Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XXVI
SIR ARCHIBALD CAMPBELL

 Adoniram transporta Anne et les enfants ce même après-midi, avec l'aide de Maung Ing et de Koo-chil. Il avait à peine installé sa petite famille dans la maison du gouverneur que le premier ministre le fit appeler pour répondre à un interrogatoire interminable sur sa mission de Melun et sur l'attitude vraisemblable qu'adopteraient les Anglais. Au retour, il trouva le gouverneur qui attendait une explication complète du système de Copernic. Durant toute l'absence des deux médecins, il fut tenu en haleine par d'incessantes questions, et n'eut pas le temps de se désoler de l'échec du pourparlers de Melun.

La Mission fut complètement rasée et son jardin anéanti par la construction des tranchées. Mais il ne servait à rien de se lamenter. Le missionnaire était heureux de voir sa femme de nouveau assez forte pour accepter cette nouvelle épreuve avec philosophie.

Price et Sanford furent de retour plus tôt qu'on ne les attendait. Quand leur bateau approcha du rivage, la population se précipita aux nouvelles. Mais Jonathan David se dirigea vers le palais, gardant un mutisme absolu. Personne avant le roi ne devait entendre son rapport. Le message était bref : le général Campbell refusait de changer quoi que ce fût au traité ; tout au plus admettrait-il le payement de l'indemnité en quatre versements, dont le premier dans les douze jours. En outre, tous les prisonniers blancs devaient être relâchés ; s'ils subissaient encore la moindre torture, la Birmanie tout entière serait livrée au pillage et à la ruine. Les deux négociateurs avaient laissé le général près de Pugan.
- Mais Price est maintenant un esclave royal, comme Laird, Rodgers et Lanciego, s'écria le roi, au comble de l'indignation. Ils ne peuvent quitter le pays. Judson aussi m'appartient. Allez dire à ce diable de Campbell que je consens à libérer Gouger et Arakeel.

Un silence de mort régnait dans l'Assemblée. Bagyi-Daw attendait que quelqu'un commentât ses propos mais, comme tous se taisaient, il reprit :
- Docteur Price, allez transmettre mes paroles aux Anglais.

Adoniram prit alors la parole :
- Grand Roi, pour rien au monde, vos ennemis ne changeront leurs conditions. Ne voyez-vous pas que vos bravades vont les contraindre à s'emparer d'Ava?
- Voulez-vous revoir la Main qui Tue, vous ?

Le missionnaire sentit un frisson d'angoisse le parcourir des pieds à la tête, mais il se contraignit à répondre avec calme :
- Les balles anglaises ne reconnaissent aucune royauté et n'épargneront pas votre personne, lorsqu'elles frapperont la cité.

Dans sa colère, Bagyi-Daw grinçait des dents. On eût pu croire que la dernière heure du missionnaire était venue. Mais le roi détourna son regard et s'adressant à Price :
- Retournez auprès du général et exigez que le total de, l'amende soit abaissé à 600.000 roupies. Emmenez avec vous Gouger, l'Arménien et le docteur ennemi. Ces prisonniers devraient lui suffire.

Adoniram s'apprêtait à élever une ultime protestation, mais une voix le devança : c'était l'un des généraux birmans. Il s'assurait capable de fortifier Pugan assez solidement pour que l'armée britannique qui comptait 1.800 hommes vînt se briser et même s'anéantir contre ces défenses.

Bagyi-Daw esquissa un sourire, le premier de plusieurs jours.
- Va, buveur de sang. Je t'accorde un titre ; on t'appellera le Seigneur du soleil couchant. Va, conquiers et assure-nous la paix !

Sur ces paroles définitives, l'assemblée se dispersa.

Une semaine plus tard, le Seigneur du soleil couchant se précipitait dans Ava, comme une bête aux abois ; les Anglais avaient pris Pugan. Il réclamait des troupes fraîches. Bagyi-Daw n'écouta pas sa requête jusqu'au bout. Il ordonna qu'on crucifiât le malheureux. Il fut d'ailleurs blessé à mort par ses bourreaux excités, avant même d'être parvenu au lieu des exécutions.
Le Dr Price fut envoyé en hâte pour supplier le général Campbell de diminuer l'indemnité de guerre. Il revint deux jours plus tard ; l'Anglais, furieux, avait refusé de le recevoir et se trouvait maintenant à trois journées de marche de la capitale.

La reine prit alors toute la situation en main. Elle ordonna que le quart de la somme exigée comme premier versement fût immédiatement recueilli : tous les ustensiles en argent devaient être fondus d'urgence et amenés au palais pour être pesés. Des gardes parcouraient la ville et arrêtaient ceux qui possédaient des trésors cachés. On les emmenait au tribunal où leurs biens étaient déclarés fortune royale.

Au milieu de ce désordre, une délégation du roi de Cochinchine fit annoncer son arrivée. Aussitôt la chasse aux roupies s'arrêta et l'on entreprit les préparatifs de la réception. Enfin de l'aide contre les Anglais ! Leurs Majestés triomphaient.
Malheureusement, le roi de Cochinchine ignorait tout de la guerre de Birmanie. En vertu d'un antique accord entre son pays et le Trône doré, il venait demander une princesse et un éléphant blanc.

Bagyi-Daw demeura un instant muet de consternation. Puis, avec une étonnante rapidité, il jeta son poignard dans la direction du Chinois à la robe de soie bleue ; mais par bonheur, sa colère lui fit manquer son but ; l'arme vint se planter dans l'épaule d'un ministre birman.
- Un éléphant blanc! hurlait le souverain. Jamais de la vie ! Et nous n'avons point de princesse. Retournez dire à votre roi que je lutte contre la terre entière, cependant qu'il évoque des rêves périmés.

Une heure plus tard, Adoniram revenait tranquillement d'une visite au camp des Chinois, lorsqu'un officier le saisit, par le bras : le roi le chargeait d'apporter l'argent récolté au général Campbell. Il devait s'embarquer sans tarder. Malgré ses protestations, on ne lui permit d'envoyer à Anne qu'un bref message.

Le lendemain matin, il joignait l'armée anglaise à trente milles au sud d'Ava. Il était certain que le général refuserait de le voir, mais désirait cependant tenter la démarche. Les canots des patrouilleurs l'autorisèrent à débarquer et, sous la protection du drapeau blanc, étroite silhouette abritée par un parasol chinois, il s'avança vers la première sentinelle.
- Je suis un missionnaire américain. J'apporte au général, Sir Archibald Campbell, un message du roi de Birmanie; Veuillez l'avertir que M. Judson désire vivement s'entretenir personnellement avec lui.

Le soldat appela un tambour et lui remit le message.
Cinq minutes plus tard, une ordonnance venait prier le missionnaire de le suivre. On le conduisit jusqu'à une tente dressée à l'ombre d'un groupe de palmiers. Le général, qui écrivait sur une table portative, se leva pour accueillir Adoniram. C'était un grand Écossais aux yeux bleus foncés, aux abondants cheveux châtains. Son agréable visage exprimait le calme et la fermeté.
- Quel plaisir de vous rencontrer enfin, Monsieur Judson ! Pourquoi a-t-on jusqu'ici toujours envoyé le Dr Price à votre place?
- Je savais que ces missions demeureraient vaines. Si je suis ici aujourd'hui, c'est qu'on m'y a contraint.

Il décrivit la fièvre d'Ava. Le général écoutait avec la plus grande attention. Quand Adoniram eut achevé son récit, on apporta du thé. Les deux hommes s'installèrent.
- Que conseillez-vous de faire en l'occurrence. Monsieur Judson ?
- Je ne puis donner aucun conseil. Vous avez constaté vous-même mon échec, après des semaines d'efforts à Melun.
- J'ai vu aussi le traité abandonné. Depuis longtemps, je suis persuadé que notre seul espoir de ramener les Birmans à la raison, c'est votre sagesse, appuyée par nos canons.
- Je me trouve dans une situation étrange. Je veux être un homme de paix, et je suis à demi-mort de deux années d'une effroyable captivité.

Adoniram faisait des yeux le tour du camp. Un ordre parfait y régnait. Il évoquait la confusion de Melun, la fièvre d'Ava et la panique du palais royal.
Il comprit brusquement que ce peuple était voué à la domination étrangère. Quel tragique destin ! Pourtant, à cause même des libertés qu'elle donnerait à l'expansion du christianisme, il lui fallait soutenir la cause anglaise.

- Général, j'ai apporté le quart du premier versement exigé. Néanmoins, Ava ne comprend pas encore ce que doivent être de véritables négociations avec une nation civilisée. Cet envoi d'argent est un essai désespéré, auquel ils ne croient pas. Ils sont persuadés que vous le prendrez et ne renoncerez pas à poursuivre, en même temps, votre marche sur Ava.
- Ils apprendront à le comprendre, monsieur Judson, parce qu'ils ont le privilège extraordinaire de vous avoir comme interprète. J'aimerais seulement que notre histoire pût pleinement justifier ce que vous leur avez dit de notre sens de l'honneur. Je sais par le menu tout ce que vous avez tenté durant les négociations de Melun et j'espère bien qu'un jour nous saurons vous témoigner notre gratitude comme vous le méritez.

Adoniram s'inclina pour remercier le général. Il était profondément touché. Puis, avec un léger sourire :
- Je crains de ne pas être digne de votre reconnaissance, Sir Archibald. Mon but exclusif a toujours été l'avancement du règne de Christ en Birmanie. J'ai saisi une occasion inespérée d'exposer l'idéal chrétien à des bouddhistes convaincus.
- Je le sais bien, mon cher Judson. Mais vous avez pris les Anglais comme exemples. Et certes ces exemples pourraient être plus convaincants !
- Aucun exemple humain ne peut l'être complètement.

Les deux hommes échangèrent un sourire. Ils se comprenaient.

- Vous êtes donc bien d'accord avec moi, Judson : si je faisais maintenant des concessions, elles seraient interprétées comme une preuve de lâcheté ?
- Oui, Général, vous devez tenir ferme comme le roc.
- Quel message dois-je ramener à Ava ?
- Veuillez dire à Sa Majesté que je refuse ce versement partiel, et que je continue ma marche sur sa capitale. Si la totalité de la somme convenue m'est remise à temps, je ne bombarderai pas Ava. De plus, je vous charge de réunir tous les étrangers de la cité devant le roi et de leur demander lesquels d'entre eux veulent quitter la Birmanie. Ceux qui en formuleront le désir devront être immédiatement libérés, sinon je refuse de conclure la paix. Apportez à Mme Judson mes compliments et l'hommage de mon admiration ; dites-lui aussi que mon camp mettra toutes ses ressources à sa disposition, si elle consent à nous honorer de sa présence.
- Merci, Sir Archibald. Et maintenant, pouvez-vous me donner des nouvelles de mes collègues de Rangoon, M. et Mme Wade, et M. et Mme Hough?
- Oui certainement, quoiqu'elles ne soient pas très fraîches. Ils ont été assez malmenés, juste avant notre débarquement à Rangoon, Sans, du reste, que ce fût très grave. Nous les avons envoyés en sécurité, à Calcutta.
- Comme je suis heureux de vous entendre ! Je ne savais rien d'eux depuis plus de deux ans. Avec votre permission, Général, il me faut vous quitter maintenant.

Ils se séparèrent avec une cordiale poignée de mains et des voeux réciproques. Adoniram retourna à son bateau. Ces nouvelles responsabilités lui pesaient, mais il se sentait raffermi par la force tranquille qui émanait de Campbell.

Pour les trois ministres qui l'attendaient, la nouvelle était stupéfiante : un homme avait refusé une somme de 600.000 roupies déposée entre ses mains ! Quand ils reprirent leur souffle, ils prièrent le missionnaire de leur expliquer ce phénomène.
- Ils entendent se conformer strictement au traité.

Cependant, durant tout le trajet, les trois Birmans reparlèrent de l'incompréhensible décision du général anglais.
Ils arrivèrent à Ava vers minuit et se rendirent aussitôt à la salle des audiences, Adoniram y passa le reste de la nuit, à démontrer au souverain qu'il devait se tenir aux clauses du traité, avec autant de rigueur que ses ennemis… À l'aube, Bagyi-Daw, qui arpentait sans trêve la salle, tout tremblant de fatigue et d'inquiétude, se planta devant le missionnaire :
- Maître - sa voix exprimait un curieux mélange d'enfantillage et d'autorité - homme de Jésus-Christ toujours véridique, êtes-vous absolument sûr que les Anglais se retireront à Rangoon, si nous accomplissons leurs conditions draconiennes ? Acceptez-vous d'être crucifié s' ils ne tiennent pas leur parole ?
- Certainement, Roi qui doutez toujours.

Bagyi-Daw fixait Adoniram dans les yeux. Il se retourna ensuite vers ses ministres et prononça le compliment le plus éclatant qu'eût jamais entendu le missionnaire :
- Je crois aux paroles du Maître. Que le traité soit exécuté, jusqu'au dernier tical !

Les ministres, l'air navré, se dispersèrent sans un mot.
- Maung Judson, quand vous aurez porté l'argent aux Anglais, vous reviendrez ici, et je vous ferai aussi riche et puissant que le docteur Price.
- Je dois retourner à Rangoon, Grand Roi.
- Combien de temps y demeurerez-vous ?
- Le reste de ma vie.
- C'est bien.

Aucune hésitation ne subsistait chez les Birmans. L'argent du premier versement fut rassemblé le jour même.

Anne, aidée par ses fidèles serviteurs; faisait ses bagages, tandis qu'Adoniram présentait les prisonniers blancs à la Présence Dorée. Parmi les captifs d'Aungbinle, seuls le prêtre portugais, récemment incarcéré, et le docteur Price demandèrent à rester dans le pays. Le vieux Rodgers, à moitié paralysé, se mit à pleurer en répétant que le retour aux prairies d'Angleterre serait pour lui un paradis. Son fils, un garçon de quinze ans, de pure apparence birmane, parvint à le convaincre de demeurer dans le pays.
Adoniram tentait de démontrer à Price l'inanité de sa manie des grandeurs. Il lui citait Lanciego et Rodgers comme exemples de l'instabilité du roi. Mais le docteur demeurait inébranlable.

- Vous ne m'avez jamais compris, Judson, déclara-t-il avec dignité. Je sais que je vous ai toujours agacé ; ma mère disait déjà que j'étais aussi difficile à supporter qu'un veau de l'année. Un homme ne peut jamais changer sa nature. Je suis condamné. Je mourrai dans quelques années de la tuberculose lente qui me ronge. Si je quitte Ava, ce sera plus vite fini encore. J'accomplirai l'oeuvre de Dieu ici, car je suis chargé d'enseigner le système de Copernic aux enfants royaux. On ne peut plus être bouddhiste quand on connaît la théorie de univers. Et puis, je ferai un culte tous les dimanches, pour ceux qui voudront y assister. Mais par contre, abandonnerai la pratique de la médecine, sauf au sein de la famille royale.
- Que Dieu vous garde et vous bénisse, Price! Je vous reverrai en de meilleurs temps.
- Vous êtes d'un métal bien plus résistant que moi, Frère Judson.

Le même soir, par un clair de lune admirable, une flottille de petits bateaux se laissait entraîner par le courant jusqu'à Yandabu, où Sir Archibald Campbell avait établi son camp. L'un des bateaux portait l'argent de l'amende, sous la surveillance des Judson accompagnés des enfants, des serviteurs et des bagages. Les prisonniers libérés et les négociateurs qui devaient signer le traité occupaient les autres embarcations.
Le vent soufflait sur la rivière et les eaux rapides prenaient mille reflets éclatants.

Une paix profonde, comme seul Dieu la donne, descendit sur Adoniram et sa jeune femme, tandis que le courant les emmenait.

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