Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...




(35) REVANCHE DE L'INDIEN.

 Le beau précepte: « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, » est tiré du sermon de notre Seigneur sur la montagne; il devrait être observé par tous ceux qui professent la religion chrétienne. mais à moins d'être véritablement enfant de Dieu, nous ne pourrons jamais observer ce grand précepte comme nous le devrions.

L'histoire rapporte que l'empereur romain Sévère fut si vivement frappé de la beauté et de la pureté de précepte, qu'il ordonna que cette « règle d'or » fût inscrite sur les édifices publics qu'il fit construire. On pourrait citer plusieurs exemples où des tribus païennes et sauvages ont confondu par leur conduite beaucoup de ceux qui se disent disciples de Christ, de ceux qui ont bien la forme de la piété, mais qui montrent par leur conduite qu'ils ont renoncé à sa force.
C'est un de ces exemples que nous raconterons ici.

Il y a plusieurs années, dans une nouvelle colonie de l'Amérique du Nord était une maison de campagne petite, mais proprette, qui appartenait à un jeune fermier industrieux. Tout jeune encore, il avait quitté l'Angleterre, son pays natal, pour aller chercher un nouveau foyer, et la fortune, parmi ses frères d'Amérique. C'était un lieu agréable et tranquille, que celui qu'il avait choisi; sa maison était construite sur une légère élévation, au pied de laquelle une petite rivière roulait ses flots, et faisait marcher un peu plus bas une grande scierie. Le jardin était bien garni d'arbres fruitiers et de légumes, entre autres, de magnifiques melons qui n'attendaient plus que la couleur d'ambre que leur apporte l'automne. Sur le versant méridional de la colline était un verger rempli de pêchers, de cerisiers, etc. ; ces derniers arbres étant tout chargés de leurs fruits cramoisis. C'est aussi dans cette direction que s'étendait la plus grande partie de la ferme, actuellement dans la condition la plus prospère. Elle rapportait de fortes récoltes de foin ; et le maïs commençait à montrer ses épis. Au nord-est, la ferme était abritée par une grande forêt de sapins au delà de laquelle était un endroit très favorable pour la chasse, où les colons, quand leur récolte était rentrée, allaient en grand nombre, faire leur provision de viande pour l'hiver.

À cette époque, les blancs ne vivaient pas en fort bonne intelligence avec les Indiens ; et ces derniers étaient beaucoup plus nombreux et redoutés qu'ils ne le sont actuellement. Il était rare, toutefois, qu'ils vinssent dans le voisinage de la maison que nous avons décrite. On voyait bien à certaines occasions, une tribu faire son apparition sur la lisière de la forêt; mais jamais elle n'avait commis aucun acte de vandalisme : elle était amie des blancs.

C'était une belle soirée de juin. Le soleil venait de se coucher, et le ciel était encore coloré de ces teintes brillantes que l'auteur de ces lignes, quand il était enfant, prenait pour un aperçu des gloires de la nouvelle Jérusalem, que le Seigneur donnait aux mortels pour les encourager. La lune répandait ses lueurs argentées, révélant distinctement tous les traits de la belle scène que nous venons de décrire, et faisait voir la stature grande et forte de William Sullivan, qui était assis sur le seuil de sa porte, travaillant activement à préparer ses outils pour les prochaines fenaisons. Quoique d'un naturel bon, M. Sullivan était rempli de préjugés qu'il avait apportés d'Angleterre, contre les Américains en général, et contre les Indiens du nord, en particulier. Étant enfant, sa mère avait pris un soin particulier de son instruction en sorte qu'il était plus instruit que la généralité des gens de son temps; mais il était aussi ignorant des doux préceptes de l'Évangile que s'il n'en avait jamais entendu parler. De plus, il était tellement infatué des préjugés des Anglais, qu'il considérait avec mépris tous ceux qui ne pouvaient pas se vanter d'appartenir à son pays de prédilection. Il méprisait et détestait en particulier les Indiens. comme de méprisables païens, oubliant, que celui qui a eu des occasions et des privilèges et qui en a abusé ne vaut pas mieux, et qu'aux yeux de Dieu, il est beaucoup plus coupable que ces ignorants enfants du désert.

Notre fermier était tellement absorbé par ses occupations qu'il ne vit pas un grand Indien qui avait été amené dans cette direction par une excursion de chasse, jusqu'à ce que ces paroles prononcées d'un ton suppliant eussent frappé ses oreilles :
- Est-ce que vous auriez la bonté de donner à souper et l'hospitalité pour la nuit à un malheureux chasseur ?

Le jeune fermier leva la tête, et son visage prit aussitôt une expression de souverain mépris; puis un éclair de colère jaillissant de ses yeux, il dit d'un ton aussi peu courtois que ses paroles :

- Chien d'Indien, païen, vous n'aurez rien chez moi; retirez-vous immédiatement!

L'Indien rebroussa chemin ; mais se tournant de nouveau vers le jeune Sullivan, il lui dit d'une voix suppliante :

- Je suis affamé : il y a très longtemps que je n'ai pas mangé; donnez-moi seulement un morceau de pain et un os pour me fortifier pour le reste de mon voyage.
- Retirez-vous, païen ! je n'ai rien pour vous!

Une lutte terrible semblait déchirer le coeur du chasseur indien, comme si l'orgueil et le besoin se livraient un dur combat; mais le dernier prévalut; et d'une voix faible, il dit :
- Me donneriez-vous un verre d'eau? je suis fort las.

Cet appel ne fut pas plus heureux que les autres. Sullivan lui répondit durement qu'il pouvait aller puiser de l'eau à la rivière qui n'était pas fort éloignée. C'est là tout ce que l'Indien put obtenir d'un homme qui se disait chrétien, mais qui avait permis aux préjugés et à l'obstination d'endurcir son coeur - qui eût été grand ouvert à l'un de sa nation - et de le rendre insensible aux souffrances de son frère rouge.
D'un air fier, mais triste, l'Indien s'en retourna, et se mit lentement en marche dans la direction de la rivière. Sa démarche mal assurée montrait assez combien ses besoins étaient pressants; il fallait bien qu'il fût poussé à la dernière extrémité, sans quoi le fier indigène n'eût certainement pas insisté autant pour obtenir ce qui lui avait été refusé une fois.

Fort heureusement que ses supplications avaient été entendues par la femme du fermier. Il est certainement rare que le coeur d'une femme soit entièrement insensible aux souffrances de l'humanité; même parmi les sauvages de l'Afrique centrale, l'entreprenant et infortuné Mungo Park fut maintes et maintes fois délivré d'une mort certaine par les soins généreux de femmes dont les maris et les frères étaient altérés de son sang. Marie Sullivan avait entendu de la chambre le dialogue qui s'était engagé entre l'Indien et son mari; et elle suivit des yeux l'Indien jusqu'à ce qu'elle le vit s'affaisser à peu de distance de la maison. S'apercevant que son mari avait achevé son ouvrage, et qu'il se dirigeait vers l'étable, les yeux baissés - il faut avouer qu'il ne se sentait pas à l'aise - elle quitta la maison et fut bientôt aux côtés de l'Indien avec un pot de lait à la main, et une serviette dans laquelle était une provision abondante de pain, un poulet rôti, et du maïs.

- Mon frère rouge veut-il boire du lait ? dit Marie en se penchant sur l'Indien affaissé; et comme il se levait pour répondre à l'invitation, elle dénoua la serviette, en le priant de manger et de restaurer ses forces.

Son repas achevé, l'Indien se mit à genoux à ses pieds, un éclair de reconnaissance brillant dans ses yeux, puis il dit de sa voix la plus douce :

- Carcoochée protégera la colombe blanche contre les serres de l'aigle; à cause d'elle, le méchant jeune homme sera en sûreté dans son nid, et son frère rouge ne cherchera pas à se venger.

Tirant un paquet de plumes de héron de son sein, il choisit la plus longue, et la donnant à Marie Sullivan, il lui dit :

- Quand le mari de la colombe blanche ira chasser sur le territoire des Indiens, priez-le de porter ça sur sa tête.

Il partit, et en quelques instants il s'était enfoncé dans la forêt et se trouvait hors de vue.

L'été avait passé; la moisson était rentrée; le froment et le mais étaient en sûreté au grenier; les melons étaient serrés pour l'hiver, et les forêts avaient repris leur riche aspect d'automne. On commençait alors à faire des préparatifs pour les excursions de chasse, et William Sullivan était du nombre de ceux qui allaient essayer leur fortune sur le territoire indien, au delà de la rivière et de la forêt de sapins. Il était actif, hardi, et expert dans l'art d'employer son fusil et sa petite hache. Jusqu'alors il avait toujours vu s'approcher le moment de ces excursions avec joie; jamais il n'avait éprouvé la moindre crainte des attaques des Indiens qui n'étaient pourtant pas rares sur d'autres points en de telles occasions.

Mais maintenant que le moment du départ approchait, d'étranges pressentiments venaient le troubler relativement à sa sécurité, et son imagination était toujours hantée par l'image de l'Indien qu'il avait si brutalement repoussé l'été précédent. La veille du jour fixé pour le départ, il fit part à son aimable épouse de ses craintes, lui confessant en même temps que sa conscience n'avait jamais été en repos depuis à cause de la dureté qu'il avait manifestée en cette occasion. Il ajouta que depuis ce moment, tout ce que sa bonne mère lui avait appris relativement à ses devoirs envers notre prochain avait été constamment présent à son esprit, augmentant ainsi l'intensité de ses remords, et lui rappelant que sa conduite avait dû déplaire à Dieu, aussi bien qu'elle avait été cruelle envers un frère dans le besoin.

Marie Sullivan écouta son mari en silence. Quand il eut achevé, elle mit les mains dans les siennes, et le regardant en face avec un sourire qui n'était pas tout à fait exempt de toute inquiétude, elle lui raconta ce qu'elle avait fait quand elle avait vu l'Indien s'affaisser d'épuisement, confessant en même temps qu'elle n'en avait pas parlé plus tôt craignant d'encourir son déplaisir, après lui avoir entendu refuser tout secours. Elle tira alors d'une armoire une magnifique plume de héron, répétant les paroles que l'Indien lui avait adressées en la quittant, et concluant de là que son mari pouvait partir sans crainte.

Que Penses-tu ! dit Sullivan : ces Indiens ne pardonnent jamais une injure. - ils n'oublient jamais non plus un bienfait, répliqua Marie. Je vais coudre cette plume à ton bonnet de chasse, mon cher mari, et après cela, remets-toi entre les mains de Dieu, Je sais bien qu'il pourrait te garder sans cette plume; toutefois, je me souviens que mon cher papa disait qu'il ne fallait négliger aucun moyen avouable pour sa propre sûreté. Sa maxime, était : « Crois comme un enfant, mais aussi comme un homme; » car nous devons faire nous-mêmes tout ce qui dépend de nous, si nous voulons pouvoir espérer le succès, et ne pas nous attendre à ce que des miracles soient accomplis en notre faveur tandis que nous nous croiserions tranquillement les bras. Cher William, ajouta-t-elle après quelques instants de silence, à présent que mon pauvre père n'est plus avec nous, qu'il est mort, je pense beaucoup plus à ce qu'il me disait que quand il était encore avec moi; il me semble que le chemin que nous suivons est tout à fait mauvais; j'ai le sentiment que si nous étions traités comme nous le méritons, Dieu nous délaisserait; il nous abandonnerait à nous-mêmes, parce que nous avons vécu loin de lui.

En parlant ainsi, Marie avait les larmes aux yeux. Elle était la fille unique d'un pieux matelot anglais, et dans sa jeunesse, elle promettait d'être tout ce que des parents chrétiens peuvent désirer. Mais elle avait alors une piété de tête plutôt que du coeur ; elle ne put supporter l'épreuve de l'amour que Sullivan, qui n'était rien moins que religieux; professait pour elle, et la religion de la jeune fille s'évanouit à son contact comme la rosée du matin : elle oublia sa profession de religion, et la femme de Sullivan perdit le goût de tout ce qui faisait ses délices quand elle était jeune fille. Elle était apparemment très heureuse, et pourtant, il y avait de l'amertume dans tous ses plaisirs ; elle éprouvait le tourment d'un esprit dont la paix est bannie par le sentiment du péché qu'elle commettait en s'éloignant du Dieu vivant. Ces impressions devinrent graduellement plus fortes; l'esprit de grâce faisait son oeuvre au dedans d'elle, et jour après jour les vérités qu'elle avait entendues dans sa jeunesse lui revenaient à la mémoire, et elle était ramenée de ses égarements par un chemin qu'elle ne connaissait pas. Une longue conversation suivit; et le même soir, le jeune couple s'agenouillait pour la première fois pour faire le culte domestique.

Le matin du départ des chasseurs était d'une beauté remarquable. On ne voyait plus aucun nuage sur le front de William Sullivan. Les brillants rayons du soleil matinal semblaient avoir dissipé les craintes dont il avait été obsédé la veille, et ce n'est que grâce aux prières de sa femme qu'il consentit à ne pas arracher la plume qu'elle avait cousue sur son bonnet. Prenant son mari par la main, Marie Sullivan lui dit à voix basse quelques paroles à l'oreille; avec un petit air enjoué, celui-ci répondit: Eh bien, ma chère Marie, si tu crois que cette plume me protégera contre les peaux-rouges, à cause de toi, je la porterai. William mit alors son bonnet, suspendit son fusil à l'épaule, et bientôt les chasseurs étaient en route, à la recherche de quelque pièce de gibier.

Le jour se passa, comme d'ordinaire dans de telles excursions. Plusieurs animaux furent capturés, et les chasseurs passèrent la nuit dans la tanière d'un ours que l'un de la bande avait tué au coucher du soleil, au moment où il se rendait au bord de la rivière. Sa chair leur fournit un excellent souper, et sa peau, étendue sur une couche de feuilles servit à les protéger contre le froid pendant une longue nuit de novembre.

Le matin suivant, au point du jour, nos chasseurs quittèrent leur rustique abri pour continuer leur expédition. Poursuivant un cerf avec trop d'ardeur, William s'écarta de ses compagnons, et quand il voulut les rejoindre, il s'égara. les heures s'écoulèrent sans que notre chasseur pût s'orienter dans l'épaisseur de cette forêt dont les arbres étaient si denses qu'il était rarement possible de voir le soleil. N'étant pas accoutumé à voyager dans les bois, il ne pouvait pas s'y orienter, comme les habitants des forêts, en remarquant qu'elle était le côté des arbres le plus chargé de mousse ou de lichen. Plusieurs fois il s'était alarmé, croyant découvrir le regard d'in Indien qui le surveillait, et il avait même maintes fois couché en joue son adversaire, déterminé qu'il était à vendre sa vie aussi chèrement que possible.

Vers le coucher du soleil, les arbres devinrent moins denses, et bientôt, il se trouva à la lisière de la forêt dans une immense prairie recouverte d'une herbe forte grande, et parsemée ici et là de quelques bouquets d'arbres et de buissons. Une rivière traversait cette plaine, et c'est dans la direction de celle-ci que Sullivan dirigea ses pas. Il était fatigué et épuisé, n'ayant rien mangé depuis le matin. Au bord de la rivière se trouvaient plusieurs buissons; Sullivan s'en approcha avec beaucoup de précautions, son fusil en main afin de pouvoir faire face à tout danger. Il était encore à quelques mètres de la rivière quand il entendit soudain un certain bruit dans le fourré; il s'arrêta un instant, et vit venir à lui un énorme buffle. ces animaux se promènent généralement dans les prairies par immenses troupeaux; on en trouve parfois des milliers réunis; mais il arrive aussi qu'on en trouve un seul, qui a été séparé du troupeau, soit par quelque accident, soit par les Indiens qui font preuve d'une dextérité étonnante en poursuivant ces formidables animaux.

Le buffle s'arrêta quelques instants; puis, baissant son énorme tête, il se précipita sur l'intrus qui venait le déranger. Sullivan le visa; mais l'animal était trop près de lui pour lui permettre de tirer avec ce sang-froid et cette sûreté indispensables au succès. Quoique légèrement blessé, l'animal ne se précipita sur le chasseur qu'avec un redoublement de fureur. Sullivan était très fort, et bien qu'affaibli par son long jeûne et sa course vagabonde dans la forêt, le désespoir lui rendit force et courage. Au moment où le buffle le heurtait, il saisit l'une de ses cornes d'une main, tandis que de l'autre il tirait son couteau pour lui couper la gorge, si possible. Mais les forces étaient trop inégales pour que cette tentative fût couronnée de succès; en un instant le buffle s'était dégagé et avait étendu son adversaire sur le sol; puis il se préparait à lui donner la mort en le foulant sous ses pieds, quand on entendit soudain une détonation de fusil provenant d'une autre direction. Le buffle fit un bon et retomba sans vie sur le sol, en partie sur le pauvre Sullivan. Un homme à la peau brune portant un costume indien, arriva au bout de quelques instants et plongea son énorme poignard dans la gorge du buffle. Le coup de fusil ayant pénétré dans le cerveau était trop sûr pour n'avoir pas produit une mort instantanée; mais les Indiens ont la coutume de couper les grandes artères des animaux qu'ils tuent pour que tout le sang se répande et que la chair se conserve plus longtemps. L'Indien se tourna alors vers Sullivan qui s'était maintenant dégagé de dessous le buffle, et qui, avec des sentiments mélangés d'espoir et de crainte, ne sachant si la tribu à laquelle appartenait l'Indien était hostile ou favorable aux blancs, le pria de bien vouloir lui indiquer le chemin des colonies de blancs les plus rapprochées.

- Si le chasseur fatigué veut se reposer jusqu'au matin, l'aigle lui montrera demain le chemin du nid de sa colombe blanche, fut la réponse de l'Indien, dans le langage figuré d'un usage si général parmi ceux de sa race; et le prenant par la main, il le conduisit rapidement, au milieu des ténèbres qui devenaient d'instant en instant plus épaisses, jusqu'à un petit camp situé sur le bord de la rivière, à l'abri de quelques arbres qui croissaient sur ses rives. Arrivé là l'Indien donna à Sullivan une provision abondante d'un mets de maïs et de viande; étendant ensuite des peaux d'animaux qu'il avait capturés à la chasse pour son lit, il lui fit signe de l'occuper, et se retira en lui souhaitant une bonne nuit.

Les premières lueurs de l'aurore n'avaient pas encore fait leur apparition vers l'orient que l'Indien venait déjà réveiller Sullivan; et après un léger repas, ils se mettaient tous deux en route pour la colonie des blancs. L'Indien marchait en avant de son compagnon, et trouvait son chemin à travers l'épaisseur de la forêt avec une précision et une rapidité qui montraient clairement qu'il en connaissait fort bien tous les sentiers et toutes les profondeurs. Il suivait la ligne la plus droite sans la moindre crainte de s'égarer, étant guidé par des signes connus seulement des chasseurs les plus expérimentés. Ils traversèrent la forêt avec une rapidité beaucoup plus grande que Sullivan ne l'avait fait, et avant le coucher du soleil, le fermier était de nouveau en vue de sa chère maison. À la vue dé ce lieu qui lui était si cher, Sullivan ne put contenir un cri de joie ; se tournant alors vers l'Indien, il se répandit en remerciements pour l'important service qu'il lui avait rendu.

Le guerrier qui jusqu'à ce moment n'avait pas laissé voir son visage, sauf à la lumière imparfaite de sa hutte, se tourna vers lui. Les rayons du soleil éclairant toute sa personne, révélèrent aux regards étonnés de l'Anglais tous les traits de ce même Indien qu'il avait traité si cruellement cinq mois auparavant. On lisait sur sa physionomie et dans son regard un reproche à l'adresse du fermier ébahi; mais il lui dit d'une voix douce et basse :

- Il y a cinq mois, alors que j'étais fatigué et épuisé, vous m'avez traité de « chien d'Indien, » et vous m'avez rudement chassé de chez vous. J'aurais pu prendre ma revanche hier soir; mais la colombe blanche m'a donné à manger, et c'est à cause d'elle que j'ai épargné son mari. Carcoochée vous prie de rentrer à la maison; et dorénavant, quand vous verrez un peau-rouge dans le besoin, agissez envers lui comme l'un d'eux a agi envers vous. Portez-vous bien!

Il fit un salut de la main, et se tourna pour repartir; mais Sullivan le supplia si instamment d'entrer avec lui comme preuve qu'il avait pardonné sa brutalité, que l'Indien céda enfin à ses prières. Le fermier humilié put l'introduire dans sa maison. La surprise de son aimable épouse en le voyant rentrer aussi tôt ne fut égalée que par sa reconnaissance pour la délivrance merveilleuse de son mari des dangers qu'il avait courus, et sa gratitude envers le noble sauvage qui l'avait ainsi récompensée de l'acte d'hospitalité qu'elle avait accompli envers lui, en oubliant les injures qu'il avait essuyées de la part de son mari. Carcoochée fut traité non seulement comme un hôte honoré, mais comme un frère ; et c'est en effet ce qu'il devint par la suite pour chacun d'eux.

Ses visites à la demeure de ce Sullivan autrefois tellement prévenu contre sa race, mais qui était maintenant revenu de son égarement, furent fréquentes, car la leçon pratique de bienveillance que le fermier avait reçue de l'Indien inculte ne fut pas perdue pour lui : elle l'avait amené à reconnaître son état de pêché devant Dieu, et ses manquements envers ses semblables. Le Saint-Esprit lui fit ainsi sentir le besoin du sang expiatoire de Christ; et à partir de ce moment, Marie Sullivan et son mari prouvèrent d'une manière indubitable qu'ils étaient passés de « la mort à la vie, »

Carcoochée fut récompensé au centuple de sa noble action. Il s'écoula un temps assez long avant qu'on pût remarquer un changement dans son coeur; mais à la fin, il plut au Seigneur de bénir les efforts infatigables de ses amis blancs pour sa prospérité spirituelle, et d'exaucer les prières de la foi qui lui étaient adressées en sa faveur. Cet Indien fut le premier converti indigène baptisé par le missionnaire américain qui vint se fixer environ deux ans plus tard à quelques kilomètres de distance de la ferme de Sullivan. Après un temps d'études passablement long le guerrier indien qui, armé de son tomahawk, s'était montré si terrible dans ses expéditions belliqueuses, soit contre les blancs, soit contre les peaux-rouges, subit avec succès ses examens et partit, portant une arme d'un autre genre : « l'épée de l'Esprit, qui est la parole de Dieu, » pour faire connaître à ses compatriotes païens « la bonne nouvelle. .. d'une grande joie, » que « Jésus-Christ était venu au monde pour sauver les pécheurs. » Il leur annonça que « quiconque croit en lui ne périra point, mais qu'il aura la vie éternelle, » qu'il soit juif ou gentil, esclave ou libre, blanc ou rouge, car nous sommes tous un en Christ. Il travailla ainsi dans la vigne du Maître jusqu'à ce que, usé par les travaux et l'âge, il se retira dans la famille de son ami blanc où, après quelques mois, il s'endormit en Jésus, laissant à ses amis l'espérance certaine d'une joyeuse réunion à la résurrection des justes.

Il y a bien des années que ces choses se sont passées. On ne pourrait plus trouver une seule trace de la maison des Sullivan qui reposent l'un et l'autre dans le même cimetière où avaient été déposés les restes de Carcoochée ; mais leurs descendants demeurent encore dans la même localité. Un grand-père aux cheveux blancs raconte souvent cette histoire à ses petits-fils, en se promenant avec eux sous les cyprès qui ombragent la tombe des défunts dont nous parlons. La leçon qu'il enseigne par là à ses jeunes auditeurs est de celles dont il faudrait toujours se souvenir, et agir en conséquence, à savoir : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. »


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