Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...




( 16) LA BONNE DÉCISION.

 

Nous étions au commencement des vacances; M. David, un ami de mon père, vint m'inviter à aller chez lui. La pensée d'aller à la ville me souriait fort. Le voyage fut délicieux; et arrivé chez M. David, il me semblait que j'allais beaucoup me plaire. Alfred David, jeune garçon de mon âge, me prit cordialement par la main, et je me sentis bientôt dans cette famille comme si j'étais au milieu de vieilles connaissances. « Je vais passer des vacances dont il vaudra la peine, » me répétai-je plusieurs fois dans le cours de la soirée, comme nous jouions, que nous nous faisions deviner des énigmes, et que nous riions à qui mieux mieux.

M. David dit enfin qu'il était à peu près temps d'aller se livrer au repos. Je m'attendais alors à avoir le culte de famille; mais je fus déçu; on nous assigna à chacun sa chambre. Combien cela me parut étrange! Je ne m'étais encore jamais trouvé dans une maison où l'on n'avait pas de culte de famille. - Viens, me dit Alfred, maman dit que nous serons camarades de lit. Deux montées d'escaliers nous conduisirent à une charmante petite chambre qu'il appelait « sa chambre »; il ouvrit un tiroir, me montra une boite, un bateau, une poudrière, et tous ses trésors, puis il me dit tout un monde de choses nouvelles au sujet des amusements auxquels se livraient les jeunes garçons de la ville. Ils se déshabilla le premier, et entra au lit. Je restai plus longtemps pour me déshabiller, parce que des pensées toutes nouvelles commençaient à occuper mon esprit. Quand ma mère m'avait donné ma valise, au moment du départ, elle m'avait dit tout bas :
« Robert, souviens-toi que tu es chrétien. »

Je compris fort bien la signification de ces paroles; et je me trouvais maintenant dans une circonstance où je devais y prendre garde. On m'avait enseigné à la maison les devoirs d'un enfant chrétien; je ne devais pas les négliger quand je me trouvais parmi des étrangers; or un de ces devoirs était la prière du soir. Dès ma plus tendre enfance, j'avais été accoutumé à m'agenouiller pour demander à Dieu, au nom de Jésus, son pardon, le remercier de ses bontés, et implorer sa protection et sa bénédiction.

- Pourquoi ne te mets-tu pas au lit, Robert? me dit Alfred. Pourquoi t'assieds-tu là ?

Je craignais de prier, et je craignais aussi de ne pas prier. Il me semblait que je devais me jeter sur mes genoux, et prier devant Alfred. Qu'allait-il dire? Ne rirait-il pas? La crainte d'Alfred me rendait lâche. Et pourtant, je n'osais pas me mettre au lit sans avoir fait ma prière. Si j'avais besoin de la protection de mon Père céleste à la maison, combien plus à l'étranger. Je faisais plusieurs souhaits; j'aurais voulu être seul, ou bien qu'Alfred s'endormît ou fit quelque autre chose, et beaucoup d'autres encore. Mais Alfred ne paraissait pas disposé à s'endormir.

Des luttes de ce genre se livrent peut-être dans le coeur de chacun au moment où il quitte la maison, et commence à agir sous sa responsabilité personnelle, et de la décision qu'il prend peuvent résulter des conséquences éternelles. Pour moi, le combat fut dur. À la fin, Alfred me dit :

- Viens donc, viens vite au lit. Je rassemblai alors tout mon courage pour lui dire :
- Je veux d'abord faire ma prière : ç'a toujours été ma coutume de prier avant de me coucher.
- Prier? dit Alfred en se retournant sur son oreiller, et il n'ajouta pas un autre mot.

Sa manière d'agir me fit honte. Je m'étais longtemps gêné de lui, et pourtant, dès qu'il eut connaissance de mon désir, il me laissait tranquille. Combien j'étais reconnaissant de voir que le devoir et ma conscience avaient eu le dessus !
Cette victoire décida de ma conduite future. Elle me donna de la force pour la suite. Je crois qu'avec la bénédiction de Dieu, la décision du - garçon chrétien, » a fait l'homme chrétien; car par la suite, j'eus à surmonter des épreuves et des tentations qui m'auraient certainement éloigné de Dieu, si ce n'eût été mon habitude de la prière secrète.

Que tout jeune homme qui a des parents pieux réfléchisse à cela. Vous avez été élevé dans là connaissance des devoirs et des principes chrétiens. Quand vous quitterez la maison, ne les oubliez pas. Portez-les avec vous et faites en sorte de vous y conformer : ils vous soutiendront à l'heure de la tentation. Mettez-vous résolument du côté de Dieu et de votre Sauveur, du Dieu et Sauveur de votre mère, du Dieu et Sauveur de votre père. C'est en abandonnant leur droit d'aînesse de chrétiens, que tant de jeunes gens se fourvoient, et qu'en grandissant, ils font le déshonneur de leurs parents, qu'ils demeurent sans espérance et sans Dieu dans le monde.



(17) POURQUOI IL NE FUMAIT PAS.

Le fils de M. Jérémie L., âgé de quatorze ans, passait l'après-midi avec ses jeunes amis, et sa visite se prolongea jusqu'au soir. Des amis de la famille vinrent alors pour passer la soirée. Les enfants se retirèrent dans le coin le plus caché, tandis que la conversation des Messieurs roulait sur les questions du jour les plus importantes, sur la politique, etc. Quoique s'entretenant apparemment l'un avec l'autre, les deux garçons prêtaient l'oreille à ce qui se disait, comme c'est toujours le cas des enfants, et ils se prononçaient sur les sentiments exprimés par leurs aînés, appuyaient l'un ou l'autre, suivant que leurs sentiments s'accordaient avec les leurs.

Messieurs, vous pouvez fumer, dit l'hôte. Un « merci » des plus accentués sortit simultanément de toutes les bouches, et on vit tous les visages, sauf un, s'illuminer de plaisir. Non pas que ce dernier fît mauvaise mine, ou qu'il se fût tenu en arrière des autres; mais son sourire n'était pas approbateur. Un caisson de cigares qu'on avait payés très cher, et qu'on appelait «délicieux » fut aussitôt apporté.

- De très fins cigares, dit M. X. en en portant un au nez avant de l'allumer. Et comment, M. Muller, ne fumez-vous pas ?
- Je m'estime heureux de pouvoir dire que non.
- Je ne pense pas que nous fassions bien, dit un des fumeurs - en jetant en l'air avec délices des bouffées de fumée - de fumer au salon. En vue du dégoût de ma femme pour cette plante, je ne le fais pas à la maison. Vous savez qu'elle craint en particulier pour ses tapis, rideaux, etc.
- C'est là le moindre de mes soucis, dit l'hôte d'un air de débonnaireté ; il n'y a pas dans ma maison de pièce qui soit trop bonne pour que mes amis et moi ne puissions y fumer. Ma femme l'a toujours compris, et naturellement, elle cède.
- Mais tu ne sais pas combien la fumée l'incommode, dit le jeune Henri. Elle se répand dans toute la maison, et maman se rend presque toujours chez tante Marguerite quand il y a deux ou trois personnes qui fument chez nous. C'est là qu'elle se rend en ce moment, ajouta-t-il, en entendant fermer la porte extérieure.
- Comment, dit Jérémie, est-ce qu'elle doit réellement sortir de la maison ? C'est dommage !
- Quelle est la raison pour laquelle vous ne fumez plus, M. Muller, dit l'un des personnages de la société ? Avez-vous peur d'un cigare ? ou avez-vous entièrement abandonné le tabac dernièrement ? Il y a des constitutions qui ne peuvent pas le supporter.
- Puisque vous désirez savoir pourquoi je ne fume plus, je vous dirai que c'est parce que je respecte trop ma femme pour cela.
- Je ne comprends pas ce que vous entendez. Est-ce que votre respect pour votre femme a quelque chose de commun avec un cigare ?
- Je m'explique. Avant mon mariage, j'étais adonné à l'usage du tabac. Je m'aperçus bientôt que la fumée importunait ma femme, quoiqu'elle supportât le désagrément avec toute la patience et la bonne grâce possibles. Je commençai donc à ne plus fumer qu'en revenant de mes affaires. Je considérai alors quelle impression ma présence, avec mon haleine et mes habits tout saturés de l'odeur du tabac devaient produire sur une femme délicate. Je me dégoûtai enfin de cette malpropreté, et je quittai tout. Et je puis bien vous dire que je ne m'en suis jamais repenti.
- Je ne m'en repentirais pas non plus, dit un autre avec admiration. Je suis assez sincère pour reconnaître que votre femme devrait vous en être obligée.
- Bien au contraire; c'est moi qui devrais être reconnaissant envers ma femme, dit M. Muller, tandis que les autres dégustaient leur cigare en silence, mais en rougissant de la censure involontaire qui venait de leur être infligée.
- Je dis que M. Muller a la tête fort dure, dit le jeune Benjamin.
- Sa conduite est admirable! dit Jean, qui faisait aussi ses réflexions, comme la fumée venait l'incommoder jusque dans son coin retiré, puis il se disposa à partir.

Le jour suivant, Jean était fort prévenant, et si tranquille que chacun le remarqua; le soir arrivé, quand son père s'apprêtait à allumer sa pipe de tabac fort, Jean paraissait sur des épines.
- Je ne puis pas croire que tu ne respectes pas maman, hasarda-t-il enfin en rougissant jusqu'aux cheveux.
- Qu'est-ce que tu entends ? lui demanda son père d'un ton sévère. Je te demande ce que tu entends.
- Je dis cela parce que la fumée incommode maman, qu'elle imprègne les rideaux et les tapis, et.... que M. Muller donnait hier soir pour raison de ce qu'il ne fumait pas, qu'il respectait trop sa femme.
- Bah! ta maman n'est nullement incommodée par ma fumée, n'est-ce pas, maman? ajouta-t-il d'un ton jovial en s'adressant à sa femme qui entrait en ce moment.
- Eh bien... elle m'a eu incommodée plus que maintenant. Je suppose qu'on peut s'habituer à tout, en sorte que je me dis que ce qu'on ne peut pas changer, il faut le supporter.
- Quelle idée! Tu sais bien que si je voulais, je quitterais le tabac dès demain, dit le père en riant.
- Mais tu ne le voudras pas, dit-elle d'une voix douce.

Je ne saurais dire si le père de Jean a abandonné le tabac. Il est probable que non; mais si vous désirez savoir ce qui en est résulté, je vous prierai de jeter un coup d'oeil sur le document que voici, écrit il y a quelques années, et qui m'est tombé entre les mains.

« Moi, Jean L., de sang-froid et de propos délibéré, prends en ce 1er janvier 1861 les résolutions suivantes, que je prie Dieu de m'aider à tenir:
- premièrement. Je ne jurerai jamais, parce que c'est insensé aussi bien que méchant.
- Deuxièmement. Je ne fumerai jamais, de crainte d'incommoder ceux qui s'approcheront de moi; et après mon mariage, je conserverai toujours les paroles suivantes comme ma devise :
« Je ne veux pas fumer parce que je respecte trop ma femme pour cela. - C'est là ce que M. Muller a dit, et je ne l'oublierai jamais. »

Ainsi fait etc. etc.

Jean tient ses engagements.



( 18) WILLIAM ET LOUIS.

Il arrive souvent aux jeunes garçons de supposer qu'on les tient trop serrés - apprendre parfaitement leurs leçons, travailler, aller à l'école du Sabbat, être si ponctuels et minutieux, avoir si peu de temps pour s'amuser, tout cela leur paraît un joug insupportable. « A quoi cela sert-il ? » disent-ils souvent avec un air de mécontentement évident. Eh bien mes enfants, souvenez-vous qu'il sert à beaucoup d'être bien élevé; et la discipline que vous trouvez un joug si blessant est précisément ce que vos parents jugent nécessaire pour faire de vous plus tard des hommes utiles. Je vous relaterai, pour illustrer mon dire, un incident qui est parvenu dernièrement à ma connaissance.

William était le fils aîné d'une veuve qui comptait sur lui, après Dieu, comme son bâton de vieillesse. Il était élevé dans des habitudes d'industrie et dans la crainte de Dieu. Les jours de classe et les jours de l'école du Sabbat trouvaient très rarement sa place vacante. L'indolence qui rouille et ronge le caractère n'avait nullement l'occasion de s'attacher à lui.

Les années d'école passées, il entra comme commis dans un magasin de la ville. William se trouva d'abord tout à, fait dépaysé; le va-et-vient des rues bruyantes avait assez peu d'analogie avec la tranquillité de son village; puis l'immense magasin qui comptait étage sur étage, tout rempli de marchandises, de caisses et de balles, remplaçait maintenant ses quelques livres et son maillet. Les garçons de magasin étaient tous pour lui des étrangers. Les manières gracieuses et la beauté physique d'un riche collègue du nom de Louis qui était entré un peu avant lui dans le magasin, lui faisaient particulièrement sentir son infériorité et son ignorance. William regardait Louis avec admiration; quant à lui, toutes choses lui étaient nouvelles et étranges, et il se trouvait bien fatigué après ses longues heures de travail. Mais ses bonnes habitudes lui gagnèrent bientôt des amis. Les commis plus âgés l'aimaient à cause de son activité et de sa serviabilité, et tous rendaient témoignage à sa ponctualité.

Toutefois William eut aussi ses épreuves. Un matin, il fut envoyé à la banque pour tirer de l'argent; à son retour, ne trouvant personne que Louis au magasin, - le patron était absent, - il déposa son argent sur le comptoir du patron. M. Thomas arriva enfin. - Il manque dix francs, dit-il après avoir compté son argent. Le pauvre William sentit la rougeur lui monter au visage; mais il dit d'un ton décidé : - J'ai pourtant, mis la somme en entier sur votre comptoir, Monsieur. M. Thomas regarda son jeune commis dans les yeux, mais n'y remarquant aucune marque de déshonnêteté, il lui dit: - Une autre fois, vous me remettrez l'argent à moi-même, mon garçon. La bonne saison arrivée, l'un des principaux employés tomba malade, et William rendit au comptable des services très appréciés en lui additionnant de longues colonnes de chiffres. Oh, combien il s'estimait heureux d'avoir profité de ses leçons de mathématique, quand le comptable le remerciait pour les services importants qu'il lui rendait!

Louis invitait souvent William à aller au restaurant, à faire quelques parties de billard ou des promenades en voiture. À toutes ces invitations, William n'avait qu'une réponse à faire; et cette réponse, la voici : Non. Il répondait invariablement qu'il n'avait ni temps ni argent à consacrer à de tels divertissements. Les heures de travail passées, il se retirait dans sa petite chambre pour lire. Il ne sentait aucun besoin de ces amusements excitants, ni ne désirait manger ou boire autre chose que ce qu'on lui servait à sa pension.
Il n'en était pas de même de Louis. Il avait des parents qui lui accordaient toutes ses volontés, et assez d'argent.
C'est du moins ce que supposait William; et pourtant, il dépensait tout son argent à mesure qu'il le recevait; il lui arrivait même parfois d'en emprunter de ses camarades.
Louis se moquait de l'économie stricte de William; mais en réalité ce dernier était de beaucoup le plus heureux des deux. À la fin, on s'aperçut que la moitié d'une pièce d'étoffe avait disparu - recherches faites, on découvrit que le voleur n'était autre que Louis. Oh ! la honte et le déshonneur dont cette découverte le couvrit! Et pourtant, hélas, ce n'était pas son premier vol! Louis avait pris la coutume de détourner différentes choses pour satisfaire ses habitudes dépensières, sa culpabilité découverte, il s'enfuit, et avant que ses parents en fussent avertis, il était bien loin du toit paternel et de sa ville natale, comme un paria pour ses parents et ses amis affligés, privé de toutes les consolations et des joies que donne la vertu.

William gagne rapidement la confiance de ses patrons; comme il craint Dieu, il est fidèle à ses devoirs. Il n'y a rien de nouveau dans tout cela; des cas semblables se présentent tous les jours; aussi mon désir n'était pas de raconter quelque chose de nouveau; mais simplement de faire ressortir la leçon qu'ils nous enseignent.

Accorder trop de libertés aux enfants, c'est leur préparer tôt ou tard la confusion et la ruine; tandis que les soumettre à une discipline sévère et leur inculquer des principes fermes, c'est jeter les fondements d'une vie utile et heureuse.



(19) CONSÉQUENCES D'UN MENSONGE.

C'était en hiver, et au crépuscule. Les ténèbres envahissaient la chambre, et une lumière blafarde s'échappait joyeusement de l'âtre. Une vénérable vieille dame aux cheveux, blanchis par l'âge, mais au coeur frais et jeune, était confortablement installée dans un fauteuil tout près du feu. Soudain des pas précipités se font entendre, la porte s'ouvre et d'un bond l'enfant se trouve à ses côtés.

- Eh bien, Rosalie, dit la bonne vieille dame en posant tendrement la main sur les charmantes boucles de l'enfant, je suppose que tu as fait une bonne partie de patinage.
- Oh! c'était délicieux, tante Ruth; et ne voudriez-vous pas me raconter maintenant quelqu'une de vos belles histoires ?

Rosalie était orpheline; sa mère était morte récemment; elle était venue faire visite à sa tante dont elle avait aussitôt conquis l'affection par ses manières avenantes et son caractère affectueux.
Mais la tante Ruth avait les yeux bien ouverts, en sorte qu'elle découvrit bientôt que Rosalie ne se faisait pas scrupule de raconter un mensonge à l'occasion, et qu'elle ne se mettait pas fort en peine quand on la prenait sur le fait. S'il y avait un trait qui distinguait la tante Ruth, c'était sa véracité ; et s'il y avait quelque chose qu'elle détestait en particulier, c'était tout ce qui avait quelque apparence de fausseté.
Le langage de son coeur était : Le menteur ne demeurera pas en ma présence. Elle prit la résolution, avec l'aide de Dieu, de déraciner à tout prix cette plante empoisonnée du coeur de cette enfant qui lui était si chère. C'était sur ce sujet qu'elle réfléchissait il y a un instant, et elle avait maintenant formé une résolution.

- Prends ta petite chaise, mon enfant, et viens t'asseoir auprès de moi. Un instant plus tard, les yeux bleus de Rosalie étaient rivés sur sa tante.
Je suis maintenant vieille, ma chère enfant, dit celle-ci en agitant son noble front, et ma mémoire commence à me faire défaut. Mais je me souviens toujours du temps où j'étais une petite fille gaie et vive comme toi. Cela te fait ouvrir les yeux, et tu es fort surprise ; mais si le Seigneur t'accorde la vie, avant de t'en être rendue compte, tu seras aussi vieille que tante Ruth.

Je me souviens qu'en ce temps-là j'étais une fois à l'école, avec une petite fille du nom d'Amélie qui était très douce, très sensible, et excellente élève. Elle semblait disposée à se rapprocher de moi, et il ne m'était guère possible de résister à ses timides avances. Pourtant, je ne l'aimais pas beaucoup, parce qu'il arrivait souvent qu'elle avait de meilleures places que moi ; si ce n'avait été elle, j'aurais toujours été la première de ma classe. La pauvre Amélie ne savait comment s'expliquer ma froideur, parce que j'étais trop orgueilleuse pour lui en découvrir la raison. J'avais toujours été une enfant véridique, Rosalie, mais la jalousie me tenta et je succombai. J'essayais parfois de prévenir les autres petites filles contre Amélie : ce fut là le commencement de ma chute. Elle était trop timide pour se défendre, en sorte que j'atteignais généralement mon but.

Un jour, notre institutrice nous demanda d'épeler le mot récemment. De son ton de voix bas ordinaire, Amélie commença à épeler comme suit : - r-é-c-e-m-m-e-n-t, récemment. L'institutrice qui ne l'avait pas bien comprise, lui dit vivement:

- C'est faux... à la suivante; puis se ravisant, elle lui demanda: N'avez-vous pas dis : s-a-m-m-e-n-t ?
- Non, Mademoiselle, j'ai dit : c-e-m-m-e-n-t.

Mlle B. étant encore dans le doute, se tourna vers moi et me dit :

- Vous, Ruth, qui avez entendu, qu'a-t-elle dit ? Une méchante pensée surgit aussitôt dans mon esprit; je me dis que j'avais là une excellente occasion de rabaisser ma rivale et de m'élever. De propos délibéré, je proférai un gros mensonge.
- Amélie a dit s-a-m-m-e-n-t, dis-je avec assurance. L'institutrice se tourna alors vers elle mais, confondue par mon accusation, elle demeura muette, tandis que son visage s'empourprait, ce qui lui donna quelque apparence de culpabilité.
- Amélie, dit l'institutrice d'une voix sévère, je ne m'attendais pas à un mensonge de votre part. Allez tout de suite vous placer à la queue de la classe, et souvenez-vous que vous devez rester ce soir.

J'avais triomphé, Rosalie; Amélie était dans l'opprobre, et moi j'étais fièrement installée à la tête de la classe mais je n'étais pas heureuse.
Au sortir de l'école, je fis semblant d'avoir perdu quelque chose, et restai dans le corridor. J'entendis l'institutrice. qui disait :

- Amélie, venez ici. Alors, j'entendis le pas léger de l'aimable enfant.
- Comment se fait-il que vous m'ayez menti ?
- Je ne vous ai pas menti Mademoiselle. Mais au moment même où elle niait le fondé de l'accusation, je pus la voir au travers du trou de la serrure, qui tremblait, soit de chagrin de se voir accuser, soit de la crainte de la punition.
- Étendez la main.

Je restai comme clouée sur place. J'entendis tomber lourdement un coup après l'autre sur la blanche main de l'innocente enfant. Tu peux bien te cacher de moi, Rosalie. Oh, pourquoi n'ai-je pas parlé? Chaque coup m'allait droit au coeur, mais je m'obstinais à ne pas vouloir confesser mon péché. Je m'éloignai donc de la porte à la dérobée. M'étant arrêtée en chemin, je vis venir Amélie qui s'avançait lentement dans la direction de la maison, tenant ses livres d'une main, et essuyant de l'autre le torrent de larmes qui coulait de ses yeux.

Ses sanglots qui semblaient rompre son coeur firent sur moi une profonde impression. Comme elle avançait en pleurant, elle heurta contre quelque chose, tomba, et ses livres roulèrent à terre. Je m'empressai d'aller les ramasser et de lui donner.
Tournant alors vers moi ses doux yeux bleus tout inondés de larmes, elle me dit de la voix douce :
- Je te remercie beaucoup, Ruth.

Cette douce voix fit battre bien fort mon coeur coupable, mais je m'obstinais à ne pas vouloir parler; nous marchions donc en silence

En arrivant à la maison, je me dis : À quoi bon me tracasser ? Personne n'en sait rien. Je me déterminai à jeter de côté ce fardeau de remords, et j'entrai dans notre agréable salon, où je commençai à parler et à rire comme si de rien n'était. Mais le poids qui reposait sur mon coeur devenait de plus en plus lourd. Je n'avais pas besoin qu'on me rappelât quel était le salaire du péché, ma chère Rosalie. L'oeil de Dieu me semblait un feu consumant. Mais plus je me sentais oppressée, plus je m'efforçais de paraître joyeuse; je fus reprise plus d'une fois à cause de ma bruyante hilarité, tandis que je m'efforçais de comprimer mes larmes.

À la fin, je me rendis dans ma chambre. Il ne me fut pas possible de prier: je me jetai au lit et fermai résolument les yeux pour appeler le sommeil; mais en vain. Le tic tac de la vieille horloge me semblait venir de plus en plus fort, et m'adresser des reproches. Quand il frappa lentement minuit, il me sembla qu'il sonnait un glas funèbre. Je me tournais et me retournais sur mon petit oreiller : il me paraissait rempli d'épines. Les doux yeux bleus tout inondés de larmes étaient toujours devant moi ; j'entendais constamment les coups répétés de la cruelle férule. Incapable d'endurer plus longtemps ce supplice, je me levai enfin et m'assis devant la fenêtre. Les nobles ormeaux se dessinaient paisiblement au clair de la lune, étendant au loin leur ombre gigantesque. La barrière blanche, les allées gravelées, la tranquillité parfaite dans laquelle tout se trouvait à l'extérieur, contrastaient étrangement avec mes angoisses; la solennité du ciel de minuit me remplissait d'une admiration et d'une crainte que je n'avais encore jamais éprouvées.

Ah! Rosalie, une mauvaise conscience et un Dieu irrité, c'est plus qu'un enfant peut endurer!

M'étant détournée de la fenêtre, je jetai un coup d'oeil sur mon petit couvre-lit blanc comme la neige, cadeau que maman m'avait fait à l'occasion de mon anniversaire. Ce couvre-lit éveilla en moi une foule de souvenirs, la patience et la bonté de ma mère me revinrent à la mémoire. Il me sembla sentir sa main mourante se poser sur ma tête, et entendre sa voix expirante, alors qu'elle suppliait le Seigneur de répandre sa bénédiction sur sa fille aînée. Oh ! Dieu, disait-elle, fais d'elle une enfant véridique et sainte! » Je m'efforçais de bannir de mes pensées cette dernière et ardente supplication de ma mère, mais plus grande était ma détermination de l'oublier, plus grande était la force avec laquelle elle se présentait à moi. Vaincue enfin, je m'appuyai sur ma fenêtre, éclatant en sanglots. Mais ces larmes, ma chère Rosalie, ne pouvaient me soulager.
Mon angoisse augmentait d'intensité à chaque minute, à tel point qu'à la fin je courus presque avec effroi auprès du lit de mon père.

- Papa! papa! m'écriai-je; mais il ne m'était pas possible d'en dire davantage. Passant tendrement ses bras autour de ma taille, il m'attira à lui, et appuya ma tête sur son sein ; puis il me caressa jusqu'à ce que je pus assez maîtriser ma douleur pour lui expliquer la cause de mon angoisse. Alors, avec quelle ardeur il supplia Dieu de pardonner son enfant pécheresse !
- Cher papa, lui dis-je, veux-tu venir avec moi ce soir pour voir la pauvre Amélie ?
- Demain matin, mon enfant, me dit-il.

Ce délai était pour moi un vrai supplice. Toutefois, m'efforçant de cacher mon désappointement, je reçus le baiser de mon père et rentrai dans ma chambre.
Mais le sommeil s'enfuyait encore de mes yeux fatigués. À la fin, mon désir d'aller demander le pardon d'Amélie devint presque de la frénésie; après avoir attendu ce qui me paraissait être des heures sur l'arrivée du matin, je courus encore une fois vers mon père, en versant un torrent de larmes. Je m'agenouillai devant son lit et le suppliai de venir en ce moment même avec moi auprès d'Amélie, ajoutant, à voix basse : elle pourrait bien mourir avant de m'avoir accordé son pardon. Il posa sa main sur ma joue brûlante, puis après un instant de réflexion, il me dit

- J'irai avec toi, mon enfant.

Quelques minutes plus tard, nous étions en chemin. Comme nous approchions de la petite maison de Mme Sinclair, nous pûmes voir des lampes qui allaient précipitamment d'une chambre à l'autre. Tremblant d'une terreur indéfinissable, je me cramponnai à mon père. Il ouvrit lentement la porte, et nous entrâmes.

En ce moment, le docteur sortait; sa surprise fut grande de nous rencontrer à pareille heure devant cette porte. Le langage est impuissant à décrire mes sentiments lorsque, en réponse aux questions de mon père, il nous apprit qu'Amélie était atteinte de la fièvre cérébrale.

- Sa mère, poursuivit-il, me dit qu'elle n'était pas bien depuis plusieurs jours, mais qu'elle n'eût jamais consenti à manquer l'école. À son retour, hier soir, elle paraissait toute changée. Elle n'a pas soupé, mais elle s'est assise à table, muette, et comme paralysée par la douleur. Sa mère, s'est efforcée de toutes les manières possibles de connaître le sujet de sa tristesse, mais en vain. Elle s'en est allée se coucher avec la même apparence d'abattement, et moins d'une heure plus tard, on me faisait appeler. Dans son délire, elle vous appelait, chère Ruth; elle vous suppliait du ton le plus lamentable d'avoir pitié d'elle et de la délivrer.

Tu peux te figurer, Rosalie, combien ces paroles me déchiraient le coeur!

Cédant à mon instante requête, la mère d'Amélie me permit de la voir une minute. Prenant avec amabilité ma main - celle de la meurtrière de son enfant - elle me conduisit dans la chambre de la malade. En jetant un regard sur la faible souffrante, je sentis s'évanouir le dernier rayon d'espérance. Les ombres de la mort étaient déjà sur son front et dans ses grands yeux bleus. M'agenouillant auprès de son lit, je répandis mon coeur à voix basse; je la suppliai avec la plus grande ardeur de m'accorder son pardon, Mais mon regard suppliant ne rencontra plus qu'un oeil égaré et inconscient. Non, Rosalie, je ne devais jamais recevoir l'assurance de son pardon.

Quand je revis Amélie, elle était endormie. La rougeur avait disparu de ses joues, dont la pâleur n'était coupée que par ses longs sourcils. Le délire avait cessé, et son coeur blessé était en repos. Cette petite main blanche qui, toute tremblante, avait été étendue pour recevoir les coups de la cruelle férule était maintenant soigneusement jointe avec l'autre. Plus jamais les larmes ne devaient couler de ses yeux, ni son sein être oppressé par la douleur : ce sommeil était celui de la mort!

Ma douleur était plus vive, si ce n'est plus profonde, que celle de la veuve à laquelle j'avais ravi ce trésor. Elle m'avait accordé son pardon; mais je ne. pouvais me pardonner moi-même. Combien il fut long, l'hiver suivant! Mes souffrances morales provoquèrent une fièvre violente; et dans mon délire, je ne cessais d'appeler Amélie. En exaucement des prières de mon cher père, Dieu me releva de mon lit de souffrances. Le printemps avait annoncé son arrivée par une tendre pousse de verdure, et des fleurs printanières s'épanouissaient sur la tombe d'Amélie quand on me permit pour la première fois d'aller la visiter.
Il me semblait que mon coeur allait se rompre quand je lus cette inscription

AMÉLIE SINCLAIR, endormie dans le Seigneur le 3 septembre.

Je me jetai à genoux sur cette tombe, et je fis monter de ce lieu même, ce que je crois avoir été la prière de la foi. C'est là que je trouvai force et soulagement, ma chère Rosalie, dit la tante Ruth en posant tendrement ses mains sur la jeune tête de l'enfant qui était inclinée vers le sol. Depuis longtemps les larmes ruisselaient sur les joues de Rosalie; mais en ce moment, elle sembla ne plus pouvoir se contenir. Sa tante n'essaya pas non plus de la consoler, parce qu'elle pensait qu'il y avait dans cette douleur une puissance curative.

- Priez pour moi! dit-elle enfin d'une voix entrecoupée, en levant sur sa tante ses yeux tout remplis de larmes. Tante Ruth fit alors monter au ciel une supplication ardente en faveur de l'enfant éplorée.

Rosalie n'oublia jamais cette scène; car dans ce moment d'affliction du milieu de ses larmes, elle vit se lever sur elle une lumière plus éclatante que celle de l'aurore. Et quoiqu'il n'en n'eût pas peu coûté à la tante Ruth de rappeler ces tristes souvenirs, elle se sentit récompensée au centuple pour son sacrifice.

Ce doux et jeune visage plus gai qu'un beau jour de mai, mais dont la beauté avait souvent été entachée par les traces de la fausseté et du mensonge, réfléchit de plus en plus cette douce lumière qu'y répandirent la droiture et la parfaite véracité qui la distinguèrent dès ce moment.


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