuis que le roi se préoccupait surtout de conquérir l'Assam. Les autorités locales se défendaient de leur mieux et faisaient des exemples : des cadavres décapités gisaient fréquemment sur le rivage. Il était prudent de se maintenir au milieu du courant, et de ne pas jeter l'ancre de nuit. Grâce à ces précautions, le voyage s'accomplit très rapidement et sans incidents. Le 2 février, le bateau atteignait Rangoon.

Adoniram retrouva la Mission dans une fort précaire situation. Le nouveau vice-roi levait des impôts tels qu'on sentait gronder la révolte. À l'exception de ceux qui logeaient dans l'enceinte de la Mission, les convertis, menacés et malmenés, s'étaient tous enfuis. Maung Shway-gnong avait dû regagner l'armée. Les Hough faisaient leur possible pour maintenir la petite église ; mais décidément, George était meilleur imprimeur que pasteur, et sa connaissance de la langue demeurait très imparfaite.

Le missionnaire ne se laissa pas abattre par cette avalanche de mauvaises nouvelles : un mois seulement le séparait du retour de sa femme !
Cette unique perspective heureuse devait lui être enlevée. Le lendemain de son arrivée, il reçut une lettre datée d'Angleterre : Anne s'embarquait pour l'Amérique, et ne pourrait regagner la Birmanie qu'au courant de l'été 1823.
Il rentra dans sa chambre pour pleurer amèrement.

Quand il se fut calmé, il examina la situation avec sang-froid. Tout d'abord, il songea à regagner Ava, où il pourrait développer l'activité missionnaire et peut-être, obtenir du roi qu'il protégeât l'église de Rangoon. Dès son arrivée, le vice-roi lui avait fait savoir qu'au cas où il réunirait la moindre assemblée, des soldats viendraient tout saccager et brûler à la Mission. Mais il se souvint d'un récit récent du prince Meng-myat-bo : tant que les gouverneurs des provinces envoyaient à Ava suffisamment d'hommes et d'argent, le roi leur laissait toute liberté et indépendance. Il était donc complètement inutile d'en appeler à l'autorité suprême, et la vie précaire de la Mission de Rangoon dépendait complètement de la présence de son chef.

Adoniram décida de se plonger dans la traduction de la Bible et d'attendre patiemment les événements. Avec un amer sourire intérieur, il se remémorait une recommandation de sa mère, alors qu'avec l'intolérance de l'enfance, il s'impatientait de devoir attendre les décisions des autres : « Mon fils, tu apprendras un jour que la patience est un vieux cheval rétif qui vous mène tout de même au but ».
Il fit part de ce lointain souvenir à Mme Hough.
- Je comprends qu'avec votre énergie, ces perpétuelles entraves vous irritent. Pourquoi ne vous consacrez-vous pas à préparer Maung Nau au ministère ?
- Maung Nau vous en a-t-il jamais parlé ?
- Oui. Mais il craint que vous ne le trouviez présomptueux. Vous devriez l'entendre prêcher, c'est aussi beau qu'un poème. Il s'en tire bien mieux que mon mari. Mais vous aurez à lutter contre ses nombreuses superstitions.

Elle éclata de rire.
- Ce sera aussi pénible que de lui arracher les dents, j'en suis certain. Pourquoi cela vous fait-il rire ?

Mme Hough avait fini d'essuyer sa vaisselle. Elle lavait maintenant des torchons, car ni Ma So, ni Ma Baik ne parvenaient à faire ce travail comme elle l'entendait.
- Eh bien, Monsieur Judson, figurez-vous que peu de temps après votre départ pour Ava, je constatai qu'une odeur épouvantable remplissait toute la maison; je finis par découvrir qu'elle émanait de la demeure de M. Beg Pardon. Je l'ai décrochée et j'ai commencé à la vider de toutes les ordures dont elle était pleine et qui emprisonnaient. Maung Nau m'aperçut en train de procéder à ce nettoyage; il se précipita pour m'arracher la noix de coco et la remettre à sa place. Puis il s'est répandu en lamentations, m'accusant d'amener la malédiction sur cette maison, et patati et patata... Il était si effrayé qu'il réussit à m'inquiéter; un seul moyen, disait-il, nous restait pour nous rallier M. Beg Pardon. J'aurais consenti à n'importe quoi, à ce moment-là. Et que croyez-vous qu'il s'agissait de faire? J'ai dû mettre un roupie sicca dans l'ouverture et pendant un quart d'heure, gratter sur la même corde de la guitare de M Baik J'ai obéi comme une idiote. Et j'étais à peine moins sincère que Maung Nau! Depuis lors, nous sommes les meilleurs amis du monde.
- Chère Madame Hough, est-ce une confession que vous me faites là ? demanda Adoniram avec un clignement d'oeil.
- Eh bien, j'en ai beaucoup ri, mais au fond, je suis un peu honteuse, et je voulais vous raconter...

Son regard semblait un peu anxieux.
Adoniram examinait l'honnête visage, déjà usé par la vie coloniale.
- Je suis bien sûr que le Nazaréen avait le sens de l'humour, et qu'il eût fort bien compris cette petite scène. Mais quel drôle de spectacle vous avez dû offrir !

Ils éclatèrent tous deux d'un rire franc qui secouait encore le missionnaire, quand il se mit à la recherche de Maung Nau. Il se sentait mieux. La gaîté d'Anne lui manquait tellement !

Grâce à l'instruction de Maung Nau, à la traduction de la Bible, les journées s'écoulaient vite. Le printemps céda le pas à l'été. Mais, aucune nouvelle d'Anne. Dès le début d'août, Adoniram se rendait au quai à chacune de ses promenades. Les employés de Lanciego portaient un intérêt sympathique à cette attente, et le renseignaient sur tous les mouvements de bateaux.

Au début de septembre, quand les touchantes attentions des Hough devinrent incapables de soutenir son courage, quand elles commencèrent même à l'irriter, il ressortit Madame Guyon ; elle seule pouvait détacher son esprit de l'inquiétude qui le dévorait.

Les allusions réitérées de la Française à son mariage céleste le choquèrent moins qu'à la première lecture. Après tout, il était légitime qu'elle tournât son coeur passionné vers la source de tout amour puisqu'elle avait été, humainement, sevrée de tout. L'amour étant le seul vrai bien, pourquoi une telle union dans la plus humble soumission serait-elle sacrilège ? Cette soumission est complète dans la prière, entretien de l'âme avec Dieu. Il faut donc savoir les prières qui peuvent être dites en tout temps, prières qui viennent du coeur lui-même : prières qui sont le suprême silence intérieur, où l'âme se trouve délivrée de tous les éléments extérieurs où, dans la paix saine et l'humble foi, elle attend de recevoir la Présence divine. Les raisonnements se taisent. Que toute la terre fasse silence, Dieu est dans Son Saint Temple.

... On l'aime autant qu'on s'oublie
Et se regarder toujours
Est une étrange manie
Le coeur est trop petit pour deux amours

Adoniram se plongeait dans cette mystique.

...Un amour tendre et sincère
S'est emparé de mon coeur ;
Mon Dieu seul en est l'auteur,
Je n'en fais pas un' mystère :
L'amour m'occupe aujourd'hui,
Je ne veux penser qu'à lui.
 
Éloigné de tout le monde
Je suis seul avec mon Dieu;
Il me brûle de son feu,
Et ma paix est sans seconde
Mon Dieu fait tout mon bonheur
Lui seul possède mon coeur.

Lui qui aimait tellement toutes les formes de la beauté - la beauté d'Anne, celle du monde birman - dont il redoutait pourtant la séduction à cause de sa vocation même, il adoptait pleinement l'idée de trouver en Dieu seul la perfection de la beauté.
Mais là, ne retombait-il pas dans le bouddhisme ? « Le désir est mort, dit le Béni ; comme un calice vide, aux confins du nigban, j'attends que la perfection et la paix viennent me remplir ».
Il répéta ces paroles, secoua la tête. Le caractère du bouddhisme était essentiellement dans l'inaction ; tandis que Jeanne-Marie Guyon était tout feu, toute action, sauf dans la prière. Elle conseillait ce vide seulement pour parvenir à Dieu. Il fallait tenter de refaire l'expérience de la Française.

Pour ne pas être dérangé et pour échapper aux regards curieux de Mme Hough, Adoniram se retira au zayat. La pluie ne cessait de tomber. Depuis de nombreux mois, la jungle avait envahi le petit édifice, où les lézards et les serpents vivaient tranquilles. Contre la barrière du jardin, le vice-roi avait fait crucifier un voleur ; le missionnaire n'osa pas faire enlever le corps. Aucun passant n'eût pu imaginer qu'un blanc vivait dans ce zayat, cherchant la réponse à ces mêmes questions que le Gautama s'était posées.
Et pourtant, malgré les jeûnes épuisants, la constante concentration de pensée, le missionnaire ne pouvait chasser, fût-ce un instant, la douleur qui le rongeait. Où était Dieu ? Plus encore, où était Anne ? Chair de sa chair, bien le plus précieux...

Les pluies de septembre cessèrent. Octobre ramena les fêtes admirables de la fin du carême indigène. La ville triste et chaude était illuminée de torches et de lanternes chinoises ; partout l'on donnait des repas et des représentations publiques. Dès le crépuscule, d'innombrables radeaux aux bougies allumées dansaient au bord du quai, suppliques d'indulgence pour tant de karmas différents. Après tout, c'était aussi un monde d'âmes inquiètes ; Adoniram ne cherchait pas seul.
Novembre apporta sa douce lumière et son abondance de fruits.

La femme de Maung Nau divorça à cause de la conversion de son mari, et le renvoya de sa maison. Sa vocation n'en fut heureusement pas ébranlée, et chaque jour le missionnaire continuait à l'initier à la discipline du ministère.
Vers la fin du mois, George Hough déclara à sa femme que si cette tension devait durer longtemps encore pour Frère Judson, il y aurait bientôt une troisième tombe sous le même arbre...

Le 5 décembre au matin, Adoniram, qui errait sur le quai, vit une embarcation s'éloigner d'un bateau indigène qui avait jeté l'ancre pendant la nuit. Par désoeuvrement, il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'il pût distinguer la silhouette des passagers, derrière les rameurs : un blanc et deux femmes en costume européen. Des blancs !... ils approchaient... Anne!
Après une interminable attente, un être merveilleux, à la peau claire se jeta dans ses bras ; tout le reste du monde cessa d'exister. Il ne se rappela que beaucoup plus tard avoir été présenté à Deborah et Jonathan Wade. Il tenait serrée la main d'Anne - la main délicate de ses rêves. - Le reste du monde dansait une sarabande ivre devant ses yeux.

Plus tard - les détails lui échappaient - il se retrouva à la maison, seul avec elle, l'aidant à déballer ses effets ou plutôt assis sur le lit, la contemplant gravement. Elle lui paraissait complètement irréelle.
- Tu as tout de même dû recevoir certaines de mes lettres. je t'ai écrit chaque jour et, quand l'occasion s'en présentait, je t'envoyais en paquets ces messages de ma tendresse.
- J'ai reçu deux lettres en tout, la dernière m'est parvenue il y a un mois... Hier soir j'avais décidé de te considérer comme morte.

Anne se serra contre sa poitrine.
- Mon bien-aimé ! je t'avais dit que je ne devais pas partir. Je voulais rentrer directement d'Angleterre, mais j'y reçus une lettre qui m'assurait que ma présence en Amérique fortifierait, d'une manière durable, l'existence de la Société des Missions à l'Étranger. Là-bas, j'ai encore dû prolonger mon séjour pour y écrire une histoire de notre Mission, dont le bénéfice sera directement attribué à l'église de Rangoon.
- Je sais, ma chérie, je sais, dit-il avec un pâle sourire. Je ne te blâme pas. Mais laisse-moi le temps de reprendre l'habitude de mon bonheur.

Elle le regardait avec inquiétude, mais continuait à lui parler gaiement, comme à un malade.
Plus tard, elle conclut devant Mme Hough qui s'étonnait de l'abattement d'Adoniram, après l'extase du débarquement :
- Je pense que cette longue attente toujours déçue l'a condamné à une tristesse sans espoir. Je vais m'ingénier à refaire de lui ce qu'il a toujours été.
- C'est sûrement cela, appuya Mme Hough. Et puis, cette constante lecture d'un livre écrit par une Française sur ses crises religieuses ne l'a certes pas aidé.
- Madame Guyon ! Je comprends ; mais je suis là maintenant, Madame Hough.
- Oui, et nous en remercions notre Père Céleste pour plus d'une raison.

Elles se firent un petit signe d'intelligence. Elles venaient toutes deux de la Nouvelle Angleterre.


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