(11)
AU
CRÉPUSCULE
Un heureux groupe d'amis s'était
formé à la fin d'une journée
dans l'agréable salon d'une famille
aisée de l'ouest des États-Unis. Un
jeune homme qui avait lu un journal devant la
fenêtre, au crépuscule, rejoignit
l'heureux cercle, autour de la table. À voir
ses joues brunies et sa forte poitrine, on
reconnaissait aussitôt un jeune fermier
d'environ dix-huit ans. Au moment où il
s'asseyait, une voix joyeuse lui dit:
- Eh bien, Emery, quelles sont les
nouvelles du jour?
- Il n'y a rien de saillant, oncle
Benjamin, mais je lisais qu'on offre une prime au
jeune homme qui présentera la meilleure
composition.
- Ah tiens! est-ce que tu voudrais
concourir ?
- Vous plaisantez sans doute, mon
oncle; vous savez bien qu'un
jeune fermier comme moi, d'une éducation
fort limitée, n'est pas capable de produire
quelque chose qui soit digne d'être
lu.
- Pas du tout, Emery. Quel penses-tu que
soit le but des éditeurs en faisant une
telle offre? dit l'oncle Benjamin.
- Eh bien, dit Emery après
quelques instants de réflexion, il me semble
que c'est de développer les facultés
intellectuelles, qui placent la vie mentale
au-dessus de la vie physique, d'instruire et
d'ennoblir la jeunesse. Je crois que cette offre
fera autant de bien à chacun de ceux qui
auront concouru qu'à celui qui remportera le
prix, puisqu'elle aura contribué au
développement de leurs
facultés.
- Tu as raison; l'influence en est
excellente ; on conserve généralement
dans un âge plus avancé les habitudes
que l'on contracte dans sa jeunesse ; c'est du
moins ce que mon expérience ne m'a que trop
bien démontré. À ce propos, je
vous raconterai une épisode de ma
jeunesse.
- Oh, combien cela nous fera plaisir,
dirent en choeur tous les jeunes gens.
Aussitôt que l'oncle Benjamin eut
manifesté son intention de raconter une
histoire, tous les yeux se braquèrent sur
lui. La mère mit de côté son
livre et ses lunettes, car elle avait lu
jusqu'à ce que l'obscurité fût
devenue trop grande. Le papa, se renversant sur son
fauteuil, semblait écouter avec autant
d'avidité que nous autres enfants. C'est
qu'il savait combien le cerveau de l'oncle Benjamin
était richement pourvu d'histoires
intéressantes. L'oncle nous parut un moment
fort triste. Posant ses pieds sur un petit banc, il
parla en ces termes:
Il y a bien des années, quand
j'eus achevé mes études,
j'étais dévoré du désir
d'entrer comme employé sur une de nos lignes
de chemin de fer. Grâce à l'influence
d'un ami, je pus entrer comme chauffeur, au service
d'une grande compagnie. Je ne tardai pas à
conquérir l'estime et l'affection de mes
camarades et de mes chefs. Après un certain
temps, je me liai d'amitié
avec le directeur. Nous étions à peu
près du même âge. Il n'y avait
rien que je n'eusse fait pour François B. Je
me rendais compte du sérieux des devoirs de
ma situation, et j'étais résolu
à m'en acquitter honorablement.
Mais, mes enfants, je m'enfonçai
de plus en plus dans le sentier que tant d'autres
ont suivi avant et depuis! Je m'étais
laissé entraîner par de mauvaises
compagnies à faire usage de boissons
enivrantes. Qu'arriva-t-il ensuite? Je me laissai
aller à boire de plus en plus. Un soir que
j'avais bu plus que d'ordinaire, François B.
entra dans l'établissement où je me
trouvais. Je ne le vis pas jusqu'à ce qu'il
me toucha le bras.
- Benjamin, me dit-il, viens. Au nom de
l'affection que tu me portes, viens sans
tarder.
Il me prit par le bras et me conduisit
dehors au grand air. Quand il m'adressa de nouveau
la parole, c'était d'un ton ému et
suppliant.
- Benjamin, me dit-il, pour l'amour de
ta mère, et au nom de l'amitié qui
nous unit, je t'en supplie, ne trempe plus tes
lèvres dans les boissons enivrantes. Bonne
nuit, mon cher ami!
Je me retirai dans ma chambre la
tête lourde et le coeur oppressé. Je
savais que le devoir de François eût
été de m'enlever ma place; mais il
était trop généreux, et il
avait encore trop de confiance en moi pour recourir
à cette mesure extrême.
À mon réveil, le matin
suivant, j'étais dévoré par la
soif. Je trouvai dans une de mes poches un flacon
d'eau-de-vie que je m'étais procuré
le soir précédent. Je ne pus
résister à la tentation de boire une
dernière fois! Le directeur était
parti par l'express, de bonne heure ce
matin-là, pour aller surveiller
personnellement des, réparations qui
devaient être faites à la voie sur un
autre point.
Notre train se mit en marche environ une
heure après l'express. Le mécanicien
avait été retenu par la maladie sur
un autre point de la ligne. Je me
trouvai donc seul dans le fourgon; mais le
conducteur avait toute confiance en mes
capacités. Hélas, combien ne se
serait-il pas méfié de moi s'il avait
su qu'en ce moment même j'étais
hébété par la boisson! Jamais
auparavant je n'avais bu assez pour me mettre en
état d'ivresse, de sorte qu'aucun des
employés du train ne supposait que j'avais
contracté cette fatale habitude. Cependant,
j'avais bu au point de ne plus pouvoir me tenir
debout.
Bientôt après le
départ du train, je tombai contre le
fourgon, me faisant plusieurs fortes
égratignures au front. J'essayai de me
relever, mais j'en fus incapable. J'étais
pourtant en possession de toutes mes
facultés, en sorte que je me rendais
parfaitement compte de l'affreuse
réalité. J'étais tombé
de telle façon que je pouvais voir entre le
fourgon et la locomotive tout ce qui se passait.
Nous avancions avec une rapidité
vertigineuse sans qu'il y eût une main pour
modérer la marche de notre train. Nous
venions de passer le point où l'on faisait
la réparation dont j'ai parlé, et au
moment où nous dépassions un petit
groupe d'ouvriers qui étaient au bord de la
voie, je vis à quelque distance
François B. qui marchait d'un pas rapide sur
la voie. Au moment où je le vis, il mettait
le pied sur un petit caillou qui avait
été placé là
exprès, me semblait-il, pour lui causer la
mort; il glissa et son pied fut pris entre le
terrain et le rail. Pauvre François! il
faisait des efforts désespérés
pour se relever, mais en vain.. Oh mes enfants, ce
qu'il y a de plus triste dans cette histoire, c'est
la pensée que si j'avais été
de sang-froid, j'aurais pu renverser la vapeur
assez tôt pour lui sauver la vie!
J'étais là, étendu,
trop ivre pour pouvoir me mouvoir! Au moment
où nous approchions de lui, François
me vit : il était tombé en travers de
la voie, du côté où
j'étais couché sur la locomotive, et
il étendit ses deux mains vers moi,
comme pour me dire : Viens
à mon secours! mon ami Benjamin, viens
à mon secours ! Encore un moment, et je me
trouvai si près de lui que je pouvais le
regarder dans les yeux; puis.... encore une
seconde, et ces yeux étaient fermés
pour toujours. Un serre-frein qui avait vu
François au moment où nous lui
passions dessus s'élança à la
locomotive. Ma position et mon air
hébété lui eurent
bientôt dit tout ce qui en était. Il
arrêta le train. Les restes mortels de
François furent recueillis, et moi, je fus
ramené chez moi comme un fou furieux. Aucun
des employés du train, sauf ce serre-frein,
ne se douta de ma condition
d'ébriété. Il garda mon secret
- pourquoi? C'est ce que je ne sus jamais. Il avait
peut-être le sentiment que j'étais
bien assez puni. Je fus retenu fort longtemps sur
un lit de douleur par la fièvre
cérébrale.
Après ma guérison je ne
trempai plus jamais les lèvres dans les
boissons alcooliques. Il me semblait que
j'étais plus que meurtrier. Quand je repris
mon service, j'étais un tout autre homme.
j'avançai graduellement jusqu'au poste de
directeur de la compagnie.
J'ai vu tous mes camarades de jeunesse
s'endormir l'un après l'autre, et je sais
que le moment n'est pas éloigné
où je devrai aller les rejoindre. Toutefois,
je désire vous dire encore quelques paroles
avant de m'en aller : quand vous sortirez de la
maison paternelle, vous courrez le danger
d'être séduits par diverses
tentations. J'espère qu'alors vous vous
souviendrez du soir où vous étiez
assis autour de votre vieil oncle Benjamin, et
où vous avez entendu la triste histoire
qu'il vous a racontée au crépuscule
de sa vie.
(12) HISTOIRE ALLEMANDE
Au cours d'une promenade que je fis une fois
avec le pasteur de Landsdroff et sa dame, ils me
parlèrent d'une mort subite qui avait
récemment eu lieu dans le village.
- C'est effrayant, m'écriai-je!
Combien est fragile le fil auquel notre existence
est suspendue!
- C'était
précisément le cas d'un des membres
de ma famille, dit la bonne femme du pasteur. Sa
vie était suspendue à un fil.
- Veuillez vous expliquer.
- C'est cette histoire qui a fait
prendre comme devise de notre famille les paroles
que vous voyez inscrites au-dessus de notre
porte.
Voici l'inscription :
- Pourquoi tant de chagrins, pourquoi
tant de douleurs ?
- Serait-ce donc en vain qu'on verse
tant de pleurs ?
- Ah, si jamais de Dieu nous
comprenons les voies !
- Dans son profond amour nous
trouverons nos joies.
Je lus ces lignes, puis je priai la dame du
pasteur de bien vouloir me raconter
l'histoire.
Elle accéda à mon
désir, et commença en ces termes
:
- Il y a environ cent ans, l'aïeule
de ma mère, la comtesse Von Merits vivait
avec ses deux filles dans un château
d'Allemagne.
Elles furent une fois invitées
à des noces qui devaient avoir lieu à
la lumière des flambeaux, selon la coutume
allemande. Elles ne se mirent donc pas en route,
avant qu'il commençât à faire
obscur. Pour se rendre à destination, elles
devaient traverser une partie de la
Forêt-Noire.
Gertrude, l'aînée des deux
filles de la comtesse, avait un magnifique collier
de perles dont on lui avait fait présent, et
qu'elle portait en cette occasion. Mais il arriva
qu'au moment où elles entraient dans la
forêt, une branche d'épine noire se
passa dans ses cheveux, et avant qu'elle prit s'en
débarrasser, le fil se rompit, et les
perles furent semées dans
toutes les directions.
Les servantes et les dames
s'empressèrent de chercher les 'perles.
Pendant qu'elles cherchaient, un bûcheron
sortit soudain de la forêt; il avait
évidemment couru, car il était tout
hors d'haleine, et alla droit à la
comtesse.
« Je vous en supplie, Mesdames,
leur dit-il, n'allez pas plus loin! Il y a quelques
instants, comme je ramassais du bois, j'ai entendu
deux voleurs qui faisaient leurs plans' pour vous
piller, et tuer vos serviteurs, s'ils offraient
quelque résistance. Ce n'est qu'avec la plus
grande peine que je sais arrivé à
temps pour vous avertir. Si vous n'aviez pas
été un peu plus en retard que vous le
comptiez vous seriez infailliblement tombées
entre les mains de ces voleurs. »
Il ne fut naturellement plus question
d'aller assister aux noces; on se hâta de
regagner la maison. En arrivant au château
saine et sauve, la bonne mère tomba à
genoux pour remercier le Seigneur de l'avoir
préservée, ainsi que les personnes
qui l'accompagnaient. Elle ne manqua pas non plus
de récompenser le pauvre bûcheron qui
l'avait avertie du danger qu'elle courrait. De
plus, elle tira, au profit de ses enfants, deux
leçons de ce qui leur était
arrivé. La première, c'est que notre
vie est toujours suspendue à un fil plus
fragile que celui du collier de Gertrude, et que
par conséquent, ce n'est que par un effet de
la grâce de Dieu que la vie nous est
conservée. La seconde, c'est que toutes les
afflictions et tous les désappointements
contribuent tout aussi sûrement à
notre bien que le délai occasionné
par l'accident arrivé à Gertrude, qui
avait fait échapper toute la famille des
mains des voleurs.
À partir de ce temps, les paroles
que vous lisez au-dessus de notre porte sont
devenues la devise de la comtesse et de sa famille.
Quand je me mariai, et que mon mari fit
réparer la façade de la maison, il
fit graver sur le portail la devise de ma famille.
(13)
UNE NOBLE
VENGEANCE.
Le cercueil est des plus simples un pauvre et
misérable cercueil de sapin. Aucune fleur ne
le recouvre, pas de satin pour orner le pâle
front; rien pour relever le grossier linceul. Les
cheveux bruns de la morte sont bien
décemment jetés en arrière,
mais elle n'a pas de bonnet qui vienne se boucler
gracieusement sous le menton. Celle qui a
enduré la plus cruelle pauvreté
semble sourire dans son sommeil.
- Je voudrais voir ma mère, dit
en sanglotant un petit garçon, au moment
où le croque-mort enfonçait la
première vis.
- Tu ne peux plus; ôte-toi chemin!
Pourquoi n'enlève-t-on pas ce gamin
d'ici?
- S'il vous plaît, Monsieur,
permettez-moi de la revoir seulement une minute,
dit le pauvre orphelin impuissant et sans asile, en
se penchant sur le cercueil de charité, et
en levant ses beaux grands yeux d'où
s'échappait un torrent de larmes.
C'était une scène attendrissante que
de l'entendre crier : - Seulement une fois! s'il
vous plaît, laissez-moi voir ma mère
encore une fois !
Cet homme grossier et sans coeur, ce
monstre à face humaine donna aussitôt
un coup si violent au pauvre enfant, qu'il le fit
rouler sur le plancher. Pendant quelques instants,
la rage et la douleur le paralysèrent; ses
yeux bleus prirent soudain un sinistre
éclat; ses lèvres frémirent,
puis élevant la main, il dit d'un ton qui
n'avait rien d'enfantin : - Quand je serai grand,
il faut que je vous tue pour me venger!
En face de ce cercueil, un monument plus
durable que le granit fut ainsi élevé
dans le coeur du pauvre enfant
délaissé, à la mémoire
d'un acte de brutalité dont il était
victime.
La salle du tribunal était
comble.
- Est-ce que quelqu'un se
présente pour plaider la cause de cet homme?
demanda le président.
Il y eut après cette question
quelques instants d'un morne silence; puis un jeune
homme après un combat intérieur
violent, s'avança. Il avait un air
mélancolique et réservé ; mais
sa noble tenue et sa belle physionomie
attirèrent tous les regards. Il était
étranger; mais dès ses
premières paroles, il se fit le silence le
plus profond.
La chaleur de sa parole et la puissance
de son génie portaient la conviction, de
sorte que le pauvre criminel sans amis et sans
défenseur fut acquitté.
- Puisse le Seigneur vous bénir,
Monsieur, puisque je ne puis vous témoigner
moi-même ma reconnaissance.
- Je ne veux pas de remerciements,
répondit l'étranger d'un ton
glacial.
- Je... je crois que Monsieur m'est
inconnu.
- Eh bien, je rafraîchirai votre
mémoire. Il y a vingt ans, vous maltraitiez,
auprès du pauvre cercueil de sa mère,
un misérable enfant délaissé
et désolé. Je suis ce pauvre et
misérable gamin.
Cet homme devint d'une pâleur
mortelle.
- M'auriez-vous fait acquitter pour
m'enlever la vie ?
- Non; j'ai obtenu une plus douce
vengeance; j'ai sauvé la vie de celui dont
la brutalité m'a fait au coeur une blessure
qui y est ouverte depuis vingt ans. Allez, et
souvenez-vous des larmes d'un enfant
délaissé.
Tout honteux, cet homme baissa la
tête, en pensant à cette
magnanimité qui lui paraissait aussi grande
que mystérieuse. Le noble et jeune avocat
sentait en s'en retournant le sourire de Dieu dans
son âme.
(14)
LES
ORPHELINS
Me promenant un jour dans la rue du Prince,
j'entendis derrière moi le bruit d'une
multitude de pas. En me retournant, je pus voir que
ce bruit provenait d'une centaine de garçons
et de fillettes d'une institution de
charité. C'était un spectacle
réjouissant que de les voir avec un visage
aussi radieux. Tout en eux dénotait la
santé; leurs habits étaient simples,
mais propres; aucune coupe fantastique et nuisible
ne défigurait leur petite personne, mais
rien sur eux non plus n'indiquait qu'ils
étaient des enfants du malheur.
J'entrai en conversation avec l'un des
instituteurs, et j'appris qu'ils se rendaient au
jardin zoologique, et que c'était cette
perspective qui leur causait tant de joie. La
petite troupe montait la rue Saint-André, et
j'allais aussi dans la même direction. Je
marchais avec l'un des garçons en avant, et
les jeunes filles se trouvaient toutes en
arrière. Au bout de la rue
Saint-André, mon attention fut
attirée par la vue de deux jeunes
garçons d'environ quatorze ans, qui
conduisaient chacun un léger attelage. Au
moment où le premier des deux garçons
aperçut les enfants, il appela son ami qui
était en arrière et lui dit en
sautant de son char : « Jacques, je vais voir
ma soeur, ma petite soeur! » Il conduisit son
cheval au bord de la rue et le quitta au moment
où les jeunes filles approchaient. Quand il
commençait ses recherches, son cheval se mit
en route; d'un bond, notre jeune héros
l'avait atteint, lui donnait une petite correction,
et au bout d'une minute, il regardait de nouveau
attentivement les files de jeunes filles à
mesure qu'elles défilaient devant lui. Comme
elles étaient toutes habillées de la
même façon, ce n'était qu'avec
la plus grande attention qu'on pouvait les
reconnaître.
Elles passaient sous ses yeux, mais sa
soeur ne venait pas. Pauvre
garçon ! pensai-je, son pauvre coeur
souffrira un triste désappointement; il
semble que sa petite soeur ne se trouve pas parmi.
elles; et son visage trahissait bien aussi le
désappointement, Il n'y en avait plus que
deux : sa soeur était l'une d'elles. Prenant
l'une de ses petites mains dans la sienne, il passa
l'autre sur ses épaules et ne put lui dire
que ces mots - « MARIE! MARIE ! » La
petite fille, enfant de sept ans environ, leva les
yeux, et, oh quelle extase! elle était tout
près de son frère. Elle le pressa
dans ses petits bras, et tout son visage s'illumina
d'un doux sourire. Son frère inclina la
tête pour saisir les quelques paroles que sa
petite soeur se hâtait de lui adresser, et
pour lui raconter ce qu'il avait à dire. Il
ne leva les yeux de dessus ce petit visage
aimé qu'une seule fois, et cela seulement un
instant pour voir si son cheval restait où
il l'avait arrêté. Le pauvre animal
semblait se rendre compte de la mission
sacrée qu'accomplissait son
conducteur: il ne
bougeait pas. Le jeune garçon se baissa de
nouveau pour dire quelques paroles d'adieu à
sa chère et aimable soeur, car il ne pouvait
pas aller plus loin ; ils se donnèrent une
cordiale poignée de main, se jetèrent
mutuellement un regard de tendresse, et la petite
fille poursuivit sa route avec ses compagnes. Les
yeux du jeune garçon ne voyaient autre chose
que celle qui lui était si chère; ils
la suivaient comme elle s'éloignait. La rue
que suivaient les enfants faisant un contour, la
petite fille allait bientôt être hors
de la vue de son frère. Avant de
disparaître, toutefois, l'orpheline se
retourna, et avec un sourire, elle fit de la main
un signe d'adieu. Le jeune garçon se mettait
en route au moment où ses yeux
rencontrèrent l'aimable visage de sa soeur;
il étendit les deux mains.... un instant
plus tard, elle avait disparu.
Tandis que le jeune orphelin retournait
lentement vers son cheval, qu'une larme humectait
ses paupières, et qu'un
nuage de mélancolie
passait sur tous ses traits, il demeurait encore
quelque chose comme une expression de satisfaction
sur son visage. Il monta sur son petit char ; et
quand je me détournai de ce spectacle
touchant je m'aperçus que mes yeux
étaient obscurcis, et je dus me les essuyer
à plusieurs reprises avec mon
mouchoir.
Cette scène me donna
matière à réflexion. Je pensai
aux milliers d'enfants qui ignorent ce que c'est
que d'être privé des tendres soins
d'une mère et de la sollicitude d'un
père; je pensai aux nombreux enfants qui
sont jetés sans amis ni protecteurs entre
les mains des étrangers. Ceux-ci avaient
probablement passé leurs premières
années sous le même toit, et ils
avaient dormi dans les bras l'un de l'autre. L'un
gagne maintenant humblement, mais honnêtement
son pain, tandis que l'autre jouit des bienfaits
d'une excellente institution. Ils n'ont pas
l'occasion de se voir souvent, mais leurs
rencontres sont douces, et ce fut doublement le cas
en cette occasion. Puisse le souvenir de leur
situation de solitude actuelle les rendre de plus
en plus chers l'un à l'autre; et si jamais
la fortune leur sourit, puissent-ils consacrer une
partie des biens que le Seigneur leur accordera au
support des institutions qui offrent asile et
protection aux petits orphelins
délaissés.
(15)
UN
GARÇON ET SES MOMENTS DE
LOISIR.
Un gamin maigre et à l'air gauche se
présente un jour chez le directeur d'un
Célèbre collège, et demande
à le voir. Regardant ses haillons, la
servante le prit pour un mendiant et lui dit
d'aller à. la cuisine. Suivant les
indications qu'il avait reçues, le jeune
garçon se présenta à la porte
de derrière.
- J'aimerais voir M. Brown,
dit-il.
- Il est beaucoup plus probable que tu
désires avoir à déjeuner, lui
dit la cuisinière; je puis te donner ce que
tu veux sans déranger monsieur.
- Je ne refuserai pas un morceau de
pain, si vous voulez bien me le donner; mais si M.
Brown est visible, j'aimerais beaucoup lui
parler.
- Probablement que tu désirerais
aussi avoir quelques vieux habits, ajouta la
servante en le regardant du haut en bas; mais je
crois qu'il n'en a pas à donner; et sans se
soucier davantage de la requête du
garçon, elle se remit à son
ouvrage.
- Ne pourrais-je pas voir M. Brown,
demanda de nouveau le garçon après
avoir mangé son morceau de pain.
- Eh bien, il est à sa
bibliothèque ; s'il est nécessaire de
le déranger, je t'introduirai; mais il aime
quelquefois à être seul, dit la
servante d'un ton qui trahissait quelque
impatience.
Elle pensait que c'était bien
insensé que de permettre à un
être qui avait aussi mauvaise façon de
se présenter devant son maître :
toutefois elle essuya ses mains et lui dit de la
suivre. Entr'ouvrant la porte de la
bibliothèque, elle dit :
- Il y a ici quelqu'un qui désire
fort voir Monsieur, en sorte que je l'ai
laissé entrer.
Je ne sais comment le garçon se
présenta, ni comment il fit connaître
le but de sa démarche; mais ce que je sais
c'est qu'après une
conversation de quelques instants, le professeur
mit de côté le livre qu'il
étudiait, prit quelques livres grecs, et
commença à poser des questions au
nouveau venu. L'examen dura quelque temps. Le
garçon répondit à chaque
question posée sans un seul instant
d'hésitation.
- En vérité, VOUS faites
fort bien ! s'écria le professeur, toisant
le jeune garçon des pieds à la
tête par-dessus ses lunettes. Comment
avez-VOUS donc appris toutes ces choses, mon
garçon ?
- Dans mes moments de loisir,
répondit-il.
Il était pauvre et devait se
livrer à des travaux très
pénibles, et pourtant, il était
presque préparé à entrer
à l'université, et cela simplement en
mettant à profit ses moments de loisir.
Les moments de loisir ne sont-ils pas
véritablement de la poudre d'or? Combien ils
devraient nous être précieux!
Quel compte pouvez-vous rendre de vos
moments de loisir?
Qu'est-ce que vous avez accompli pendant
ce temps ?
Considérez ce jeune homme et il
vous dira ce que vous pouvez faire en les mettant
à profit.
Il y a plusieurs milliers d'autres
garçons, je le crains fort, dans les
prisons, dans les maisons de correction et sur les
galères, dans les maisons de jeu, dans les
tavernes qui, si vous leur demandiez quand ils se
sont jetés dans la carrière du vice,
pourraient vous répondre : « Dans mes
moments de loisir, j'ai joué aux marbres.
» « Dans mes moments de loisir, j'ai
commencé à fumer et à boire.
», Dans mes moments de loisir, j'ai
commencé à voler des fruits à
la marchande. » « Dans mes moments de
loisir, j'ai commencé à suivre de
mauvaises compagnies. »
Oh, prenez bien garde, à la
manière dont vous employez vos loisirs!
C'est toujours dans ces petits moments que la
tentation se présente à vous,
toujours quand vous êtes inoccupés;
c'est dans ces moments qu'elle entre dans vos
coeurs, chaque fois que la chose lui est
possible. Votre ennemi se saisit
de ces occasions pour opérer votre perte. Je
le répète donc, prenez garde à
vos moments de loisir!
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