DANIEL BONNET
ou
Les
aventures d'un colporteur
CHAPITRE V
Daniel au marché
Réaubec possédait une vaste
halle, et le banc de Daniel Bonnet était
bien placé. Les fermiers et leurs familles,
de fait presque tous ceux qui passaient par
là, jetaient généralement un
coup d'oeil sur les brochures et les textes
étalés avec ordre et goût.
Beaucoup d'entre eux connaissaient le
colporteur par ses visites dans les villages, et il
apprenait parfois que telle ou telle âme
avait été bénie par son
ministère.
Notre ami est donc à son poste ce
jour-là ; debout près de son banc, il
parcourt du regard les longues rangées
d'étalages remplissant la halle.
Les acheteurs ne sont pas encore
arrivés, mais le marché
présente déjà une scène
animée, car de nombreuses conversations
s'échangent un peu partout au son
agréable des tasses et des soucoupes
annonçant le thé, toujours le
bienvenu parmi ces gens matinaux. Ils en ont grand
besoin. Quelques-uns ont fait une longue route
après avoir travaillé dur pour
préparer leurs marchandises, et ils ont une
forte journée en perspective.
Voici une fermière aux joues
roses apportant une grande tasse de thé et
un énorme morceau de gâteau :
- Tenez, M. Bonnet, dit-elle, je
n'accepte pas de refus. Vous avez fait une bonne
roulée et la chaleur est intense.
- Merci, Madame, je veux bien, car j'ai
grand soif. Mes chers amis de Belormeau voulaient
m'emballer du thé ce matin, mais je leur ai
dit que j'en trouverais sur place. Au fait, je
savais que vous penseriez à moi.
- Oh ! vous avez bien fait, M. Bonnet.
J'aurais été
désappointée si vous aviez
apporté votre thé. Déjeunez
donc tandis que j'examine vos livres.
Au bout de quelques minutes, il regarda
le choix qu'avait fait la fermière.
- « Précieuses
Vérités », dit-il, mais vous
l'avez acheté la semaine dernière
?
- Oui, mais j'ai envoyé cet
exemplaire-là à l'hôpital,
à une vieille femme que je connais. Elle
devait subir une sérieuse opération
et n'était pas convertie. Je lui ai donc
adressé ce livre « de la part d'une
amie inconnue ». Elle ne sait pas lire, mais
des visiteurs le lui ont lu et elle a compris
qu'elle pouvait être sauvée
simplement par la foi en
Jésus-Christ. Maintenant elle a la paix,
Dieu soit loué ! Je garderai ce nouvel
exemplaire pour quelque autre occasion.
- Le Seigneur se souviendra de votre
labeur d'amour, Madame, dit Daniel en lui tendant
ses livres soigneusement enveloppés.
Une larme brilla à sa
paupière:
- J'aime travailler pour Lui, dit-elle.
Pensez à ce que nous Lui devons ! Mais il
faut que j'aille. Le fermier Gay vous apportera une
tasse de thé pour dîner; cela ira bien
avec vos sandwichs. Il m'a prié de vous le
dire.
Peu après, le marché
battait son plein.
Ce jour fut semblable à bien
d'autres que Daniel avait passé dans la
halle. Il eut beaucoup de clients, mais bon nombre
de gens ne vinrent que par pure curiosité et
pour passer le temps. Il eut pour tous une parole
aimable et saisit plus d'une occasion de
prêcher l'Évangile à des
auditeurs parfois attentifs, parfois
indifférents.
Voici venir, entre autres, un bel homme
à l'air plein de santé :
- Bonjour, M. Bonnet. J'aimerais une
Bible pour ma femme. La sienne est usée.
Elle est chrétienne, et j'aimerais
l'encourager.
- Êtes-vous aussi chrétien,
Monsieur ? demanda Daniel en plaçant un
choix de Bibles devant son client.
- Non, je ne crois pas.
- Et pourquoi pas ? Sûrement, ce
serait pour votre femme le meilleur des
encouragements. Elle doit souffrir de vous savoir
inconverti. « Cherchez l'Éternel
pendant qu'il se trouve ». Ne serait-ce pas
terrible d'être séparé d'elle
pour l'éternité ?
L'homme regarda Daniel ; cette simple
parole l'avait touché au coeur.
- J'achèterai aussi une Bible
pour moi, dit-il, et il partit l'air
sérieux.
Peu après parut une dame qui
demanda à examiner les livres. Daniel servit
un ou deux clients, tandis qu'elle était
là, et il fut surpris de la voir parcourir
minutieusement un volume intitulé: « La
Bible est-elle la Parole de Dieu ou celle de
l'homme ? »
Lorsqu'elle se décida à
l'acheter, Daniel lui demanda si elle doutait que
la Bible fût inspirée.
- Non, dit-elle tristement, c'est pour
mon mari que je prends ce livre. Il dénigre
la Bible et j'espère que ceci lui fera du
bien.
- Je l'espère aussi,
répondit Daniel avec sympathie. Et
j'aimerais bien connaître. un jour le
résultat de cette lecture, si vous le voulez
bien ?
- Je vous promets de vous en informer,
dit la pauvre femme. Cela me fait mal de l'entendre
critiquer la Bible. Tout serait si différent
s'il voulait croire...
Ce même jour, Daniel apprit une
bonne nouvelle. Un homme qui avait acheté du
beurre et des oeufs, vint le trouver :
- Vous étiez ici
l'été dernier. Vous souvenez-vous de
moi ?
- Mais oui, vous veniez souvent faire
une causette les jours de marché; une fois,
vous avez acheté: « Grâce et
Vérité ». Ce livre vous a-t-il
aidé ?
- Beaucoup. Il m'a
révélé l'état de mon
âme. Jusqu'ici, j'avais essayé
d'établir ma propre justice, mais j'ai
dû reconnaître que mon coeur
était «tortueux par-dessus tout et
méchant». Maintenant, Jésus seul
est ma justice ; je n'en ai point d'autre. Je suis
heureux d'avoir acheté ce livre.
Ce simple témoignage causa une
grande joie à notre ami.
Vers le soir, plusieurs jeunes gens
folâtrant sur la place s'approchèrent
du banc de Daniel.
- Voici des Bibles, dit l'un d'eux. Vous
en avez grand besoin, chacun de vous.
- Et vous, jeune homme ? demanda Daniel
en souriant, n'en avez-vous pas besoin ?
L'adolescent, car il n'avait
guère que dix-huit ans, ne répondit
rien, mais l'un de ses camarades déclara
:
- René est le pire de notre
bande. Si vous êtes d'accord, nous allons
nous cotiser pour lui acheter une Bible. Passons un
chapeau !
- Je conseille cet achat pour chacun de
vous, mais vous auriez peut-être de la peine
à faire cette dépense. Quand j'avais
votre âge, je me rappelle avoir mis longtemps
à économiser deux francs cinquante
pour m'acheter un livre.
- Était-ce une Bible ? demanda
l'un d'eux.
- Non ; ma mère m'en avait
donné une lorsque je quittai la maison pour
aller travailler dans la mécanique. Le livre
en question aidait à étudier la
Bible.
- Tiens, quelle idée d'employer
vos épargnes a un bouquin de ce genre ! Un
livre traitant de la mécanique vous aurait
été plus utile !
- Non, je venais de me convertir, et je
voulais apprendre à bien connaître la
Bible pour pouvoir en parler.
- Vous étiez un peu jeune pour
prêcher, dit une voix moqueuse.
- C'est vrai, mais j'étais si
reconnaissant d'être sauvé, que je
désirais vivement montrer aux autres le
chemin du salut. C'est un de mes camarades, encore
tout jeune, qui m'amena au Sauveur. Je me promenais
un jour avec un ami, lorsque Maurice nous rejoignit
sur sa bicyclette. Il sifflait et chantait si
joyeusement que je lui dis : « Que t'est-il
donc arrivé ce soir ? » Il me
répondit : « J'ai donné mon
coeur au Seigneur Jésus ; fais-le, Daniel,
et toi aussi tu seras heureux ». Ces simples
paroles me touchèrent et, ce même
soir, dans une réunion
d'évangélisation, j'acceptai le
Seigneur Jésus-Christ comme mon Sauveur.
Voici pourquoi j'essaie
maintenant de vous parler de Son amour, un amour
qui L'a fait descendre du ciel et mourir pour vous,
oui, pour vous.
Il s'arrêta un instant, et l'un
des jeunes gens dit
- Ne vous inquiétez pas de nous.
Tout va bien !
- Non, rien ne va bien, car, hors de
Christ, vous êtes perdus. Mais vous pouvez
être sauvés en cet instant si vous
croyez au Sauveur. Vous pouvez connaître la
joie, la paix et la sécurité
éternelles. Et pourquoi pas ce soir
?
- Pourquoi pas demain ? fit une voix
railleuse.
- Demain ne vous appartient pas.
Peut-être tel d'entre vous sera-t-il mort.
Notre vie est aussi éphémère
que la flamme d'une bougie. Pensez à cela en
vous couchant ce soir. En attendant, René,
vous que vos amis appellent e le pire » de la
bande (ce n'est pas moi qui le dis), voulez-vous
accepter cette petite Bible ?
Le jeune homme prit un peu honteusement
le livre offert et s'éloigna en remerciant
à voix basse. Puis Daniel donna un
traité à chacun des jeunes
hommes.
L'un d'eux, le plus âgé et
le mieux vêtu, revint en arrière
après avoir fait quelques pas, et acheta une
Bible.
Jamais le colporteur ne connut le
résultat de cette petite entrevue, mais un
jour viendra où « l'oeuvre de chacun
sera manifestée ».
Travaillez et luttez, braves colporteurs
! Le temps est court. Prêchez la Parole en
toute occasion, favorable ou non. Qu'importent les
nuages ! Le soleil brillera à nouveau.
.
CHAPITRE VI
Daniel au château
Un jour de marché, tandis qu'il cherchait
le livre que désirait une cliente, Daniel
entendit malgré lui une conversation entre
deux fermiers qui le laissa tout soucieux.
- Il se passe quelque chose
d'étrange à la Banque cantonale, dit
l'un d'eux.
- Rien de grave, j'espère ?
s'enquit l'autre.
- Non, une simple erreur au sujet d'un
coupon, rectifiée une semaine après
que je l'avais signalée. Mais un ami me dit
que la même erreur s'est glissée dans
son compte, il y a trois semaines. Cela donne
à réfléchir !
- Le directeur est absent, je crois
?
- Oui ; il a été malade,
mais j'apprends qu'il va bientôt revenir. Je
n'en serai pas fâché.
- Ah, je comprends. C'est un homme
strict et honnête ; s'il se passe quelque
chose de louche, il ne tardera pas à le
découvrir.
- Sûrement ; le personnel est un
peu surchargé en ce moment. Venez donc
prendre un verre à l'Auberge de
l'Ours.
Les fermiers partirent.
Daniel continua à vendre toute la
journée, mais ses pensées
étaient ailleurs, car la banque en question
était celle où Charles était
employé. Une secrète
anxiété le hantait, le faisait
trembler pour le jeune homme. Qu'allait-il lui
arriver ?
Comme il rentrait chez lui à
bicyclette par un chemin solitaire, pour laisser un
livre dans une maisonnette, il
aperçut soudainement celui qui occupait ses
pensées.
Il n'y avait pas à s'y tromper,
Charles offrait le spectacle d'un homme dans une
amère détresse. Daniel
l'aperçut de loin. Assis sur une grosse
pierre près d'une haie, il avait les coudes
sur les genoux et le visage dans les mains ; son
attitude ne fit que confirmer les craintes qui
tourmentaient le colporteur.
Que faire ? Passer tranquillement sans
attirer son attention, ou descendre de bicyclette
et essayer de le consoler ? S'arrêter,
sûrement !
Charles était dans une telle
angoisse qu'il supporterait cette
indiscrétion. Daniel fit donc vibrer la
sonnette de sa machine. Le jeune homme leva les
yeux, montrant un visage hagard qu'illumina
pourtant un sourire triste.
- Je pensais à vous,
dit-il.
Tout émotionné, Daniel
sauta de sa bicyclette et se baissa un instant,
soi-disant pour examiner l'un des caoutchoucs ;
quand il fut plus calme, il s'approcha :
- J'espère que c'étaient
des pensées aimables, dit-il.
- Je me rappelais la conversation que
nous avons eue dans les champs, vous savez, sur
l'héritage.
- Je me la rappelle, dit Daniel en
s'asseyant. Penseriez-vous à réclamer
cet héritage ?
- Impossible ! dit Charles avec
énergie. Mais je me disais que tout serait
si facile pour moi si je possédais les
richesses terrestres. Le fait est que je suis dans
un grand embarras financier. J'ai perdu de l'argent
à une époque où j'avais besoin
de toutes mes ressources. Alors j'ai dû
emprunter à des usuriers, et ils n'ont pas
tardé à me tourmenter. J'ai
dû...
Il s'arrêta court, comme s'il ne
pouvait se résoudre à dire le
reste.
Daniel le questionna du regard avec
sympathie.
- Vous vous êtes approprié
de l'argent de la banque ? demanda-t-il tout bas.
- Oui, et Charles enfouit de nouveau son
visage dans ses mains, les épaules
secouées par un sanglot mal
réprimé.
Puis bientôt, fortifié par
la sympathie silencieuse de Daniel, il
continua.
- La chose va bientôt être
découverte, et je ne puis pas encore
rembourser l'argent. Il n'y a qu'une maigre chance
de payer ces petits prélèvements :
c'est de détourner un assez gros versement
dû dans quelques jours. En employant cette
somme, je pourrai peut-être arranger les
choses jusqu'à ce que je puisse rendre
l'argent. Dans quinze jours, mon salaire doit
être augmenté, ce qui facilitera les
choses ; mais je n'ai rien dit à Constance,
et elle se demandera ce que j'ai fait du surplus
que je dois recevoir.
- Mais, M. Vallier, excusez mon
franc-parler: cette grosse somme, elle ne vous
appartient pas. Je vous en supplie,
considérez le tort...
- ... un tort qui sera bientôt
réparé, dit le jeune homme. La
cliente est une dame très riche, elle ne
s'en apercevra pas pendant longtemps ;
j'espère pouvoir remplacer l'argent avant
qu'elle en sache rien.
- Ceci n'empêche pas que vous vous
appropriez ce qui ne vous appartient pas. C'est une
chose dangereuse, déshonnête.
- Dites seulement que c'est un vol, dit
Charles avec amertume, car c'en est un, même
si je peux rembourser. Il n'y a pas bien longtemps
que j'aurais été horrifié
à la pensée d'agir ainsi. Si, il y a
trois ans, quelqu'un m'avait dit que, je
descendrais si bas, je l'aurais souffleté.
J'étais sérieux, honorable, droit ;je
m'occupais d'oeuvres religieuses, et
maintenant...
- Votre maison était bâtie
sur le sable, dit Daniel; alors, quand vint la
tempête, elle fut démolie.
- Oui. J'ai commencé à me
ruiner moralement en lisant des livres
anti-chrétiens et en écoutant des
conversations du même genre. Ma vie est
devenue comme une barque sans
amarres, à la merci des flots de
l'incrédulité. Dernièrement,
j'ai goûté du spiritisme. Je voulais
voir mon cher père, mort il y a des
années, il
m'aurait aidé de ses conseils.
- Jamais ! jamais ! ceux qui s'occupent
de spiritisme sont en abomination à
l'Éternel. Vous ajoutez un
péché à un autre.
- Je sais, je sais ! Vous comprenez
maintenant pourquoi je ne pouvais me mettre en
règle. Il faut que je commette encore un
péché. Après, je marcherai
droit, je vous assure.
- Et si la somme que vous attendez n'est
pas versée ?
Charles fit un signe de
désespoir.
- Alors il n'y aurait que la prison en
perspective, répondit-il. Ce gros versement
m'en préserverait pendant quelque temps au
moins.
- Le péché est le
même, dit Daniel.
- Il y a des circonstances
atténuantes, et Madame Néville, la
cliente... - Charles, se mordit les lèvres
de dépit d'avoir prononcé ce nom, et
continua rapidement, espérant que Daniel
n'avait pas entendu : la cliente est si riche
qu'elle n'en saura rien des mois durant.
- Alors, vous persistez dans votre
intention ? demanda le colporteur fixant ses
regards sur la haie vis-à-vis, de peur que
Charles ne lût sa pensée.
- Oui, il le faut, déclara le
jeune homme avec impétuosité. Puis il
se leva et disparut rapidement.
Tout pensif, Daniel se remit en route.
Il s'agissait donc de Madame Néville, la
maîtresse de Madame Armand. Il ne l'avait
jamais vue, mais il avait appris par la
cuisinière que cette dame était
pieuse et avait bon coeur. Il se demandait donc
s'il pouvait lui confier les difficultés de
Charles sans nuire à personne, car il
fallait à tout prix, lui semblait-il,
préserver le jeune homme de la chute vers
laquelle il courait.
Pourrait-il obtenir par Madame Armand
l'entrevue désirée ? Il ne savait
rien de l'intention exprimée par Madame
Néville de faire sa connaissance, mais,
avant de s'endormir ce soir-là, sa route
était claire : visiter le château
dès le lendemain.
Aussi fut-il à peine surpris de
trouver, à son lever, une lettre de Madame
Armand le priant de lui apporter - et le plus vite
serait le mieux - quelques « Testaments
soulignés ».
Il vit qu'il lui était facile de
commencer sa tournée en passant au
château et y arriva plutôt de bonne
heure. En dépit de ce fait, Madame Armand
insista pour qu'il entrât, ce qui
était l'exaucement de sa
prière.
- Ma maîtresse désire vous
voir. Elle m'a dit de ne pas manquer de l'avertir
à votre première visite.
Et un instant après, Daniel
Bonnet était introduit dans un gentil petit
salon où Madame Néville
écrivait.
- Voici le colporteur, Madame,
annonça joyeusement Madame Armand. Et tandis
que Madame Néville tendait la main à
Daniel, la cuisinière se retirait avec un
visage tout souriant.
- Bonjour, Monsieur. Je suis bien aise
de faire votre connaissance. J'aimerais vous
dire... mais, prenez place, je vous en prie.
J'aimerais vous dire que j'ai été
richement bénie en lisant un de vos livres
que m'avait prêté ma bonne
cuisinière: « Voyez quel amour...
»
« Jusqu'alors je n'avais jamais
compris l'amour de Dieu pour moi. Ce livre m'a
poussée à étudier les
Écritures, et j'ai vu qu'en dépit de
mes formes religieuses, j'étais loin de
Dieu. Maintenant je connais Son amour, je sais que
mes péchés sont pardonnés
selon les richesses de Sa grâce.
Daniel fut si touché de cette
confession que, pendant un instant, il ne trouva
pas de voix ; il dit enfin joyeusement :
- Ah, Madame, voici une bonne nouvelle
qui m'est un grand encouragement
au début de ma journée de travail.
C'est fort bien de votre part de m'avoir fait venir
à ce sujet.
- Pas du tout. C'est une joie de
confesser Son nom. Et maintenant, Monsieur Bonnet,
bien que j'aie déjà questionné
ma cuisinière, je désire être
pleinement renseignée sur le colportage, sur
ses buts, ses méthodes, ses moyens d'action,
ses ressources. Dites-moi tout ce que vous en
savez.
Encouragé par un sourire
engageant, Daniel donna rapidement un compte-rendu
de l'oeuvre.
- Notre premier but est de prêcher
l'Évangile dans sa pureté, et de
vendre des Bibles et des Nouveaux Testaments de
porte en porte, dans les lieux les plus
reculés. Nous visitons aussi les foires et
les marchés, les cirques, les courses de
chevaux, pour y prêcher et y vendre. Puis
nous essayons de lutter contre la mauvaise
littérature en vendant de bons ouvrages, des
histoires saines et des biographies. Nous
répandons beaucoup d'histoires
intéressantes à bas prix. Elles
dépeignent la vie telle qu'elle est et telle
qu'elle devrait être, puis elles sont toutes
pénétrées de
l'Évangile. Beaucoup de personnes les lisent
avec plaisir, tandis qu'elles ne voudraient pas
regarder une Bible ou des livres tels que «
Grâce et Vérité », «
Voyez quel amour... », «
Précieuses vérités ».
Mais souvent ces récits
populaires préparent la voie pour d'autres
livres et ont amené des conversions ;
certaines vies ont été
transformées par les vérités
bibliques qu'ils illustrent. Alors on ne tarde pas
à acheter la Bible ou le Nouveau Testament.
Le « Testament souligné » est
très utile, il ouvre la route pour l'achat
de la Bible. Nous essayons toujours de vendre
d'abord la Parole de Dieu ; si cela ne
réussit pas, nous recommandons quelque autre
livre.
En voici assez sur nos objectifs et nos
moyens d'action. Vous connaissez, je pense, nos
méthodes.
Nous cherchons à rester en
étroite communion avec le Seigneur, pour
faire notre travail avec tact et pour ne pas
céder au découragement. Quant aux
moyens financiers, le Seigneur met au coeur de Ses
enfants d'aider notre cause. La
Société dépend
entièrement des dons volontaires et des
cotisations régulières. Parfois Dieu
permet que les fonds soient bas, mais l'oeuvre
continue en dépit des efforts de l'ennemi
pour la paralyser.
- Merci, dit-elle lorsque Daniel
s'arrêta. Je veux coopérer à ce
travail. Je suis assez riche, et depuis que je suis
sauvée, j'ai grand désir de servir
Christ. Dites-moi comment.
Le colporteur se demanda s'il avait bien
entendu. Cette offre était en effet grosse
de magnifiques possibilités pour l'oeuvre
qui lui était chère, et il eut comme
une rapide vision d'un avenir encourageant et
béni. Son visage trahit sa surprise et sa
joie.
Madame Néville rit en le
regardant, puis elle dit
- Je m'intéresse beaucoup
à cette région, naturellement celle
que vous avez parcourue ces dernières
semaines. Vous pouvez compter sur moi de toutes
manières. Je veux m'abonner à votre
petit journal ; j'en prendrai trois exemplaires par
mois. Mais je veux faire plus.
- Vous avez de grands projets, Madame,
dit Daniel en souriant. Avez-vous écrit
à la direction de l'oeuvre ?
- Non, dois-je le faire ?
- Certainement. Nos directeurs seraient
très encouragés d'apprendre
l'existence d'une nouvelle amie.
- Eh bien, j'écrirai aujourd'hui.
Voulez-vous me montrer vos livres ?
Madame Néville fit plusieurs
achats et quelques commandes.
Alors, Daniel prit son courage à
deux mains et lui demanda :
- Avant de partir, puis-je vous raconter
une triste histoire ? Elle vous
concerne et vous êtes la seule personne
à laquelle je puisse la confier. Vous
pouvez, si vous le voulez, empêcher la ruine
morale d'un jeune homme.
Madame Néville le regarda avec
étonnement.
- Ayez confiance en moi, Monsieur
Bonnet, dit-elle. Même si je ne puis aider ce
jeune homme, je serai discrète à son
égard.
Daniel raconta donc toutes les
difficultés de Charles, sa chute et le plan
qu'il formait de s'approprier la somme qu'elle
allait verser à la banque.
- J'irai le voir à
Réaubec. Je puis facilement l'aider, Dieu
merci. Seulement, il se demandera comment je suis
au courant de son histoire. Me
permettez-vous
- Nommez-moi s'il le faut. L'essentiel
c'est que ce pauvre jeune homme soit sauvé,
répondit Daniel.
En continuant ses visites, il pensait
avec bonheur à Madame Néville et
à l'exaucement que lui avait accordé
le Seigneur, soit quant à l'oeuvre de
colportage, soit quant au malheureux Charles. Il
était aussi reconnaissant d'avoir eu en
Madame Armand une si fidèle alliée.
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