Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XXVII
JOHN CRAWFURD

 Les Judson demeurèrent quinze jours au campement anglais. Adoniram veillait aux négociations du traité de Yandabu. Ils ne devaient jamais oublier l'accueil et l'hospitalité, tant du général que de ses officiers.

Gouger et Laird ne cessaient de chanter les louanges des deux Américains. Henry écrivit même pour un journal de Calcutta un long article, dans lequel il décrivait en termes émus l'admirable dévouement d'Anne et la grandeur digne de son mari. Il ajoutait ingénument que le sens de l'honneur du missionnaire était typiquement représentatif du caractère britannique.

Anne, encore affaiblie, passait ses journées étendue à l'ombre de sa tente, sans cesse entourée par les officiers, privés depuis deux ans de la société d'une femme blanche. Elle évoquait pour eux le pays natal. Sa grâce très féminine leur était un grand bienfait.

Le 24 février 1826, le traité était signé! Le 6 mars, Sir Archibald Campbell, à bord du bateau de guerre l'Irrawaddy, se mettait en route pour Rangoon, accompagné par les Judson et Gouger. Les Anglais devaient demeurer jusqu'au versement de la moitié de l'amende de 10 millions de dollars. Gouger fut nommé chef de la police du district par le général.
Ils débarquèrent à Rangoon le 26 mars. Les combats les plus rudes de toute la campagne de Birmanie s'étaient livrés aux abords du Shwé Dagôn et, bien que sa flèche n'eût pas été endommagée, le cadre d'arbres et de verdure qui, l'entourait avait été saccage.

Les Judson comptaient retrouver Maung Shway-gnong à la Mission. Hélas! la maison était déserte, ainsi que les huttes du jardin; seule l'habitation de Maung Shway-Ba gardait les traces d'une occupation récente. Le professeur réapparaîtrait sans doute, après l'une de ses mystérieuses éclipses. L'infortuné Maung Nau avait été tué dans la bataille. Bien qu'elle fût absolument vide, les Judson s'installèrent tout de suite à la Mission. Ils vivraient à la mode birmane, jusqu'à ce qu'Adoniram eût réussi à se procurer des meubles européens.
- Je vais voir si je puis acheter aux officiers anglais quelques couvertures et des oreillers.
- Je puis vous offrir un coussin, Maître, proposa Maung Ing avec un sourire. Il est même très précieux.

En même temps, il déposait dans les bras du missionnaire le rouleau recouvert de nattes que le bourreau avait réclamé pour lui, lors de la terrible nuit, à la Main-qui-Tue.
- Grâce à Dieu, il l'a trouvé trop dur ! Je l'ai découvert sur le fumier de la prison, le jour où nous avons quitté Ava. J'ai attendu le moment propice pour vous le remettre, Maître bien-aimé.

Ayant recouvré ce trésor, entouré de sa femme et de sa fille, Adoniram se sentait comblé. Maung Ing contemplait avec un sourire épanoui cette vision heureuse.
Malgré l'enveloppe à demi pourrie, le manuscrit avait résisté et ne portait que quelques taches de moisissure. Profondément reconnaissant, le missionnaire tomba à genoux pour une ardente prière d'actions de grâce.
La restitution du coussin était l'exploit le plus saillant de Maung Ing. Mais il en avait un autre à son actif : M. Beg Pardon se balançait de nouveau à une poutre de la véranda !

Dans l'après-midi, le missionnaire se rendit au port pour acheter de la literie; il revint au coucher du soleil, suivi d'une file de porteurs; la démarche avait été fructueuse. Anne vint à sa rencontre.
- Laisse Maung Ing s'occuper de tout et suis-moi, dit-elle avec douceur.

Il la regardait avec inquiétude.
- Rien de grave, je l'espère, chérie ?

Sans répondre, elle l'emmena sous le grand arbre. À côté des tombes de Roger et de Mme Price, il y en avait une nouvelle, avec une inscription en caractères birmans. Adoniram la lut à haute voix - « Maung Shway-gnong, le disciple bien-aimé du grand Maître. Dieu lui donne un repos éternel ! »
- Oh ! Anne, pas cela, gémit-il.
- Je sais bien que tu l'aimais.
- Il était mon ami, ô Shway-gnong, ami de mon coeur !

Il se tordait les mains.
- Il est heureux maintenant, murmura-t-elle.
- Personne ne peut savoir ce qu'il représentait pour moi, même pas toi. Pendant les mois interminables de ton absence, lui seul a connu ma force et ma faiblesse. 0 Shway-gnong !

Il ne put s'arracher à cette tombe qu'au crépuscule. Anne le ramena par la main, tandis qu'au-dessus d'eux sanglotait un rossignol.
Durant les journées suivantes, elle le surveilla de très près. Elle savait que ses nerfs étaient à bout et que ce nouveau choc l'avait encore ébranlé. Après les tortures de la prison, le poids des responsabilités que Bagyi-Daw lui avait imposées avait excédé ses forces. Elle redoutait la réaction physique et morale inévitable.

Quand la maison fut de nouveau installée, il essaya de se remettre à sa traduction ; mais il ne parvenait pas à se concentrer ; quand il prenait la plume, quelque horrible vision s'interposait entre, lui et son papier ; il n'arrivait pas à la chasser.
Maung Ing nettoya le zayat et y disposa des nattes fraîches pour le missionnaire ; une heure plus tard, un tigre y avait élu domicile ! Depuis la guerre, la jungle faisait des incursions fréquentes dans la ville. On avait abattu un tigre dans le bazar le lendemain du retour des Judson, et des serpents mortellement venimeux envahissaient tous les réservoirs.
Maung Ing supplia qu'on lui permît de reprendre les lectures et les prières publiques. Mais, au bout d'une semaine, deux seulement des dix-huit convertis de Rangoon avaient osé s'aventurer dans le jardin de la Mission. Maung Shway-Ba revint au début d'avril ; Adoniram l'interrogea sur la mort de Maung Shway-gnong.

En pleurant, l'indigène lui fit ce court récit :
- Il ne vivait que pour Christ, Maître. Quand il apprit la mort de sa femme, victime des balles anglaises, et après que ses enfants eurent disparu pendant sa réclusion à Prome, il déclara avoir ainsi plus de temps à consacrer à Dieu, et à vous aussi. Il ne parlait que de l'église qu'il voulait préparer à votre retour. Il y a quinze jours, le choléra s'abattit brusquement sur lui ; il me fit promettre de continuer son oeuvre, et me chargea de vous transmettre ces paroles : « J'ai vaincu la passion, j'ai perdu le désir, j'ai atteint la paix suprême. Ciel, ta pluie peut tomber! » Je l'ai moi-même enterré comme un chrétien.

Adoniram retourna près de la tombe. Il s'y recueillit longuement. Il s'efforçait de comprendre la raison mystérieuse de cette disparition ; Maung Shway-gnong eût été un appui si sûr pour la conversion du pays au christianisme !
Anne surveillait son époux de la fenêtre. Elle espérait qu'un événement extérieur viendrait rompre cette méditation désolée. Comme pour répondre à son attente, un blanc franchit la porte de la Mission. Anne l'accueillit et fit chercher Adoniram par le cuisinier. Le nouveau venu, John Crawfurd, avait été nommé gouverneur civil de la province du Tenasserim, acquise à l'Angleterre

Par le traité de Yandabu. C'était une bande de territoire longue de 500 milles et large de 40 à 80. Crawfurd venait prier le missionnaire de l'accompagner dans son enquête pour découvrir un endroit convenable à l'établissement d'une capitale.
Le nouveau gouverneur civil était un grand Anglais blond, très soigné dans sa mise, rasé de près et portant monocle.

Adoniram, dont l'esprit ne pouvait quitter la pensée de l'ami disparu, répondit évasivement à la requête de l'Anglais :
- Excusez-moi, monsieur Crawfurd, mais je ne vaudrais rien comme explorateur. Tout mon désir est actuellement de me consacrer à ma tâche missionnaire à Rangoon.
- Mais, cher monsieur Judson, cette ville sera un champ de carnage dès que les Anglais la quitteront. Bagyi-Daw a averti la population qu'il se vengerait sur elle de nous avoir laissés passer. Vous devriez venir au Tenasserim. Il y a déjà là-bas de nombreux Birmans, des milliers d'autres ne tarderont pas à venir s'y réfugier.
- Mon chéri, pourquoi ne pas accompagner monsieur Crawfurd ? Peut-être est-il préférable, en effet, de quitter Rangoon.

Adoniram la regardait avec une consternation stupéfaite.

- Merci, madame Judson ! s'écria Crawfurd. Vous comprenez bien qu'après ses interventions de Melun et de Yandabu, nous ne puissions plus nous passer de votre mari. Nous comptons sur sa profonde connaissance de la Birmanie pour nous aider à gouverner ces provinces avec discernement. Bien entendu, nous vous offrirons toutes compensations matérielles que vous pourriez désirer.
- Je n'ai pas besoin d'argent, répliqua Adoniram.

Anne lui jeta un regard de reproche.
Les yeux du missionnaire se fixaient tantôt sur l'Anglais aux vêtements blancs impeccables, tantôt sur sa femme, vêtue d'une gracieuse robe de mousseline - elle avait abandonné les vêtements indigènes, depuis leur retour à Rangoon. - Il savait bien qu'Anne se tour, mentait à son sujet; mais il comprenait maintenant seulement à quel point : elle n'hésitait pas à le renvoyer loin d'elle, après une séparation de presque quatre années !
Du reste, il était obligé de reconnaître que, pour la première fois, une dépression presque totale s'était emparée de lui. La prière était impuissante à la combattre. Deux années complètes s'étaient écoulées depuis que l'effort missionnaire avait été effectivement interrompu en Birmanie. L'amertume et la tristesse ne quittaient point son coeur.

Anne se pencha tendrement vers lui:
- Nous ne cherchons pas à te forcer.
- Je le sais bien. - Puis, se tournant vers Crawfurd : je n'aime pas l'avouer, mais ma femme a presque toujours raison.
- Un homme n'est jamais, aussi sage qu'une femme. Mme Judson sait bien que vous êtes à bout de forces et qu'un voyage pourrait vous renouveler mieux que n'importe quoi. Tous les Américains sont nés pour l'aventure. Venez avec moi, monsieur Judson, ne fut-ce que pour une semaine. Je suis certain que nous nous entendrons parfaitement bien.
- Je crains bien de vous décevoir. Je ne suis plus qu'un misérable missionnaire acariâtre, dont l'oeuvre est un vaste échec et dont la compagnie n'est guère agréable, pas même pour lui.

L'Anglais sourit.
- Sir Archibald Campbell m'a dit qu'il n'avait jamais rencontré personne avec qui l'on pût s'entretenir d'autant de sujets avec plaisir. Gouger m'a raconté à quel point votre présence a adouci le régime effroyable de la prison. Il me répétait...
- De grâce! - Adoniram protestait de la main. Puis, comme Crawfurd allait continuer - : J'irai avec vous, si seulement vous voulez bien vous arrêter.

Tous trois éclatèrent de rire ; le missionnaire avec toute la violence d'une réaction nerveuse. Deux jours plus tard, il partait pour cette nouvelle aventure, tandis qu'une garde du corps, en tuniques rouges, s'installait à la Mission pour protéger Anne.

Cette expédition devait se révéler fructueuse à plus d'un égard. Mais surtout, elle valut à Adoniram une amitié profonde. Jusqu'ici, ses collègues missionnaires avaient attiré sa sympathie, mais aucun d'eux n'avait réussi à remplir dans son coeur une place comparable à celle de Maung Shway-gnong. Avec Crawfurd, le contact était facile. Le court voyage, qui aboutit à la fondation de la ville d'Amherst, fut ainsi à l'origine d'une amitié réelle entre deux hommes qu'une affinité d'âme rapprochait.

Le 10 avril, Adoniram était de retour à Rangoon, avec des forces renouvelées. Il avait décidé de transporter la Mission dans le climat salubre et la situation favorable d'Amherst. Anne accueillit ce projet avec enthousiasme. La petite Maria dépérissait dans l'atmosphère fétide des marais de Rangoon, et elle-même avait eu de nouveaux accès de fièvre. La description de la ville en construction, campée sur un promontoire rocheux dominant l'embouchure de la rivière Salween et le golfe de Martaban, l'enchantait. Elle fit de rapides préparatifs en vue de ce nouveau déplacement.

Maung Shway-Ba et Maung Ing démontèrent le zayat et le transportèrent par mer jusqu'à son nouvel emplacement, car Adoniram y était profondément attaché, et n'acceptait pas l'idée de le laisser pourrir dans la jungle envahissante. Koo-chil et les quatre disciples montraient beaucoup d'entrain pour ce déménagement ; ils n'auraient pas admis de quitter les missionnaires.

Anne ne put retenir des larmes de joie quand, du pont du Phoenix, elle aperçut le drapeau britannique flottant au-dessus du groupe de constructions qui marquaient déjà l'emplacement de la nouvelle ville.

Crawfurd leur offrit de choisir le terrain qui conviendrait le mieux à l'installation de la nouvelle Mission. Anne se décida pour un site qui dominait immédiatement la mer, avec d'admirables ombrages. En attendant, l'Anglais mettait sa maison à la disposition des missionnaires; ils s'y installèrent avec reconnaissance.

Pendant qu'Adoniram était au zayat, Crawfurd s'approcha d'Anne.
- Je voudrais vous demander une permission, madame Judson. Puis-je insister pour que votre mari m'accompagne à Ava ? Je dois m'y rendre pour signer le traité de commerce promis à Yandabu. Et je ne vois pas comment je m'en tirerais, sans l'aide de M. Judson.

Elle avait l'air songeur. Elle savait bien qu'Adoniram n'était pas remis encore...
- Je vous répondrai très franchement, monsieur Crawfurd. Mon mari a actuellement besoin d'une amitié solide que je ne puis lui donner, étant moi-même encore trop éprouvée moralement et physiquement. Personne ne peut soupçonner combien il a souffert en prison. Sa délicatesse naturelle lui rend déjà pénibles certains côtés du travail missionnaire. Son ardeur et sa sensibilité sont extrêmes et, deux ans durant, il a dû supporter la vision constante d'hommes mourant d'inanition, éventrés, mutilés. Ces chocs répétés l'ont profondément ébranlé. Je sais bien qu'il reprendra ses forces et sa maîtrise intérieure. Mais il a besoin d'une aide que je ne puis lui donner. Crawfurd, pouvez-vous le faire à ma place ?

Profondément ému, l'Anglais toussotait pour s'éclaircir la voix.
- En dix jours, j'ai appris à l'aimer profondément. Vous m'appuierez donc dans ma démarche. Ce voyage durera probablement deux mois.

Adoniram protesta violemment contre ce projet. Il ne voulait pas plus abandonner sa femme que la nouvelle Mission. Il craignait aussi le retour à Ava. Il doutait beaucoup que Bagyi-Daw consentît à signer un traité de commerce de quelque valeur, maintenant que Sir Archibald ne menaçait plus de pénétrer dans sa capitale. Mais Crawfurd finit par l'emporter ; il exigerait dans le traité une clause garantissant la liberté religieuse aux Birmans.
L'Anglais s'était assuré le concours de personnalités de valeur : un géographe, un botaniste et un géologue, tous résidant au Bengale. Au début de juillet, malgré les pluies, l'expédition se mit en route.

Adoniram quitta sa femme et sa fille devant la véranda de la maison de Crawfurd. Anne, dans une robe légère, ses belles boucles éparses, semblait une enfant ; la petite grandissait et devenait jolie ; son père s'était beaucoup attaché à elle. Au dernier moment, il la posa par terre et serra sa femme sur son coeur.

Plus tard, à la proue du Phoenix, il les aperçut sur le promontoire, toutes petites, se détachant sur le grand ciel de Birmanie.
Ce voyage d'études le long de l'Irrawaddy répondait pleinement aux aspirations du missionnaire. En quelques jours, oubliant la mélancolie de la séparation, il se vouait tout entier à cette nouvelle tâche.
Ils n'atteignirent Ava qu'au commencement d'octobre et durent attendre trois semaines une audience de Bagyi-Daw qui, d'humeur mauvaise, s'ingéniait à infliger aux Anglais toutes les vexations possibles. Les négociateurs étaient logés dans la maison de Sagaing que le docteur Price avait abandonnée pour s'installer au palais. Malgré sa santé chancelante, ce dernier paraissait fort heureux.

Il chercha sans succès, à concilier à Crawfurd les bonnes grâces du roi. Celui-ci se méfiait des Anglais et ne pouvait concevoir que la conclusion d'un accord avec eux pût lui être favorable. Aussi, malgré des semaines d'efforts, le traité ne compta-t-il en définitive que quatre clauses, d'intérêt tout à fait secondaire. Le roi refusa l'offre qu'on lui fit de reprendre le Tenasserim et décréta qu'en aucun cas, il ne tolérerait la présence de missionnaires en Birmanie.

Au milieu de novembre, les Anglais renonçant à obtenir de meilleures conditions, s'apprêtèrent à reprendre le chemin d'Amherst.


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