Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XXII
BANDULA

 En février, les prisonniers vécurent dans une tranquillité relative. Mais le 1er mars, au coucher du soleil, dans la plus grande hâte et le plus complet silence, les bourreaux leur rivèrent à chacun trois nouveaux fers aux chevilles, et autant aux poignets. Après quoi, les malheureux, complètement entravés, furent jetés à nouveau dans la prison, dans « l'angle de la mort ». Un indigène leur apprit qu'ils seraient exécutés, dès que l'ordre définitif parviendrait à la prison.

Les captifs étaient atterrés. Constantine et Rodgers pleuraient et gémissaient. Adoniram pensait qu'il n'avait même pas pu faire ses adieux à Anne et au bébé; mais il devait bientôt sentir l'égoïsme de ses regrets : au moins elle dormirait bien encore cette nuit; quand elle viendrait, le lendemain, tous ses tourments seraient finis. Le choc serait atroce, mais une scène d'adieux déchirante aurait été évitée. La présence de Maria la soutiendrait dans son épreuve; enfin elle se déciderait à aller rejoindre les Anglais en aval du fleuve. Elle avait su gagner l'affection et le respect des indigènes et s'en tirerait certainement presque mieux sans lui. En moins d'une année, elle aurait regagné l'Amérique. Comme il eût aimé revoir Boston et la plage à Plymouth... Il écarta ces pensées trop émouvantes. Quelle faillite que la sienne! Mais l'expérience avait tout de même valu la peine. Cette guerre lui coûtait la vie, mais une domination militaire implanterait le christianisme là où il avait échoué. Anne rentrerait-elle en possession du fameux oreiller? Il se laissa distraire par la pensée que peut-être, un jour, son manuscrit reverrait le jour. Qui le découvrirait? Et qu'en ferait-on ? « Pauvre Judson, il savait bien son latin et son grec ! Mais nous n'avons pas le loisir de célébrer la gloire d'intellectuels... »
- Voulez-vous prier pour nous tous ? Cela nous redonnera du calme.
C'était Gouger dont le jeune visage demeurait ferme.

Adoniram commença de sa voix profonde : « Éternel, j'ai entendu ce que tu as annoncé, je suis saisi de crainte. Accomplis ton oeuvre dans le cours des années, ô Éternel! Dans le cours des années, manifeste-la! Mais dans ta colère, souviens-toi de tes compassions ! N'es-tu pas de toute éternité, Éternel, mon Dieu, mon Saint ? Nous ne mourrons pas ! 0 Éternel, tu as établi ce peuple pour exercer tes jugements. 0 mon rocher, tu l'as suscité pour infliger tes châtiments. Tes yeux sont trop purs pour voir le mal, et tu ne peux pas regarder l'iniquité. À ton aspect, les montagnes tremblent ; des torrents d'eau se précipitent; l'abîme fait entendre sa voix. Tu sors pour délivrer ton peuple. Je veux me réjouir dans le Dieu de mon salut. »
Quelques minutes après, il répéta ces mêmes phrases en grec et le pauvre Constantine s'arrêta de pleurer. Il continuait doucement : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre coeur ne se trouble point, et ne s'alarme point. »
Tous paraissaient apaisés par ces paroles. Beaucoup plus tard, une voix s'éleva :
- Est-ce la lune que l'on voit luire à travers cette fente du mur ?
- Mais non, c'est le soleil qui se lève, rectifia Laird.

La porte s'ouvrit violemment, et des flots de lumière pénétrèrent dans la pénombre puante. Les gardiens commencèrent à faire sortir des équipes de prisonniers pour leur récréation quotidienne, mais ils négligeaient les blancs. On finit par s'occuper d'eux à la nuit, en les faisant sortir l'un après l'autre. La journée du lendemain s'écoula aussi longue qu'un siècle, mais les prisonniers savaient maintenant que leur mort n'était pas imminente. Le troisième jour de cette réclusion, Adoniram trouva un billet d'Anne dans son riz. Elle lui apprenait que le gouverneur avait reçu ordre du frère de la reine de massacrer secrètement tous les blancs. Mais comme l'ordre n'émanait pas directement du roi, le gouverneur avait trouvé plus prudent de ne pas l'exécuter. D'autre part, les défaites des Birmans se multipliaient sur l'Irrawaddy, et Anne avait terrifié le gouverneur en lui décrivant les vengeances des Anglais quand ils s'empareraient d'Ava et apprendraient le sort réservé aux blancs. Ainsi s'expliquaient les nouveaux, fers et la recrudescence des mauvais traitements. Anne les suppliait de garder bon courage; elle espérait gagner la soeur aînée du roi par des cadeaux.
Ils vécurent une semaine de détresse indescriptible. Le dixième jour, ils furent ramenés sous le bambou. Ce fut un réel soulagement : ils quittaient « l'angle de la mort » ! Adoniram n'osa pas réclamer son coussin qui avait disparu.

Avec la chaleur, la puanteur augmentait intolérablement. Quelques jours plus tard, on amena le gros fonctionnaire sur lequel, naguère, le roi montait à cheval. Celui-ci conta volontiers ses malheurs. Les Anglais s'étaient emparés des villes dont il tirait ses revenus au bord de l'Irrawaddy et le roi le rendait responsable, bien qu'il n'eût pas quitté Ava. Bandula avait dû se retirer jusqu'à Danubyu, à soixante milles au nord de Rangoon. Le séjour du gros personnage fut d'ailleurs de courte durée; vingt-quatre heures après son incarcération, le roi, à qui il manquait, le fit libérer.

Au milieu de mars, un nouveau détenu de qualité fut jeté en prison : l'un des ministres du roi, surnommé le Tigre. C'était l'intime du frère de la reine, à qui les blancs devaient leur surcroît de souffrances. Au reste, le Tigre paraissait haïr les Européens autant que son ami; il déclara à ses compagnons qu'il les tuerait avec joie de ses propres mains, s'il sortait vivant de la prison. Il demeura l'hôte de « petit papa » jusqu'au jour où, de nouveau, retentit sur la rivière, un coup de canon isolé. Quelques heures plus tard, le Tigre était relâché. Le geôlier apprit aux captifs qu'il avait été nomme général en chef à la place de Bandula, tué dans un combat.

Le lendemain, Lanciego faisait son entrée à la prison, les mains ensanglantées ; il avait subi la torture de la corde sur l'ordre du nouveau général. Bien qu'il fût le beau-frère de la seconde reine, - ce qui l'avait sauvé jusqu'alors - la haine du Tigre se déchaînait contre lui. « Petit papa » attacha Lanciego au bambou à côté d'Adoniram.

Celui-ci apprit ainsi que le frère de Bandula avait eu la tête tranchée, lorsqu'il était arrivé au palais, pour annoncer la mort du général. Le roi, après avoir ainsi soulagé sa colère, était demeuré prostré, tandis que la reine se frappait la poitrine en répétant : « Amé ! qui osera s'avancer, maintenant que l'invincible Bandula est mort ? » Elle savait bien que la rébellion grondait, qu'elle éclaterait certainement si on tentait de lever de nouvelles troupes. Le peuple était excédé de faire tous les frais de cette guerre pour laquelle pas un tical n'était sorti du trésor royal.

Leurs Majestés s'entretenaient de la situation avec angoisse, lorsque parvint un message du Tigre. Il s'engageait, si on le relâchait, à mobiliser une armée fraîche, en donnant à chaque soldat une somme de cent ticals pris sur le trésor public, encore intact. Avant que le roi eût pu manifester une intention quelconque, la reine envoyait son char à boeufs pour chercher le Tigre.

L'effervescence grondait dans la ville tandis que se recrutait la nouvelle troupe. « Petit papa » adoucit sa surveillance jusqu'à permettre de nouveau à Anne de venir jusqu'au seuil de la prison contempler les visages émaciés des captifs du bambou. Adoniram net sut jamais combien le choc qu'elle en ressentit avait été violent. Pour ces hommes étendus, dans, l'abjection la plus complète, son harmonieux visage paraissait celui d'un ange. Elle seule entretenait leur espoir, quelque faible qu'il fût encore. Même Constantine avait appris assez d'anglais pour bénir l'apparition bienfaisante.

Un matin, à la fin avril, alors qu'Adoniram souffrait plus que d'habitude de ses poignets enchaînés un nouveau visage familier fut introduit dans la prison. Il reconnaissait cette bonté, ces yeux vifs malgré l'âge. Il se sentit comme transporté dans le zayat, au bord du lac des lotus, la mousson du sud-ouest tempérant la chaleur, tandis qu'il dessinait une carte de la terre, et racontait des pèlerins du Mayflower.
Que s'était-il passé ? Un pareil traitement infligé à un moine, un gaing-ôk, était certainement sans précédent. Le vieillard ne portait même plus la robe jaune; un paso verdâtre couvrait ses reins. Était-ce la disgrâce annoncée ?

Le premier mouvement d'Adoniram fut de lui parler. Mais il ne voulait pas compromettre davantage le prêtre, en le reconnaissant. Il l'approcherait de façon plus subtile, indirecte. Au bout d'un moment de réflexion, il se mit à se réciter, comme à lui-même : « Il n'y a pas de taons - ainsi parla le berger Dhaniya - les vaches errent dans les prairies vertes et elles peuvent recevoir l'eau des nuages. Ciel ! ta pluie peut tomber ! »

Quoique la prison fût toute bruissante de la présence d'une centaine, d'êtres humains, le murmure des voix se trouva dominé. Il n'y avait à ce moment-là aucun moribond gémissant, et les paroles du missionnaire parvinrent aux oreilles à qui elles étaient destinées. Le vieillard se pencha en avant pour mieux saisir les paroles : il ne savait pas encore qui les prononçait. Puis il se mit à répondre en élevant de plus en plus la voix : « J'ai construit un radeau solide - ainsi parla le Béni. - J'ai traversé l'eau. J'ai atteint la rive la plus éloignée. J'ai contenu le torrent des passions. Le radeau est désormais inutile. Ciel, ta pluie peut tomber ! »
- Ma femme obéit. - Adoniram continuait le dialogue. - Elle a...

Mais le gaing-ôk l'avait reconnu.
- C'est donc ici que vous êtes, ô mon ennemi!
- Je suis ici, mon ami ennemi. Est-ce à cause de moi que vous y fûtes jeté ?
- À l'origine, peut-être. Je ne puis nier absolument que votre Dieu soit antérieur au Bouddha. Après une catastrophe, une autre a suivi. Et, bien que je ne tienne pas à le dire devant de trop nombreux témoins, mes premiers malheurs sont venus de ce que j'ai voulu plaider la cause de Maung Shway-gnong, pour lui éviter la torture.
- Le malheureux, où est-il maintenant ?
- À Ava, caché je ne sais où. Son amitié pour vous et Jésus-Christ a causé sa disgrâce. Il m'a envoyé un message.

Les deux hommes se cherchaient des yeux dans la pénombre ; et leur regard exprimait une grande sympathie réciproque : celui de l'indigène, sombre et paisible dans sa gravité, celui de l'Américain, clair malgré toutes les souffrances. Mais ils ne purent poursuivre leur entretien. Les gardiens introduisaient une matrone flanquée de ses quatre filles qui criaient et tempêtaient, tandis qu'on les injuriait. Adoniram ne quittait pas du regard le vieux moine ; il sentait lourdement la part de responsabilité qu'il portait dans ses malheurs.
Une idée lui vint. Quand « petit papa » fit sa tournée de l'après-midi, il demanda à lui parler confidentiellement.
- Te souviens-tu que tu m'as offert de me procurer un abri dans la cour pour cent ticals ?
- Tu sais bien, singe, que ceci ne m'est plus possible.
- Oui, je le sais. Mais cela ne t'empêcherait pas de prendre tout cet argent pour aider quelqu'un d'autre à recouvrer sa liberté. Surtout si, en le faisant, tu acquérais autant de mérites que si tu construisais une pagode ?
- Que dois-je faire ? - L'homme avait une expression d'avidité. - Car qui, davantage que moi, a besoin de gagner des mérites ?
- Personne, sur les verts degrés du ciel, appuya Adoniram. Mais celui qui a commis l'erreur d'enfermer ici celui qui et là - il désignait le moine - ira au plus profond des enfers. Ce vieillard est un gaing-ôk.

Le geôlier, les yeux exorbités, le front couvert de sueur, semblait atterré.
- Il me semblait bien reconnaître ce visage... Sais-tu bien que la personne d'un moine est absolument sacrée ?
- Je le sais, répondit Adoniram, d'un ton convaincu.
- Mais je ne suis pas le Bouddha Gautama, la source de toute sagesse, se défendit-il. Pouvais-je savoir, rien qu'en le touchant, qu'il était d'une essence différente de celle des animaux que l'on enferme ici ? Y a-t-il personne de plus occupe que moi dans le royaume doré, quand les ordres affluent : « Affamez cet homme, torturez celui-ci, arrachez les entrailles de cet autre ! »
- Chacun de nous a ses difficultés. Mais sais-tu qui l'a fait emprisonner ?
- Je l'ignore. Il faisait partie d'un groupe que l'on m'a remis à la porte. Comme tu le dis, ce doit être une erreur.
- Relâche-le. Ma femme apportera l'argent.
- Crois-tu que j'acquerrais davantage de mérites si je refusais cette somme ? Non, je suis pauvre... En contrepartie, je lui raconterai que c'est le maître étranger qui a eu l'idée de le faire libérer.
- Non, pas, cela, ordonna Adoniram. Il pourrait refuser d'être sauvé par mon intervention.
- Quoique moine, il doit rester humain...

Sur ces paroles désabusées, le gardien se retira. Un peu plus tard, il s'approcha du gaing-ôk pour lui parler à l'oreille. Le vieillard se redressa, les joues soudain colorées. Il ne quittait pas le missionnaire des yeux, tandis que le geôlier, sans même effleurer le paso vert, défaisait ses chaînes. Il demeura un instant assis, tandis que dans ses membres, lentement, une circulation normale se rétablissait ; puis il se leva, le regard toujours fixé sur son libérateur.

Adoniram sourit, et reprit la citation : « Le sort en est jeté et ne peut changer - ainsi parla le berger Dhaniya. - Les cordes sont d'herbe sacrée, toutes neuves et résistantes. Les vaches ne peuvent les rompre. Ciel, ta pluie peut tomber ! »
La voix du vieillard, tremblait d'émotion en répondant : « Comme un taureau, j'ai brisé les liens - ainsi parla le Béni. - Comme un éléphant, j'ai rompu la corde. Je ne devrai plus naître à nouveau. Ciel, ta pluie peut tomber ! »

Ils échangèrent un pâle sourire. Puis le moine sortit en boitillant devant son gardien.


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