Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XXI
L'ÉPREUVE

 La cour de la prison était moins intolérable que la chambre de mort. Mais, comme elle servait de lieu de torture, dès l'aube, les prisonniers devaient assister aux méthodes efficaces par lesquelles on obtenait des aveux.

Depuis quarante ans, le vieux Rodgers avait eu l'occasion de s'endurcir au spectacle des cruautés du pays ; mais quand il découvrit qu'un sort semblable l'attendait vraisemblablement, il fut anéanti. Henry Gouger et Adoniram tournaient la tête et se bouchaient les oreilles. Par contre, Price prenait un intérêt professionnel à ces atrocités, et ne perdait pas un soupir des malheureux. Le missionnaire sentait la colère l'envahir devant une telle indifférence. Il éclata un jour :
- N'avez-vous donc aucune sensibilité, Price ? demanda-t-il, après qu'un supplicié eût été ramené inanimé à la chambre de mort.

Les prisonniers formaient cercle autour d'un plat de riz et de poisson apporté par Maung Ing.
- Frère Judson, j'ai le sang-froid d'un homme de science.
- Un homme de science Adoniram ne se contenait plus.
- Vous insultez l'esprit missionnaire.
- C'est un homme plein de préoccupations scientifiques, cher Monsieur Judson, railla Henry Gouger en frottant son menton barbu ; Jonathan David, vous vous rappelez quand vous avez essayé de me guérir de mes maux de tête ?
- C'est que je vous en ai bel et bien guéri, affirma Price, la bouche pleine.
- Vraiment ?

Henry sourit en regardant Adoniram.
- Vous allez rire : le docteur m'a administré d'abord une pilule d'opium et, quand j'ai été endormi, il m'a rasé la tête pour y appliquer des sangsues. Au moment où je reprenais mes esprits vingt-quatre heures plus tard, il s'apprêtait à me trépaner. N'ayant pu me réveiller malgré tous ses efforts, il en avait conclu que je dormais du « sommeil de la mort ». Il allait profiter de l'occasion pour faire des découvertes sur le cerveau humain !
- J'avais oublié que la dose d'opium était si forte, expliqua Price en manière d'excuse. - Puis au bout d'un instant : J'ai l'impression que notre ami Constantine est atteint de la lèpre, bien que je connaisse mal les premiers symptômes de cette maladie.
- Bien sûr qu'il est lépreux, espèce d'idiot, grogna Rodgers, qui avait séché ses larmes et s'approchait du plat de riz.

Le Grec, qui ne comprenait ni l'anglais, ni le birman, s'aperçut aux regards consternés qu'on lui jetait, qu'il était question de sa maladie. Comme un chien il se retira dans un coin.

Adoniram eut un rire cynique.
- Voilà un sujet tout trouve pour vos investigations scientifiques, docteur.

Pour la première fois, John Laird prit la parole:
- Vous êtes tous beaucoup trop durs pour lui. De nous tous, c'est Price qui se plaint le moins, et je n'hésite pas à le proclamer un très brave homme.

Adoniram était tout humilié :
- Je regrette mes paroles, Price.
- Ne vous tourmentez pas, Frère Judson. Si mes nerfs étaient aussi tendus que les vôtres, je rongerais mes chaînes avec mes dents. Tant que vous ne vous attaquez qu'à moi...

Tout le monde se mit à rire, c'était une détente.
Mais le répit des prisonniers ne devait pas durer. Le même soir, on les ramenait dans la chambre de mort, heureusement sans les lier au bambou. Maung Ing en conclut que le gouverneur n'avait probablement pas partagé sa gratification avec le geôlier-chef. Les malheureux durent subir un nouveau séjour dans l'affreux local. Plusieurs jours durant, Anne ne put pénétrer dans l'enceinte de la prison.
Elle ne revint qu'au bout de deux semaines ; Adoniram, se traînant à sa rencontre jusqu'à la porte, ne la reconnut pas tout de suite, elle portait un admirable costume birman : veste de soie blanche ouverte sur un gilet safran, et tamein rouge vif. Ses boucles étaient écrasées sur le sommet de sa tête et retenues par une fleur blanche.

Du fond de son ignominie, le prisonnier contemplait la beauté de sa femme; il se pencha vers elle.
- Tu es très belle, ô dame de Birmanie. Mais pourquoi ce costume ?
- C'est un cadeau de la femme du gouverneur qui m'a prise sous sa protection. Elle me conseille de porter ce vêtement pour me concilier les bonnes grâces du peuple. Et cela fait une différence incroyable ! On me laisse tranquille ; on ne me regarde même plus.
- Raconte-moi tout ce que tu fais.

Pour leur plus grande joie, le geôlier leur accorda un quart d'heure de conversation devant la prison. Anne passait du palais du gouverneur, qu'elle harcelait de demandes, à celui de la reine; celle-ci avait finalement notifié, que le maître étranger ne devait pas mourir, mais rester en prison. Le gouverneur, toujours aimable, protégeait évidemment Anne, mais il n'osait pas donner l'ordre de ramener les prisonniers dans la cour, par crainte d'indisposer la souveraine.
- Que Dieu soit béni pour cela au moins, ma chérie ! Si je te sais en sécurité, je puis supporter cette vie. Un homme ignore combien il aime sa femme jusqu'à une pareille épreuve.
- Pourtant cette expérience ne nous paraissait pas indispensable...

Adoniram sourit. Puis il posa la question qui le tourmentait si fort :
- Où est ma traduction des Écritures?
- Tous les manuscrits, enveloppés de soie huilée, sont enterrés dans le jardin, avec nos autres objets précieux. Je tremble en songeant à l'humidité et aux insectes, mais je n'ai pu imaginer d'autre cachette.
- Je caresse un projet un peu fou, mais qui peut-être réussira. Le domestique de Gouger lui a apporté un petit oreiller très dur, sur lequel on l'autorise à se coucher. Quand Maung Ing reviendra, qu'il me remette un coussin enveloppé de natte, un coussin si dur que même le geôlier le dédaignera. Caches-y ma traduction. J'aurai ainsi mon oeuvre avec moi, même si je ne dois jamais l'achever.
- Mon pauvre chéri, dit-elle, très émue.

Il était sale, barbu, hirsute, mais ses yeux demeuraient clairs et profonds. Elle l'attira contre elle, et baisa les paupières fatiguées. Le geôlier arrivait; ils se séparèrent.
Le lendemain, Maung Ing apporta le faux coussin. Ce fut un grand réconfort pour Adoniram.

Les prisonniers s'installaient dans une morne routine. On les avait autorisés à s'entretenir en anglais, pour la plus grande joie de Laird. Soir et matin, Adoniram célébrait un petit culte. Au début le capitaine ne montrait guère d'enthousiasme pour y assister; mais, peu a peu, il témoigna d'une vive ferveur spirituelle. Constantine et Arakeel demeuraient prostrés ; ils ne faisaient aucun effort pour apprendre l'anglais ou le birman. Le vieux Rodgers, qui avait d'abord essayé d'obtenir de sa femme un poison qui le fît passer dans l'autre monde, finit par retrouver son calme.. Il se lia d'amitié avec les prisonniers indigènes. Beaucoup plus à son aise en cette compagnie, il passait son temps à leur raconter des histoires et à fumer.

Le docteur Price semblait presque satisfait de son sort. La saleté lui était complètement indifférente ; mais il offrit, charitablement, de raser Gouger et Adoniram que la vermine torturait. Avec quelques tiges de bambou et de l'argile, obtenus grâce à la complaisance d'un gardien, il entreprit de construire une pendule. Mais, au bout d'une semaine d'essais infructueux, il abandonna ce projet et se consacra à soigner les prisonniers indigènes. Il avait là assez à faire.

Adoniram proposa à Gouger d'improviser un jeu d'échecs avec le matériel dédaigné par Price. Le jeune homme accepta avec enthousiasme. Très vite, ils eurent fabriqué des pièces reconnaissables ; un morceau de cuir de boeuf, déterré parmi les ordures de la cour, et carrelé de noir au charbon, leur servait d'échiquier. Sous l'oeil intéressé des gardiens, les prisonniers passaient des heures interminables à ce jeu.
Certes, le missionnaire souffrait davantage que ses compagnons, dans la mesure où il leur était supérieur, plus raffiné moralement et intellectuellement qu'aucun d'entre eux. Mais, d'autre part, ses richesses intérieures lui permettaient de soutenir l'espoir de ses compagnons. Il leur récitait des poèmes anglais, birmans et même des traductions du grec et du latin. Il leur raconta aussi la vie de Madame Guyon.

De fréquentes querelles éclataient parmi les prisonniers, mais Adoniram qui partageait avec Gouger un sens aigu du comique, arrivait souvent à les faire se terminer par des rires.

De loin en loin arrivaient des échos de la guerre. Le roi apprenait très rapidement le résultat des combats engagés, grâce à un code, que connurent bientôt les prisonniers : un coup de canon signifiait bataille perdue, deux, bataille gagnée, trois, recul des Anglais jusqu'à la mer.

Deux fois, durant le mois de juin, les prisonniers entendirent une détonation isolée. Mais ce fut en juillet seulement qu'ils apprirent la marche des événements, par un soldat irlandais incarcéré dans la « prison de la mort ». Rodgers avait été demandé comme interprète, pour l'interroger; lorsqu'il revint au milieu de ses compagnons, la consigne était stricte : interdiction formelle de parler. Mais, pour une fois, heureusement, le vieillard se montra indulgent. Phrase par phrase, dans un murmure, les prisonniers se firent passer de l'un à l'autre les déclarations de l'Irlandais.

Trois mille soldats anglais et plus du double de sepoys progressaient au nord de Rangoon, sous les ordres du général Sir Archibald Campbell. Ils étaient suivis par des bateaux à voilé et un vapeur, tous armés de canons. Le général en chef des Birmans avait été tué. On n'avait rien pu tirer d'autre de l'Irlandais.
Comment les indigènes se vengeraient-ils sur leurs prisonniers des succès anglais ? Les malheureux s'attendaient au pire. Ils passèrent une nuit de torture morale et physique indescriptible. Cependant on se borna à les laisser plusieurs jours sans les détacher du bambou et sans nourriture, mais on ne leur infligea pas de nouvelles représailles. Maung Ing obtint enfin qu'on les délivrât de leur atroce posture.

Ce fut grâce au docteur Price qu'ils purent, une fois de plus, s'installer dans la cour. L'un des geôliers souffrait d'un énorme kyste à la paupière. Malgré les objurgations, de ses compagnons, Jonathan David le supplia de lui laisser tenter une opération.
- Nous sommes à la merci de ces bourreaux, lui fit remarquer Gouger avec rudesse, et si le résultat de votre intervention devait être aussi désastreux que pour votre femme, vous ne pourriez offrir le même dédommagement !

Mais le docteur était tenace ; il opéra par une après-midi torride de juillet. Une semaine plus tard, en enlevant les pansements, il constatait que, malgré une cicatrisation normale, la paupière pendait inerte sur le globe de l'oeil. Price consola le patient furieux en lui assurant avec calme :
- Votre oeil se conservera d'autant mieux ainsi; il sera à l'abri. Et quand vous voudrez vous en servir, vous n'aurez qu'à soulever la paupière avec votre doigt. Vous l'aurez ainsi toujours à portée.

Les spectateurs retenaient souffle, attendant que le bourreau sautât à la gorge du docteur; mais le geôlier-chef survint fort à propos, et Price en appela à son sens de la justice. Le Birman n'est pas dépourvu d'humour et son esprit réagit parfois avec une étrange perversité. Aussi le gardien, considérant alternativement le docteur et son sous-ordre estropié, éclata-t-il d'un rire sonore.
- Que ferai-je pour honorer votre habileté, étranger au couteau émoussé?
- Accordez-nous quelques vacances, et envoyez-nous dans la cour, suggéra Price sans perdre la tête.

L'hilarité du geôlier continuait. Il ouvrit la porte de bambou.
- Eh bien, sortez!

Les sept prisonniers abasourdis, meurtris, aveuglés par la lumière, retournèrent à leur abri.
C'est ainsi que l'été se traîna, coupé de rares alertes. La saison fraîche s'annonçait, avec ses nuits froides. Les prisonniers étaient toujours dehors. Price, en particulier, le supportait mal; il toussait continuellement. Par contre, la fièvre d'Adoniram et la dysenterie de Gouger avaient cessé; mais tous deux, très amaigris, souffraient de plaies douloureuses, causées par les fers.

En octobre, Anne leur annonça que le général Bandula, rentré d'Arakan, levait une nombreuse armée pour anéantir l'envahisseur. Adoniram rédigea une demande de mise en liberté et chargea sa femme de la remettre au général. Avec son habileté coutumière, elle parvint à entrer dans ses bonnes grâces, mais, hélas, sans obtenir de promesse plus précise que celle-ci : on s'occuperait des prisonniers quand les Anglais auraient été jetés à la mer!
Ce fut à ce moment qu'Anne se décida à révéler à son mari un secret qu'elle ne pouvait plus lui cacher longtemps. Un enfant devait leur naître dans le courant de l'hiver.

Après des années d'attente, leurs prières étaient exaucées. Mais comme il était difficile d'être reconnaissant, en pareilles circonstances ! Les angoisses d'Adoniram étaient maintenant décuplées, lorsqu'Anne tardait à venir le voir. Il pensait constamment aux souffrances qui attendaient sa femme. Dès le mois de décembre, elle dut interrompre ses visites à la prison, mais Maung Ing et parfois Koo-chil apportaient régulièrement des nouvelles.

De nombreux sepoys prisonniers avaient été amenés dans la cour, et leurs officiers enchaînés tout près des blancs. Privés de tout secours, ces malheureux mahométans moururent de faim les uns après les autres, sous le regard impuissant de leurs compagnons de captivité. Adoniram, qui savait sa femme en sécurité, était heureux que le spectacle de cette orgie de cruauté lui eût été épargné.

Les prisonniers avaient appris que les Anglais étaient maîtres de presque toute la côte d'Arakan et qu'ils s'apprêtaient à occuper Martaban, vers le sud. Mais ces nouvelles n'étaient pas uniquement favorables; car ces mouvements permettaient en même temps aux Birmans de concentrer leurs forces pour résister sur l'Irrawaddy.

Des jours sans fin succédaient aux nuits plus insupportables encore. Le mois de janvier se traînait. Le 24, ni Maung Ing, ni Koo-chil ne parurent à la prison. Adoniram en conclut que l'heure de la délivrance était venu pour Anne... A l'aube du 25, en effet, le cuisinier fit son apparition; il était radieux. La petite Maria Judson avait ouvert les yeux sur la Birmanie : sa mère se portait bien...
Une paix reconnaissante envahit le coeur d'Adoniram.

Vingt jours plus tard, on l'appelait à la porte. Anne était là, portant dans ses bras un paquet qu'elle déposa entre les mains enchaînées de son mari. Il put contempler le visage frêle de son enfant. Mais en même temps, il éprouvait l'horreur de sa situation avec une cruauté nouvelle. Dès qu'Anne l'eût quitté, il fut secoué par une vague de sanglots.

Des jours entiers, ni Mme Guyon, ni sa précieuse traduction, ni sa foi, rien ne put le tirer de sa prostration. Ce petit visage, la joie maternelle d'Anne, avaient remué les profondeurs de son être. Dieu pouvait-Il admettre de pareilles souffrances ? Et même restait-Il Dieu quand Il les permettait ?
Des heures durant, accroupi auprès de Gouger qui souffrait de terribles maux de tête, il cherchait à le distraire. Mais au plus profond de lui-même, les terribles questions ne cessaient de se poser.

Avec la démarche ridicule que les fers leur imposaient, il arpentait la cour en compagnie de John Laird.
Ce dernier, très tourmenté, lui demandait de constantes explications sur l'enfer, cependant que le poursuivait sans cesse la question torturante : Dieu est-Il indifférent ?

Si ses camarades avaient pu soupçonner les incertitudes de celui qui était leur soutien à tous, la consternation les eût gagnés. Ils le considéraient comme leur aîné, quoiqu'en réalité, Gouger seul fût plus jeune que lui. Il ne devait, en aucun cas, leur donner cette déception. Il n'oubliait pas le regard atterré que James Colman lui avait lancé, quand il lui avait demandé : « Qui est Dieu ? » Il expierait donc ses doutes par une solitude absolue... Christ lui restait. Christ visible, tangible, historique. Comme naguère, sur l'Ecureuil-Volant, seule la certitude de la Croix soutenait son âme. Cette force suprême lui permit de revoir son enfant avec joie.


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