DANIEL BONNET
ou
Les
aventures d'un colporteur
CHAPITRE VII
Daniel à la ferme
En quittant le château, Daniel, avec
le saint courage qui le caractérisait, se
rendit en priant vers la ferme d'où il avait
été renvoyé.
Il retournait toujours dans les maisons
où on l'avait mal reçu, essayant avec
persévérance de gagner des âmes
à Christ. Il descendit donc vers la ferme en
question en se demandant si la porte allait
s'ouvrir aussi violemment que la
dernière fois. Mais, à sa grande
surprise, le fermier lui-même apparut sur le
seuil avec un sourire triste :
- Je vous ai vu venir, dit-il. Entrez
donc.
Daniel suivit l'homme dans une cuisine
à plafond bas, éclairée par
des fenêtres enchâssées de plomb
et pourvues d'un siège pris en retrait dans
le mur.
La femme du fermier était en
train de faire son pain ; lorsqu'elle vit entrer
Daniel, des larmes lui vinrent aux yeux.
- Cela doit vous étonner,
Monsieur, que nous ne vous montrions pas la porte
comme nous l'avons toujours fait....
- Eh oui, un peu. Mais ne parlons pas du
passé. Je suis heureux que vous soyez mieux
disposés à mon égard
aujourd'hui, répondit Daniel.
- Vous rappelez-vous nous avoir dit la
dernière fois que Dieu nous visiterait ?
interrompit le fermier. C'est arrivé. Il a
repris l'une de nos filles. Vous venez chez des
gens en deuil.
Puis, l'émotion le gagnant, il
tourna sur ses talons et regarda fixement par la
fenêtre.
Il y eut une minute de silence. Daniel
était trop ému pour parler, et la
pauvre femme continuait à pétrir sa
pâte.
- Et maintenant, reprit enfin le
fermier, nous sommes prêts à vous
écouter. Nous avons grand besoin de
consolation.
Après avoir adressé
à Dieu une prière muette, Daniel
parla avec amour de pardon et de paix en Christ. Il
présenta l'Évangile d'une
façon si simple et si attrayante que ces
coeurs, ouverts par le Seigneur Lui-même,
commencèrent à entrevoir le
salut.
Au bout de quelques semaines, le mari,
la femme et la fille connaissaient la joie du
Seigneur ; aujourd'hui, Daniel est toujours bien
accueilli lorsqu'il se présente à la
ferme.
« Ne nous lassons pas de faire le
bien ; car nous moissonnerons au temps convenable,
si nous ne nous relâchons pas ».
Ce même jour, Daniel
désirait visiter la maison où
habitait Suzanne. La porte était ouverte,
et, dès que la jeune fille vit le
colporteur, elle disparut. Elle venait sans doute
lui répondre. Mais, au moment où il
approchait, la porte se ferma contre lui et la clef
tourna dans la serrure.
Daniel continua calmement sa route,
comme s'il n'était pas conscient de cette
conduite. Il connaissait assez la haine du grand
ennemi des âmes pour comprendre qu'il ne
lâcherait pas sa proie si facilement.
Plus tard, la porte étant de
nouveau ouverte, Daniel y frappa, et Suzanne parut
immédiatement.
- Eh bien ! fit-elle durement, que
voulez-vous ? Vous avez pu attraper ma mère
; avec moi, il n'y a rien à faire !
- Que voulez-vous dire, Suzanne
?
- Je veux dire que maman pense
maintenant comme vous. Elle dit qu'elle est
sauvée. Mais vous ne m'aurez pas,
moi!
- Sauvée ? Dieu soit loué
! alors elle est très heureuse, sans doute
?
- Oui ; elle est allée parler
à une voisine.
- De mieux en mieux. Suzanne, si je vous
donne ce petit livre, « Précieuses
Vérités », le lirez-vous
?
Elle le prit avec hésitation,
mais promit de le lire.
Lorsque Daniel quitta la maison, il ne
se doutait pas plus que la jeune fille de
l'importance de sa visite.
Revenant peu après (il se sentait
contraint intérieurement de passer souvent),
il eut la conviction qu'une transformation
s'accomplissait dans ce coeur endurci.
Mais ce fut long. La jeune fille avait
proclamé si haut sa complète
incrédulité, qu'il lui était
difficile de reconnaître sa folie. Une fois
pourtant, elle avait fait entrer le visiteur et
s'était agenouillée pendant
qu'il priait avec sa mère.
De plus, elle avoua avoir lu le petit livre avec
plaisir.
Daniel continua donc à
espérer de meilleures choses.
. . . . . . . . . . . . . .
Entre temps, Madame Néville tenait sa
promesse de secourir Charles Vallier dans sa
détresse.
Se rendant un jour à la banque,
elle trouva le caissier très affairé.
Elle s'assit donc jusqu'à ce qu'il fût
libre et ne put s'empêcher de remarquer les
traits pâles et tirés du jeune homme.
Elle avait également observé la
rougeur qui avait envahi son visage à son
entrée, puis l'expression de soulagement en
apprenant que Madame Néville attendrait
qu'il fût seul.
« Pauvre jeune homme !
pensait-elle. Il a justement l'âge qu'avait
mon fils unique lorsqu'il tomba en France, durant
la guerre ; celui-ci est bien près de
succomber dans la bataille de la vie, de se laisser
vaincre par le péché qui souille et
déshonore. Il faut l'aider. J'ai reçu
gratuitement, ne devrais-je pas donner de
même ? »
Quand le caissier fut prêt, elle
se leva et, s'approchant du guichet, plaça
devant lui une feuille de papier :
- Ne vous trahissez pas devant les
autres, dit-elle. Lisez ceci
tranquillement.
Il obéit, et, sans
l'avertissement donné, se serait
certainement compromis. Le papier portait ces mots
:
« Je connais vos difficultés
et vos intentions quant à mon prochain
versement. Soyez sans crainte. Je veux vous aider.
Venez chez moi ce soir à six
heures».
Un instant, il eut comme le vertige,
mais il se reprit et, regardant franchement Madame
Néville -
- Merci, dit-il, je ne manquerai pas au
rendez-vous.
Entièrement rassurée et
regardant Charles avec. un sourire maternel, elle
reprit le papier et sortit.
Charles n'a jamais su comment il
réussit à finir cette journée
de travail.
Au souper, sa femme le trouva
étrangement silencieux, mais elle fut
tranquillisée par la joie qui brillait dans
son regard. Il lui dit qu'il devait se rendre le
même soir chez Madame Néville et
l'embrassa tendrement avant de partir - depuis des
mois il n'avait pas été aussi
affectueux.
Lorsqu'elle fut seule, elle se demanda
ce qui pouvait bien avoir ainsi transformé
son mari.
Charles était aussi surpris
qu'elle. « Rien n'est impossible au Seigneur
», se répétait-il en
marchant.
Daniel l'avait dit, et il semblait au
caissier, qu'en dépit de sa conduite
indigne, Dieu Lui-même se levait pour le
secourir.
Il était fermement résolu
à tout confesser à Madame
Néville avant qu'elle fît la moindre
chose pour lui. Que penserait-elle de lui ? lui
retirerait-elle son secours ? Peu importe ; la
vérité avant tout !
Cette longue promenade du soir jusqu'au
château fit époque dans la vie de
Charles. La générosité de
Madame Néville lui avait parlé avec
puissance de ce Dieu prompt à lui pardonner
et à le recevoir. Elle avait illustré
les paroles lues souvent dans son Testament
souligné: « Lorsque nous étions
encore sans force, Christ, au temps marqué,
est mort pour des impies ».
Madame Néville le reçut
avec bonté, mais Charles refusa de s'asseoir
avant d'avoir tout confessé. Il raconta sa
triste histoire d'un bout à l'autre, en
reconnaissant ses fautes ; il ne blâma
personne que lui-même. Puis il parla aussi de
la journée qui venait de s'écouler et
du résultat que la visite de Madame
Néville avait eu pour lui ; il la remercia
cordialement de la grande bonté qu'elle lui
avait témoignée malgré son
indignité.
- Vous m'avez prêché le
plus magnifique sermon que j'aie jamais entendu. Il
m'a amené au Sauveur.
- Oh, Dieu soit béni! dit-elle
tout bas.
Puis, prenant du papier et un crayon,
elle fit asseoir le jeune homme.
Elle fut bientôt au courant de la
situation de Charles et lui remit de quoi liquider
toutes ses dettes.
- Vous ne me devez rien. Voulez-vous
accepter ceci comme un don ?
Charles fit un geste
négatif.
- Je ne puis y consentir. Si vous
m'offrez cette somme comme un prêt, je serai
des plus reconnaissants et je vous paierai par
acomptes. Quant à votre bonté, rien
ne peut la payer.
Elle le regarda anxieusement.
- Je maintiens mon offre.
Peut-être changerez-vous d'idée. Vous
désirez informer votre directeur de vos
détournements, et cela pourrait
entraîner...
- Oui, je prévois les
conséquences, mais je parlerai quand
même. Je veux commencer cette merveilleuse
vie nouvelle avec la conscience claire, même
si je dois passer quelques mois en prison, ce qui
est probable. La chose la plus, dure sera
d'informer ma chère femme de tout cela ;
elle n'a jamais soupçonné que je sois
un homme déshonnête.
- Non, répondit Madame
Néville avec douceur, mais vous aurez aussi
la joie de lui dire que vous êtes un homme
nouveau en Jésus-Christ. Quelle
reconnaissance sera la sienne !
- Oui, balbutia Charles, je crois que
cela compensera presque le déshonneur qui
pourrait rejaillir sur elle, car elle a
soupiré après le salut de mon
âme. Et, Madame, je vous en prie, ne me jugez
pas ingrat parce que je refuse votre don. Je crois
que Dieu m'aidera. Maintenant je puis compter sur
Lui.
- Vous le pouvez. Mais, dit-elle en
souriant, prenez garde : ne
choisissez pas la manière dont Il doit vous
aider. Laissez-Le faire. Quand votre directeur
revient-il ?
Il l'en informa et prit congé
d'elle. Tout en marchant, il se sentait l'homme le
plus heureux de la terre, en dépit du gros
nuage qui planait sur lui.
.
CHAPITRE VIII
Daniel visite une malade
Un jour de marché, deux personnes vinrent
parler au colporteur. L'une d'elles était le
fermier qui avait acheté une Bible pour sa
femme et une pour lui. Il dit à Daniel que
sa Bible lui avait « fait passer un mauvais
moment ».
- Dieu soit loué, fut la
réponse. Lisez d'abord le troisième
chapitre de l'Épître aux Romains, vous
y verrez ce que vous êtes aux yeux de Dieu,
puis le troisième de l'Évangile de
Jean, qui dépeint Son amour pour
vous.
Le fermier nota ces deux
passages.
Peu après, il fut converti. Et
maintenant il achète des Bibles, des
Nouveaux Testaments et les meilleurs livres
évangéliques pour les offrir à
ses amis, quand l'occasion s'en
présente.
L'autre nouvelle réjouissante
venait de la dame qui avait acheté un livre
pour son mari incrédule, en promettant
à Daniel de lui en faire connaître le
résultat.
- J'ai grand espoir qu'il se donnera au
Sauveur, dit-elle. Ce livre a produit un
réel changement en lui. Et
vous pouvez être assuré de ma
reconnaissance envers les colporteurs. Vous faites
une belle oeuvre, j'en ai eu des échos de
divers côtés.
Donc, si Daniel connaissait
l'insuccès (Satan ne lâche pas
facilement ses captifs), il avait aussi des
résultats encourageants.
Mais il pensait beaucoup à
Suzanne et se sentait pressé de retourner la
voir aussi vite que possible - c'était une
impulsion à laquelle il ne pouvait
résister.
Il alla donc. Cette fois, elle vint
à sa rencontre et lui causa une joie
inexprimable en disant :
- Monsieur Bonnet, j'ai donné mon
coeur au Seigneur Jésus. Comment ai-je
jamais pu le traiter si mal?
Son visage était rayonnant, mais
portait si nettement des traces de faiblesse et de
maladie, que Daniel se réjouit à la
pensée que la jeune fille était
maintenant prête à rencontrer son
Dieu.
Lorsqu'il partit, la pauvre mère
s'arrangea pour lui dire sans être
remarquée :
- Revenez bientôt ; je crois que
ma Suzanne est très malade.
C'était bien la pensée de
Daniel, mais il ne dit rien et revint peu de temps
après.
Cette fois, Suzanne était au lit,
mais elle insista pour que le colporteur
montât jusqu'à sa chambre. Il s'y
rendit avec la mère, et les trois eurent une
heure bénie, car la jeune fille, qui allait
bientôt voir le Seigneur face à face,
était joyeuse en dépit de ses
souffrances.
Peu de jours après, il apprit que
Suzanne avait cessé de vivre, non toutefois
sans laisser un message pour lui : « Dites
à Monsieur Bonnet que je suis allée
vers mon Sauveur. Tout a été
lumière jusqu'au bout ».
Quel merveilleux témoignage
à la puissance de Dieu de la part de celle
qui avait d'abord salué le colporteur de ces
mots « Il n'y a ni Dieu, ni
résurrection ! »
Ce même jour, retournant chez lui
à bicyclette, il remarqua un visage
familier. C'était Abel Brun, le pauvre
esclave de l'eau-de-vie, assis sur un, tas de
pierres au bord du chemin.
En entendant le timbre de la bicyclette,
il leva rapidement la tête et s'écria
:
- Vous avez laissé un
traité sous ma porte, l'autre jour ?
- J'en ai laissé plusieurs,
répondit Daniel en s'approchant.
- Oui, mais ce traité-là
était pour moi. Il me décrivait
exactement. Je ne bois plus maintenant.
- Ce n'est pas la première fois
que vous dites cela, Monsieur Brun !
- Je le sais, mais avant je comptais sur
ma propre force ; maintenant, je me confie au
Seigneur Jésus. Il m'a gardé durant
plusieurs semaines.
- Et il peut vous garder pour le reste
de votre vie; Son saint nom soit béni
!
Puis il s'assit et parla à Abel
de la jeune Suzanne. Le vieillard fut très
impressionné.
- Il est puissant, ce Sauveur, dit-il
d'un ton sérieux : « Il peut briser les
coeurs les plus durs ».
Puis il acheta au colporteur un «
Testament souligné » et un « Guide
du Voyageur », en disant :
Il y a peu de temps, cet argent m'aurait
servi à boire...
Par ces livres vous aurez
peut-être la joie d'amener des âmes
à Christ, dit Daniel. « Vous vous
amassez des trésors dans les cieux »,
et « Là où est votre
trésor, là aussi sera votre coeur
».
Le vieillard regarda s'éloigner
le cycliste avec un regard affectueux et
ému. « Il n'a jamais abandonné
ni Suzanne ni moi, murmura-t-il tout bas. Elle est
au ciel, et moi je n'en suis pas loin. J'ai plus de
soixante-dix ans, la fin ne peut tarder. Mon Dieu,
je te remercie de ce que mon voyage terrestre
s'achèvera dans le ciel ».
|