Vous serez mes
témoins
Chapitre IX
QUELQUES EXPÉRIENCES
Une foule qui attend en chantant des
cantiques... Une si grande foule, accourue de tout
le pays environnant, qu'aucun édifice public
ne peut la contenir. Un homme drapé dans une
étoffe jaune, la tête coiffée
d'un turban, gravit lentement les escaliers du
collège vis-à-vis et s'arrête
sur la plateforme. C'est le Sâdhou Sundar
Singh. Nous avons tous lu sa biographie, et
maintenant nous contemplons le
célèbre apôtre contemporain.
Tout change, ce sont maintenant les païens
d'hier qui viennent évangéliser les
chrétiens paganisés d'aujourd'hui.
Honte à nous ! mais gloire à
Dieu qui suscite de tels témoins !
Très bien traduit, le Sâdhou parle
simplement. Ce qui me frappa le plus dans ce
discours, c'est qu'il nous reprocha, à nous
Occidentaux, de ne pas consacrer assez de temps
à la prière et à la
méditation. Je sens qu'il a raison et
désormais, avec le secours de Dieu, je
tâcherai de mettre plus de temps à
part pour cela.
Oui, c'est facile à dire,
mais dire et faire sont deux... A côté
de mon travail régulier, j'ai tant
d'occupations plus pressantes les unes que les
autres, me semble-t-il. J'aime tant me sentir utile
à mon prochain que j'ai de la peine à
décider ce que je dois abandonner. Je prie
Dieu de m'aider... mais c'est toujours la
même chose.
Dieu est venu à mon secours
et cela d'une manière bien inattendue.
Après le repas, maman lavait la vaisselle et
je l'essuyais vite avant de descendre à
l'ouvrage. Chargée d'une pile de tasses et
d'assiettes, je poussai du coude la porte de la
chambre à manger la
croyant entr'ouverte. Elle était
fermée et je me donnai un fameux coup
à la place sensible. Cela me fit très
mal, mais je partis sans y faire grande attention.
Arrivée au bureau, quel ne fut pas mon
étonnement de voir ma main enflée et
gourde. Et pendant trois semaines je ne pus faire
que le strict nécessaire et certes j'eus le
temps de méditer et sur bien des
choses !
Donner la dîme m'est une
grande joie. Je donne les deux tiers de ce que je
gagne à mes parents, le reste est pour mes
dépenses personnelles, la location de mon
petit logement au village et la dîme du
tout.
- Pourrais-tu me prêter
cinquante francs ? me demanda maman un
jour.
- Oh ! que je le regrette,
c'est la fin du mois et je n'ai presque plus
rien.
- Alors que fais-tu de tout ton
argent ? reprit-elle. Voyons, tu
dépenses environ tant pour ceci, tant pour
cela, et le reste ?
- Je... Je le donne... dis-je
à contre-coeur.
- Comment, tu distribues ainsi ton
argent ! Tu ferais mieux de nous le
donner !
- Mais il ne nous manque rien, vous
pouvez faire d'ordinaire avec ce que vous avez,
c'est un acte que j'ai décidé
d'accomplir devant Dieu, fis-je plus
résolument.
- C'est de la folie ! Il me
faudrait ces cinquante francs aujourd'hui, que me
faut-il faire ?
- Eh ! bien, maman, pour te
prouver que je n'ai pas mal agi, je vais demander
à Dieu, mon Banquier, de m'envoyer cette
somme, et je te la donnerai de suite.
Tout en descendant, je priais,
repassant dans ma mémoire tous les passages
sur lesquels je pouvais m'appuyer.
En arrivant au bureau, Mlle R. me
dit : « Une surprise pour
vous ! tenez ! » C'était
une enveloppe contenant soixante francs. Plus que
je n'avais demandé. Une gratification
spéciale de l'administration.
Coïncidence ? Oh ! non.
« Avant qu'ils crient je
répondrai, et pendant qu'ils parlent,
j'exaucerai. »
Esaïe 65. 24.
Ah ! quel Dieu merveilleux nous
avons !
Mademoiselle, êtes-vous
réellement ce que vous paraissez
être ?
Interloquée, je regardai la
personne qui me parlait une demoiselle, dans la
soixantaine, à l'air digne et
imposant.
- Oui, reprit-elle, je veux dire, ne
jouez-vous pas parfois un rôle, sans vous en
rendre compte ?
- Je... Je ne sais
pas !
- Voyez-vous, dit-elle, si je vous
demande cela, c'est que je viens de m'apercevoir
dernièrement, à mon âge, pensez
donc ! que je n'étais pas ce que
j'avais l'air d'être. N'est-ce pas
terrible ? J'ai toujours joué que
j'étais Mlle T., une chrétienne
très respectable, ayant été
institutrice à l'étranger, bref, j'ai
joué un personnage. C'est Dieu qui m'a
révélé cela dans un songe, je
me suis vue alors telle que j'étais. Je
voulais diriger mon prochain dans la vie
chrétienne et moi je vivais d'une vie
spirituelle cérébrale, artificielle
même. Dieu est bon de m'avoir montré
cela avant qu'il soit trop tard, mais il me semble
maintenant que je ne suis qu'un petit
bébé dans la
foi ! »
Pauvre chère mademoiselle
T. ! cela nous faisait de la peine de la voir
ainsi, et pourtant elle nous était devenue
infiniment plus sympathique. Il faut aussi que je
m'examine... Oui, c'est vrai, je me laisse parfois
influencer par des lectures, et quand je suis
froide avec certaines personnes, je ne suis pas
sincère.
Que Dieu me donne un coeur droit et
la grâce de vivre une vie transparente, une
vie qui soit réellement en bon
témoignage. Je hais le mensonge, il y a
longtemps que je me suis aperçue qu'il n'y
en avait pas de permis, je hais la fausseté,
il faut désormais qu'il n'y ait en moi plus
rien de double ni de faux.
Depuis quelque temps,
l'étrange impression que Dieu me
prépare pour une nouvelle tâche se
renforce encore. J'espère qu'Il ne me
demandera pas de quitter ce pays auquel je me suis
tant, peut-être trop attachée... Cette
occupation pour laquelle il me semble que je suis
faite et qui est faite pour moi. Mes amies,
l'Union, que de liens ! mais de doux
liens ! Quoique si c'était pour
déloger et être avec mon Sauveur,
oh ! tout cela ne compterait pas !
« Voir mon Sauveur face à face,
voir mon Roi dans sa beauté, oh ! joie,
oh ! suprême grâce, paix, bonheur,
félicité ! »
Quelqu'un me disait un jour :
« Ne croyez-vous pas qu'il y aura des
fleurs et des fruits au
ciel ? »
- Cela m'est indifférent,
ai-je répondu, il y aura Jésus, cela
me suffit.
Il me reste cependant encore une
certaine appréhension du passage de la
vallée de l'ombre de la mort, mais mon
Berger sera là. Je ne sais pourquoi j'ai de
telles pensées. Ma santé s'est
pourtant bien raffermie depuis quelque temps et
j'ai l'air en pleine santé.
.
Chapitre X
PRINTEMPS
Quel merveilleux printemps nous avons cette
année ! Après le repas de midi,
j'ai aidé à maman à laver la
vaisselle. De nouveau nous avons eu une grande
discussion à propos de mariage ; pour
finir je lui dis :
- C'est la dernière fois que
nous parlons de cela, tu sais qu'il n'y a pas de
jeune homme partageant mes idées dans la
contrée, donc c'est inutile d'y penser.
Désormais je refuse toute discussion sur ce
sujet.
Puis je pris un livre et allai
rejoindre papa qui faisait la sieste dans le
verger. Je m'installe sur un banc, mais le livre
reste fermé sur mes genoux. Quelle splendeur
autour de moi ! Les cerisiers sont en fleurs,
il semble qu'un voile de mariée est
étendu sur la contrée, l'herbe est
d'un vert savoureux tout piqueté des clous
d'or des dents-de-lion. Le ciel et le lac sont d'un
bleu doux. Les oiseaux chantent à coeur
joie, les abeilles bourdonnent... De tout ce
tableau se dégage une subtile symphonie, une
intense joie de vivre... Que Dieu est bon de nous
avoir transplantés dans un si beau
pays !
Un jeune homme passa offrant des
brochures. Rendue méfiante par les
contrefaçons de la vraie religion, de prime
abord je voulus refuser, mais quand je vis ses
traités, j'en acceptai quelques-uns.
Après avoir parlé un moment de choses
et d'autres, il s'éloigna, puis, se
retournant tout à coup, il
dit :
- Qu'il fait beau ici ! cela
fait envie d'y revenir
- Eh ! bien, pourquoi
pas ? si cela vous fait plaisir !
répondit papa.
Ensuite ma soeur et mes
frères sont revenus de promenade ; nous
avons commencé de jouer au croquet, mais il
faisait trop chaud et trop beau pour continuer et,
assis dans l'herbe, nous sommes restés en
contemplation devant les beautés de la
nature.
Le dimanche suivant, la floraison
des arbres passait, mais il faisait encore un temps
merveilleux...
À quatre heures nous
étions toute une joyeuse bande en train de
nous rafraîchir au verger. Nous apercevons
une silhouette là bas dans les champs. C'est
peut-être le porteur de traités, il
doit avoir soif ! Nous lui faisons de grands
signes.
- Venez vite !
dépêchez-vous pendant qu'il y en a
encore
Il arrive tout essoufflé,
nous lui faisons une place, lui remplissant vite un
verre et lui passant le biscuit.
- Êtes-vous content ?
C'est bien allé, votre
tournée ?
- Oh ! oui, j'aime beaucoup
faire cela, je dépose des brochures sur les
fenêtres, sur les tas de bois quand les gens
ne sont pas là, cela peut faire du bien une
fois ou l'autre !
C'est bien du dévouement de
sa part, et nous sommes un peu honteux de nous qui
ne pensons qu'à nous reposer ou à
nous amuser.
- Que ce gâteau est bon,
madame ! et cette boisson ! comment la
faites-vous ? Qu'est-ce donc ? demanda le
nouvel arrivant.
- C'est du vin de figues sans alcool
fait à la maison, répondit
maman.
- J'aimerais bien en avoir la
recette.
- Mais, à votre service, la
voulez-vous de suite ?
- Je n'ai pas bien le temps
aujourd'hui, il faut que je me dépêche
de rentrer, je reviendrai...
Le voilà qui devient rouge
comme une tomate, qu'a-t-il donc ?
Après son départ nous
recommençons de jouer, mais sans entrain,
nous ne pouvons nous empêcher de penser que
nous pourrions mieux employer nos
dimanches.
Le soir du dimanche suivant, le
distributeur de traités revint chercher sa
recette. C'est un jeune agriculteur qui habite un
petit village à une heure de marche d'ici.
Il a l'air gentil tout plein et vraiment
sérieux. Ce serait un bon petit mari pour ma
soeur qui aimerait tant se marier, je crois qu'il
lui plaît beaucoup, mais peut-être
n'est-il plus libre ? Nous avons passé
une belle soirée tous ensemble causant de
choses et d'autres.
En arrivant au bureau quelques jours
plus tard, je trouvai une lettre sur mon pupitre.
Écriture inconnue. J'eus l'impression
qu'elle m'apportait des nouvelles
troublantes et je la laissai intacte jusqu'à
midi où enfin je me décidai à
l'ouvrir.
C'est le porteur de brochures qui
m'invite à assister, avec son père et
lui, à des réunions jeudi, jour de
l'Ascension, dans un village assez
éloigné. A-t-on idée de
cela ! Il ne doute de rien ! La
dernière phrase me trouble :
« ... cherchez à connaître
la volonté de Dieu qui est bonne,
agréable et parfaite ! » Que
veut-il dire ? Certes, tout mon désir
est de faire la volonté de Dieu, mais je ne
peux pourtant pas aller ainsi avec des gens que je
ne connais pas, tout estimables qu'ils
soient.
Je passai la soirée à
répondre, tantôt j'écrivais
trop sèchement, tantôt trop gentiment,
et j'ai fini par où j'aurais dû
commencer ! demander à Dieu de
m'inspirer et enfin je pus écrire un refus
assez cordial.
Que cela est
désagréable ! depuis que j'ai
reçu cette lettre, il me semble sentir
continuellement une main posée sur mon
épaule et qui m'oblige à aller...
à aller où je ne voudrais pas. Je me
sens mal à mon aise, fallait-il donc que je
reçoive cette missive pour me troubler, moi
qui était si heureuse !
Le fameux jeune homme est revenu.
J'étais assise près de mon banc au
verger, sous les cerisiers défleuris mais
prometteurs de belle récolte.
Papa et maman, ainsi que mes
frères et soeur, s'étaient
installés un peu plus loin.
Assez gêné pour
commencer, il me raconta que sa soeur allait se
marier prochainement, ses parents désiraient
qu'il se cherche une compagne. Tout son
désir était de trouver une enfant de
Dieu avec laquelle il se sente en communion
d'idées. Sa soeur lui avait dit un
dimanche :
- Pourquoi vas-tu toujours porter
tes brochures de l'autre côté de la
forêt ? Essaie donc une fois d'aller aux
Ouches. Il y a là deux soeurs dont une m'a
été présentée une fois
lors d'une réunion de monitrices
d'école du dimanche. Ça a l'air
d'être des gens
sérieux !
En traversant la forêt, il
s'était agenouillé sous un arbre et
avait demandé à Dieu de lui montrer
celle qu'il lui destinait et qu'elle soit seule
à la maison.
- Et sitôt que je vous ai vue,
j'ai senti que vous étiez celle qu'il me
fallait ! dit-il en terminant.
- Eh ! bien, c'est drôle,
moi je n'ai rien senti et je ne me suis
méfiée de rien ! fis-je assez
sèchement. Mais vous savez, je n'ai que
rarement travaillé à la campagne, je
ne serais pas une bonne paysanne,
prenez plutôt ma soeur, elle vous conviendra
mieux !
- Non, c'est vous qu'il me faut.
Chez nous, les femmes ne vont pas aux champs, nous
préférons avoir un ménage bien
tenu.
- Je n'aurai pas de dot, vous
savez ?
- Mais ce n'est pas cela que je
cherche, répondit-il.
- Mais, repris-je, je ne suis pas
forte, je ne sais si je pourrais accomplir une si
grande tâche !
- Vous ne paraissez pourtant pas
malade, au contraire
Il a réponse à tout,
je ne sais plus que dire ; pourtant, au bout
d'un moment, je crus avoir trouvé un moyen
de le renvoyer, il a l'air si
jeunet !
- Quel âge avez-vous ?
lui demandai-je.
- Vingt-huit ans, et vous ?
fit-il hardiment.
- Vingt-six.
Il marmotta quelque
chose.
- Pardon, que
dites-vous ?
- Eh ! bien, cela irait tout
juste, répondit-il.
Ce fut à mon tour de me
sentir rougir jusqu'aux oreilles.
- Je ne puis vous donner une
réponse aujourd'hui, lui dis-je, mais je
demanderai à Dieu ce que je dois faire, et
quand je le saurai, je vous le dirai.
- En attendant, me permettez-vous de
venir quelquefois ici ?
Après avoir
hésité un instant, je lui
répondis qu'il le pouvait. Puis il partit
après avoir causé un instant avec mes
parents.
Comme toujours, ceux-ci me laissent
entièrement libre de prendre une
décision.
Le jeune homme m'est tout à
fait sympathique, il est vrai que je le connais
à peine.
Mais Dieu me demanderait-il vraiment
de quitter ceux que j'aime pour aller habiter ce
petit village perdu dans la campagne et dans lequel
je ne suis encore jamais allée ? Et
puis, je vois assez autour de moi ce qu'est le
travail de la campagne ; il y a toujours plus
d'ouvrage qu'on ne peut en faire, et il ne reste
plus de temps pour travailler pour Dieu.
Voudrait-Il me mettre à
l'écart ? M'envoyer dans le
désert ? Moi qui étais si
heureuse d'avoir beaucoup de temps pour Lui
ici ! Vraiment il me semble que cela m'aurait
été moins dur de partir pour
l'Afrique !
Je prie. Au fond, tout au fond,
depuis que j'ai reçu la fameuse lettre, je
sens que je dois accepter, mais j'espère
encore que ce n'est qu'une épreuve et que
Dieu ne m'obligera pas à passer par
là. Des heures entières je supplie
Dieu de me laisser ici et
d'inspirer à ce jeune
homme l'idée de se retirer. Mais le ciel est
fermé, mes prières ne montent pas, il
me semble même que Dieu s'est
éloigné.
Voici trois semaines
écoulées, trois misérables
semaines, les plus misérables depuis ma
conversion. Joseph Z. vient chaque dimanche, il me
demande si je ne sais pas encore ma réponse.
Je lui dis non. Ce n'est pas tout à fait
vrai, mais j'essaie encore de me tromper
moi-même.
Un matin, m'étant
levée de bonne heure et ayant encore du
temps avant de descendre, je me mis à
l'harmonium et je chantai quelques cantiques en
suivant dans le recueil. J'attaquai :
« Jésus, je te suivrai
part... » Ma voix s'étrangla. Non,
c'est trop fort ! l'ai-je assez chanté
et de tout mon coeur :
« Jésus, je te suivrai partout...
etc. », et maintenant, maintenant, je ne
veux pas le suivre à F. Oh ! il me
semble que je ne le peux pas ! Violemment
émue, je fermai l'instrument et je
partis.
Le dimanche suivant nous
étions une nombreuse compagnie devant la
maison (maman a le génie de
l'hospitalité). Nous chantions.
« Il faudrait descendre
l'harmonium », proposa maman.
- Vous jouez de l'harmonium ?
me dit brusquement Joseph Z.
- Oui, pourquoi ? y a-t-il du
mal à cela ? demandai-je
surprise.
- Oh ! non, fit-il l'air ravi,
nous en avons un chez nous, mais personne ne sait
en jouer, Vous voyez bien que...
Maintenant il voudrait que j'assiste
au mariage de sa soeur comme demoiselle
d'honneur.
- Mais je ne la connais presque pas,
ai-je objecté.
- Qu'à cela ne tienne,
dit-il, elle viendra un soir vous faire une petite
visite.
Elle est venue, toute gentille et
aimable, je me sens de plus en plus malheureuse. Je
l'accompagnai un bout de chemin, puis je revins
à bout de forces. Je me jetai sur mon lit.
La tête dans l'oreiller pour qu'on ne
m'entende pas crier, je me mis à pleurer et
à dire : « je ne le peux pas,
je ne le peux pas ! » Tout à
coup j'eus le sentiment d'un regard tendre et
pourtant plein de reproches qui se fixait sur moi.
Instantanément je me calmai. Les volets
étaient fermés et la lumière
éteinte, mais la chambre me sembla toute
illuminée. Une voix me dit
distinctement : « Tu le
dois. »
« Bien, Seigneur,
répondis-je, mais donne m'en la
force ! » Aussitôt un calme
merveilleux me pénétra. Que
c'était bon après les souffrances et
les luttes des derniers jours.
J
Je m'éveillai le lendemain
avec un sentiment de joie intense. Le Seigneur
était là, je goûtais de nouveau
sa précieuse présence. Je me
hâtai de faire ma toilette puis je pris ma
Bible, elle s'ouvrit au Psaume 139 :
« Seigneur, tu me sondes et tu me
connais... Tu pénètres toutes mes
voies... Tu m'entoures par derrière et par
devant et tu mets ta main sur moi... Où
fuirai-je loin de ton Esprit ? et où
fuirai-je loin de Ta face ?... Si je
dis : Au moins les ténèbres me
couvriront, la nuit devient lumière autour
de moi, même les ténèbres ne
sont pas obscures pour Toi... Que tes
pensées, oh ! Dieu, me semblent
impénétrables et que le nombre en est
grand !... Je m'éveille et je suis avec
Toi... Sonde-moi, mon Dieu, et connais mon coeur.
Éprouve-moi et connais mes
pensées ! Regarde si je suis sur une
mauvaise voie et conduis-moi sur la voie de
l'Éternité ! »
Ah ! merveilleuse Parole de
Dieu ! comme tu exprimes bien mes
sentiments !
L'avenir ne me paraît pas
moins sombre, mais je sais que tout est bien. Notre
Père céleste conduira mes
pas.
Mes parents sont assez contents,
surtout papa auquel mon futur plaît fort. Il
me dit un jour : « Je ne sais pas
pourquoi tu as eu tant de peine à te
décider puisque tu disais que tu ne voulais
qu'un jeune homme comme ton père ;
celui-là pourtant remplit toutes les
conditions »
- Oui, c'est vrai, mais tu
comprends, je pensais qu'il ne s'en trouverait pas
un ainsi quand je disais cela !
répondis-je.
Le matin de la noce, Joseph, tout
radieux, vint me chercher en voiture. J'avais une
simple robe bleue, je lui passai donc des bleuets
à la boutonnière. Il avait l'air si
triomphant que j'eus envie de le faire souffrir un
peu, ce coquin ! Aussi, pendant le trajet,
quand il me demanda sa réponse, je ne voulus
rien dire.
- Eh ! bien, vous me la
donnerez ce soir, fit-il gentiment.
Le coeur me battait un peu en
arrivant dans ce village qui allait être ma
nouvelle patrie. Je redoutais de faire la
connaissance de mes futurs beaux-parents.
Arrivée à leur maison, je fus
très bien reçue. Les parents de
Joseph sont sympathiques, ce sont des
chrétiens.
Il y eut un petit dîner
intime, puis un taxi nous amena au temple pour la
bénédiction nuptiale.
Il fallait voir les yeux
écarquillés des badauds ! ma
présence là semblait une
énigme, pas difficile à deviner
pourtant. Et le pasteur ! il
parlait depuis un moment quand ses yeux se
portèrent sur moi, quel soubresaut !
J'eus bien de la peine à réprimer un
fou-rire !
Puis nous fîmes un petit tour
en auto, En revenant Joseph glissa son bras
derrière mon dos, ce qui me mit très
mal à l'aise. Je n'osais pas le prier de le
retirer pour entrer dans le village et que
penserait-on de nous voir ainsi !
Encore un fin petit souper chez une
tante de la mariée, puis nous reconduisons
les nouveaux époux à la gare pour
leur tour de noce.
Je voulus regagner la maison
à pied. Il me semblait que cela me ferait du
bien de marcher un peu. Quand nous fûmes en
pleins champs, Joseph me demanda -
« Alors ? »
- C'est oui, fis-je en baissant la
tête. Il m'entoura de ses bras et resta un
bon moment silencieux.
Arrivés à destination,
nous allâmes nous asseoir sur notre banc.
Tout me semble tellement étrange, je ne puis
me faire à cette idée que je ne suis
plus libre... Eh ! bien, maintenant je suis
bien reconnaissante, envers Dieu, que tout soit
allé ainsi et que j'aie dû me
décider sans que le coeur soit
engagé. Quoi qu'il arrive dans l'avenir, je
serai sûre d'avoir fait la volonté de
Dieu et non la mienne, et d'être à la
place où Il veut que je sois.
Plus j'apprends à
connaître Joseph, plus ma profonde estime
croît pour lui. C'est un beau
caractère. Ai-je de l'amour pour lui ?
je ne sais. En tout cas nous avons tout à
fait les mêmes idées en fait de
religion, nous prions et lisons la Bible ensemble
et cela est un lien très fort. J'ai une
parfaite confiance en lui. Un jour, il me raconta
que, en plusieurs fois, des parents avaient voulu
le marier à des jeunes filles de leur choix,
Il se laissait faire à contre-coeur, et
était tout heureux quand les combinaisons
échouaient. Oui, je crois vraiment que Dieu
le gardait pour moi et moi pour lui.
Quelle sécurité de
penser qu'un Père tout bon et tout sage,
omniscient, veille sur nous et nous
dirige.
Mlle R. est triste de ce que je vais
la quitter, moi aussi je me plaisais tant avec
elle, elle a été si bonne pour moi
ainsi que sa mère, une chère vieille
chrétienne, une mère en
Israël ; nous pensions bien finir nos
jours ensemble, et voici, Dieu en a disposé
autrement.
La vérité est que j'ai
accepté la volonté de Dieu, mais au
fond du coeur, j'ai encore un regret lancinant de
quitter ma famille et ma position.
Toutes les fois que je vais à
F., ce n'est pas souvent, je ne puis supporter
l'idée d'aller y demeurer. Ces vieilles
petites maisons toutes fleuries,
serrées les unes contre les autres comme
pour se tenir chaud, c'est pittoresque certes, mais
y habiter c'est autre chose. La maison de mon
fiancé est grande et à un certain
cachet, mais mon coeur se serre à la
pensée de devoir y rester
toujours.
Quelqu'un, pensant me faire plaisir,
me dit un jour
- Vous savez, à F., ce sont
tous des chrétiens, il y a eu
déjà plusieurs Réveils dans le
passé.
Tous des chrétiens !
mais que vais-je donc y faire ? Pourquoi Dieu
m'envoie-t-Il là ?
Oui, ses pensées me semblent
bien impénétrables
.
Chapitre XI
DIVERS ET MARIAGE
Les jeunes filles de l'Union
chrétienne ont voulu m'avoir encore une
fois, toute à elles, et nous avons fait une
belle excursion sur la montagne. Nous avons eu
beaucoup de plaisir.
En descendant, je m'écorchai
un peu un orteil, mais je n'y fis pas attention. Il
se produisit un commencement d'empoisonnement de
sang. Je fis des bains d'eau de savon mais cela
continua d'empirer, l'infection monta jusqu'au
genou et j'avais grand-peine à marcher.
J'allai alors chez le médecin ; il
hocha la tête en voyant mon pied :
« Il faudra ouvrir cela, venez demain
à la consultation et continuez les bains en
attendant. » Mon fiancé vint le
soir et me promit de prier spécialement pour
moi à cette heure-là.
En arrivant au bureau le lendemain,
Mme R. me dit : « J'aimerais bien
voir votre pied ! » J'accédai
à son désir. « C'est bien
laid, cela vous fait mal, sans doute ; je
prierai pour vous. »
Je travaillai jusqu'à l'heure
de la consultation, puis je m'y rendis
péniblement. Après un moment
d'attente, j'entrai dans le cabinet du
médecin ; j'ôte mon bas et je
regarde stupéfaite : plus
rien !
- Mais c'est tout à fait
guéri s'écria le
médecin.
- Oui, je n'y comprends
rien !
Toute guillerette, je renfilai mon
bas et m'en allai, la canne sous le bras. Ce doit
être les prières de Mme R. et de mon
fiancé qui ont opéré ce
miracle par la grâce de Dieu.
Pour les fêtes, mon
fiancé me comble de cadeaux. Mais mon coeur
se serre en pensant que c'est le dernier Noël
à la maison.
Devant cette nouvelle année,
qui m'apportera tant de changements, il fait bon se
sentir dans la main d'un tendre
Père.
Au printemps, maman eut une
esquinancie et fut assez gravement malade. Je fus
obligée de quitter le bureau quinze jours
plus tôt que je ne le pensais, pour la
soigner. Cher bureau, c'est avec regret que je te
dis : adieu !
Comme cela allait un peu mieux, un
jour je jouais un cantique sur l'harmonium. Maman
me dit alors: « J'ai bien
réfléchi ces derniers jours, et je
crois que tu as raison. Jésus est aussi mort
pour moi, je le crois, et désormais je veux
aussi vivre pour Dieu. »
Incapable de dire un mot, je jouai
un cantique de louange tandis que des larmes de
joie coulaient sur mes joues. Y a-t-il joie plus
douce que celle que procure la vue d'une âme
passant des ténèbres dans
l'éternelle lumière ? Et joie plus
grande encore, quand cette personne vous est
chère ! Oui, Dieu répond aux
prières! je regrette encore davantage de
partir maintenant que l'harmonie sera tout à
fait complète chez nous. Et, d'un autre
côté, je suis si heureuse de penser
que maman tiendra le flambeau à ma
place.
Oui, j'ai passé de bien
belles années à la maison, des
années heureuses ; maintenant cette page de
ma vie va se tourner. Mes sentiments sont bien
mélangés. C'est avec une parfaite
confiance que je mets ma main dans celle de Joseph.
Pendant cette année de fiançailles,
je me suis attachée à lui.
L'essentiel c'est que : « Jésus est le
même hier, aujourd'hui et
éternellement. »
Hébreux 13.8. Il sera avec
moi dans ma nouvelle vie...
Nous allons nous marier à la
fin de la semaine ; ce sera une noce toute simple,
nous la ferons ici, à la maison.
Un pasteur retraité, celui
qui a uni mes parents, bénira notre union.
Un évangéliste que j'aime beaucoup,
viendra avec mes beaux-parents. Il y a eu bien des
discussions à propos de cette
bénédiction. Lors d'une visite
à faire à ce pasteur et ami de la
famille, lequel est bien connu aussi de mon
fiancé, papa l'a invité à
notre mariage et ensuite nous n'avons pas eu la
liberté de choisir quelqu'un d'autre. Mon
futur beau-père aurait
préféré que ce fût un
évangéliste qui nous unisse. C'est
pour cela que nous aurons tous les deux, afin de
tout concilier. Pour Joseph et moi, nous n'en
tournons pas la main. Dieu a si visiblement tout
dirigé que ce n'est pas ce qu'un homme
pourrait dire qui changera l'état des
choses. Dieu nous bénira, parce que nous
avons obéi, même s'il n'y avait pas de
bénédiction nuptiale.
Nous inviterons les jeunes filles de
l'Union chrétienne, nos parents et amis, une
soixantaine en tout, je pense.
Le vendredi soir nous irons à
l'état-civil, et samedi, à midi, nous
aurons un petit dîner intime chez nous.
À deux heures aura lieu la
bénédiction, ensuite le thé
pour tous les invités. Et après le
souper, où les parents seuls resteront,
chacun ira de son côté et nous
commencerons notre tour de noce de quinze jours
à travers la Suisse.
Voilà notre programme, je me
réjouis que tout soit passé
Espérons que cela ira bien !
Oui, tout s'est bien passé
ainsi, sauf que nous pensions avoir la
bénédiction sous les cerisiers, mais
le temps étant gris et un peu froid, il nous
fallut nous réfugier dans la chambre de
ménage que nous avions vidée de tous
ses meubles, sauf les chaises et
l'harmonium.
Nous avons fait un magnifique tour,
admiré bien des paysages merveilleux et nous
sommes revenus par un beau soir; tout était
rose : le ciel, le lac, les Alpes dans le lointain;
nous nous sommes écriés : « Il
n'y a pas de plus beau coin de terre que le
nôtre »
Le lendemain, qui était un
dimanche, je dis à mon mari « Ne
pourrions-nous pas prendre un cheval et la voiture
pour aller chez mes parents ? Les chevaux se sont
reposés pendant quinze jours, cela leur
ferait une petite sortie et ainsi nous pourrions
ramener le reste de mes affaires. » Ainsi dit,
ainsi fait. Vers la fin de l'après-midi,
comme mon mari devait rentrer pour soigner le
bétail, je lui dis : « Laisse-moi
encore passer la soirée ici! Quand tu auras
fini, tu reviendras à ma rencontre.
»
Malheureusement le cheval bien
reposé, donc plus nerveux, prit peur de je
ne sais quoi en retournant. Il fit un brusque
écart, renversa la voiture et partit comme
une flèche à travers champs, semant
tout le long du parcours les cadeaux de noce qui se
trouvaient dans la voiture. Des personnes qui
avaient vu l'accident, s'empressèrent de
relever mon mari qui n'était
qu'évanoui et avait une oreille un peu
déchirée, et ramassèrent ici
un écrin de cuillères, là une
cafetière, etc. Et la jeune femme ?
où donc est la jeune femme ? se
demandaient-ils fort inquiets de n'en apercevoir
nulle trace. Ils furent soulagés de me
savoir chez mes parents et me
téléphonèrent de venir de
suite.
Pour finir tout fut retrouvé,
mais la voiture est en piètre état.
Nous nous sommes bien promis de ne plus sortir
cheval et voiture le dimanche, à moins
d'urgence.
En face de la possibilité de
perdre mon mari, je m'aperçus que je
l'aimais plus que je ne l'aurais cru
moi-même.
L'appartement de mes beaux-parents,
qui se trouve au haut de la maison, n'est pas tout
à fait terminé, les ouvriers ayant
cessé le travail pendant notre absence. Nous
ferons ménage commun pendant une quinzaine
de jours, paraît-il. Ma belle-mère est
bonne cuisinière et ménagère.
Pour qu'il n'y ait pas de rivalités, chose
toujours possible, mon mari m'a conseillé de
ne pas dire que je savais faire la cuisine, de
prendre aussi peu de place que possible... Je crois
que ce conseil est sage, je le suivrai. Je ferai
tout ce que ma belle-mère me dira de faire.
Il y a une grosse corbeille de raccommodages, je
m'y attaquerai. Comme je n'ai pas de ménage
à tenir, j'irai m'aider aux foins, je verrai
ainsi un peu plus mon mari. Il doit se lever
très tôt et se coucher tard, je ne
l'aperçois guère qu'aux repas ;
ceux-ci sont plutôt mornes, quel contraste
avec la maison ! Si je raconte une anecdote, elle
tombe comme une pierre dans l'eau au lieu
d'éveiller le joyeux écho de
naguère
« C'est comme... »
jusqu'à ce que chacun ait raconté la
sienne.
Comme nous ne sommes pas seuls
à table, nous ne pouvons nous dire
grand-chose. Si cela continue, nous resterons
étrangers l'un à l'autre. Tout le
monde est bien aimable, mais je me sens un peu
solitaire dans ce nouveau milieu si
différent du nôtre. Ici c'est le
travail qui règne en maître. Chez nous
on travaillait beaucoup aussi, mais on prenait le
temps de cultiver son esprit. On lisait, on
discutait sur la politique, la religion, les
sciences, etc., on s'instruisait l'un
l'autre.
Ici on court toujours, on a à
peine le temps de causer. C'est surtout le dimanche
que je suis déçue; comme j'entrais
dans un milieu encore plus pieux qu'à la
maison, je me réjouissais beaucoup de ce
jour-là. Hélas ! il en a fallu
déchanter. Le samedi soir on travaille tard
aux champs, le dimanche matin il y a bien des
bricoles à faire qu'on laisse pour ce
jour-là. Quand il a fait un brin de
toilette, il est presque midi lorsque mon mari
vient me rejoindre. Donc je dois faire le culte
presque toujours toute seule, et c'est cela qui
m'est le plus dur. On lit bien un chapitre de la
Bible tous ensemble le matin après
déjeuner, mais c'est tout. Ce n'est pas du
tout ce que j'avais pensé, mon mari en
souffre aussi, mais il doit suivre le mouvement.
Presque chaque dimanche après-midi, nous
allons chez mes parents. Cela me fait du bien de me
retremper dans cette atmosphère gaie et
intellectuelle. De bonne heure nous devons
retourner, car il faut soigner le bétail;
quelle dure vie que celle du paysan, serviteur de
ses bêtes. Joseph n'aime pas beaucoup
le travail de la campagne ; il
aurait préféré être
mécanicien, mais comme ils ne sont que deux
garçons, il lui a fallu rester pour tenir le
domaine familial. Quand il a le temps, il trouve
toutes sortes de combinaisons ingénieuses
pour simplifier le travail ; s'il avait pu suivre
son goût, il aurait sûrement «
donné quelque chose ». Il a
été formé à
l'obéissance dès son enfance, et
maintenant qu'il est un homme, il continue à
obéir, et moi, il me faut apprendre à
obéir...
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