SPLENDEUR DE DIEU
XXV
LA CITÉ INQUIÈTE
Au bout de dix jours, ils
arrivèrent à Ava. Adoniram
éprouvait une paix profonde ; il avait
accompli son devoir avec succès ; cela
compensait dans une large mesure l'humiliation de
ce retour enchaîné. Il avait rendu le
calme à ce beau pays, à cette
Birmanie insensée qui, maintenant, sous la
surveillance britannique, permettrait au
christianisme de s'implanter sur son territoire.
Les années de travail, la prison, prenaient
un sens. Il songea aux paroles de Mme Guyon :
- « Mon coeur depuis longtemps
plongé dans les douleurs,
- Je m'abandonne à ta sagesse...
- L'amour pur et la croix ne se quittent
jamais
- Leur société mutuelle
- Fait que la souffrance nous plaît
- Leur union est éternelle. »
Même si Bagyi-Daw jugeait bon de le
rejeter en prison, le pas décisif
était fait. Et ceci, parce que Dieu avait
envoyé Adoniram Judson en Birmanie.
Après le paiement de l'indemnité de
guerre, Rangoon ne serait plus sous la tutelle des
Anglais, mais ceux-ci resteraient si proches, sur
la côte d'Arakan et en Birmanie
septentrionale, qu'il serait impossible au pays de
lutter encore contre le christianisme.
Il retournerait donc à
Rangoon avec Anne et le bébé il
verrait de nouveau la cour de la Mission si pleine
de souvenirs ! Il retrouverait
Maung Shway-gnong, Maung Ing, et Maung Nau et
rétablirait avec eux l'Église, sur
des fondements solides,
Durant le voyage, il évoqua
toute la beauté de la terre : celle de la
nature environnante, celle de sa vocation, celle de
sa femme enfin, dont il était si fier. Il ne
saurait jamais lui témoigner assez de
reconnaissance pour tout ce qu'elle avait su
être durant ces mois d'abjection et de
misère. Il s'était reposé sur
elle comme l'enfant sur sa mère, avec un
abandon total. Tandis qu'il approchait d'Ava, mille
souvenirs se pressaient dans sa mémoire Anne
s'excusant de sa coquetterie, lors de sa
première visite au vice-roi, à cause
de la rose de son chapeau Anne avec Roger dans ses
bras, puis ensuite, les yeux inondés de
larmes, demandant avec angoissé : «
Où donc est mon enfant ? »; Anne le
regardant avec tant de compréhension,
après qu'elle lui eût retiré
Mme Guyon ; Anne rayonnante de beauté
à son retour d'Amérique et, lors de
l'inoubliable voyage sur l'Irrawaddy, de nouveau sa
femme, sa bien-aimée. Il se sentait envahi
par un amour de plus en plus intense, pour cet
être chéri et rare qu'il avait le
bonheur de posséder.
Ils débarquèrent de
nuit. Adoniram supplia ses gardiens de le laisser
passer par la Mission et leur offrit tout ce dont
il disposait ; mais ils l'amenèrent
directement au tribunal, où il trouva
réuni le même aréopage qui
l'avait envoyé à Melun ; chacun des
dignitaires cependant feignit de ne pas le
reconnaître. Comme personne ne paraissait au
courant des intentions du roi à son endroit,
on l'enferma dans un hangar isolé, en
attendant de le ramener à Aungbinle. On l'y
oublia pendant vingt-quatre heures, ce qui lui
parut plus insupportable encore que toutes les
humiliations précédentes. Personne
n'entendait ses cris : il avait faim et soif. Le
second jour, un visage sympathique apparut à
la fenêtre Maung Ing, enfin !
Anne apprenant son arrivée,
avait tout de suite dépêché
Maung Ing à sa recherche. Il avait fallu du
temps pour découvrir sa retraite
isolée ; mais, maintenant, il recevait en
même temps un message de tendresse et de la
nourriture. Il fallait d'urgence envoyer au
gouverneur de la porte du nord,
leur seul ami influent, une demande de mise en
liberté. Maung Ing partit en
hâte.
La journée se traîna
interminablement. La nuit vint. Des roulements de
tambour intermittents accompagnaient les gongs
monotones. L'inquiétude planait sur la ville
et le missionnaire était heureux de ne pas
se trouver dans la prison de la mort. Il finit par
s'endormir. Au lever du soleil, un gardien vint le
chercher pour l'amener chez le
gouverneur.
Le vieillard le dévisagea
avec insistance et surprise. Puis, tirant sur sa
barbiche, il déclara
sentencieusement:
- Les belles femmes
témoignent toujours d'un goût
étrange dans le choix de leur époux,
n'est-ce pas, Maître ?
Adoniram prit alors seulement
conscience de ses vêtements
déchirés et de sa barbe de quinze
jours.
- Un goût étrange, en
effet. Elles assortissent une pierre rare à
l'argile.
Le gouverneur se mit à rire,
découvrant ses dents noires.
- Tous les deux jours depuis une
année, votre femme, cette fleur exquise, est
venue chez moi plaider votre cause et celle de vos
compagnons étrangers. Elle ne demeurait pas
à la porte ; elle venait s'asseoir avec nous
et, sur ma demande, nous instruisait sur les
coutumes américaines. J'ai ainsi appris
à vous connaître l'un et l'autre, et
je me sens maintenant honteux de mon pays, de ses
préoccupations et de sa conduite. Ainsi,
cette fleur a plaidé votre cause, et mon
coeur s'est ouvert comme la corolle du lotus
après la pluie. Je ne puis faire pour elle
tout ce que je voudrais. Si j'étais plus
jeune - sa voix vibrait chaudement - je vous
montrerais la différence entre l'amour
décoloré que vous lui portez et une
vraie passion virile. Mais je ne suis plus qu'une
graine desséchée attendant les
labours. Dans une autre vie... - Il regardait au
loin un paon qui se mirait dans un bassin d'eau
bleue. - La beauté, continua-t-il, est un
mérite en soi, et compte dans un karma. -
Puis, reprenant le ton officiel : J'ai fait pour
vous autant qu'il se peut ; je me suis porté
garant que vous ne quitterez pas la ville. J'ai
obtenu qu'on vous délivre
de vos chaînes. Retournez donc à votre
monastère, au bord de la rivière.
Mais agissez maintenant avec la prudence du
serpent. Enlève ses chaînes, cria-t-il
au gardien.
Adoniram était resté
immobile pendant tout le monologue du gouverneur.
Et maintenant encore, tandis qu'on délivrait
ses membres torturés, il se mordait
seulement les lèvres pour contenir la
souffrance que lui causait l'afflux soudain de sang
dans ses membres ankylosés. Il finit par
dire de sa voix profonde, enrouée par
l'émotion :
- De tout mon coeur, je vous
remercie, ô magistrat au grand mérite.
Tout ce que vous avez dit de mon admirable femme
est vrai. Je ne suis pas digne d'une telle
bénédiction. Mais, ami des
malheureux, malgré votre grande sagesse,
vous n'avez pu apprécier la profondeur de
mon amour pour elle.
Il salua et partit en
courant.
- Anne ! Anne !
Chancelant, il se hâtait le
long de la route jusqu'à la Mission. Il y
entra en coup de vent. Près du fourneau, il
aperçut une indigène sale et grasse,
qui tenait dans ses bras un enfant
gémissant. Par la porte ouverte, il
découvrit Anne. Elle était
couchée. Il s'approcha, muet d'horreur
devant l'ombre tragique, blême, qu'un instant
il crut morte. Il s'agenouilla et posa ses
lèvres tremblantes sur les joues creuses.
Anne parut s'éveiller et caressa de sa main
transparente la tête de son époux.
Dieu m'a exaucée, murmura-t-elle.
- Chérie, qu'est-ce qui s'est
passé ?
- La typhoïde. Tu ne devrais
pas m'approcher. Koo-chil m'a soignée
entièrement jusqu'à la
libération de Price, la semaine
dernière. Je suis en convalescence
maintenant.
La flamme de la vie brûlait
dans ses yeux. L'espoir remplit de nouveau le coeur
du missionnaire. Une tâche immédiate
s'offrait à lui, plus urgente que tous ses
devoirs. Cinq minutes plus tard, Koo-chil, qui
apportait un bol de soupe, trouva son maître
en train de mettre des draps propres au lit de la
malade.
Le Dr Price avait fait preuve d'une
certaine clairvoyance en
ordonnant au cuisinier de nourrir Anne de force.
Celui-ci avait introduit des cuillerées de
vin entre les lèvres sèches ; puis il
était parvenu à lui donner du
bouillon et un peu de riz. Mais, pour le reste, le
traitement du médecin remplit Adoniram de
consternation. Il avait rasé les belles
boucles et appliqué un vésicatoire
à la tête et à la plante des
pieds. Il s'apprêtait même à
poser des sangsues.
- Pour rien au monde, je ne le
laisserai faire!
Adoniram se mit rapidement à
l'ouvrage, aidé par Koo-chil et la femme
indigène. Le soir venu, Anne reposait dans
une maison propre ; Maria dans un berceau à
ses côtés ; toutes deux avaient
été baignées et
changées de linge.
- Pourquoi cet affreux bonnet de
nuit ?
- Price me l'a prêté.
J'étais contente de l'avoir pour cacher ma
tête.
- Tes cheveux repousseront vite ; tu
n'auras plus à te couvrir.
- Peux-tu et veux-tu m'aimer encore,
même ainsi, Adoniram?
- M'as-tu haï dans la crasse et
l'abjection de la prison ?
- Oh non! - Elle paraissait
indignée. - Mais chez une femme,
l'extérieur est tellement plus important
!
- Personne frivole, vaine comme un
paon, plaisantât-il en caressant le visage
amaigri. Chérie, même sous le bonnet
de nuit de Jonathan David, tu restes ravissante. Et
certes, cet ornement n'est pas flatteur
!
Elle sourit faiblement et
bientôt s'endormit paisiblement.
Ava attendait la décision de son roi. Des
pourparlers interminables se poursuivaient au
palais tandis qu'approchait la fin de l'armistice.
Le délai fut bientôt
dépassé...
Adoniram suivait avec amour les
progrès de la convalescence d'Anne, qui
reprenait des forces de jour en jour. Mais il
commençait, non sans angoisse, à
s'interroger sur l'utilité de son
intervention à Melun.
Obéissant aux ordres du
gouverneur, il ne quittait pas l'enceinte de la
Mission, et Maung Ing ne lui apportait du dehors
que des nouvelles confuses. Maung Shway-gnong
était retourné à Rangoon ; lui
seul eût pu fournir des informations
sûres.
Cette incertitude devait se terminer
vers la fin de janvier. Un matin, un serviteur vint
prier Adoniram de se rendre tout de suite à
la salle des audiences ; le Dr Price était
également convoqué. Le missionnaire
partit sans inquiétude. Si le roi avait
voulu l'humilier à nouveau, il eût
envoyé des soldats pour le prendre, et non
pas un garde de sa maison privée. De plus,
comme il est interdit à un prisonnier de
paraître devant le roi avant d'avoir obtenu
son pardon, peut-être celui-ci avait-il
déjà passé
l'éponge.
Bagyi-Daw était assis sur un
trône peu élevé,
entouré, de dignitaires agenouillés,
en longues robes, de généraux avec
leurs aides de camp et de trois astrologues, aux
tuniques blanches rehaussées
d'étoiles. Le Dr Price, dans un magnifique
costume de soie bleue, coupé à
l'européenne par un tailleur birman, se
tenait également sur l'estrade, ses longues
jambes repliées. Adoniram s'accroupit
à ses côtés ; les deux hommes
échangèrent un sourire. Qu'allait-il
se passer ?
Un gardien fit alors entrer un
Anglais en uniforme en le bousculant violemment.
Quand celui-ci aperçut les blancs, un
éclair d'espoir s'alluma dans ses yeux; il
se laissa tomber près d'eux.
Bagyi-Daw, désignant
l'officier de son poignard, se mit à
interroger :
- Judson ! demandez à
l'Anglais s'il était à Melun
?
Adoniram traduisit la question tout
en retenant l'officier qui faisait mine de se
lever.
Demeurez à quatre pattes, lui
souffla-t-il.
- J'ai été fait
prisonnier après le bombardement de Melun,
alors que je pansais des blessés. Je suis
médecin, mon nom est Sanford.
- Qu'est-ce que le
général Campbell a l'intention de
faire maintenant ? demanda le roi.
- Il poursuivra sa marche sur Ava,
car on a trouvé le traité,
signé par les envoyés du souverain,
par terre, dans la tente
abandonnée du prince Meng-myat-bo. Cette
découverte a vivement déçu le
général, car il croyait que
l'armistice était destiné à
obtenir la signature du roi.
- Mais alors ! s'exclama Adoniram
avant d'interpréter la réponse du
docteur Sanford.
- À quoi bon m'apporter un
traité que je ne signerai en aucun cas?
commenta simplement Bagyi-Daw. Donc Melun est
maintenant entre les mains de ces diables
d'Anglais, qui avancent vers la cité
dorée?.
- Oui, Majesté.
Le roi mordait alternativement ses
ongles et l'extrémité de son
poignard.
- Il est inconcevable que les
Anglais, maîtres actuels de toute la
vallée de l'Irrawaddy, se déclarent
prêts à l'abandonner. Pourtant Judson
l'affirme. Mais ils doivent comprendre ceci : nous
ne pouvons payer un nombre aussi
considérable de roupies ; il faut qu'ils
réduisent leurs prétentions. Nous
sommes en mesure de fournir le tiers de la somme
requise, contre l'assurance absolue que l'ennemi
quittera le pays. Aussi, c'est ma volonté
que Judson le Maître et le docteur ennemi se
portent tous deux à la rencontre du
général, pour le persuader
d'augmenter son mérite en diminuant
l'indemnité de guerre.
Adoniram relevait la tête, et
allait laisser éclater sa colère,
quand Bagyi-Daw reprit avec une ardeur
passionnée :
- Pourquoi, mais pourquoi avons-nous
commencé cette guerre ? Qui m'a donné
ce conseil insensé ?
Il faisait du regard le tour de
l'assemblée. Il y eut un bruissement de
soies. Tandis que chacun se prosternait plus bas
encore..
- Il nous serait fatal
d'entreprendre cette mission, car elle est d'avance
vouée à l'échec, murmura le
missionnaire à l'oreille de Jonathan David.
La Main qui Tue ouvrira ses portes toutes grandes
devant l'émissaire qui n'obtiendra pas les
concessions demandées. Je vais tâcher
de m'en tirer ; faites de même.
- Quelle bêtise ! C'est notre
seule façon de rentrer en grâce.
Adoniram, exaspéré, se
contint pourtant; aucun argument n'avait de prise
sur le docteur lorsqu'il s'agissait des faveurs de
la cour.
- M'avez-vous compris Judson ? hurla
Bagyi-Daw.
- J'ai entendu, Grand Roi. Mais,
dans votre bonté, vouas avez oublié
que je n'ai point obtenu de concession des Anglais
à Melun. Je ne réussirai
vraisemblablement pas mieux cette fois-ci. Envoyez
donc le médecin anglais pour traiter avec
l'ennemi.
- Comment puis-je savoir qu'il
reviendra ici ?
- S'il vous le promet, il le fera.
Sa parole de chrétien est
sacrée.
- J'irai à la place de Maung
Judson, Roi de l'Air, déclara Price avec
assurance.
- Comment saurais-je que vous serez
fidèle? Et puis, vous n'avez pas les
qualités de Maung Judson, ni la connaissance
de l'esprit birman.
Le premier ministre soulevait son
visage de terre.
- Face de singe, qu'en penses-tu ?
gronda Bagyi-Daw.
- Roi de la Vie, accordez à
Maung Price une position officielle dans votre
entourage, et rien ne pourra le détacher de
vous.
Le roi faisait des yeux le tour de
son entourage, avec un regard d'animal
traqué. Il demanda enfin :
- Maung Judson, êtes-vous
prêt à offrir votre vie en gage pour
le cas où le docteur ne reviendrait pas,
sauf, bien entendu, s'il était tué
dans le cours de sa mission ?
- Oui, Majesté.
Le docteur Sanford sourit au
missionnaire.
- Maung Price, continua Bagyi-Daw,
vous porterez le titre d'instructeur des enfants
royaux. Vous aurez droit à une ombrelle rose
et vous enseignerez à vos
élèves et aux nobles du pays
l'astronomie et la médecine. Vous allez
partir sur l'heure, avec le médecin ennemi,
pour obtenir, du général Campbell des
conditions plus favorables. Vous recevrez chacun
cent ticals. Un bateau doré se tiendra
prêt à vous emmener.
Tout en parlant le roi leva,
écarta les tentures qui le séparaient
de ses appartements et disparut.
Le docteur Sanford tendit
chaleureusement la main à
Adoniram
- Je suis votre obligé,
Monsieur Judson. Tous, nous connaissons votre
effort à Melun. Quel gâchis ils ont
fait !
Jonathan David s'approchait, rouge
de joie.
- Eh bien ! Eh bien ! voici une
tâche qui en vaut la peine, n'est-ce pas,
Docteur ? Par où allons-nous commencer
?
- Obtenez d'abord le versement des
cent ticals, suggéra Adoniram
sèchement. J'en ai fait durer vingt un mois
entier en faisant très attention. Quand j'ai
réclamé davantage, on m'a
accusé de prodigalité et l'on a
surveillé chacune de mes dépenses. Un
tical ne représente que deux
shillings.
- Je le sais bien, répondit
Sanford. Mais l'argent a ici plus de valeur qu'en
Angleterre. Je voudrais envoyer la moitié de
ce qui me sera alloué à ce pauvre
Gouger. Pouvez-vous m'aider ?
- Certainement. Je connais son
serviteur bengali qui n'a cessé de le
ravitailler depuis qu'on a confisqué tout
son argent.
Un ministre en robe blanche
interrompit cet entretien. Il remit un petit sac
d'argent à chacun des médecins et
leur ordonna de se trouver à
l'embarcadère dans le délai d'une
heure. Sanford remit la moitié de la somme
au missionnaire qui s'éloigna à la
recherche du domestique de Gouger.
Un désordre indescriptible
régnait dans Ava. Partout on élevait
de nouvelles palissades, on démolissait des
maisons, on abattait des arbres pour creuser des
tranchées. Hommes, femmes, enfants, et
même les éléphants se
démenaient fiévreusement pour
préserver la cité dorée des
attaques de l'ennemi. En arrivant à la
Mission, Adoniram trouva un soldat qui le pria de
vider les lieux le plus rapidement possible, car la
nouvelle palissade de protection devait passer au
milieu même de la maison ; on lui laissait
vingt-quatre heures pour trouver une nouvelle
résidence.
Sans Prendre le tempo d'avertir
Anne, mais reconnaissant de la savoir assez remise
pour supporter un transport, il
se précipita chez le gouverneur de la porte
du Nord pour solliciter la permission de
s'établir dans l'enceinte de la ville. Le
vieillard surveillait le chargement de nombreux
coffres de documents sur un char à boeufs ;
il sourit avec ironie, mais non sans bienveillance,
en entendant la requête.
- Maître, vous avez eu
d'innombrables malheurs et autant d'occasions
d'acquérir du mérite. Où
voulez-vous vous installer dans Ava ? Il n'y a pas
assez de maisons pour tout le monde:
- Je construirai de mes mains une
hutte en bambous.
- Mais la saison chaude approche et
votre femme, cette fleur délicate, doit
vivre à l'ombre de murs de brique.
Maître, amenez-la dans ma maison avec son
enfant. J'aspire à connaître votre
théorie des étoiles. Ainsi, vous
pourrez me l'enseigner.
La joie remplit le coeur du
missionnaire.
- Homme de grand coeur, je
demanderai chaque jour à Dieu de vous
bénir !
- La beauté de votre femme
diminue mon mérite.
- Mais non pas notre gratitude. Nous
vous apporterons des cadeaux.
Adoniram inspectait la maison avec
son jardin admirable, ses arbres fruitiers, ses
lourdes treilles, ses roses. Il se rappela les
paroles du berger Dhaniya :
- Vous souvenez-vous, Ô mon
ami, du beau dialogue : « ... je vis avec mes
compagnons sur les rives du grand fleuve Mahi. La
maison est prête, le feu brûle. Ciel,
ta pluie peut tomber! »
- Non, je ne le connais pas encore.
Les yeux du gouverneur brillaient d'ardente
curiosité. J'ai entendu dire que vous
connaissiez admirablement le Pali. Vous m'en direz
davantage, n'est-ce pas?
- Si vous le
désirez.
Il salua et reprit le chemin de la
Mission, le coeur allégé et
réconforté.
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