Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...




(42) PAROLES INJURIEUSES.

- Jouons aux visites, dit Jeanne. Tu seras l'oncle Jean, je serai la maman, et je viendrai te faire une visite.
- Bah! dit David d'un ton moqueur; c'est un jeu de fille, et c'est stupide. Jouons au soldat; j'aime cent fois mieux!
- Ce n'est pas le moins du monde plus stupide que de jouer au soldat, et ce n'est pas la moitié aussi pénible. Je n'y veux pas jouer, dit Jeanne en s'asseyant sur le seuil de la porte d'un air déterminé.
- Tu es vraiment mesquine! s'écria David avec impétuosité, et je vois bien que tu es paresseuse, sans quoi tu ne dirais pas que jouer au soldat soit pénible. Je voudrais m'amuser toute la journée à ce jeu. Viens, à présent.
- Oh, David, je ne puis pas! dit Jeanne en enlevant ses cheveux de dessus ses yeux ; il fait si chaud et je suis si fatiguée !
- Fatiguée! misérable paresseuse! dit David d'un ton narquois.
- Je ne suis pas paresseuse, dit Jeanne - pas plus que toi.
- Eh bien, viens donc jouer, dit David.
- Oui, si tu veux jouer aux visites mais je ne veux absolument pas jouer au soldat.

David était furieux.

- Mauvaise, propre à rien! je ne veux plus jamais jouer avec toi ! je te déteste! je désire que tu ne me parles plus jamais aussi longtemps que tu vivras !

David ne s'était pas arrêté pour réfléchir au sens de ses paroles. Sa fureur était si grande qu'il ne pouvait se contenir, et qu'il se répandit en un torrent d'injures. Ai-je dit qu'il ne pouvait se contenir? Il eût probablement pu s'il eût voulu, mais il n'avait pas essayé.

- Je ne me soucie pas de ce que tu dis, dit Jeanne très calmement. Je ne jouerai pas au soldat, ajouta-t-elle en riant à la vue du visage contracté et des gestes furieux de David.

David ne dit rien, parce qu'il était trop furieux pour parler, et Jeanne monta à la maison, le laissant seul. Un peu après, Mme Colomb appelait David pour l'envoyer faire une commission au village.

La nuit le surprit sur son retour, et sa mère l'informa à son arrivée que Jeanne était allée se coucher, né se sentant pas bien. David ne la revit donc pas ce même jour. Le matin suivant, on lui apprit qu'elle était gravement malade. Elle s'était trouvée très mal pendant la nuit, et on avait fait appeler le docteur qui, après un examen attentif de la petite patiente, l'avait déclarée atteinte d'une fièvre dangereuse.

Pauvre David! la première pensée qui lui vint à l'esprit fut celle-ci: « Qu'adviendrait-il de moi si Jeanne mourrait? » Il se sentait humilié en songeant aux injures qu'il lui avait dites, et il ne pouvait se débarrasser de la pensée que si elle mourrait, il sentirait reposer sur lui toute sa vie, un sentiment de culpabilité. Combien n'aurait-il pas donné pour pouvoir retirer ses paroles désobligeantes! mais il ne lui était pas possible de le faire. Il en était continuellement obsédé.

Jeanne était jour après jour plus mal. David suppliait qu'on le laissât aller vers elle seulement un moment, mais le docteur ne le lui permettait pas. La tranquillité la plus absolue était ordonnée : il n'était permis qu'à ses parents d'entrer dans la chambre de la malade. Il semblait à David qu'il ne pourrait pas endurer longtemps encore la pensée qu'elle ne lui avait pas accordé son pardon. Il ne pouvait penser à autre chose qu'à sa méchanceté. Il se croyait presque dans un mauvais rêve quand il réfléchissait aux expressions cruelles dont il s'était servi à l'adresse de celle qui était sa soeur unique.

Le docteur déclara enfin qu'il n'y avait plus d'espoir pour Jeanne, qu'elle mourrait en dépit de tout ce qui pourrait être fait en sa faveur. Quand David eut appris cette triste nouvelle, il se dit qu'il devait à tout prix la voir encore une fois. Il ne pouvait pas supporter la pensée de la laisser mourir sans avoir obtenu son pardon. Il se souvenait qu'elle s'était plainte d'une fatigue extrême, et il savait qu'elle devait avoir senti alors l'approche de la maladie qui la tenait dans ses terribles étreintes. Et lui, il l'avait qualifiée de paresseuse quand elle était malade!

Combien était tranquille la chambre où se trouvait Jeanne! Quand il demanda de nouveau à la voir, on ne l'en empêcha pas. Il était inutile de l'éloigner d'elle plus longtemps, parce que la maladie était trop avancée pour qu'il y eût quelque espoir de guérison avait dit le docteur.
David s'arrêta devant le lit, tout stupéfait à la vue du visage défait et pâle de sa petite soeur. De grosses larmes commencèrent à jaillir de ses yeux et à rouler sur ses joues, quand il vit le changement qui s'était opéré en elle d'une semaine.

- Oh Jeanne ! dis que tu m'as pardonné avant de mourir. S'il te plaît Jeanne, pardonne-moi; je ne puis supporter la pensée de ma culpabilité plus longtemps, dit David en s'agenouillant auprès du lit de sa soeur, et en s'approchant de son visage autant qu'il le pouvait.
- Je t'aime, David, lui répondit-elle d'une voix faible et défaillante, en tendant ses lèvres pour lui donner un baiser..

David l'embrassa avec effusion. Oh, combien elle allait lui manquer, quand elle ne serait plus !

Jeanne ferma alors les yeux avec des signes évidents de fatigue. On crut qu'elle se mourrait, et le docteur releva David de devant le lit. Mais ce n'était pas encore la mort qui avait fermé ses yeux, elle les ouvrit de nouveau, et avec un sourire doux et touchant, elle déclara vouloir s'endormir. Elle s'endormit en effet, mais non pas du dernier sommeil, comme on le supposait, mais d'un sommeil paisible et réconfortant. À son réveil le docteur déclara que si rien d'inattendu ne survenait, elle se rétablirait. la crise était passée, et selon toute probabilité, Jeanne recouvrerait la santé.

Elle se rétablit lentement. David était son garde-malade le plus assidu. La leçon qu'il avait apprise ne fut pas perdue. Jamais, depuis ce temps, il ne permit à la colère de faire taire son jugement.



(43) NE QUITTE PAS LE VAISSEAU !

- Grand'maman, racontez-nous donc l'histoire du petit tambour dont la devise était : « Ne quitte pas le vaisseau! »
- Je n'ai pas l'habitude de raconter des histoires aux enfants ; mais si vous voulez être tranquilles, j'essayerai de vous la raconter -

Pendant une bataille des plus meurtrières de la grande guerre de sécession des États-Unis d'Amérique, le colonel d'un des régiments du Michigan remarqua un petit garçon qui faisait partie de l'armée en qualité de tambour. Le grand calme et la sérénité du jeune garçon, au milieu de l'engagement, sa réserve habituelle, si peu ordinaire chez un gamin de son âge, sa conduite réglée, et son attachement à sa caisse, - son unique compagne, avec quelques livres usés sur lesquels on le voyait souvent penché, - tout cela avait attiré l'attention des officiers et de la troupe. La curiosité du colonel B. étant excitée, il eut le désir d'en savoir plus long sur son compte. Il fit donc appeler le jeune homme dans sa tente.

Notre petit tambour se présenta, la caisse au côté et les baguettes à la main. Il s'arrêta devant le colonel, et lui fit son plus beau salut militaire. C'était un beau garçon ; son teint hâlé allait fort bien avec ses cheveux noirs ; mais son air grave faisait contraste avec ses joues remplies et son menton enfoncé. C'était un gamin auquel on avait enseigné de bonne heure à avoir une grande assurance. Le colonel B. fut saisi d'un étrange sentiment quand le jeune garçon fut en sa présence.

- Avancez, lui dit-il, je désire vous parler.

Notre héros s'avança sans manifester le moindre embarras.

- J'ai été charmé de votre conduite hier, lui dit le colonel, elle a été admirable, pour un jeune homme de votre âge.
- Je vous remercie, mon colonel ; mais je n'ai fait que mon devoir; quoique je sois petit je suis assez grand pour faire mon devoir.
- N'avez-vous pas eu une terrible frayeur quant l'engagement eut lieu? demanda le colonel.
- Ç'aurait pu être le cas, si je m'étais laissé aller à penser au danger; mais je pensais à ma caisse; je devais battre pour les soldats; c'était pour cela que je m'étais engagé volontairement. C'est pourquoi je me disais : - Ne te mets pas en peine de ce qui ne te regarde pas, Jacques, fais ton devoir, et ne quitte pas le vaisseau!
- C'est là une expression de marin, dit le colonel.
- De qui qu'elle soit, elle est excellente, Monsieur, dit Jacques.
- Je vois que vous en comprenez la signification. Que cette règle soit toujours la vôtre, et vous gagnerez l'estime de tous les gens de bien.
- Le père Jacques, quand il m'enseignait, m'a appris à dire : « Ne quitte pas le vaisseau. »
- C'était votre père ?
- Non, Monsieur, je n'ai jamais connu mon père; mais c'est lui qui m'a élevé.

C'est étrange, se dit le colonel, combien je me sens attiré vers ce garçon. - Racontez-moi votre histoire, Jacques.

- Je vais vous la raconter aussi bien qu'il me sera possible, telle que le père Jacques me l'a dite, Monsieur. Ma mère partait de France sur un vaisseau marchand, pour se rendre à Baltimore, où mon père demeurait. Un grand orage s'éleva; le vaisseau alla échouer sur des récifs où il se brisa, et tout l'équipage avec les passagers montèrent sur les chaloupes. Tous se croyaient perdus; mais à la fin, ils furent recueillis par un vaisseau qui était en route pour Liverpool. Ils avaient tout perdu sauf les habits qu'ils portaient; mais le capitaine se montra très généreux envers eux : il leur donna des habits et quelque argent. Ma mère refusa de demeurer à Liverpool, quoiqu'elle fût bien malade, parce qu'elle désirait vivement retourner en Amérique; elle s'embarqua donc sur un autre vaisseau marchand qui partait à destination de New-York. Elle était la seule femme à bord.
Son mal s'aggrava quand le vaisseau se fut mis en route ; les matelots la soignèrent aussi bien qu'ils purent. Le père Jacques était matelot à bord de ce vaisseau ; il la prit en pitié et fit tout ce qu'il put pour elle. Mais elle mourut me laissant en bas âge. On ne savait que faire de moi; tous, sauf le père Jacques disaient que je mourrais sous peu ; il me demanda au docteur. Celui-ci dit : - Laissons-le essayer son habileté, puisqu'il le veut ; mais c'est peine perdue : ce petit être ne tardera pas à suivre sa mère par-dessus bord. Le docteur eut tort. J'arrivai sain et sauf à New-York. Mon père adoptif fit tout ce qu'il put pour retrouver mon père, mais la chose ne lui fut pas possible, car personne ne connaissait le nom de ma mère. Il me confia à une famille de New-York, quand il se rembarqua; mais il ne put rien découvrir au sujet de ma mère, malgré toutes les recherches qu'il fit à Liverpool et ailleurs.

La dernière fois qu'il s'est embarqué, j'avais neuf ans, et il m'a fait un cadeau pour mon anniversaire, la veille de son départ. Ce fut le dernier. Il n'est jamais revenu : il est mort de la fièvre de mer. Il m'a fait beaucoup de bien ; à sept ans, il m'a mis dans une école, et depuis il a toujours payé ma pension une année à l'avance. Vous pouvez donc voir, Monsieur, que j'avais un bon commencement pour gagner ma vie. Je me mis aussitôt en devoir de le faire. J'allais en commission pour des messieurs, et je balayais des ateliers et des magasins. Personne n'aimait à m'employer pour commencer; mais on ne tardait pas à voir que je pouvais fort bien faire mon travail. Je continuais d'aller à l'école. Je faisais mon ouvrage avant neuf heures du matin, et j'avais tout le temps nécessaire, après les heures d'école, pour apprendre mes leçons. Je ne voulais pas quitter l'école: le père Jacques m'avait recommandé d'apprendre tout ce que je pourrais, parce qu'un jour ou l'autre, disait-il, je retrouverais mon père, et qu'il ne fallait pas qu'il me trouvât un pauvre petit ignorant. Il me dit qu'il fallait faire en sorte de pouvoir le regarder en face et lui dire sans mentir : « Papa, je puis être pauvre et inculte, mais j'ai toujours été honnête, et je n'ai jamais quitté le vaisseau : vous n'avez donc nullement lieu d'avoir honte de moi. » - Monsieur, je n'ai jamais pu oublier ces paroles. Posant sa casquette, sa caisse et ses baguettes, il releva sa manche, et montra sur son petit bras le dessin d'un vaisseau voguant à pleines voiles avec cette devise au dessous : « Ne quitte pas le vaisseau! »

À l'âge de douze ans, je quittai New-York pour venir à Détroit, chez un libraire. Deux ans plus tard, la guerre éclatait. Quelques jours après la déclaration de la guerre, passant devant un bureau de recrutement, j'entrai. J'entendis dire qu'on avait besoin d'un tambour. Je m'offris aussitôt; on sourit et on me dit que j'étais trop petit; on m'apporta toutefois une caisse, et je commençai à battre en présence de la commission. Elle consentit alors à m'enrôler. À partir de ce moment, le vieux drapeau aux étoiles était le vaisseau que je ne devais pas quitter.

Le colonel était silencieux et paraissait plongé dans ses réflexions.

- Comment pouvez-vous espérer de jamais retrouver votre père ? lui dit-il; connaissez-vous même son nom ?
- Non, Monsieur, mais je suis certain de le retrouver d'une façon ou d'une autre. Mon père pourra reconnaître avec certitude que je suis bien son fils quand il me retrouvera, parce que j'ai quelque chose à lui montrer qui appartenait à ma mère, dit-il en tirant un petit sac brodé et cousu tout autour, qu'il tenait suspendu à son cou par un cordon. Ici, ajouta-t-il, se trouve un bracelet que ma maman portait toujours au bras. Le père Jacques le prit après sa mort, et le conserva pour moi. Il me recommanda de ne pas l'ouvrir avant d'avoir retrouvé mon père, et de toujours le porter ainsi suspendu au cou pour ne pas risquer de l'égarer.

- Un bracelet ! s'écria le colonel: faites-le-moi donc voir; il faut que je le voie sans retard !

Le tenant des deux mains, le petit garçon regarda le colonel dans les yeux; saisissant ensuite le cordon, il le passa par-dessus sa tête, et remit en silence son trésor entre les mains du colonel. Ouvrir le petit sac fut l'affaire d'un instant.

- Je crois reconnaître ce bracelet, murmura le colonel. Si c'est bien ce que je crois, il doit se trouver à l'intérieur deux noms « Wilhelmina et Carleton, » et la date : 26 mai 1849. »

Les mots s'y trouvaient bien. Le colonel prenant alors le jeune garçon dans ses bras, ne put dire autre chose que : Mon fils! mon fils!

Il faut que je retourne maintenant à mon histoire. La première année de son mariage, le colonel B. et son aimable épouse s'embarquaient pour l'Europe, s'attendant à demeurer plusieurs années dans l'Europe méridionale, en raison de la santé délicate de la jeune femme. Il était associé d'une maison de commerce de Baltimore. La mort soudaine de son associé l'obligea à retourner promptement à Baltimore, laissant sa femme en Italie avec sa mère. Peu après son départ, sa belle-mère mourut. Mme B. se disposa aussitôt à retourner à Baltimore, et s'embarqua sur le malheureux vaisseau qui avait été perdu. Toutes les recherches du colonel furent vaines ; il ne lui fut pas possible d'avoir des nouvelles de son épouse. À la fin, il la compta comme perdue ; et soit douleur, soit incertitude, il faillit en perdre la raison. Quatorze ans s'étaient écoulés ; et il ne savait pas que Dieu, dans sa miséricorde, lui avait épargné un précieux lien qui l'unissait à la jeune existence qu'il avait tellement pleurée. Malheureux, et pour ainsi dire sans but, il se rendit dans le Michigan. Quand la guerre éclata, il fut l'un des premiers à se présenter comme volontaire.

Le jeune garçon était là, des larmes abondantes inondant son visage.

- Papa, lui dit-il, vous m'avez enfin retrouvé, précisément comme le père Jacques disait. Vous êtes un grand Monsieur, et moi, je ne suis qu'un pauvre tambour. J'ai été honnête, et je me suis efforcé de faire le bien. Vous n'aurez pas honte de moi, n'est-ce pas, papa ?

- Je suis fier de t'appeler mon fils, et je remercie Dieu de ce qu'il me donne de te retrouver tel que tu es.

Notre petit héros est maintenant grand. Tel était le gamin, tel est l'homme : il « ne quitte pas le vaisseau. »



(44) MANIÈRES DE SOCIÉTÉ.

- Oui! dit Zénobie avec conviction, je crois après tout qu'Emmanuel Morton est encore le meilleur garçon qu'on puisse trouver.
- Pourquoi donc? demandai-je en m'installant au milieu du petit groupe affairé qui était autour du feu.
- Je le sais bien, dit Alfred, Zénobie aime Emmanuel parce qu'il est si poli.
- Je me soucie assez peu de vos rires, dit franchement la petite fille, c'est bien là la raison, ou du moins l'une des raisons. Il est aimable, il ne crie pas à la maison, ne fait pas de bruit, et quand je tombe sur la glace, il ne s'en réjouit pas.
- Zénobie voudrait qu'on eût toujours les manières de société, dit Alfred.
- Nous ressemblerions bientôt tous à des vieux, ajouta Marie, s'il fallait suivre ses « goûts fastidieux. »

Soit dit en passant, Marie aimait les mots ronflants, et elle les employait sans trop se soucier de leur signification; aussi avait-elle déjà demandé qu'on lui achetât un dictionnaire pour son prochain anniversaire.
Il va sans dire que Zénobie se hâta de riposter.

- Eh bien, dit-elle, si devenir vieux rend plus aimable, c'est fort dommage qu'on ne puisse pas hâter la vieillesse pour beaucoup de gens.
- Alfred, qu'est-ce que tu entends par les manières de société, demandai-je du fond de mon fauteuil.
- Mais bien sûr, c'est.... c'est.... vous savez bien... c'est de bien se comporter quand il y a des étrangers à la maison, ou bien quand on est invité au dehors.
- Les manières de société sont les bonnes manières, ajouta Horace.
- Ah oui, je comprends, dis-je tout bas, ce sont les manières qui sont trop bonnes pour maman, et qu'il faut réserver pour Mme Lambert.
- Vous avez fort bien dit, fit Zénobie.
- Mais parlons un peu sérieusement de cette question. Pourquoi faudrait-il être plus poli avec Mme Lambert qu'avec maman. Vous ne l'aimez pourtant pas mieux ?
- Oh non! répondirent en choeur plusieurs voix.
- Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi on réserverait toutes les amabilités pour Mme Lambert; pourquoi on se découvrirait; pourquoi on adoucirait la voix et multiplierait les « s'il vous plaît, » les « je vous remercie beaucoup, » les « excusez, » quand elle est à la maison et chez elle, et pas par devant maman.
- Oh! c'est tout différent. Maman sait fort bien que nous n'avons aucune mauvaise intention. En outre, ce n'est pas juste, cousine; nous parlions de petits garçons et de petites filles, et vous venez nous parler des grandes personnes.

C'est ainsi que mon petit auditoire m'interpella, et force me fut de changer de base.

- Puisque vous le voulez, parlons de petits garçons et de petites filles. Un jeune garçon qui fait comme notre ami Emmanuel, qui est aimable envers les petites filles, qui ne jette pas ses petits frères dans la neige, et qui respecte les droits de ses cousins et de ses amis, ne peut-il pas être tout aussi heureux qu'un autre? Il me semble que la politesse est tout aussi en place sur la place de jeu qu'au salon.
- Naturellement, si vous voulez qu'on renonce à tout amusement, dit Alfred.
- Mon cher petit ami, lui dis-je, ce n'est pas du tout ce que je désire. Courrez, sautez, criez autant qu'il vous plaira; patinez, faites des parties de traîneau - mais faites-le tout en respectant les règles de la politesse envers les autres garçons et les autres jeunes filles. Je ne vois pas pourquoi vous n'y trouveriez pas tout autant de plaisir. Vous vous plaignez quelquefois de ce que j'aime mieux Benjamin Rolland que tous les autres enfants. Pourrais-je faire autrement ? Quoiqu'il soit jovial et grand amateur du jeu, il est toujours poli. Vous ne le voyez jamais se renverser sur sa chaise, ni se promener dans la maison avec son chapeau sur la tête. Jamais il ne vous coudoie pour sortir le premier de la chambre. Si vous sortez, il tient la porte ouverte; êtes-vous fatigué, il s'empresse de vous offrir une chaise, de vous apporter un verre d'eau et un éventail; il se hâte de relever votre mouchoir de poche quand vous l'avez laissé tomber : et tout cela sans se le faire commander, ni en paraître contrarié le moins du monde.
Ces marques d'attention, il ne les prodigue pas seulement à moi, ou à Mme Bertrand, mais aussi à sa maman, à la tante Jeanne, et à sa petite soeur; à la maison, à l'école, et sur la place de jeux, partout il fait preuve de la même politesse. Sa courtoisie, il ne l'adosse pas seulement à des moments donnés, mais il la porte comme un habit qui lui va bien, et qu'il ne pose jamais. Il est véritablement aimable. De fait c'est là précisément ce qui constitue la vraie politesse.

Il n'est guère possible pour de jeunes garçons et de jeunes filles de se rendre compte, avant d'être trop âgés pour en adopter de nouvelles, combien il est important de se mettre en garde contre des habitudes de négligence et de gaucherie, soit dans ses expressions, soit dans ses manières. Il en est qui pensent, fort mal à propos, qu'il n'est pas nécessaire de tellement veiller sur soi quand on n'est pas en société. C'est là une grave erreur; car notre naturel se manifestera d'une manière ou d'une autre malgré les plus grands soins.

Il n'est pas possible d'avoir certaines expressions, et certaines manières à la maison, et d'autres au dehors; parce que dans des moments de confusion ou d'embarras les habitudes ordinaires se manifesteront toujours. Ce n'est toutefois pas simplement parce que le choix des expressions et la grâce dans les manières sont agréables à voir qu'il est recommandé à nos jeunes amis de les cultiver, mais parce que la culture extérieure réagit sur le caractère, et le rend plus aimable, plus doux et plus attrayant.

La conscience même que l'on gagne la faveur des personnes avec lesquelles on entre en rapport, inspire le respect de soi-même, de même que le sentiment d'être convenablement vêtu nous donne une certaine dignité. Chaque effort qu'une personne fait en vue de son propre perfectionnement, amène avec soi sa récompense.


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