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SECONDE PARTIE
Chapitre XX
VINGT ANS APRÈS
Plus de vingt ans se sont
écoulés depuis que les
dernières lignes de la première
partie ont été écrites. Nous
pouvons examiner maintenant quels ont
été les résultats de cette
expérience fondamentale de la communion avec
Dieu réalisée jour après jour,
année après année.
Ce n'est pas peu de chose que
d'être participants de la nature divine,
I Pierre 1. 4, d'être en
communion constante avec Dieu Lui-même par
notre Seigneur Jésus-Christ ! Qui, est
suffisant pour ces choses ? Que d'ignorances
et de scories doivent encore être
découvertes et rejetées
jusqu'à ce que l'or soit pur et que tout
soit de Dieu ! Mais justement Christ vient
habiter en nous pour nous conduire à Dieu
Son Père, et alors nous apprenons à
marcher dans la lumière comme Lui-même
est la lumière ; nous sommes donc
mutuellement en communion et le sang de
Jésus-Christ nous purifie de tout
péché.
D'expérience en
expérience la lumière augmente, nous
apprenons à rejeter et à refuser tout
ce qui est de l'Ennemi et à vivre dans la
glorieuse liberté des Fils de Dieu.
« Aime et fais tout ce que tu
voudras », disait saint Augustin. En
vivant dans la lumière de l'amour de Dieu,
nous expérimentons que c'est bien là
l'atmosphère que réclame notre
être tout entier.
Une petite Myriam nous a encore
été donnée. Cette enfant ne
nous donne aucune peine ; c'était bien
rare qu'on l'entende pleurer. Toujours gaie et
contente, aussitôt que ce fut possible, elle
prit grand intérêt aux choses de Dieu.
Toujours de santé
chancelante, je devais souvent garder le lit. Notre
petite, dans son berceau, attendait sagement que
j'aie fini mon culte pour venir vers moi où
elle ne faisait pas plus de bruit qu'une souris. Un
matin que cela durait plus que d'habitude, elle me
demanda plusieurs fois : « Puis-je
venir ? » Enfin, d'un air ravi, elle
s'écrie - « Ah ! je sais ce
que tu fais : tu t'occupes des affaires de ton
Père ! » Quelques jours
auparavant, elle avait été
très fière d'apprendre son premier
verset pour l'école du dimanche :
« Il faut que je m'occupe des affaires de
mon Père. » Une autre fois,
l'entendant parler de missionnaire, je lui
demandai
- Sais-tu ce que c'est qu'un
missionnaire ?
- Oh ! oui,
répondit-elle de suite, un missionnaire
c'est quelqu'un qui aime Dieu et qui va le
dire.
Une jeune fille m'expliquait un jour
pourquoi elle ne croyait plus à la
prière. Étant enfant, elle avait
désiré et demandé à
Dieu une belle poupée qui trônait dans
une vitrine, et voici elle ne l'avait pas obtenue,
et désormais, elle ne voulait plus prier.
Elle sortit de la chambre. Myriam qui avait
écouté de toutes ses oreilles, me dit
alors : « Elle aurait mieux fait de
donner son coeur au Seigneur Jésus d'abord,
Marie-Rose, et ensuite elle aurait eu sa
poupée ! » Pour une enfant de
quatre ans ce n'était pas mal
raisonné !
Avec nos petits enfants et ceux que
nous avons eu en pension, j'ai remarqué bien
souvent que l'amour d'En haut, qui découle
de nos coeurs, est justement ce dont ces petits
coeurs ont besoin. Des parents de bonne famille
nous amenèrent leurs deux enfants de deux
ans et demi et trois ans et demi, frère et
soeur, bien habillés, à l'air
intelligent, mais avec quelque chose
d'inquiétant dans le regard.
« Je ne sais si vous
réussirez à les faire
obéir », nous dit le sympathique
jeune papa. En effet, les premiers jours furent
difficiles, ces enfants avaient la passion de la
destruction et nous ne savions comment les prendre
tant ils étaient revêches à
toute avance de notre part. Un jour que je faisais
des tartines à côté de la
fillette, elle me tapa en disant
- Méchante, toi
méchante !
- Non, c'est une bonne grand-maman,
dit un autre enfant.
- Non, méchante, fit la
première, farouchement.
Je la regardai au fond des yeux en
laissant passer tout l'amour dont j'étais
capable et lui dis : « Eh !
bien, moi je t'aime ! » Puis je m'en
allai. Un peu plus tard, je passai l'aspirateur
dans la chambre. J'entendis ma petite rebelle qui
criait quelque chose
derrière moi. Je la
regardai : « Un bec, un
bec », disait-elle. J'ouvris mes bras,
elle s'y lança et tout son petit corps
tremblait d'émotion. Je la baisai
tendrement, elle était gagnée. Son
petit frère résista encore quelques
jours, mais pour lui aussi l'amour fut vainqueur.
Que de coeurs assoiffés d'amour autour de
nous, et les plus endurcis sont simplement
desséchés par ce manque d'amour pour
lequel nous sommes tous
créés.
Il faut dire que, après avoir
reçu l'amour de Dieu, versé dans mon
coeur par l'Esprit saint, je n'ai pas su de suite
le répandre autour de moi. Voici comment je
l'appris :
Nous avions continué à
nous confier dans le Seigneur pour l'envoi de
pensionnaires. Nous n'avons jamais mis d'annonce,
ni fait de réclame. Mais, au bout de
quelques années, j'étais
déçue du peu de résultats
spirituels ; j'en arrivai même un jour
à dire au Seigneur : « Ne
m'envoie plus personne, je ne suis pas capable de
leur faire du bien ; ils disent oui, oui,
quand je leur explique Ta Parole, mais ils ne
changent pas. Cela n'en vaut vraiment pas la
peine. »
C'était au commencement de
l'été, les demandes affluaient, et je
les entassais sur ma table n'ayant aucune envie d'y
répondre. Un jour, mon travail
terminé, je m'assis à ma place
habituelle ; mes yeux tombèrent sur les
lettres en question et je me dis :
« Il faut absolument y répondre.
Seigneur, que dois-je faire ? je ne puis
continuer ainsi ! » La
réponse vint douce et subtile :
« Laisse-Moi les aimer à travers
toi ! »
- Merci, Seigneur, je puis aller de
l'avant si c'est Toi qui Te charges de
tout !
La première personne qui
arriva faillit me faire perdre la respiration.
Grande, sèche, des yeux noirs très
durs, si durs que notre petite Myriam de trois ans
lui disait : « Ne me regarde pas
avec tes yeux ! » Elle avait
été élevée avec
plusieurs frères, ce qui expliquait ses
gestes brusques. Mais elle avait aussi terriblement
souffert. Sa fille unique était morte par
suite d'une erreur de diagnostic du médecin
et son mari l'avait suivie, brisé par le
chagrin. Elle-même avait été
complètement paralysée pendant
plusieurs mois, totalement dépendante de son
entourage. Elle s'était remise physiquement,
et venait chez nous en convalescence ; mais
intérieurement, elle était pleine de
rancoeurs et d'aigreur. Je ne lui dis rien, mais
sciemment je laissais passer l'Amour d'En haut que
je recevais en abondance, et peu à peu, je
vis la terrible expression de ses yeux se fondre.
Les derniers jours du séjour de cette dame,
je la regardais de loin jouer avec notre fillette,
et je me demandais si
c'était bien la même personne que
j'avais vu arriver un mois auparavant, je continuai
donc d'agir dans ce sens, et il me semblait parfois
être comme Jean-Baptiste lorsqu'il se tenait
à côté du Seigneur
s'émerveillant de ce qu'il Le voyait
faire.
« C'est très beau,
me disait un serviteur de Dieu auquel je
communiquais cette expérience, mais ce n'est
pas suffisant pour amener des pécheurs
à Dieu. » Quelques jours plus
tard, deux jeunes gens vinrent un soir nous
demander une adresse. Il se trouvait que l'un des
jeunes gens et nous avions un ami commun. Nous en
vînmes à parler de Dieu et de Son
amour. Tout à coup l'autre jeune homme
s'effondra en sanglotant :
« Oh ! madame ! mes
péchés, mes
péchés ! Si vous saviez qui je
suis ! » je puis alors lui parler de
Celui qui est venu pour nous sauver et nous
délivrer. Je vis alors que l'amour de notre
Père peut fondre les coeurs les plus
glacés, même sans paroles.
À quelque temps de là,
je fis une autre expérience. Par
téléphone, on me demanda de fournir
chambres et pension à des ouvriers qui
travaillaient au-dessous du village à la
pose d'une ligne téléphonique
souterraine. J'acquiesçai. Le lendemain
à midi arrive un homme avec tous les vices
possibles inscrits sur le visage ; il fut
suivi de plusieurs qui ne valaient guère
mieux. Je leur servis le repas en silence et
presque effrayée d'avoir affaire avec de
tels déchets d'humanité. Ils me
réclamèrent à boire. Je
n'avais rien en cave, mais je leur dis que je me
procurerais quelque chose pour le
lendemain.
Lorsqu'ils furent partis, je
commençai à laver la vaisselle le
coeur lourd, mais tout à coup la voix de mon
Seigneur parla à mon coeur :
« Mon amour ne peut-il pas passer
à travers toi pour eux
aussi ? » Toute
réconfortée, je
m'écriai : « Mais
certainement Seigneur, Tu es le
Tout-Suffisant ! »
Vers la fin de l'après-midi,
le terrible ouvrier arrive complètement
ivre :
- Madame, je veux du vin, je veux
à boire
- Non, lui dis-je calmement, je n'ai
qu'une bouteille de vin prêtée par une
voisine ; elle est pour votre repas de demain,
sans cela je n'aurais rien d'autre à vous
donner.
Il se promenait comme un fauve
à travers la cuisine en se tenant les mains
fortement. Il s'arrêtait de temps en temps
devant moi en rugissant :
- Donnez-moi à boire
!
Je laissais passer l'amour de Dieu
sciemment et je le regardais
paisiblement.
- J'ai du café ici, lui
dis-je, en voulez-vous une tasse en
attendant ?
- Non ! je ne l'aime pas,
à boire, à boire !
Enfin, épuisé, il
dit :
- Donnez-moi ce
café ?
Il l'avala d'un trait puis demanda
sa chambre :
- Vous viendrez me chercher pour le
souper, je vais dormir un moment.
Lorsque ses compagnons
arrivèrent, je leur dis d'aller chercher
leur camarade qui dormait.
- Pas de risque, dirent-ils, tant
mieux s'il dort, nous ne le réveillerons
pas.
Je vis alors qu'eux-mêmes en
avaient peur. Le lendemain, au matin, notre
croquemitaine me reprocha de ne pas lui avoir
donné souper la veille, mais il n'insista
pas.
Après le repas de midi, les
ouvriers ni annoncèrent qu'ils
étaient assez près du village voisin,
où se trouvait un café, et qu'ils
prendraient dorénavant là leur
pension. Quel soulagement !
Mais je regrettais d'autre part de
ne pouvoir continuer
l'expérience.
Environ trois semaines plus tard, je
balayais la route à côté de la
maison ; je vois arriver un couple, mais je ne
fis pas attention à eux, car je croyais que
c'était des inconnus. Arrivés
près de moi, l'homme s'arrêta et me
présenta à sa femme comme si j'avais
été leur chère
amie.
Touchée, je reconnus celui
qui m'avait tant effrayée et je remerciai
Dieu pour cette réponse ; ainsi cet
homme avait quand même enregistré
l'amour de notre Père.
En parlant de ceci à un
voyageur chrétien, il me dit « je
viens de lire une poésie dans ce sens, je
vous l'enverrai. »
La voici traduite librement :
- DIEU EST AMOUR.
- Pleine de chagrins, de soucis,
- Ma pauvre enfant, oui la voici
- Qui jette un rapide coup d'oeil,
- Courbée, blottie dans son
fauteuil,
- Avec ses yeux qui semblent dire :
- Je suis faible, lasse à mourir,
- Ne vaux plus que roseau fané,
- Que puis-je encore donner ?
- Non, je ne peux rester à
terre !
- Quand le Seigneur vient-Il me
prendre ?
- Oh ! dis, maman, que puis-je faire
- Pour que bientôt se fasse entendre
- Le doux appel : Monte plus
haut ? »
- Aie l'âme prête, mon enfant,
- Pour le voyage éternel si beau,
- Puis, pleine de confiance, attends,
- Patiente que Son appel vienne
- Qui te dira d'aller à Lui.
- Mais vite ses lèvres reprennent,
- Si de la tête elle a fait
oui :
- « Hélas, que ne puis-je
encore ! »
- Mais tu l'aimes aussi le Seigneur,
- Prier et croire, c'est de l'or,
- C'est beaucoup, déjà le
bonheur
- Elle soupire : « Ah !
oui, c'est très beau,
- Même en le voulant, ce qu'il faut,
- Je ne pourrai toujours le faire
- Et ne dis pas la vraie
prière. »
- Mais Il la comprend tout de même
- « Non, car pas assez je ne
L'aime.
- Souvent mon esprit se promène,
- Puis après, vers Lui me
ramène.
- Ce qu'on appelle une vraie foi,
- Je ne l'aurai donc que parfois,
- Et voilà ma Peine
cruelle ! »
- Dieu voit la petite
étincelle !
- Mais les soucis comme des nuages
- Toujours plus sombres s'amoncellent.
- Comment donc chasser cet orage
- Pour que, bien vite, du soleil
- Elle reçoive l'éclat sans
pareil Et :
- « Rien, rien, je ne puis plus
rien »
- Devient son éternel refrain.
- - Mais, dis, il en reste un,
- D'acte possible à toi, à
chacun
- Et qui seul donne à tout coeur
- Le repos auquel il aspire :
- Te laisser aimer du Seigneur. -
- « Cela, maman, veux-tu me dire,
- Ne le fais-tu pas
gentiment ? »
- Et là, elle revit
brusquement ;
- De clairs et beaux rayons joyeux
- Glissent alors vite de ses yeux,
- Sur sa face flétrie
s'étendent.
- « Est-ce bien tout ce qu'Il
demande ? »
- Et puis, Pleurant comme un enfant,
- « Merci, mon Dieu, ce que
j'entends :
- Se laisser aimer du Seigneur,
- Je le peux, viens, voici mon coeur.
»
Elle a été en grande
bénédiction à plusieurs et
à moi-même aussi. Bien des
années se sont écoulées
depuis, mais je crois encore qu'il n'y a rien de
meilleur que de se laisser aimer de Dieu, et de
plus en plus, je m'exerce à mettre tout mon
être à la disposition de Celui qui
nous aime.
Combien de fois, couchée sur
un lit de souffrance, je ne pouvais plus prier,
plus penser, mais je pouvais encore m'offrir corps
et âme à notre Père et me
laisser aimer de Lui.
Je relaterai ici une
expérience qui en pourra aider d'autres. La
deuxième guerre mondiale durait depuis
quelques années et les restrictions
alimentaires se renforçaient. Mes filles me
dirent un jour :
- Maman, tu as assez
travaillé maintenant, il faut te reposer et
fermer la pension ; nous pourrions bien vivre
sans cela et tout devient trop
difficile.
J'hésitais, il me semblait
que je n'avais pas le droit de me décharger
ainsi de cette douce collaboration avec le
Seigneur. C'est alors qu'on me demanda de recevoir
en pension, pour quelques semaines, une dame dont
je désirais faire la connaissance depuis
fort longtemps. C'était la dame visiteuse
qui avait imposé les mains à notre
seconde fille lorsqu'elle était petite. Elle
avait tout de suite été
guérie. Ce fut donc avec joie que je
reçus cette dame et sa fille.
Un jour, elle nous raconta
qu'étant jeune femme, elle habitait
auprès d'une rangée de maisons
locatives. Il y avait là beaucoup de jeunes
femmes ne sachant pas tenir leur ménage. Les
maris allaient au café et notre amie se
demandait ce qu'elle pourrait faire pour aider et
remédier à ce triste état de
choses. Elle se souvint d'avoir vu, alors qu'elle
habitait l'Angleterre, des petits
cahiers racontant une histoire
et donnant de bons conseils et de simples recettes
de cuisine. Elle prépara un petit cahier de
celles-ci, alla trouver un auteur connu, T. Combe,
et lui demanda de rédiger la partie
littéraire et d'y insérer ses
recettes et bons conseils, Ainsi fut fait et ainsi
parurent de petits fascicules à dix
centimes, intitulés « La cuisine
de Rose-Marie ».
C'était l'histoire d'une
jeune ouvrière qui doit quitter la fabrique
pour soigner sa mère malade et faire le
ménage pour son père et ses
frères et soeurs. Elle est fort
empruntée au début, mais une personne
d'un certain âge, habitant le même
palier, intervient pour lui donner aide et
conseils. Or, ces petits cahiers avaient fait les
délices de mon enfance et je leur dois en
grande partie mon goût prononcé pour
la cuisine. Dans un éclair, je vis que le
Seigneur m'avait formée dès mon
enfance pour tenir une pension pour Lui. À
cette lumière bien des problèmes
s'éclairaient et je vis qu'il me fallait
continuer à tenir pension pour L'aider
à trouver des fils et des filles pour Son
royaume. J'expliquai la situation à mon mari
et à mes enfants qui furent d'accord de
collaborer de tout leur coeur pour le
Seigneur.
Il faut que je raconte ici comment
mes enfants rencontrèrent le Seigneur. J'ai
déjà dit la peine et les tracas que
nous causa notre seconde fille qui déjouait
tous mes principes éducatifs. Elle avait bon
coeur, mais elle était vive et
emportée. Que de fois j'ai dû me
tourner vers le Seigneur en reconnaissant que je ne
savais plus que faire avec elle. Mais toujours je
maintenais : « Mais Seigneur, elle
est à toi, prends en soin, je te l'ai
donnée dès avant sa naissance !
elle est à toi ! »
Je priai beaucoup pour savoir que
faire de mes filles lorsqu'elles quitteraient
l'école ; elles n'avaient pas
elles-mêmes de goût prononcé
pour ceci ou cela. J'avais désiré que
l'aînée s'occupe des malades, mais,
après quelques mois en Suisse allemande,
dans un établissement de diaconesses, elle
déclara qu'en tout cas elle ne serait jamais
soeur.
Une porte s'ouvrit en ce qu'une amie
nous parla d'une école
ménagère tenue par des soeurs qui
savaient particulièrement bien comprendre
les caractères difficiles. Nous y
envoyâmes notre seconde fille
accompagnée de l'aînée pour six
mois. Elles s'y firent grand bien au contact
d'autres jeunes filles orphelines ou n'ayant plus
qu'un parent. Mais surtout ce fut le fait de devoir
prendre position. Quelle sorte de gens
êtes-vous donc, faisaient les soeurs et les
jeunes filles étonnées, pas
baptisées ! pas
confirmées ! êtes-vous des
païens ? Pourquoi vos parents vous
ont-ils placées dans une
maison chrétienne ? » Elles
durent alors expliquer notre manière de voir
et cela les fortifia dans la
liberté.
Avant de partir, elles
étaient plus ou moins montées contre
la « religion » telles qu'elles
la voyaient pratiquée habituellement. Elles
avaient refusé de faire l'instruction
religieuse de l'église officielle et,
naturellement, de faire leur première
communion. Élevées librement, comme
elles l'avaient été, toute trace
d'hypocrisie leur faisait horreur. Nous ne les
avions jamais obligées d'aller à
l'école du dimanche ou au catéchisme,
et malgré les objurgations du pasteur, nous
ne nous sentîmes pas la liberté de les
forcer à suivre la filière
habituelle. La seconde ne voulait pas aller
à l'école ménagère,
elle craignait que l'enlèvement ait lieu en
son absence et qu'elle et sa soeur restent seules
là-bas. Peu de temps avant de partir, elle
me demanda :
- Es-tu sûre que ce soit la
volonté de Dieu que j'aille
là-bas ?
- J'ai beaucoup prié, lui
répondis-je, et je n'ai vu que cette
solution.
- Ah ! bon, fit-elle, alors
Dieu s'occupe encore de moi, et Il veut
déjà bien me convertir.
Elles revinrent donc en de
meilleures dispositions qu'à leur
départ. Un jour, nous vîmes une
annonce du jeune homme qui avait été
guéri en lisant la Bible et avec lequel nous
étions restés en bonnes relations. Il
avait repris à son compte le petit atelier
de pierres fines de son père qui
était mort (non sans avoir rencontré
Christ lui aussi).
- Cela te dirait-il d'aller
travailler là ? demandai-je à
Confiance. Ce n'était pas du tout ce que
j'aurais aimé pour mes filles ; mais le
Seigneur m'avait montré depuis un certain
temps que tel serait leur chemin. Je fus
étonnée néanmoins du
« oui » prompt et
décidé de mon aînée.
Elle fut de suite engagée, et sa soeur
voyant de quel travail agréable il
s'agissait, voulut aussi aller travailler là
malgré toutes nos objections. Eh effet, nous
avions peine à nous imaginer notre
indisciplinée, qui n'aimait rien tant que
courir cheveux au vent à travers champs avec
sa chèvre favorite, s'astreindre à un
travail aussi minutieux. Ce fut aussi pour son bien
quoique cela n'alla pas sans peine et que la
discipline à laquelle elle voulut
d'elle-même se plier ne fut pas apprise en un
jour.
La chèvre de ma fille
était extrêmement intelligente, il
semblait qu'elle comprenait tout ce qu'on disait.
Mais nous avions trop présumé de son
intelligence, et un jour qu'elle avait mangé
en une fois ce que nous lui avions donné
pour la journée, elle mourut
d'indigestion. Ce fut un grand
chagrin pour tous, mais particulièrement
pour sa petite maîtresse qui l'aimait si
tendrement.
Quelques jours plus tard, nous
fûmes invités à une
réunion tenue par un
évangéliste chez une de nos amies.
Nous nous y rendîmes en famille malgré
un temps épouvantable et la grande distance.
Nous nous sentions poussés à y
assister. Ce fut merveilleux, l'orateur
était un homme absolument sans culture ni
éducation. C'était un étranger
et il savait à peine lire et
écrire ; mais le Seigneur parlait par
sa bouche et nos coeurs étaient au large en
l'entendant. Sa présence était
sensible dans la chambre et lorsque l'appel
à la conversion fut donné, onze
personnes acceptèrent. Il y en avait neuf
pour lesquels je priais depuis longtemps, et parmi
elles nos deux filles. Quelle
joie !
- Tu comprends, me disait ma fille
le lendemain, je ne pouvais pas me donner à
Dieu auparavant. car je craignais, si
l'enlèvement avait lieu, que ma
chèvre ne reste seule sur la terre, et je ne
voulais pas l'abandonner et qu'elle ait à
souffrir.
Il avait fallu que l'obstacle
fût enlevé auparavant. Une fois de
plus, je constatai comme Dieu faisait concourir
toutes choses à notre bien et comme Il nous
connaissait à fond. Depuis, j'ai
constaté que ce qui empêche beaucoup
de gens de répondre à l'amour du
Père n'est souvent pas plus important. Mais
Celui-ci nous suit jusqu'à ce qu'Il nous
ait. Quel dommage d'attendre que l'idole soit
brisée plutôt que de se jeter de franc
coeur dans ces bras tendus tout le jour vers un
peuple rebelle et contredisant.
Rom. 10. 21.
Plusieurs mois auparavant, le
Seigneur m'avait fait comprendre que nous aurions
bientôt un Réveil et que Son Esprit
allait souffler une fois encore.
- Oui, Seigneur, lui dis-je, mais il
y a encore un tel qui ne veut pas me pardonner
malgré ma demande. Faut-il retourner vers
lui pour enlever cette pierre du
chemin ?
- Non, je m'en occupe, me fut-il
répondu.
En effet, quelques jours plus tard,
la personne venait elle-même me demander
pardon de son obstination et solliciter mes
prières pour elle et sa soeur qui
était dans un triste état mental
quoique chrétienne zélée. Je
priai et jeûnai pour mieux comprendre ce
qu'il y avait à faire pour cette
dernière. Il semblait qu'il y eût
là un cas de possession, mais le Seigneur me
montra que le physique était atteint quoique
le médecin ne pût voir de quoi il
s'agissait.
Ensuite, je pris chez moi cette
personne malade que j'aimais beaucoup et ses deux
filles qui étaient aussi peu bien.
Plusieurs personnes, le
médecin aussi, voulaient que je les fasse
hospitaliser, mais je ne m'en sentais pas la
liberté : je croyais qu'elles seraient
plus vite guéries en restant chez
nous.
Enfin, un jour de juillet
très chaud, nos pensionnaires partirent de
bon matin pour une course sur une petite montagne
avoisinante. Nos amies manifestèrent le vif
désir de les accompagner, et nous les
laissâmes aller avec eux.
De retour à midi par un
soleil brûlant, la mère me dit qu'elle
avait un violent mal de tête ; elle
avait fait la course sans chapeau. Je lui
conseillai d'aller se coucher. Elle prit une chaise
longue et alla s'étendre au jardin. Vers
trois heures, la voici qui vient vers moi en me
disant que quelque chose avait sauté dans sa
tête, une tumeur. Le pus lui sortait par le
nez et par la bouche. Dès ce jour le mieux
fut décisif, mais elle ne pouvait encore
croire au pardon. Un jour qu'elle me parlait de
cela, je lui dis :
- Voici un verset qui m'a beaucoup
aidée : « Ne te
réjouis pas à mon sujet, mon ennemie,
si je suis tombée, je me relèverai
encore. » Et : « Il est
mort, non seulement pour nos péchés,
mais pour ceux du monde
entier. »
- Puis-je prendre cela pour
moi ? fit-elle.
- Mais certainement.
Dès lors ce fut fini pour
elle et elle apprit à se réjouir de
nouveau de ce salut retrouvé en notre
Seigneur Jésus.
Sa seconde fille fut plus longue
à se persuader que le Seigneur ne les avait
pas abandonnées, mais les aimait
toujours.
Ce que mes amies craignaient
surtout, c'était de retourner à la
ville, de reprendre leur vie solitaire à
leur quatrième étage, et voici qu'un
jour l'oncle des jeunes filles, tout
bouleversé, vient m'apprendre que la petite
maison qu'il louait lui était reprise par le
propriétaire et qu'il n'arrivait pas
à trouver un logement dans la
contrée.
« Le Seigneur sait de quoi
vous avez besoin, lui dis-je, confiez-vous en Lui
et Il agira. » C'est ce qu'il fit et il
rencontra peu après un ami qui lui indiqua
un logement libre dans le village voisin, un
magnifique logement dans une maison proche de la
forêt et à quelques minutes du
village, avec un grand jardin, bref, le rêve
des citadines.
Nous causions dans notre cuisine de
leur déménagement ; il y avait
justement là un installateur :
« Excusez-moi, mesdames, vous parlez d'un
déménagement de Y. ici ? Mon
frère va habiter Y., vous pourriez profiter
du retour de la
déménageuse ! » Ainsi
fut fait à prix avantageux.
Devant tant de preuves de la
Providence divine envers elles, notre amie fut
obligée de croire que, si elle avait
abandonné pour quelque temps notre tendre
Père, Lui était resté le
même et les comblait de Ses bienfaits. Elle
cessa de regarder à elle-même et
à ses manquements pour fixer ses regards sur
le Chef et le Consommateur de notre foi.
Elles n'étaient pas encore
installées dans leur nouveau logis qu'on
leur apportait déjà de l'ouvrage.
Pendant ce long combat, je pensais souvent que
c'était celui qui tiendrait le dernier quart
d'heure qui aurait la victoire, d'autant plus que
celle-ci était promise par notre
Père.
Mais, revenons à notre
Réveil. Quelques mois après la
conversion de nos filles, nous demandâmes
l'évangéliste qui en avait
été l'instrument. Il vint dans notre
village et, de suite, il y eut plusieurs
conversions.
La présence de Dieu
était sensible dans la salle et dans tout le
village. Il y eut même une guérison
pendant la réunion, avant même que
l'imposition des mains ait lieu. Les gens
affluaient des villages voisins malgré le
mauvais temps et les chemins presque impraticables.
Il y eut plusieurs séries de
réunions.
Ce qui était le plus
merveilleux, c'était cet amour qui nous
liait les uns aux autres. À une certaine
réunion, je ne pouvais que penser :
Philadelphie = amour des frères. Nous ne
faisions plus qu'un, bien que ne nous connaissant
pas tous.
Ce qui m'impressionna aussi c'est
que, malgré le prédicateur qui
estropiait outrageusement le français, aucun
enfant ne riait, et tous les enfants du village,
ainsi que plusieurs des environs, étaient
toujours là. La présence du Seigneur
était si réelle qu'aucun de nous
n'aurait pu même sourire, et cependant nos
coeurs étaient près de sauter de joie
et de bonheur.
Nous n'appartenons à aucune
dénomination. Je suis née dans une
église libre. Je fus convertie chez les
frères de Chrischona, et lorsque mes parents
vinrent habiter cette contrée, nous
suivîmes l'église nationale. Le
père de mon mari était un salutiste
de la première heure. Naturellement, mon
mari fut salutiste jusqu'à ce que son
père et lui quittent cette
dénomination, bien avant notre mariage, et
commencent une petite assemblée dissidente.
Notre belle-mère était de
l'assemblée darbyste. Le frère de mon
mari est sergent de l'Armée du Salut, et un
beau-frère ancien de l'église
nationale. Ainsi, sans le vouloir, nous nous
trouvions assis entre toutes les
chaises.
Un jour qu'un officier de
l'Armée du Salut était venu nous
voir, il essaya de nous
persuader que nous étions des francs-tireurs
et qu'il nous fallait rentrer dans le rang. Comme
il partait, je demandai au
Seigneur :
- Pourquoi ne nous permets-tu pas de
nous rattacher à quelque chose comme les
autres gens ?
Et la réponse
vint :
- Afin que vous priiez du fond du
coeur pour chacun.
Une soeur salutiste s'était
jointe à nous pour faire venir
l'évangéliste en question ;
lorsque celui-ci vint pour la première fois,
nous lui expliquâmes notre situation et lui
dîmes que, du moment que tous les
chrétiens se mettaient ensemble pour ces
réunions, nous ne pouvions envisager de
former une nouvelle dénomination, car nous
voulions rester de coeur avec tous les
chrétiens. L'évangéliste fut
d'accord de travailler pour Dieu seul et nous
allâmes ainsi de l'avant. Un soir qu'un
pasteur de l'église nationale tenait une
réunion, qui d'ordinaire avait bien peu
d'assistants, nous nous y rendîmes en foule.
Le pasteur, étonné de voir tant de
monde, resta un moment interloqué devant le
pupitre, puis il dit d'une voix émue :
« Il n'y a rien de meilleur au monde que
de sentir la présence de
Dieu ! »
Mais quand l'assemblée de
l'évangéliste vit le Réveil
s'étendre, elle voulut que nous prenions son
nom et commencions d'avoir un culte le dimanche
matin. Cela provoqua bien des discussions car nous
avions donné notre parole qu'il n'en serait
pas ainsi. Bref, l'Esprit fut contristé et
le Réveil s'arrêta. Ceux qui furent
convertis tinrent bon pour la plupart chacun dans
sa dénomination, mais ce fut une grande
souffrance de voir une seconde fois le
Réveil arrêté par l'esprit de
parti.
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