(27)
UN SECRET
IMPORTANT.
Sara, est-ce que tu aurais la bonté
de me prêter ton dé ? je ne puis
jamais trouver le mien quand j'en ai
besoin.
- Pourquoi ne peux-tu jamais le trouver,
Marie ?
- Si tu ne désires pas me le
prêter, je puis en aller emprunter un
ailleurs.
- Je te le prête avec plaisir,
Marie, le voici.
- Je savais bien que tu me le
prêterais.
- Pourquoi t'adresses-tu toujours
à moi pour emprunter quand tu as perdu
quelque chose, Marie ?
- Parce que tu ne perds jamais rien, et
que tu sais toujours mettre la main sur chaque
chose.
- Comment penses-tu que je fasse pour
savoir toujours mettre la main sur chaque objet
?
- Je n'en sais rien. Si je le savais, je
pourrais peut-être aussi faire comme
toi.
- Voici mon secret : j'ai une place pour
chaque objet, et quand je ne me sers plus d'une
chose, je la remets toujours en place.
- Et cela avec autant d'exactitude que
si ta vie en dépendait ?
- Ma vie n'en dépend pas, Marie,
mais bien mes aises.
- Pour moi, je n'ai jamais le temps de
remettre les choses en place.
- Combien de temps faudrait-il de plus
pour remettre une chose en place après s'en
être servi que pour la retrouver quand elle
est égarée ?
- Eh bien, je ne viendrai plus rien
emprunter de toi; tu peux y compter.
- Pourquoi, Marie ? Est-ce que je
t'aurais blessée ?
- Oh non, Sara, mais je suis honteuse
d'avoir été aussi négligente
et d'avoir eu aussi peu d'ordre. Je prends en ce
moment la détermination d'avoir une
place pour chaque chose, et de
mettre chaque chose à sa place.
- C'est une bonne résolution, et
tu n'auras pas de peine à la mettre en
pratique, si tu te souviens que la première
loi du ciel, c'est l'ordre.
(28)
DITES TOUT A
VOTRE MÈRE.
Un groupe de jeunes filles parlaient à
voix basse devant la porte de la salle
d'école, quand une petite fille les
rejoignit et leur demanda de quoi il était
question.
- Je raconte un secret; nous te le
ferons connaître, si tu veux promettre de ne
pas le dévoiler aussi longtemps que tu
vivras, fut la réponse.
- Je ne le dirai à personne
d'autre qu'à maman, dit
Béatrice.
- Non, pas même à ta
mère, il ne faut pas le dire à une
âme.
- Eh bien, je ne peux pas l'entendre,
parce que ce que je ne puis pas raconter à
ma mère je ne dois pas le savoir.
Après ces paroles,
Béatrice se retira lentement, et
peut-être avec quelque tristesse, mais avec
une conscience tranquille, tandis que ses compagnes
poursuivirent leur conversation secrète.
Je puis assurer que si Béatrice a
continué de se conformer à ce
principe, elle sera devenue une femme vertueuse et
utile. Jamais enfant d'une mère vertueuse ne
commettra des chutes graves, aussi longtemps qu'il
suivra la règle de conduite de
Béatrice.
Dès qu'un jeune garçon ou
une jeune fille prête l'oreille à une
conversation qu'il aurait honte de rapporter
à sa mère, soit dans la salle
d'école, soit dans les moments de
récréation, il est sur le chemin de
la tentation, et nul ne peut prévoir
où il s'arrêtera. Plus d'un homme
mourant dans l'opprobre, dans la prison ou sur
l'échafaud, a pensé avec remords au
temps où il a pour la première fois
prêté l'oreille aux confidences d'un
camarade pervers qui s'est interposé entre
lui et sa pieuse mère.
Jeunes garçons et jeunes filles,
voulez-vous être respectés ici-bas, et
former des caractères dignes du ciel? - Que
cette réponse de Béatrice soit votre
règle de conduite : « Ce que je ne puis
pas raconter à ma mère, je ne dois
pas le savoir. » Nulle autre personne ne peut
avoir un aussi profond intérêt
à votre prospérité qu'une
mère véritablement
chrétienne.
Tout enfant, tout jeune homme et toute
jeune fille devrait se souvenir sans cesse que sa
mère est son meilleur ami terrestre, et
qu'il ne doit avoir pour elle aucun secret.
(29)
RIDICULISER
LES GENS.
L'habitude de ridiculiser les
particularités des gens est tellement
répandue que s'il était possible de
l'enrayer quelque peu en la blâmant, il
vaudrait la peine d'agiter fréquemment la
question. Outre que cette habitude est coupable,
elle est tellement contraire au bon goût
qu'aucune personne bien élevée. ne
s'y adonnera; c'est pourquoi nous croyons que si
les jeunes gens et les jeunes filles aussi bien que
les enfants étaient convenablement instruits
sur l'inconvenance de cette pratique, ils ne s'y
laisseraient jamais aller.
Je me souviens d'avoir reçu une
verte réprimande quand j'étais jeune
pour m'être permis ce genre de
divertissement. La laideur de ce
péché me fat dépeinte sous des
couleurs si vives qu'il me parut presque
impardonnable; aussi l'impression que je
reçus alors fut-elle durable. - Ne te
permets jamais, sous aucune considération,
me fut-il dit, de rire des autres; c'est dur et
cruel au possible. Quand tu seras tenté de
le faire, mets-toi à la place de ceux aux
dépens desquels tu vas t'amuser, et la
tentation s'éloignera
infailliblement.
Ces paroles dans la bouche d'un jeune
homme qui ne professait pas être sous
l'influence de l'esprit du Sauveur avaient leur
poids. Si cet ami a autant d'égards pour les
sentiments d'autrui, me dis-je, que ne serait-on
pas en droit de s'attendre de la part de ceux qui
professent être en communion avec Christ ?
Suivez le Sauveur dans tout le cours de sa
carrière terrestre, et vous ne trouverez que
les sentiments de la plus tendre compassion pour
les opprimés et les affligés.
Si nous sommes destitués de son
esprit, nous n'avons aucun droit de nous attendre
à être reconnus de lui quand il
viendra pour prendre à lui les sujets de son
royaume.
Nous relaterons ici une histoire
représentant une classe de gens qui peuvent
s'être innocemment livrés à ce
genre d'amusement :
Je voyageais un jour en diligence en
compagnie d'une jeune demoiselle qui semblait
être constamment sur le qui-vive pour trouver
quelque sujet d'hilarité. Chaque vieille
grange était l'objet d'une saillie amusante.
Les vaches et les moutons qui nous regardaient avec
étonnement, ne se doutaient nullement que
des gens pussent tellement rire à leurs
dépens.
Tout cela était assez innocent;
les animaux ne sont pas si susceptibles à
cet égard. On n'a pas à craindre de
leur faire de la peine, en se moquant d'eux ; mais
quand il s'agit des êtres humains, la
question change.
C'est du moins ce que nous avons vu. Au
bout d'un moment, on vit une femme
âgée, courant à travers champs,
en élevant les mains, et en criant au cocher
d'arrêter. L'aimable cocher arrêta ses
chevaux, et la vieille femme, traversant la
barrière entre deux poteaux passablement
rapprochés l'un de l'autre faillit rester
prise.
La jeune demoiselle qui était
dans la diligence fit quelques remarques amusantes
à son sujet, et tous les passagers se mirent
à rire. Cela semblait fort excusable; car en
passant la barrière, la pauvre vieille femme
avait tristement endommagé son vieux chapeau
noir, et quand elle vint prendre place
auprès d'une dame bien mise, on aurait dit
qu'elle y avait été apportée
par un tourbillon.
Ce fut un nouveau sujet
d'hilarité, et notre jeune fille eut garde
de manquer l'occasion. Elle s'amusa à
caricaturer la pauvre vieille sur une carte, sous
prétexte de prendre le modèle de son
chapeau, et s'efforçait de
différentes manières d'amuser les
gens à son sujet.
Cette femme tournant enfin son visage
pâle vers elle, lui dit :
- Ma chère fille, vous êtes
maintenant jeune, remplie de
santé et heureuse. Je l'ai aussi
été; mais ce temps est maintenant
passé. Aujourd'hui je suis vieille et
délaissée. La diligence me conduit en
ce moment auprès du lit de mort de mon
unique enfant. Bientôt, ma chère, je
serai une pauvre vieille femme toute seule dans un
monde où les gaies jeunes filles me
prendront pour leur risée. Elles se
moqueront de mes habits à la vieille mode,
de ma triste façon, oubliant que la vieille
femme a aimé, souffert, et a
été enfin laissée seule.
La diligence s'arrêtait en ce
moment devant une maison de peu d'apparence, et la
veuve descendit avec beaucoup de peine.
- Comment se trouve-t-elle ? fut la
première question que la pauvre vieille posa
en tremblant.
- Elle vit encore, dit l'homme qui la
conduisait dans la maison.
Le conducteur descendit sa malle, et
nous étions de nouveau en route. Notre
joyeuse et jeune amie avait caché sa carte
dans sa poche. Elle avait la tête entre les
mains et je puis bien vous assurer que je
n'étais pas fâché de voir
rouler des larmes sur ses belles joues roses. Elle
venait de recevoir une sévère
leçon. Espérons qu'elle lui aura
été profitable.
(30)
LA
PRIÈRE D'ÉLISE.
C'était un jour de congé. Les
enfants étaient assemblés dans la
prairie, et ils s'amusaient à. coeur
joie.
- Venez tous, dit Arthur Graham, allons
chasser les écureuils.
- Tous acceptèrent la proposition
avec joie, et bientôt un grand groupe se
forma ayant Arthur pour chef, parce qu'il
était le plus grand.
- Viens, Élise, dit un
garçon à une jeune fille qui restait
en arrière et qui paraissait éprouver
quelque répugnance à les
suivre.
- Oh, pourquoi te soucier d'elle? Elle
n'est pas grand'chose, dit Arthur, son père
est un ivrogne.
La jeune fille sentit son visage
s'empourprer à l'ouïe de ces paroles
cruelles et irréfléchies.
Elle était très sensible,
et le coup avait frappé dans le vif.
Son père était ivrogne ;
elle le savait fort bien; mais se l'entendre
reprocher ainsi publiquement, c'était plus
qu'elle ne pouvait supporter; le visage
inondé de larmes, et la poitrine
soulevée par les sanglots, elle
s'éloigna rapidement de la place de
jeu.
Sa mère était assise
près de la fenêtre quand la jeune
fille rentra. Les yeux rougis de celle-ci lui
apprirent aussitôt qu'il lui était
survenu quelque chose de
désagréable.
- Qu'y a-t-il, Élise, lui
demanda-t-elle tendrement.
- Oh maman! dit Élise, les larmes
roulant sur ses joues, et cachant son visage dans
le sein de sa mère, Arthur Graham a
été si cruel envers moi ! Ici, les
sanglots étouffèrent sa voix, de
sorte qu'elle avait beaucoup de peine à se
faire comprendre. Il a dit que.... que je
n'étais pas grand'chose, et que papa
était un ivrogne.
- Pauvre petite ! dit Mme Ellet en
poussant un soupir. Des larmes brillaient
aussi dans ses yeux. Et pourtant
il n'y avait rien de nouveau pour elle dans un tel
traitement.
- Oh Maman ! reprit Élise en
levant vers sa mère son visage tout
baigné de larmes, je ne puis pas supporter
qu'on parle et qu'on agisse envers moi comme si
j'avais fait quelques choses de bien mauvais. Je
désire que papa ne boive plus ! Penses-tu
qu'il abandonnera jamais la boisson ?
- Je l'espère dit Mme Ellet en
baisant le visage d'Élise où les
larmes reposaient comme les gouttes de
rosées sur une rose. Je prie pour qu'il
puisse vaincre cette habitude; mais je ne puis rien
faire que de prier, et de m'en remettre au
Seigneur.
M. Ellet rentra pour souper à
l'heure habituelle. C'était un robuste
travailleur et excellent voisin. C'est là ce
que chacun s'accordait à reconnaître;
mais son intempérance était telle
qu'on pensait que ses excès de boisson
l'entraîneraient au tombeau. Selon son
habitude Élise courut à sa rencontre
pour l'embrasser, mais il y avait sur son visage
une expression qui alla au coeur de son
père. Elle avait un air si triste et si
angoissé pour une petite fille de son
âge!
- Qu'est-ce qui a pu te causer tant de
chagrin, ma petite? lui demanda-t-il en lui
caressant les cheveux de la main.
- Je ne puis pas te le dire, papa,
répondit-elle doucement.
- Et pourquoi pas, ma chérie
?
- Parce que cela te ferait de la peine,
dit-elle.
- Je ne le pense pas; parle
seulement.
- Oh papa ! puis elle éclata de
nouveau en sanglots à la pensée des
paroles d'Arthur Graham, je voudrais que tu ne
boives plus jamais, - les petits garçons et
les petites filles ne veulent pas jouer avec moi
parce que tu bois.
M. Ellet ne fit pas de réponse.
Il était ému, et tout honteux
d'être la cause de tant de tristesse et de
larmes.
Après le souper, il prit son
chapeau, et Mme Ellet savait
fort bien où il voulait aller.
Il avait d'abord pris la
résolution de rester à la maison ce
soir-là ; mais la force de l'habitude
était si grande qu'il fut incapable d'y
résister ; il céda en se promettant
toutefois de ne plus goûter la boisson qu'une
fois ou deux.
Élise avait quitté la
chambre avant qu'il eût fini de souper. En
traversant le jardin pour gagner la rue, M. Ellet,
entendit la petite voix de sa fille, et il
s'arrêta pour écouter ce qu'elle
disait.
- Oh, bon Jésus ! disait-elle, je
t'en supplie, ne laisse plus boire papa. Rends-le
tel qu'il était quand j'étais toute
petite, et alors les petits garçons et les
petites filles ne pourront plus me reprocher
d'être la fille d'un ivrogne, et dire de si
vilaines choses de moi. Je t'en supplie, cher
Jésus, fais cela par amour pour maman et
pour moi.
Le père d'Élise se sentait
gagné par l'émotion en
écoutant cette simple prière.
La prière achevée, il
s'approcha d'elle, s'agenouilla à ses
côtés, et lui passa les bras autour du
cou, mais avec tant d'affection!
- Dieu du ciel, dit-il du ton le plus
solennel, je te promets ce soir de ne plus boire
une seule goutte. de liqueur aussi longtemps que tu
m'accorderas la vie. Donne-moi la force
nécessaire pour tenir mon engagement, et
aide-moi à être un meilleur
homme.
- Oh, papa ! dit Élise, en jetant
ses petits bras autour de son cou et en appuyant la
tête sur sa poitrine. Si tu savais combien je
suis heureuse ! Il m'importe assez peu ce qu'on
pourra me dire, maintenant; je sais que tu ne veux
plus boire.
- Avec l'aide de Dieu, je veux
être un homme! dit-il en prenant Élise
par la main, et en rentrant dans la maison
où sa femme était assise avec son air
triste et résigné, - cet air qui lui
était devenu si habituel.
Décrirai-je la joie de cette
famille et les actions de grâce qui en
montèrent ce
soir-là ? Je voudrais pouvoir le faire; mais
une joie telle que celle
qu'éprouvèrent Élise et sa
mère est inénarrable.
La prière d'Élise ne
fut-elle pas exaucée ?
(31)
DIEU DANS LA
NATURE.
Dans la belle partie de l'Allemagne qui est
arrosée par les eaux du Rhin, vous pourriez
voir à l'ouest du fleuve un noble
château qui élève ses anciennes
tours au-dessus d'un bosquet d'arbres majestueux,
presque aussi antique que le manoir. Il y a environ
quarante ans, ce château était
habité par un seigneur appelé le
baron Philippie. Il avait un fils unique qui
était non-seulement le passe-temps et
là consolation de son père, mais
aussi la providence visible de tous ceux qui
avaient le bonheur de vivre dans ses terres. Il
arriva en une certaine occasion qu'un jeune
seigneur français vint faire visite au
château pendant l'absence de ce fils, et
parla au baron d'une manière si
irrévérencieuse de la
divinité, que le bon vieillard en fut
scandalisé, et qu'il lui dit: Ne craignez
vous pas d'offenser Dieu?
- Non, répondit le Français ;
pourquoi le craindrais-je ? je ne l'ai jamais
vu.
Le baron ne releva pas cette
réponse; mais le matin suivant, il conduisit
son hôte dans ses domaines, et lui montra
différentes choses dans le château,
entre autres, un beau tableau à l'huile qui
ornait la paroi d'une chambre. Le jeune seigneur
l'admira beaucoup, et finit par dire : - qui que
soit l'auteur de ce tableau, c'est un peintre de
premier ordre.
- C'est mon fils, dit le baron.
- Dans ce cas, votre fils est un homme
de talent, repartit le seigneur.
Le baron conduisit ensuite son
hôte au jardin et lui montra de magnifiques
carreaux de fleurs, et des plantations d'arbres
forestiers.
- Qui a la direction de ce jardin?
demanda l'hôte.
- Mon fils, répliqua le baron ;
il connaît toutes les plantes de nos pays,
depuis le cèdre du Liban, jusqu'à
l'hysope de la muraille.
- J'aurai bientôt une bien haute
opinion de lui, reprit l'hôte.
Le baron le conduisit ensuite au
village, dans une maison petite, niais très
propre ; son fils y avait établi une
école et un orphelinat où tous les
enfants de ses états qui avaient perdu leurs
parents étaient entretenus et instruits
à ses frais. Les enfants de cette
institution paraissaient si innocents et si heureux
que notre jeune Français trouva qu'ils
faisaient plaisir à voir ; en rentrant au
château, il dit au baron :
- Combien vous devez être heureux
d'avoir un aussi bon fils, Monsieur !
- Mais comment pouvez-vous savoir que
j'ai un si bon fils ?
- Parce que j'ai vu ses oeuvres ; et je
sais que pour faire tout ce que vous m'avez dit
avoir été accompli par lui, il faut
nécessairement être bon et avoir du
talent.
- L'avez-vous vu ?
- Non ; mais je le connais très
bien, car je puis le juger par ses
oeuvres,
- Vous avez raison, répliqua le
baron ; et c'est aussi de cette façon que je
juge notre Père céleste. Je sais par
ses oeuvre qu'il est un être d'une puissance
et d'une bonté infinies.
Le Français sentit la force de
cette réprimande, et à partir de ce
moment il prit bien garde de ne plus blesser le bon
vieux baron par ses paroles
inconsidérée.
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