Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...




(20) HISTOIRE D'UN LIVRE DÉCHIRÉ

 

Un régiment qui partait pour la guerre fit une halte de quelques jours dans une certaine ville du midi de la France. Là, se trouvait un colporteur biblique accomplissant son oeuvre. sa sollicitude chrétienne fut vivement excitée à la pensée de tous les périls qu'allaient affronter ces hommes pleins d'entrain et d'insouciance, et qu'une bonne parole dite à propos pourrait ramener à des sentiments plus en rapport avec la gravité de leur position. pressé par cette sollicitude, il fit, tant auprès du colonel du régiment en question, qu'il obtint la permission de s'entretenir avec les premiers partants.

Un matin donc que, dans la cour de la caserne, il était entouré d'un groupe de militaire auxquels il parlait, avec une grande abondance et une grande chaleur de coeur, des consolations qu'ils trouveraient dans le Nouveau Testament, aux jours des dangers faciles à prévoir, un jeune homme de fort bonne mine, à l'expression des plus intelligentes, sortit des rangs, et s'avançant tout près du colporteur, lui dit de la manière la plus cordiale qu'il avait été profondément touché de ses exhortations si sérieuses et si affectueuses.

- Elles m'ont convaincu, ajouta-t-il, de la nécessité de me munir de la Parole de Dieu ; mais, hélas! continua-t-il en poussant un gros soupir, je n'ai pas un centime vaillant pour faire cette précieuse emplette !

- Qu'à cela ne tienne, répliqua aussitôt le colporteur; puisque vous avez un tel désir de posséder l'Évangile, il ne sera pas dit qu'un chrétien vous ait laissé partir sans vous en avoir donné un exemplaire, dussé-je le payer de ma poche à ceux auxquels j'ai à rendre compte de ma gestion.
Et sortant de sa gibecière un Nouveau Testament du format le plus portatif, il le remit entre les mains du soldat...

Mais, ô surprise ! ô douleur ! à peine le jeune homme fut-il possesseur du volume qu'il partit d'un grand éclat de rire et qu'il s'écria :
- Mon brave homme, vous êtes joué! Je suis le farceur numéro un du régiment, demandez plutôt aux camarades! Il est clair comme le soleil qui nous éclaire que je me moque pas mal de vos bêtises, et que je me soucie autant que de l'an quarante de marmotter à genoux dès orémus et le reste. Mon chapelet à moi, voyez-vous, mon cher, c'est une enfilade à n'en plus finir des farces et gaudrioles les plus désopilantes! Demandez encore à mes camarades; ils vous renseigneront là-dessus mieux que la modestie ne me permet de le faire. Après la mort, voyez-vous, mon cher...

Ici le colporteur interrompit ce flux de paroles si déplorablement légères en s'écriant, avec un accent qui fit tressaillir plusieurs de ses auditeurs :
- Après la mort, pauvre malheureux, suit le jugement! et quel jugement! il me fait frissonner d'épouvante! Écoutez comment le Seigneur Jésus-Christ le formule :
«Retirez-vous de moi, maudits, et allez dans le feu éternel, qui est préparé au diable et à ses anges,» (Mat. 25 : 41). «C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents , (Mat. 8: 12).

Un moment le jeune soldat ne rit plus, et parut tout interdit; mais sa légèreté reprenant le dessus, il se tourna vers ceux qui l'entouraient et s'écria :

- Je crois, parole d'honneur, que l'ancien m'injurie; mais paix lui soit, la pilule que je lui fais avaler lui reste pour le quart d'heure au gosier. Cela ira mieux incessamment...

- Rendez-moi mon livre, dit avec autorité le colporteur...
- Nenni, nenni, mon vieux, répondit le militaire ; j'aurais honte pour vous de vous faire un tel affront devant une si honorable société. Que penseraient de vous les camarades, je vous prie, s'ils vous voyaient reprendre de la main gauche le cadeau que votre main droite m'a offert ? Ça ne s'est jamais fait et ça ne se fera jamais, mon cher, dans l'armée française. Ce qu'on y donne, on le donne de bon coeur et on le garde idem. D'ailleurs, votre livre me sera utile, c'est là ce que vous souhaitez, pas vrai ? En campagne on n'a pas toujours sous la main les ingrédients nécessaires pour allumer la pipe. Les voilà tout trouvés. Merci donc, mon vieux. Entre nous sans rancune.

Sur ce, faisant le salut militaire de la façon la plus grotesque, le jeune homme disparut au pas accéléré, non assez vite toutefois pour ne pas entendre ce sérieux avertissement donné d'une manière vraiment solennelle: Prenez garde,

« C'EST UNE CHOSE, TERRIBLE QUE DE TOMBER ENTRE LES MAINS DU DIEU VIVANT » (Héb. 10: 31).

Le pauvre colporteur, remarquant le lamentable effet produit sur l'esprit dissipé de ceux qui l'entouraient encore, se retira bientôt après le coeur débordant d'une profonde tristesse, mais dégagé de tout sentiment amer. Ah! ce qui dominait en lui, c'était une immense compassion qui le portait à s'écrier en s'adressant à Dieu : « Pardonne-lui, Seigneur, car il ne sait ce qu'il fait; ô mon Dieu ! dis-lui, toi, de ta voix puissante, et dans le fond de sa conscience, la parole qui peut changer son coeur. Seigneur ! Seigneur! éclaire-le; touche-le; convertis-le; sauve-le. »
Telle fut l'ardente prière de ce chrétien, et il ne pouvait pas en être autrement, parce qu'enseigné par le Saint-Esprit, il avait reçu le plus beau don du ciel, la charité, « qui ne cherche point son intérêt... ; qui ne s'aigrit point ... ; qui, ne se réjouit point de l'injustice ... ; qui excuse tout...; qui espère tout... ; qui supporte tout. »

À quinze mois de distance de ce triste récit, nous retrouvons, toujours à l'oeuvre, notre colporteur biblique. Mais il a beaucoup voyagé, pendant ces mois qui viennent de s'écouler, et dans beaucoup d'endroits très éloignés les uns des autres, il a eu la joie de vider, à différentes reprises, la large gibecière dans laquelle il porte ses Bibles et ses Nouveaux Testaments. Comme le semeur de nos campagnes, il a répandu à pleines mains, partout où il a passé, une semence infiniment plus précieuse que celle qui produit le grain avec lequel se fait le pain qui nourrit nos corps : il a répandu la Parole de Dieu, qui se nomme elle-même « la semence » (Luc 8: 11), la semence de la vie éternelle; semence tellement productive en toute sorte de bons fruits « qu'un grain en produit cent, un autre soixante et un autre trente » (Mat. 13: 23).

Un soir donc qu'il atteignit un petit village, situé, disons-le dès l'abord, à plus de cent lieues de cette certaine ville où un Nouveau Testament lui fut enlevé d'une façon si indélicate, il se fit désigner l'auberge où il pourrait se reposer des fatigues d'une journée très activement employée.
Dès qu'il fut entré dans la maison, il remarqua qu'un événement extraordinaire, un événement malheureux, s'y était passé. Dans la salle des voyageurs une dizaine de personnes prenaient leur repas du soir, mais tout dans leur contenance annonçait qu'elles étaient sous le poids de pensées bien douloureuses ; une scène plus triste encore s'offrit aux regards du colporteur lorsqu'il parvint dans la cuisine où se trouvaient les gens de la maison. Tous vaquaient à leurs différents offices, en silence et avec un air abattu et même consterné; et près de la cheminée se voyait une femme d'un certain âge assise, la tète penchée sur la poitrine et évidemment abîmée dans la plus profonde douleur, car de moment en moment, et involontairement, elle laissait échapper de sourds gémissements qui fendaient le coeur.
Celui du colporteur, sous l'empire de la charité que nous avons décrite, ne pouvait rester froid et indifférent dans cette circonstance. Notre ami s'approcha donc de la pauvre affligée avec cette sympathie qui, dès qu'elle se traduit par les plus simples mots, provoque immédiatement l'abandon et gagne la confiance.

- Oui, j'ai du chagrin et un grand chagrin, s'écria l'aubergiste, en versant un torrent de larmes, et je vous remercie des bonnes paroles que vous venez de m'adresser, elle m'ont fait du bien là, dit-elle, en posant la main sur son coeur. La cause de ce grand chagrin, la voici. Il y a quelques heures seulement que l'on a porté dans le champ du repos celui qui était le bonheur, et je puis bien ajouter l'orgueil de ma vie!... mon fils! ... et quel fils!... » Ici la voix manqua tout à fait à cette mère désolée. De déchirants sanglots furent tout ce qu'elle put faire entendre.
- Calmez-vous, chère dame, lui dit le colporteur avec une vive émotion. Calmez-vous, et permettez-moi de vous lire quelques lignes seulement d'un livre que je n'ouvre jamais sans y trouver exactement ce qu'il me faut pour toutes les circonstances malheureuses ou heureuses que j'ai à traverser. »

Le colporteur sortit alors de sa poche un petit Nouveau Testament, et y lut ce qui suit : «... Dieu nous a châtiés pour notre profit, afin de nous rendre participants de sa sainteté. Il est vrai que tout châtiment semble d'abord un sujet de tristesse et non pas de joie; mais il produit ensuite un fruit paisible de justice à ceux qui ont été ainsi exercés » (Héb. 12 : 10, 11). À peine ces derniers mots furent-ils prononcés, que la femme jeta un cri et se leva avec une impétuosité extrême. Le colporteur n'eut pas l'air d'y prendre garde, et continuant à tourner les feuillets de son livre, il y lut encore ce qui suit : « Puis donc que nous avons un grand et souverain Sacrificateur, Jésus, fils de Dieu, qui est entré dans les cieux. demeurons ferme dans notre profession; car nous n'avons pas un souverain sacrificateur qui ne puisse compatir à nos infirmités, puisqu'il a été tenté de même que nous en toutes choses, si l'on en excepte le péché. Allons donc avec confiance au trône de grâce, pour être secourus dans les temps convenables » (Héb. 4).

À l'ouïe de ce passage, la femme se précipita sur le lecteur et lui arracha le livre des mains, en s'écriant tout hors d'elle-même: Malheureux, vous m'avez pris tout ce qui me reste de plus précieux de lui!... le trésor auquel je tiens le plus!... Puis jetant un coup d'oeil, sur le volume dont elle s'était violemment emparée, elle le laissa tomber à terre, en disant tout bas : Non, ce n'est pas mon précieux livre ; le mien est déchiré, le vôtre est entier... Pardon. - Votre livre ressemble donc au mien, chère darne, et c'est l'héritage de votre fils ? Dieu en soit béni! reprit le colporteur.

La femme passa avec rapidité dans une pièce attenante, et revint tôt après avec un Nouveau Testament à la main, de la même version et du même format que celui dont s'était servi le colporteur; mais ainsi qu'elle l'avait annoncé, le livre n'était plus complet; bien des pages en avaient été déchirées. Le colporteur le prenant, l'ouvrit, et ses yeux s'arrêtèrent sur les lignes suivantes, écrites en assez gros caractères:

Reçu A.... LE... D'ABORD MÉPRISÉ, VILIPENDÉ; ENSUITE LU, CRU ET DEVENU L'INSTRUMENT DE MON SALUT. Signé J.L..., fusillier à la... compagnie du... régiment de ligne.

À la vue de cette inscription, le colporteur porta la main au front, comme un homme qui cherche à se ressaisir un souvenir. Bientôt la lumière se fit pour lui; l'événement qu'il reconstruisait dans sa mémoire lui apparut aussi clairement, et avec tous ses détails, que s'il était de la veille: l'endroit où il s'était passé, sa date, ce mépris du Livre ouvertement confessé, tout cela le plaça immédiatement en présence de ce jeune moqueur dont il s'était séparé en lui faisant connaître les terribles jugements auxquels il s'exposait. Puis il se souvint de la fervente prière qui de son coeur était monté vers le trône des miséricordes. - O mon Dieu, dit-il en élevant son coeur en haut, tu es admirable dans toute tes voies, et voici un témoignage de plus, ô mon Sauveur! que tu tiens fidèlement cette consolante promesse: « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent tu vous, demandez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé » (Jean 15: 7)



(21) CES CICATRICES.

- Qu'est-ce que ces places étranges, dit Marie Landmann à son père, comme elle était assise sur ses genoux, tenant une de ses mains dans les siennes.
- Ce sont des cicatrices, ma chérie, et si je devais t'en raconter l'histoire, elle serait passablement longue.
- Raconte-la-moi donc, dit Marie, j'aime les longues histoires.
- Eh bien, ces cicatrices, mon enfant, ont plus de quarante ans. Depuis quarante ans, elles me sont un mémorial perpétuel de ma désobéissance à mes parents et à la loi de Dieu.
- Raconte-moi toute cette histoire, papa, dit Marie.
- Volontiers. Quand j'avais environ douze ans, papa m'envoya dans la forêt pour y couper une perche à abattre les pommes. Il en avait besoin immédiatement pour remplacer celle qu'il venait de casser. Je pris ma petite hache, et entrai dans la forêt pour m'acquitter de mon importante mission. Je regardai dans toutes les directions pour trouver un arbre long et mince qui répondit au but; mais chaque fois que je m'arrêtais pour en examiner un, un autre qui me paraissait plus long et plus droit frappait mes regards un peu plus loin. À ma surprise, presque tous ces arbres qui me paraissaient si longs et si droits à distance, devenaient courbés ou avaient quelque défaut quand je les regardais de près. Tombant de désappointement en désappointement, je traversai toute la forêt avant d'avoir fait mon choix.

Mon sentier aboutissait à une clairière, et tout près de là se trouvait un jeune cerisier chargé de fruits. La tentation était forte. Je savais fort bien à qui cet arbre appartenait, et qu'il produisait des fruits excellents. Il n'y avait pas de maison près, et je ne voyais personne. Dieu seul pouvait me voir, et je ne pensais pas que son oeil était sur moi.

Je me décidai à goûter le fruit tentateur. Je montai sur l'arbre et commençai à cueillir de ces belles cerises. Je ne pouvais pas en jouir, tant je craignais d'être vu. Quelqu'un pourrait venir et me surprendre sur l'arbre, me disais-je. Je me décidai donc à couper une branche bien chargée, et à en manger les fruits tout en rentrant à la maison. Le bout de l'arbre s'inclinait sous le poids de ses fruits. Je montai aussi haut que je pus, attirai à moi la flèche du cerisier, et je voulus la couper avec mon couteau. Dans mon ardeur à m'assurer la branche que je convoitais, je ne pris pas garde à ma main gauche de laquelle j'inclinais la branche. Mon couteau glissa sur le bois flexible, atteignit ma main gauche, et emporta la chair de tous mes doigts jusqu'à l'os. Jamais je n'ai pu regarder le sang sans défaillir. En regardant celui qui coulait de tous mes doigts, le coeur me manqua; je glissai entre les branches de l'arbre et tombai sur le sol. Le choc de ma chute fit disparaître l'évanouissement, de sorte que je fus bientôt dé nouveau sur mes pieds. J'enveloppai, mes doigts tout sanglants de mon mouchoir de poche, et dirigeai rapidement mes pas vers la maison. Ma course avait été pire qu'inutile; je n'avais pas fait ce pour quoi j'avais été envoyé, j'avais gravement péché, et je m'étais mis dans l'incapacité de travailler; et pourtant mes parents avaient besoin de moi pour cueillir les pommes.

Je ne trouvai personne pour me plaindre; mon père me reprit sévèrement et me menaça de me punir, quand ma blessure serait guérie. Maman qui pansa mes doigts blessés paraissait fort triste : je voyais que je lui avais causé beaucoup de peine par ma désobéissance. J'aidai à cueillir les pommes, mais je dus travailler avec une seule main tandis que l'autre était en écharpe. Ce fut pour moi un triste jour. Il s'écoula quelques semaines avant que mes profondes blessures fassent cicatrisées, et les cicatrices sont encore tout aussi fraîches, aujourd'hui, après quarante ans, que quand la plaie s'est fermée. Si les cicatrices étaient tout ce qui m'en reste, ce serait comparativement fort peu de chose. Mais mon âme avait reçu une blessure tout aussi bien que mon corps. Ma conscience était entachée d'une culpabilité qu'aucun être humain ne pouvait enlever. Les larmes de repentance ne pouvaient laver la tache. Il ne fallait rien moins que le sang de Christ pour rendre la santé à mon âme blessée.

De même que les plaies laissent derrière elles des cicatrices, de même aussi les péchés de la jeunesse laissent des marques; ils défigurent et affaiblissent l'âme. On peut surmonter les folies de la jeunesse, mais elles laissent toujours quelque trace de leur passage. Chacune des fautes des jeunes années est comme un poids que doit porter l'adulte. Le sang de Christ seul nous purifie de tout péché.



(22) ENTRER EN SERVICE.

- Eh bien, mes filles, dit l'oncle Barnabas, qu'est-ce que vous vous proposez de faire?

Nous étions assises autour de l'âtre, fermant un demi-cercle inconsolable, et l'oncle Barnabas Berklin était assis avec nous, raide, et l'air presque renfrogné. L'oncle B. était riche, et nous étions pauvres. Il était sage dans les choses de ce monde, et nous étions sans expérience. Tout ce que l'oncle Barnabas entreprenait lui réussissait ; tandis que s'il y avait un mauvais marché à faire, il était presque certain que c'était nous qui le faisions. En conséquence, nous avions la plus haute opinion de ses conseils.

- Que ferons-nous ? répéta Berthe à voix basse.
- C'est précisément là la question, dit ma mère fiévreusement; Barnabas, nous n'avons nullement la prétention d'être des femmes d'affaires, et il est certain que nous ne pouvons pas vivre convenablement avec notre revenu actuel. Il faudra absolument faire quelque chose. Puis elle se jeta en arrière sur sa chaise. Son visage portait des marques d'angoisse.
- Oui, dit l'oncle, quelque chose doit être fait; mais qui est-ce qui le fera?

Un instant de silence de mort suivit ces paroles.

- Je suppose que vous, jeunes filles, êtes instruites, dit l'oncle Barnabas. J'ai au moins assez rencontré de factures pour leçons quand je passais en revue les papiers de mon frère.
- Naturellement, dit la mère avec un orgueil évident, leur éducation a été des plus coûteuses. La musique, le dessin, la géographie .....
- Oui, oui, naturellement, dit l'oncle en l'interrompant ; mais cette éducation est-elle pratique ? Sont-elles capables d'enseigner ?

Berthe parut dans le doute. J'étais assez assurée que je ne le pouvais pas. Le programme de Mme Lenoir, quelque étendu qu'il fût, ne renfermait pas l'art d'enseigner.

- C'est encore quelque chose d'étrange que cette éducation moderne! grommela l'oncle Barnabas. Eh bien si vous ne pouvez pas enseigner, vous pourrez au moins certainement faire quelque chose ! Que dirais-tu d'une place, Berthe ?
- Une place?
- Oui, une place! dit l'oncle Barnabas d'un ton bourru, je pense avoir parlé assez clairement.
- Quel genre de place, oncle Barnabas ?
- Je ne sais trop, pour faire le ménage, par exemple, aider à une dame, ou quelque chose de ce genre, dit l'oncle.
- Oh, oncle Barnabas, je ne pourrais pas faire cela.
- Tu ne pourrais pas le faire? Et pourquoi pas ?
- Ce serait trop pénible, dit Berthe, foudroyée par la proposition « d'entrer en service ».
- C'est précisément cela, dit l'oncle Barnabas en secouant la tête entrer en service. » Après tout, ne sommes-nous pas tous en service d'une manière ou d'une autre dans ce monde ?
- Oh oui, je sais bien, dit la pauvre Berthe, qui était partagée entre la crainte de déplaire à mon oncle, et la répugnance que lui inspirait sa proposition. Mais j'ai.... j'ai toujours été élevée pour être une dame.
- Ainsi, tu ne voudrais pas entrer en service, dit l'oncle, en portant les yeux sur un de ses dessins qui était suspendu au-dessus de la cheminée.
- Il me serait certainement impossible.
- Cent vingt-cinq francs par mois, dit machinalement l'oncle Barnabas, comme récitant une leçon, aller se promener en voiture tous les jours avec une dame, prendre soin du chat et des canaris, demeurer dans une maison pourvue de toutes les commodités les plus modernes; les dimanches après-midi libres, et deux semaines au printemps et en automne pour visiter sa mère.
- Non, oncle Barnabas, dit Berthe avec un peu de vivacité. Je suis une vraie Berklin, et je ne puis pas m'amuser à faire des travaux domestiques.

L'oncle Barnabas éternua de manière à faire croire qu'il avait pris un mauvais rhume de cerveau.

- Je suis bien fâché, dit-il. Le ciel aide ceux qui s'aident. Or vous ne pouvez pas vous attendre à ce que je sois plus généreux que le ciel. Rachel, dit-il en se tournant vers ma mère, qu'en pensez-vous ?

Ma mère se redressa un peu plus que d'ordinaire, puis elle dit :

- Je pense que ma fille Berthe a raison. Les Berklin ont toujours été des dames.

J'étais demeurée silencieuse, la tête entre mes mains pendant toute cette discussion de famille ; mais en ce moment je me levai, et m'approchai fortuitement de mon oncle.

- Eh bien, petite Suzanne, dit gentiment le vieillard en me caressant les cheveux de la main, qu'est-ce que tu désires ?
- Si vous le permettez, oncle, je prendrai cette place, dis-je le coeur oppressé.
- Très bien ! dit l'oncle Barnabas.
- Ma chère enfant! s'écria ma mère.
- Suzanne! dit ma soeur d'un ton objurgateur.
- Oui, dis-je, cent vingt-cinq francs par mois, c'est beaucoup d'argent, et je n'ai jamais eu peur du travail. Je veux entrer au service de cette vieille dame, oncle. Je suis sûre que je pourrai envoyer cent francs par mois à maman et à Berthe, et puis les deux semaines au printemps et en automne, combien ce temps sera agréable! S'il vous plaît, oncle Barnabas, emmenez-moi avec vous quand vous vous en retournerez. Quel est le nom de cette vieille dame ?
- Ne l'ai-je pas encore dit? C'est Prudence.... Mme Prudence.
- Quel beau nom! Je suis sûre de l'aimer, cette darne.
- Je l'espère, dit l'oncle Barnabas en me regardant affectueusement, et je crois qu'elle t'aimera aussi. Es-tu décidée à partir par le train de neuf heures demain matin ?
- Oui, dis-je résolument sans regarder dans la direction de ma mère et de ma soeur.
- Tu es la plus sensée de toutes! dit l'oncle d'un ton approbateur.

Mais après qu'il se fut retiré pour se coucher dans la meilleure pièce, où étaient les belles taies d'oreiller et le fauteuil à coussins brodés, toutes les langues de la famille se déchaînèrent sur ma pauvre tête.

- Je ne puis faire autrement, dis-je, pour justifier ma résolution. Nous ne pouvons pourtant pas mourir de faim. Il faut que quelqu'une d'entre nous fasse quelque chose. Or je crois que vous pourrez très bien vivre, chère maman, avec cent francs par mois.
- C'est bien vrai, dit ma mère en poussant un profond soupir - mais je n'avais jamais pensé que je dusse voir aller en service l'une de mes filles.
- Et l'oncle Barnabas ne veut rien faire pour nous, vociféra Berthe. Vieil avare! Je pensais qu'il adopterait au moins l'une de nous ! lui qui est aussi riche que Crésus, et qui n'a pas un seul enfant!
- Quant à cela, il pourra faire ce qu'il voudra; mais pour moi, je préfère gagner mon argent par mon travail.

Le lendemain matin, je me mettais donc en route pour New-York.

- Oncle Barnabas, comment pourrai-je trouver la demeure de Mme Prudence, lui dis-je comme le train arrivait à destination.
- Oh, je t'accompagnerai, dit-il.
- La connaissez-vous particulièrement? hasardai-je.
- Certainement, dit mon oncle.

De la gare, une voiture nous conduisit à travers un nombre considérable de rues. La voiture s'arrêta enfin devant une gracieuse petite maison brune, - c'était à mes yeux un palais, - et l'oncle Barnabas m'aida à descendre de voiture.

- C'est ici que demeure madame Prudence, me dit-il avec un fin sourire.

Une petite servante fort propre ouvrit la porte, et je fus introduite dans un magnifique appartement, tout resplendissant de satin, de velours, et de tout ce qu'il y a de plus précieux. Une grosse dame, toute vêtue de soie noire, s'avança, le sourire sur les lèvres, comme un rayon de soleil de soixante ans.

- Te voilà enfin de retour, Barnabas, dit-elle, et tu amènes l'une des chères filles. Viens m'embrasser, ma chérie.
- Oui, Suzanne, embrasse ta tante, dit mon oncle en jetant ses gants d'un côté et son chapeau de l'autre, et en s'installant complaisamment sur le sofa.
- Ma tante? dis-je.
- Naturellement, dit la grosse vieille dame. Ne le sais-tu pas? Je suis ta tante Prudence.
- Mais, dis-je dans mon étonnement, je croyais venir en place!
- C'est bien le cas : tu as la place de fille adoptive dans ma famille, dit l'oncle Barnabas. Tu auras cent vingt-cinq francs d'argent de poche par mois, et la charge de soigner le chat et le canari de ta tante, et de te rendre utile partout où tu pourras.
- Oh ! m'écriai-je, si Berthe avait su quelle place c'était, combien elle se serait estimée heureuse d'accepter votre offre !
- Les petits ruisseaux font les grandes rivières, fut la répartie illogique de l'oncle; je n'aime pas une jeune fille qui se croit trop importante pour travailler. J'ai fait l'offre à Berthe, et elle l'a déclinée. Tu as demandé de venir : maintenant tu resteras ici !

C'est de cette façon que j'entrai dans ma luxueuse demeure. Confinée dans notre vieille maison de campagne, Berthe envie fort ma situation, car elle a tous les goûts que la richesse et une maison de la métropole seules pourraient satisfaire; mais l'oncle Barnabas ne veut pas m'entendre parler de changer de situation avec elle. Il me permet toutefois d'envoyer chaque mois à la maison de forts beaux présents, de sorte que je suis heureuse.



( 23) OU SE TROUVE L'OR.

Gustave Jones était un petit garçon qui n'apprenait pas aussi facilement que bien d'autres, et pourtant, il était toujours le premier de sa classe. Il était rare qu'il ne sût pas parfaitement ses leçons de géographie; pour la dictée il était toujours le premier; ses problèmes étaient toujours justes; quant à la lecture, personne ne faisait des progrès aussi rapides que lui. Ses camarades étaient parfois fort en colère contre lui de ce qu'il les devançait tous.

- Mais où apprends-tu donc si bien tes leçons ? lui dirent-ils un jour, tu n'étudies pas plus que les autres à l'école.
- Je me lève de grand matin, et j'étudie deux heures avant déjeuner, répondit Gustave. Les heures matinales sont des moments d'or.

Il y a près de chez nous un petit jardin qui est l'un des plus jolis et des mieux garnis des environs. C'est là que croissent toujours les premiers fruits et les premiers légumes. Il produit toujours tous les légumes nécessaires à la famille, outre ceux qu'on peut aller vendre au marché. Si quelqu'un désire des fleurs, il est sûr de trouver dans ce jardin les roses les plus parfumées et les plus belles tulipes de tous genres qu'on puisse trouver. Et. pourtant, le sol en est mauvais et rocailleux, et de plus, exposé au vent du nord; celui qui en est le propriétaire est un homme d'affaires très occupé toute la journée, et pourtant, il ne le fait jamais cultiver par d'autres.

- Comment faites-vous pour tirer tant de choses de votre petit jardin, lui demandait-on.
- J'y consacre mes matinées, répondait-il, et je ne saurais dire celui qui retire le plus de profit de ce travail : si c'est moi ou mon jardin. Ah! les heures du matin, ce sont des moments d'or.

Samuel Down était un de nos nouveaux convertis. Il se joignit à l'Eglise et paraissait dans les meilleures dispositions; mais j'avais pitié du pauvre garçon en pensant qu'il devait retourner travailler au chantier pour la construction des vaisseaux, parmi des ouvriers dissolus. Demeurera-t-il ferme? me demandais-je. Il est si facile de se laisser aller en arrière en religion! Il est beaucoup plus aisé de reculer de deux pas que d'avancer d'un. Eh bien, dis-je enfin, nous devons remettre Samuel à la garde de Dieu et de sa conscience.

Deux années se sont passées, et bien loin de retourner en arrière, Samuel voit sa foi et sa piété se fortifier de jour en jour. D'autres sont tombés : lui demeure forme; et pourtant, personne ne fut jamais placé dans des circonstances plus défavorables que lui. En parlant un soir avec Samuel, je découvris l'un des secrets de sa fermeté.

- Je ne sors pas une fois le matin avant d'avoir lu la Parole de Dieu et prié, me dit-il. Si j'ai beaucoup à faire, je me lève une heure plus tôt. Je médite sur mes points faibles, et je demande la grâce de Dieu pour me fortifier.

La prière est notre armure pour le combat de la vie. Si vous oubliez de faire vos requêtes matinales, vous en subirez les conséquences; la tentation sera devant vous, et vous ne serez pas préparés à la surmonter; il y aura dans votre âme un sentiment de culpabilité qui vous éloignera de Christ. Vous pouvez être assurés que si vous passez au lit l'heure que vous devriez consacrer à la prière, vous ne pourrez pas la retrouver. Jeunes chrétiens, ne commencez jamais la journée que par la méditation et la prière. Les heures du matin ainsi employées sont aussi précieuses que l'or; que dis-je, elles nous assureront des biens beaucoup plus précieux : ceux qui ne passeront jamais.


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