Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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( 39) LA GRAND'MÈRE DE BERTHA.

 

Bertha Gilbert était une fille de quatorze ans. Elle venait d'arriver de la pension, où elle avait achevé sa première année - un charmant pensionnat réunissant une trentaine d'élèves internes, outre les externes, et Mme Hovard, selon sa promesse, en faisait une espèce de grande famille, dont chaque membre était placé sous sa surveillance immédiate. Bertha avait fait de grands progrès dans ses études aussi bien que dans ses manières : c'était une jeune fille très agréable et sensée.

Mais comme il n'est pas de petits garçons ou de petites filles ni même de grandes personnes qui soient parfaits, je vais vous dire quel était le faible de Bertha, et comment elle fut guérie d'un sentiment qui aurait pu dégénérer en une fort mauvaise habitude. Il m'est arrivé de faire la connaissance de personnes qui s'étaient accoutumées à traiter les membres plus âgés de la famille avec un manque d'égards qui frisait le mépris.

Bertha était tout heureuse de se retrouver à la maison pour se sentir pressée sur le coeur de sa chère maman; de retrouver son père dans une condition de santé beaucoup meilleure que quand elle l'avait quitté, et ses deux petits frères, gais comme jamais, ainsi que de revoir sa chère vieille grand'mère. Cette vieille dame était presque octogénaire, et cependant toujours gaie et active; elle avait une physionomie douce; ses cheveux argentés étaient presque entièrement emprisonnés dans un fin bonnet de mousseline, dont le bord était orné avec le plus grand goût. Je me disais souvent qu'elle ressemblait à la peinture d'un après-midi d'été, quand elle mettait un bonnet fraîchement repassé, un foulard neuf bien blanc - c'est ainsi qu'elle se plaisait à appeler le triangle de toile qu'elle portait sur ses épaules - et son tablier propre. Malgré son âge avancé, et le accomplissait une grande somme de travail; je ne sais pas ce que Georges et Guillaume auraient fait sans elle.

Monsieur et Madame Gilbert étaient dans des conditions pécuniaires assez modestes, parce que M. Gilbert avait dû se retirer des affaires et vivre à la campagne pour cause de santé. le petit village dans lequel ils vivaient était fort agréable. D'un côté il était arrosé par un fleuve, et de l'autre se trouvait une grande ligne de chemin de fer. En conséquence beaucoup de gens riches avaient choisi ce village pour leur résidence.

Bertha avait souvent considéré avec admiration une belle maison voisine de la leur. Cette maison était occupée Par M. et Mme Bell, famille très opulente. Leur jardin était admirable ; ils avaient des bosquets et des promenades : en un mot, tout ce que le coeur pouvait désirer

Mme Bell avait voyagé à travers la plus grande partie de l'Europe et de l'Amérique, et elle avait même visité la Chine.

Bertha avait fait la connaissance de deux nièces de Mme Bell au pensionnat; l'une était une demoiselle, et l'autre une petite fille un peu plus jeune qu'elle; et je ne sais comment cela s'était fait, mais elle s'était liée d'amitié avec Anne Wilson. Les deux jeunes Wilson devaient aller faire une visite à Mme Bell pendant les vacances, et Anne avait promis à Bertha d'aller passer un jour avec elle - que dis-je, elle lui avait promis d'aller la voir très souvent.

- Tante Bell est une si grande dame, disait Anne, et elle n'a pas d'enfants : je crains de m'y trouver bien seule; il faudra que tu me rendes aussi visite en retour.

La pensée d'aller dans la grande maison souriait beaucoup à Bertha. Elle ne se lassait pas de parler à sa mère de cette invitation.
Mais jamais une chose arrive précisément comme on le voudrait. Le salon des Gilbert avait été tapissé à neuf, et on ne recevait pas les nouveaux tapis aussi tôt qu'on le supposait. Tout sera certainement en ordre pour le moment où les demoiselles Wilson viendront, se disait Bertha, un après-midi, en portant sa petite corbeille à ouvrage au salon, et en en tirant sa broderie qu'elle voulait finir.

Il y avait sur le devant de la maison un beau balcon. Au centre était le corridor, d'un côté le salon et de l'autre le cabinet de travail. Regardant par la fenêtre, Bertha vit le beau cheval gris de Mme Bell qui s'avançait avec sa voiture toute remplie de gens. Cela lui fit penser à son amie, Anne. Mais quoi! la voiture ne s'arrête-t-elle pas devant la maison ? Un homme aida à deux dames à descendre, puis suivit une petite fille; l'homme leur ouvrit ensuite la porte d'entrée.
C'était donc bien les demoiselles Wilson qui étaient venues en visite plus tôt qu'elles n'en avaient l'intention.

Quand Anne eut fait part de son intention à Mine Bell, celle-ci avait dit qu'il fallait aller voir son amie au plus tôt afin de pouvoir jouir davantage de sa compagnie.

- Oh, maman! s'écria Bertha dans son étonnement, les voici : Anne, Mademoiselle France et Mme leur tante.
- Va donc au-devant d'elles pour les recevoir, ma chérie, lui dit sa mère en se levant aussi.

La présentation eut lieu sur la porte. Mme Bell était très aimable ; par ses manières franches et exemptes d'affectation, elle mettait aussitôt à l'aise les personnes avec lesquelles elle entrait en rapport. Mme Gilbert et elle échangèrent quelques paroles aimables, puis les visites furent introduites dans le cabinet de travail. Bertha rougit un peu. D'un coup d'oeil, elle semblait voir tout ce qui n'était pas des plus convenables : le petit tapis usé qui était devant le secrétaire de son père, un autre qui était devant le canapé, les meubles à la vieille mode, et la grand'mère qui était là assise dans un coin où elle tricotait une paire de bas bleus.

La bonne vieille dame Gilbert se leva pour souhaiter la bienvenue aux dames qui venaient d'arriver. Sa robe n'avait aucun ornement, et laissait entrevoir ses souliers bas à l'ancienne mode, et ses bas blancs tricotés à la main. Elle paraissait aussi propre qu'un oignon, était fort bien arrangée, mais mise tout à fait à l'ancienne mode.
Mme Bell se rendit auprès d'elle. Cela rappelle le vieux temps, de voir tricoter, dit-elle de son ton de voix bas et affectueux. Je crois qu'il devrait y avoir une grand'mère dans chaque famille; elles donnent à la maison un tel air de confort et de bien-être. Je me souviens toujours comment mon aïeule tricotait quand j'étais petite fille.

- Notre travail ne vaut pas grand'chose, repartit la grand'mère, les bas sont si bon marché au jour d'aujourd'hui; mais je crois que le tricotage à la main dure davantage pour les garçons. William et Georges débrisent beaucoup de bas. Ils peuvent presque tenir occupée une vieille femme comme moi.

Anne lança à Bertha un coup d'oeil particulier qui la fit rougir. Les élèves de Mme Hovard apprenaient à bien prononcer, et on ne leur permettait pas de faire des pléonasmes vicieux ni des barbarismes.

Mme Bell, toutefois, poursuivit la conversation, et la bonne grand'mère fit de son mieux pour être intéressante. Mais elle était à la vieille mode, et faisait souvent violence aux règles de la grammaire. Pendant ce temps, Anne montrait une forte disposition à rire, et enfin, elle pria Bertha de la mener voir les fleurs.

Quelle curieuse vieille femme que ta grand'mère! s'écria-t-elle quand elles furent dehors; je ne pouvais plus me contenir. Anne se prit alors à rire comme s'il se fût agi de quelque chose de fort amusant. Bertha aurait dû comprendre que ces paroles étaient fort inconvenantes, et elle aurait dû prendre aussitôt fait et cause pour sa grand'mère; mais au lieu de cela, elle en avait honte, et aurait pu pleurer. Si seulement elle avait pu introduire ses hôtes au salon, où ils n'auraient pas pu voir la grand'mère !

- Cette curieuse vieille femme avec son immense tablier de toile! mais Bertha ! elle ressemble à une de ces vieilles qu'on fait sur des caricatures; et puis elle fait une bouche si étrange quand elle parle. Elle n'a plus une seule dent, n'est-ce pas? Je suppose bien qu'elle n'enseignait pas la grammaire quand elle allait à l'école. Pourquoi lui laissez-vous porter ce bonnet blanc? Toutes les vieilles dames que je connais portent des bonnets noirs avec des rubans. J'ai failli partir d'un éclat de rire, quand je lui ai vu faire cette petite courbette.
- Mais elle est très vieille. dit Bertha d'un ton qui trahissait quelque indignation, et elle a passé la plus grande partie de sa vie à la campagne.
- Il me semble qu'elle vient de je ne sais quelle forêt ! Je suis étonnée qu'elle ne te fasse pas aussi porter des bas « tricotés à la main » ; ou bien ne les débrises-tu pas » ?
- Ce n'est pas bien de se moquer ainsi des personnes âgées, dit Bertha en rassemblant tout son courage; toutefois, elle se sentait mortifiée et humiliée au possible.
- Oh, je ne veux pas dire le moindre mal; mais c'est si risible! J'aimerais que tu visses ma grand'mère; elle a près de quatre vingts ans, je crois; mais on ne lui en donnerait pas même soixante-dix.

Bertha se sentait trop blessée pour faire aucune observation. Anne lui donna alors un baiser, et s'efforça de la remettre de bonne humeur en lui parlant d'une fête que sa tante Bell préparait en leur honneur.

Quand elles rentrèrent, Mme Bell se disposait à partir, et l'attelage était devant la porte.

- Nous avons décidé pour mardi, Anne, dit Mme Bell en s'adressant à sa nièce; et puis, Mademoiselle Bertha, j'ai aussi prié votre grand'mère de me faire une visite. Une vieille dame comme elle, gaie et en possession de toutes ses facultés est chose rare c'est un vrai délice pour moi. Eh bien Madame Gilbert, j'enverrai la voiture pour vous reprendre : je vous prie de ne pas me désappointer, si vous êtes bien.
- Vous êtes trop bonne, Madame; et la bonne vieille dame Gilbert fit de nouveau une petite courbette.

Bertha paraissait tout étonnée.
Elle fut très tranquille après le départ de ses hôtes. Sa mère paraissait admirer France Wilson, et la grand'mère disait en parlant de Mme Bell : C'est une dame chrétienne au coeur chaud et tendre.

- Maman, dit Bertha le lendemain quand elle se trouva seule avec sa mère, ne pourrais-tu pas arranger un peu grand'maman pour aller chez Mme Bell ?
- Que lui faudrait-il de plus ? Elle a une jolie robe de soie noire, un foulard et un bonnet bien propres.
- Mais elle a tellement tellement l'air à la vieille mode!
- Ma chère enfant, elle est une dame à la vieille mode. Je crois qu'elle a beaucoup meilleure façon que si elle s'habillait comme les personnes qui sont de trente à quarante ans plus jeunes qu'elle.
- Mais .....
- Oh, Bertha! tu n'as pourtant pas honte de notre chère grand'maman, dit Mme Gilbert en regardant sa fille avec étonnement.

Bertha rougit, et les larmes commencèrent à rouler sur ses joues.

- Ma chère enfant, tu me fais bien de la peine.

Toute l'histoire fut dévoilée, et Bertha fit part de ses sentiments.

- Ma chère Bertha, dit la mère, je suis peinée de voir que tu montres si peu de vrai courage, et de coeur,

Anne Wilson s'est certainement montrée fort inconvenante, de critiquer ainsi une aussi vieille parente d'une amie. Je ne sais pas bien ce qu'il faudrait faire; mais je crois qu'il vaudrait mieux décliner entièrement l'invitation.
- Oh, maman! je ne pense pas qu'Anne pensât le moins du monde à mal. Elle se rit de ses compagnes, et contrefait chacun; mais malgré tout, elle est véritablement bonne et généreuse. Mais grand'maman fait beaucoup de fautes en parlant.
- Bertha, si jamais tu es tentée de critiquer ta chère vieille grand'mère, je désire que tu penses un peu à sa vie : à l'âge de douze ans, elle devait commencer à travailler dans une fabrique pour aider à sa mère à élever ses frères et soeurs plus jeunes; ensuite elle a dû prendre soin elle-même de la famille. Il y a cinquante-trois ans, elle épousait un simple fermier, et se rendait dans une plaine déserte de l'Ouest. Elle fut ensuite laissée veuve avec une grande famille : je l'honorerai toujours pour la sagesse dont elle a fait preuve. Il serait difficile de trouver quatre meilleurs hommes que tes trois oncles et papa. La tante Caroline était pauvre, et elle avait à lutter contre de grandes difficultés; grand'maman est restée avec elle jusqu'à sa fin; maintenant, elle est venue à moi. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans elle.

À tous égards, sa vie a été des mieux remplies, et elle est digne des plus grands éloges. Aujourd'hui encore, elle se sacrifierait volontiers pour l'un de nous. Suppose qu'elle soit revêche et grondeuse, et qu'elle prétende qu'on doive travailler sans cesse sans jamais prendre un moment de récréation ! Elle a un coeur tendre et généreux, sert Dieu et fait du bien tous les jours de sa vie; je suis assurée que Mine Bell l'honore et la respecte.

- Supposons, Bertha, que je commence à murmurer sur ses étranges manières, sur la coiffure qu'elle aime à porter, et sur ses expressions. Elle deviendrait timide et craintive, et si nous lui donnions à penser que nous avons honte d'elle, je crois véritablement que cela lui briserait le coeur. Consentirais-tu à lui faire cette peine ?
- Oh non! repartit Bertha en sanglotant. Chère grand'mère.
- Je crois que le commandement d'honorer son père et sa mère comprend aussi les grand'parents. Et de plus je désire voir ma petite fille apprécier le vrai mérite où que ce soit qu'il se trouve, et sous quelque forme qu'il se présente : qu'il soit caché sous des habits somptueux et à la mode, ou autrement.

En y réfléchissant, Bertha commença à voir qu'elle avait été bien faible et insensée, et après une bonne conversation avec sa mère, elle assura qu'Anne ne parlerait plus mal de sa grand'mère en sa présence.

- Quand la voiture de Mme Bell vint pour reprendre les dames Gilbert, elles partirent donc, grand'maman paraissant aussi fraîche et douce qu'une rose. Bien que ridée, sa peau était blanche, et ses doux yeux bruns débordaient d'amour.

Mme Bell leur souhaita une chaleureuse bienvenue; mais elle s'empara de la grand'mère, pendant que les jeunes personnes s'amusaient ensemble. Quelle agréable demeure ! toute remplie de curiosités, de belles peintures, de jolies statuettes, et de meubles élégants! Quelques visiteurs inattendus vinrent cet après-midi, et Bertha remarqua que la grand'mère était le centre d'attraction. Elle entendit une dame qui disait : - Quelle charmante vieille dame ! Je porterais bien envie à ses parents !
Quant à Anne, elle ne fit plus aucune remarque. Sa soeur avait été scandalisée de sa grande légèreté, et l'avait menacée d'en parler à Mme Bell, ce qu'elle craignait fort; ainsi, après tout, la visite de Bertha fut des plus agréables.

La jeune fille grandit avec un respect sincère pour la vieillesse ; les belles manières de Bertha Gilbert firent le sujet de plus d'une conversation. Si elle entrait en contact avec des personnes moins bien vêtues qu'elle-même, ou ignorantes, au lieu de les ridiculiser, elle s'efforçait de penser à la dureté de leur sort, à l'absence des avantages qui avaient été son partage, et elle était toujours tendre et aimable.

Efforçons-nous toujours d'être polis envers les personnes pauvres ou âgées, car c'est parmi elles que se trouvent les plus précieux joyaux de notre Dieu.



(40) POUVOIR ET VOULOIR.

Oh, se disait Anna, en refermant un livre qu'elle venait de lire sur la mission de Madagascar, combien je voudrais pouvoir faire quelque chose pour Christ; et Anna se perdit dans un songe héroïque.
Elle se représentait enseignant les païens dans l'Inde ou dans quelque station bien avancée d'Afrique où l'Évangile n'a pas encore été porté. Elle se voyait sur son départ, quittant presque sans déchirement aucun, parents et amis, pour aller au-devant des difficultés et des privations de là vie missionnaire, des dangers, de la fièvre, des bêtes sauvages, et des persécutions, mais surtout des persécutions. Anna se voyait déjà endurant patiemment la faim, l'emprisonnement et les tortures de tout genre pour sa foi.

Elle en était arrivée dans son roman, au point où elle était conduite au supplice, et où, expirante, elle implorait le pardon de ses meurtriers, quand sa mère l'appela de la pièce voisine.
L'apparence exatique du visage d'Anna fit aussitôt place à un air renfrogné.

- Si cela n'est pas intolérable, se dit-elle brusquement, on ne peut pas me laisser une minute tranquille.
Elle jeta son livre plutôt qu'elle ne le posa, et se rendit auprès de sa mère.

- Eh bien, qu'est-ce qu'il y a ? dit-elle d'un ton bourru.
- Je désire que tu ailles chez Mme berger, et que tu lui portes le dîner que la servante a préparé; et si tu peux la lever, tu fera son lit.
- Oh maman ! dit Anna, comme si ce que sa mère lui demandait était une impossibilité. Pourquoi m'envoyer chez Mme Berger ? Sa maison est si sale et si désagréable!
- Elle est vieille et seule, dit sa mère un peu mécontente. Elle ne peut rien faire maintenant; c'est le devoir de ses voisins de prendre soin d'elle jusqu'à ce qu'elle soit rétablie.
- Elle devrait bien aller à l'hôpital; les diaconesses la soigneraient.
- Tu sais fort bien qu'elle n'y veut pas aller; et elle a pour cela de bonnes raisons; de plus, penses-tu que ce serait une besogne plus agréable pour les diaconesses que pour toi.
- Je n'aime pas le faire, dit Anna d'un ton fort maussade.
- J'irai, dit Mlle Kent, la cousine d'Anna qui dessinait devant la fenêtre.
- Non, Marguerite, c'est Anna qui ira, dit la mère. Je te prie de bien considérer quel est l'esprit qui t'anime, ma fille.

Anna ne répliqua pas; elle obéit à sa mère, parce qu'elle savait qu'elle ne pouvait faire autrement; mais elle s'acquitta de sa tâche d'une manière si peu courtoise et si peu charitable, et prit un tel air de martyr que Mme Berger qui ne mettait pas de gants pour dire sa façon de penser, lui dit d'un ton bien convaincu qu'elle ne serait jamais aussi bonne que sa mère. Anna s'en retourna à la maison blessée au vif, et désirant se trouver dans un pays où personne ne la pût comprendre.
Le jour suivant, toutefois, elle avait tout oublié, et parlait à sa cousine Marguerite du travail missionnaire de l'Eglise.

- Oh ! dit-elle avec enthousiasme; je n'aimerais rien tant que d'aller comme missionnaire en Afrique.
- Et qu'y ferais-tu ? lui dit Marguerite d'un ton railleur.
- J'enseignerais les enfants et les femmes, je prendrais soin des malades, etc., etc.
- Penses-tu que les païens sauvages d'Afrique soient moins désagréables que Mme Berger, et que tu trouverais plus de plaisir à te sacrifier pour eux que pour ta voisine ? dit Marguerite.

Anna fut vivement blessée pour un moment, mais elle commença à se sentir honteuse.

- Après tout, il vaut encore mieux veiller sur ce qu'on peut faire autour de soi, si l'on a la volonté de faire le bien, dit Marguerite, que de perdre son temps à penser aux grandes choses qu'on ferait si on le pouvait.

Quelques instants de réflexion suffirent pour montrer à Anna combien peu elle possédait du véritable esprit missionnaire, et lui faire sentir que ses motifs n'étaient pas louables.

Rien ne nous est plus naturel que l'égoïsme et l'amour de notre propre volonté; mais tout sentiment qui nous porterait à oublier que d'autres ont droit aux mêmes jouissances que nous et qu'ils les désirent, est égoïste, et il faut s'en défaire au plus tôt.
Il faut être disposé à se charger de la croix qui se trouve sur son sentier, et à travailler pour le bien des autres. En agissant de cette façon, nous montrerons un véritable esprit missionnaire.



(41) « DE LA DÉTERMINATION, JOSEPH! »

C'était un après-midi d'été ; une brouette se trouvait devant la porte de Mme Robin - les rues étaient désertes en raison de l'intensité de la chaleur. Je me traînais péniblement du côté ombragé de la rue, opposé à la maison d'une veuve, et je remarquai son fils qui apportait un panier de linge pour le mettre sur la brouette. Surprise des dimensions du panier qu'il traînait le long de l'allée, je m'arrêtai pour le regarder.
Il tirait, traînait, se redressait un moment, puis se remettait à la besogne avec un renouvellement d'énergie, et dans le silence de la rue, je l'entendis se dire quelque chose à lui-même. Je m'approchai un peu.
Lui, il était trop affairé pour me voir. Après un instant de repos, je l'entendis dire: « De la détermination, Joseph ! » Il s'encourageait par ces paroles à faire de nouveaux efforts. Il arriva enfin avec sa corbeille sur le bord du trottoir, il courut dedans pour aller chercher un morceau de bois, et s'en servit de levier. Appuyant un bout de la corbeille sur la brouette, il s'efforçait de faire monter l'autre bout en se répétant un peu plus haut qu'auparavant. « De la détermination, Joseph ! » La corbeille fut enfin placée sur la brouette.

Comme il se reposait en regardant fièrement l'heureux résultat de ses efforts, il m'aperçut, et son visage rondelet, rouge, et tout couvert de transpiration, devint pour un moment écarlate, quand je lui dis : « Voilà un brave garçon ! » La voix de la mère résonna alors dans l'allée, lui disant : - Je viens, Joseph, et bientôt elle parut. L'enfant lui montra alors fièrement la corbeille en disant : - J'en suis venu à bout tout seul, maman.

C'était un beau spectacle, que celui que présentait la vue de la veuve et de son fils. Quoique aucune parole ne fût prononcée, un sentiment de satisfaction se lisait bien clairement sur les deux visages, et je ne doute pas que chacun de leurs coeurs était saisit d'un tressaillement de satisfaction que le langage est impuissant à exprimer.

Je poursuivis mon chemin ; mais les paroles : « De la détermination, Joseph, » me suivirent. Quelle profondeur dans cette simple phrase! Quelle différence dans notre travail, si nous le faisons de bonne volonté, ou si c'est à contre-coeur. Ce petit être aurait pu pleurer, murmurer, et laisser l'aire le travail à sa mère; il eût alors été, mécontent de lui-même, et un sujet de tristesse pour sa mère; mais il s'était excité lui-même au travail et à l'accomplissement de son devoir, par ces paroles, puissantes dans leur simplicité : « De la détermination, Joseph ! »

Depuis ce jour, ces paroles se sont souvent présentées à ma mémoire. Quand des jeunes filles me font des plaintes de ce genre : « Je n'ai pas une minute à consacrer à faire du bien, je dois faire des visites, j'ai mon travail d'atelier, une broderie à finir ; comment pourrais-je m'occuper des pauvres quand j'ai tellement à faire ? » je suis tentée de me dire intérieurement: « Combien les choses changeraient, si jamais elles se disaient: « De la détermination! »

Oui, avec de la détermination on peut faire presque tout ce qui devrait être fait. Quelle que soit notre situation, il y a pour tous des difficultés et des épreuves. Si nous y cédons, nous sommes terrassés et vaincus. Mais quand nous surmontons la tentation, en demandant à Dieu la force nécessaire pour lutter contre l'ennemi, nous devenons après chaque bataille plus forts et plus vaillants, et nos dangers de retomber dans la tentation diminuent constamment. Notre sagesse et notre devoir doivent nous exciter : ils doivent parler à notre coeur comme l'enfant lorsqu'il se répétait : « De la détermination, Joseph ! » Quand nous désirons faire du mal, notre volonté est toujours assez forte. L'adversaire qui vient à nous avec ses tentations nous accorde son assistance pour consommer notre perte.

Nous ne sommes enclins à faiblir que pour faire le bien. « Quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi, » telle était l'expérience de l'apôtre des gentils, et c'est l'expérience que fera quiconque ne va pas à Celui qui peut assujettir notre volonté à la sienne. « 0 Dieu! crée en moi un coeur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé. »


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