Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XIX
LE NOUVEAU VOYAGE DE NOCES

 Adoniram se déclara entièrement satisfait des Wade; Anne l'avait du reste prévu. La Birmanie avait besoin de ces « moins de trente ans », de robuste constitution, qui ne demandaient qu'à se dévouer sans compter à la cause qu'ils venaient servir.

Le lendemain de leur arrivée, alors que les trois ménages étaient réunis autour de la table du dîner, Hough, s'adressant à son chef, lui dit avec sa rudesse coutumière :
- Frère Judson, vous pouvez partir demain pour Ava, si bon vous semble. À nous quatre, nous nous en tirerons aussi bien que n'importe qui d'autre, j'en suis sûr.
- Moi aussi, approuva Adoniram en souriant.
- Cette solution présente pourtant un inconvénient. - Jonathan Wade se frottait le menton. - Si les Anglais se trouvaient dans l'obligation d'envoyer une expédition punitive le long de l'Irrawaddy, le Docteur Carey m'a affirmé que le roi de Birmanie serait décidé à faire la guerre. Bagyi-Daw aurait envoyé au gouverneur général des Indes un message lui annonçant son intention de prendre Calcutta, et de pousser ensuite jusqu'en Angleterre pour y établir son fils sur le trône ! Rien ne pourra le faire changer d'avis. En septembre, les soldats birmans ont massacré la garnison britannique de l'île de Shapuri, qu'ils occupent maintenant. Le gouverneur a fait demander au roi ce que cela signifiait, en lui suggérant de désavouer l'acte de ses troupes. Les Anglais ne veulent pas la guerre. Elle leur coûterait infiniment plus qu'elle ne pourrait rapporter, et l'Inde suffit pleinement à leurs aspirations colonisatrices. Mais, au moment où nous avons quitté Calcutta, le roi n'avait pas encore présenté d'excuses.

Adoniram se remémorait le personnage comique, aux jambes courtes, qui jouait à saute-mouton dans la grande salle d'audience : il frissonna.
- Dès le jour de notre arrivée à Rangoon, nous avons vécu en état constant d'alarme et d'inquiétude. Mais rien de grave ne s'est encore passé. Nous devons continuer notre tâche de notre mieux. Mme Wade et vous devez d'abord apprendre la langue - et ce n'est pas une sinécure. Pendant ce temps, vous fermerez votre porte à tous, sauf aux rares disciples qui oseront se glisser hors de la jungle.
- S'il en est ainsi, dit Anne avec gaieté, il n'y a aucune raison pour que nous ne partions pas tout de suite pour Ava. Plus vite vous quitterez Rangoon, mieux cela vaudra.
- J'aimerais mieux vous sentir sous la surveillance du docteur Price, déclara Mme Hough. Que pensez-vous de son mariage, Madame Judson ?
- Je ne connais pas le docteur.
- Nous nous étions tous demandé si vous l'aviez vu avant son départ, dit George Hough. Certes, c'est un brave homme, mais depuis qu'il a été appelé par le roi, il a perdu la tête ; et je ne pense pas qu'il la retrouve jamais.
- Il a un coeur aussi grand que la Birmanie...
- Oui, mais pas de tête, répéta Hough.

Le regain d'activité de la Mission agissait comme un puissant stimulant sur Adoniram. Les préparatifs du départ avancèrent si rapidement qu'une semaine après le retour d'Anne, tout était prêt.

Les Judson pensaient laisser leurs serviteurs à Rangoon ; mais Koo-chil déclara péremptoirement qu'il était leur domestique, et ne consentirait à servir personne d'autre. Anne, qui désirait vivement le convertir, consentit volontiers à ce qu'il les suivit. Maung Ing réapparut la veille de l'embarquement ; sa femme l'avait abandonné parce qu'il était devenu chrétien ; il supplia qu'on lui permît de venir pour aider à établir l'Église à l'ombre du Trône Doré. Sur le conseil de George Hough, Adoniram accepta de le prendre, d'autant plus qu'il laissait à Rangoon la force agissante que représentait Maung Nau. Pour entreprendre la Mission d'Ava, un converti indigène serait précieux.

Le départ s'annonçait sous d'heureux auspices ; aussi, la présence d'un hôte pour le moins inattendu, ne troubla-t-il pas outre mesure les missionnaires. Comme ils attendaient sur le rivage que la marée montât, Anne désigna du doigt l'arrière du bateau : un énorme python était enroulé à la place du timonier. L'adoration des serpents est chose courante en Birmanie. Adoniram fit cependant appeler le capitaine celui qui, une fois déjà, l'avait amené jusqu'à Ava et lui demanda s'il n'était pas possible de se passer de la présence du python. Il eut l'air abasourdi.
- Le serpent sacré, maître étranger ? Il n'en est pas question. Il appartient au bateau que j'ai acheté à mon frère. Sa puissance sur la rivière est telle qu'aucun brigand n'osera nous attaquer ; on le connaît aussi bien que le Shwé-Dagôn, car il a fait le voyage d'Ava un très grand nombre de fois.
- Comment pouvez-vous affirmer qu'il ne s'attaquera pas à l'un d'entre nous? demanda Anne. Je crains, capitaine...

L'indigène sourit, de manière rassurante :
- Tant qu'il sera gavé de riz, il ne sortira pas de sa méditation. Croyez-moi, femme du maître étranger. Du reste, le bateau ne partira pas sans le python sacré.

Anne vit qu'Adoniram s'apprêtait à poser un ultimatum ; elle mit sa main sur son bras.
- Qu'importe après tout, mon chéri ; je regrette même d'en avoir parlé. Je ne compte pas devenir nerveuse ici.
Du reste, je crois le python bien moins dangereux sur la rivière que les alligators.

Anne regarda en face les boucles froides et immobiles du reptile ; elle retint un frisson.
- Peut-être que je finirai par l'aimer, comme tant d'autres choses ans ce pays. Voici Koo-chil. Allons, nous monter à bord ?

Le Bengali préparait déjà sa cuisine sur le pont. Maung Ing paraissait fort occupe à accrocher un petit objet contre l'un des supports de la tente.
- Regarde, il a apporté M. Beg Pardon

Ils éclatèrent de rire.
- Anne chérie, pendant plus de deux ans, j'ai compté les jours qui nous séparaient de ce second voyage de noces, où personne ne pourrait nous déranger.

Elle mit sa main dans les siennes.
- Je me demande si nous allons avoir de nouvelles surprises avant le départ.

La question ne resta pas longtemps sans réponse. Une vieille femme se précipitait sur le quai, un énorme ballot enveloppé de soie rose sur la tête, un gros cigare oscillant dans la bouche.
- Attendez ! criait-elle. Je suis Ma So, je viens !

Elle haletait. Je n'ai appris votre départ qu'à l'aube. Qu'adviendra-t-il de mon karma si Maung Judson n'y veille. Maung Ing, prends mes habits !
La proue du bateau était encore enfoncée dans le sable du rivage. Maung Ing s'avança jusqu'à ce qu'il dominât la petite vieille, mais il ne prit pas son ballot.
- Seuls les baptisés partent en voyage avec l'Homme de Jésus-Christ.
- Koo-chil a-t-il reçu le baptême, espèce de babouin bâtard ? Ne m'irrite pas, ou je perdrai mon sang-froid.
- Calme-toi, Ma So, conseilla Adoniram. Maung Ing, prends son bagage, et pas de scènes !
- Mais Maître... commença-t-il de sa voix traînante.

Ma So l'interrompit. Elle arracha une de ses sandales pour le menacer. Le contact d'une chaussure sur la tête constitue une insulte mortelle. L'équipage, qui assistait avec un intérêt ébahi aux péripéties de cet embarquement, poussa un cri d'avertissement unanime, Maung Ing sursauta, au moment où la sandale le frôlait ; il se pencha alors mollement pour saisir le ballot de Ma So.
- J'espère que nous sommes maintenant au complet, dit Anne en souriant. La marée monte. Embarquons.

Ils ne devaient jamais oublier cette navigation sur l'Irrawaddy, les six plus belles semaines de leur vie ; cette aventure plus profonde et plus complète qu'un voyage de noces.
Ils se retrouvaient, plus passionnément voués l'un à l'autre, après cette séparation de deux ans ; leur amour inaltéré faisait partie de l'essence même de leur existence. Durant cette période, rien d'autre n'exista réellement qu'eux-mêmes.

La chaleur n'avait pas encore commencé, et l'air était sain. Le bateau, bien que sans cargaison, avançait avec une lenteur extrême, car l'équipage profitait de la distraction de ces deux blancs, plus évidemment amoureux que n'importe quel garçon avec n'importe quelle fille dans la jungle.

La présence du python parut, en effet, efficace, car la marche du bateau ne fut interrompue qu'une seule fois par un obstacle plus important qu'un banc de sable dans la rivière. Près de Prome, les voyageurs rencontrèrent une flottille de canots de guerre dorés ; l'un d'eux se détacha rapidement du groupe, et les aborda. Un officier en paso et tunique verts interrogea :
- Êtes-vous Anglais ?
- Au nom de qui posez-vous cette question ?
- Au nom du grand soutien du Trône Doré, le général Bandula.

Adoniram sortit son laisser-passer.
- Nous sommes Américains et non pas Anglais, et nous nous rendons à Ava, pour obéir au Roi des Éléphants Blancs.

L'officier examina le papier, sourit, et le rendit.
- Vous pouvez aller.

Il salua le python et sauta dans son canot.
Plus loin, ils aperçurent, sur la rive occidentale, l'armée du général Bandula, qui paraissait faire route sur Chittagong. Les Judson se demandaient avec angoisse si Maung Shway-gnong faisait partie de cette horde ambulante, à la tête de laquelle défilait noblement un officier sur un éléphant, abrité par un parasol doré. Derrière lui, deux serviteurs, agenouillés sur la croupe, tenaient l'un la boîte à bétel et le crachoir, l'autre un éventail. Une vingtaine d'éléphants suivaient, portant des notables, dont le rang se reconnaissait à la magnificence du parasol. Puis cinq cent cavaliers environ, sans étriers, vêtus; de tuniques pourpres, vertes ou bleues, et armés de poignards rouges. Ensuite, une longue théorie de soldats à pied, avec de larges couteaux suspendus autour du cou, précédant des chars à boeufs, aux grincements discordants. On entendait des coups de gong frappés au hasard, et les chants des danseurs ondoyant parmi la troupe. Une horde hétéroclite suivait ce cortège : commerçants Shans, très corrects dans leurs redingotes noires, Chinois en bleu délavé, Karens nus, sortant de leur jungle, montagnards Chins, esclaves enchaînés du Siam et de l'Arakan, emmenés comme otages, et une tourbe des deux sexes qui semblait évadée de toutes les prisons du pays.
- Crois-tu vraiment qu'on va se battre en Birmanie proprement dite ? s'enquit Anne, dont le regard suivait cet étrange défilé.
-Oui certes, si les Anglais se sentent obligés d'envoyer une expédition punitive. Mais ne prévoyons pas le pire.

L'armée de Bandula ne constitua qu'un épisode éphémère. Ils l'oublièrent vite en contemplant les pagodes qui émergeaient de collines au vert cru, et les montagnes d'Arakan, enflammées, au soleil couchant. Grâce à la présence protectrice du python, ils passèrent leurs nuits à l'ancre, tout près des villages aux rumeurs familières. Parfois, Adoniram distribuait des brochures ou, s'asseyant au milieu des paysans, leur parlait de sa mission en Birmanie. Mais le plus souvent, ils oubliaient tout devoir, ils étaient gais, insouciants, ils plaisantaient, enfin pleinement heureux.

Le docteur Price vint à leur rencontre, quelques heures avant l'arrivée à Ava, et leur conseilla de venir tout d'abord s'installer dans sa maison de Sagaing.
- Ce sera préférable pour votre santé et... et je suis mal en cour actuellement et prévois que vous le serez aussi.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Adoniram consterné.
- Je l'ignore. Le roi n'a pas expressément refusé de me voir, mais il ne me fait plus jamais appeler, et je n'ai pour ainsi dire plus un client.
- Avez-vous eu des cas de mort parmi vos patients ?
- Quelques-uns évidemment, mais sans dépasser la moyenne, et aucun membre de la famille royale. Je crois plutôt que les probabilités croissantes de guerre, alliées à l'incapacité des indigènes de distinguer Anglais et Américains, en sont la cause.

C'étaient de mauvaises nouvelles. Deux mois auparavant, Adoniram en eut été bouleversé et découragé ; mais maintenant, il sentait plutôt monter en lui une vague de colère agissante. Désormais, il ne laisserait personne contrecarrer ses projets.
- Dès que Mme Judson aura rencontré la reine, tout ira bien, reprit le docteur. Les femmes du palais rivalisent de curiosité et d'impatience, car elles n'ont jamais vu de blanche. Si la souveraine est gagnée à notre cause, le roi ne tardera pas à partager son avis, car elle le domine entièrement.

Anne le regardait avec une expression de doute.
- Je me demande si mon amie, la femme de l'ancien vice-roi, est bien considérée à la cour.

Price secoua la tête.
- Elle n'a plus la moindre influence depuis la mort de son mari. Henry Gouger, le jeune commerçant dont j'espérais que l'amitié me regagnerait la faveur de la cour, se trouve lui-même en disgrâce, pour des raisons qu'il ignore.
- Eh bien, conclut Adoniram, nous n'allons plus penser qu'au jour présent et remettre entièrement notre avenir entre les mains de notre Père Céleste. Il fait si beau aujourd'hui.
Ils s'installèrent donc à Sagaing.

La maison de brique du docteur demeurait inachevée. Bien qu'elle parut un palais à la petite Mme Price qui y circulait déjà avec une habileté surprenante, Anne la trouva humide et triste. Elle y prit froid dès la première nuit et dut s'aliter. Price attribua son malaise à la brique mal séchée et conseilla à Adoniram de se construire une maison de bambou, sur le terrain de la Mission d'Ava. Ce projet fut mis à exécution sans tarder ; le missionnaire aidé de Maung Ing, surveilla de si près les ouvriers que deux semaines plus tard, Anne put être transportée dans sa nouvelle demeure du bord de la rivière. Tout de suite, elle s'y sentit mieux.

Adoniram ne négligeait pas les visites au palais, malgré ses multiples occupations. Muni de l'indispensable cadeau, - en l'espèce une paire de jumelles de théâtre - il s'était rendu à l'audience publique. Mais il n'y retrouva aucun visage familier, et rares furent ceux qui le reconnurent. Il attendit fort longtemps avant de pouvoir remettre son cadeau au roi, avec lequel il ne put lier conversation. Il rentra fort découragé, n'ayant pu avancer d'un pas.

Le prince Meng-myat-bo le reçut avec cordialité, mais lui apprit que la reine cherchait n'importe quelle occasion de faire attacher dans un sac de peluche rouge quelqu'un de ses parents pour le jeter dans l'Irrawaddy. Cette pensée seule l'occupait. Il manifesta, par contre, un grand désir de faire la connaissance de Mme Judson.

Adoniram connaissait trop bien la Birmanie pour se laisser rebuter par cet accueil : rien de grave ne s'était encore produit en dépit des menaces violentes. La grande cause de la Mission avancerait quand même...
Dès qu'Anne fut rétablie, il alla avec elle rendre visite au couple princier qui montra le plus naïf des émerveillements. Toute la famille royale fut convoquée pour voir la femme blanche. Personne n'était plus capable quelle de tirer parti d'une situation de ce genre : peu de temps après, on se la disputait partout.

Adoniram encourageait Ma So et Maung Ing à se laisser instruire plus complètement dans la religion chrétienne. Le dimanche, il priait en birman à la maison du docteur, où quelques anciens patients osaient se risquer. Il jouissait d'avoir abandonné provisoirement les multiples activités sociales de ses dernières années.

Pour la saison chaude, une maison en brique devenait indispensable ; aussi en fit-il entreprendre la construction sans tarder.
Anne avait pris sous sa protection deux fillettes indigènes que Maung Ing lui avait amenées : leur père les confiait à la Mission, car leur, mère était devenue folle. On les baptisa des noms de Abby et Mary Hasseltine, et leur éducation fut entreprise sans délai.

Les missionnaires étaient à peine installés dans leur nouvelle maison que Henry Gouger, vint les voir. Ce charmant garçon de vingt-trois ans vivait, depuis deux ans, une aventure magnifique : il vendait de tout aux Birmans, et comme il travaillait sans concurrent, il avait amassé une fortune d'environ vingt mille livres. Mais il ne savait comment faire sortir cet argent du pays, car les exportations de métaux précieux étaient formellement interdites. Il redoutait la guerre, et eût déjà quitté le pays, s'il avait su comment sauvegarder sa fortune. Il conseilla aux Judson de s'enfuir.
- Vous ne savez pas comment on parle dans les milieux officiels et au sein de la famille royale. Tous veulent la guerre, des esclaves blancs, et l'annexion du Bengale. Ils ne connaissent que les luttes de tribus, et attribuent la patience de mes concitoyens à la lâcheté. Je vous en prie, emmenez Mme Judson dans un endroit sûr.
Ce fut Anne qui lui répondit
- Nous ne sommes pas des commerçants, Monsieur Gouger, mais bien des missionnaires ; et nous devons accepter le meilleur comme le pire. Nous sommes Américains : ils ne nous feront point de mal. Ce sont tous des fanfarons, comme vous l'apprendrez si vous restez ici quelques années de plus. Simplement, nous nous tiendrons éloignés du palais pour quelque temps.

Gouger se passa la main dans les cheveux, et regarda son interlocutrice avec gêne et admiration. Puis il se mit à rire :
- Notre ami, Jonathan David Price, n'est pas aussi diplomate que vous, Madame Judson. Hier, il s'est approché de Sa Majesté pour lui adresser la parole. Mais le roi a détourné la tête. Price est demeuré sur place, l'air abasourdi.
- C'est tout de même un très brave homme, dit Adoniram pour le défendre. Je n'aime pas qu'on se moque de lui.
- Mais on ne peut s'empêcher de rire, rien qu'à le regarder ! Cela lui est du reste indifférent. Avec le vieux Rodgers, ils forment vraiment un couple comique.
- Comment ce dernier se comporte-t-il en période de défaveur ? s'informa Anne.
- Il ignore les étrangers, et ne paraît même pas me reconnaître. Lanciego m'a prié de ne plus pénétrer dans sa maison. Je suis un danger public !

Le jeune homme secouait la tête avec tristesse, bien que, dans ses yeux, on put lire le goût du risque. Adoniram n'eut pas le courage de lui dire que ses fréquentes visites constituaient une menace pour la Mission.

Avril et mai s'écoulèrent paisiblement. Malgré le danger de guerre, les missionnaires vivaient heureux et confiants dans l'avenir. Bien qu'un nombre croissant d'indigènes se rassemblât au zayat, le roi n'intervenait pas. Les services religieux du dimanche matin dans la maison du docteur ne comptaient, par contre, qu'un auditoire très restreint, car tout le monde connaissait la disgrâce de Price.

Le dimanche 23 mai, Adoniram venait de terminer son sermon quand un ami de Maung Ing se précipita dans la maison pour annoncer une nouvelle qui ne pouvait pas attendre.
- Rangoon avait été pris par les Anglais!

Le silence de la stupéfaction fut suivi d'une réaction joyeuse. Enfin, l'on pourrait prêcher le Christ ouvertement à Rangoon ! Mais l'anxiété succéda vite à ce mouvement de joie. Quelles seraient les conséquences de tout ceci pour les blancs d'Ava? Henry Gouger se hâta d'aller mettre en sécurité ses biens car, sans nul doute, la colère des Birmans serait redoutable. Les missionnaires rentrèrent chez eux. Dans la soirée, Gouger vint leur dire qu'il avait vu le prince Meng-myat-bo, et que celui-ci garantissait l'impunité des blancs d'Ava, totalement étrangers à la guerre.

Anne se sentit aussi rassurée que Gouger, mais Adoniram conservait dans son esprit la vision du roi de la vie jouant à saute-mouton. Les enfants sont souvent versatiles et cruels..


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