Fictions ou
réalités?
CHAPITRE IX
La régénération
est-elle une évolution ou une
révolution ?
Certitude et puissance : voilà ce
qui manque aujourd'hui à bien des disciples
de Christ d'ailleurs sincères. Quand on
réussit à gagner leur confiance,
quand on s'entretient avec eux de leurs
espérances futures, il arrive assez souvent
que l'on constate le manque de certitude - ils
croient bien que leurs péchés sont
pardonnés et que par conséquent ils
n'ont rien à craindre de la mort ni du
jugement, et cependant ils n'en sont pas
certains ; au fond de leur coeur ils
conservent des doutes, dont ils voudraient
être débarrassés, mais comment
faire ? Ils pensent que Christ sur la croix a
expié leurs fautes et que grâce
à lui ils sont réconciliés
avec Dieu, et pourtant par moments l'efficace de
cette croix disparaît à leurs yeux et
la vue de leur misère morale, de leur
impuissance vis-à-vis des tentations les
remplit de trouble et d'inquiétude. Suis-je
bien sûr, se disent-ils, d'être un
bourgeois du ciel, moi qui suis encore retenu par
tant de liens du péché ? Ces
liens sont ténus, je le
sais, ils ressemblent plus
à des fils qu'à des câbles, ce
sont de petits défauts plutôt que des
grands, mais ils sont si nombreux, qu'ils ne m'en
paralysent pas moins dans ma marche en avant, ils
m'empêchent d'avoir la pleine certitude et la
joie du salut.
Ou bien ces croyants seront
arrivés à la certitude de leur propre
salut, mais ils devront constater leur impuissance
à gagner d'autres âmes à
Christ, leur christianisme n'est pas
conquérant, ni contagieux comme ils le
désireraient ; ils restent
isolés dans la grande masse hostile et
indifférente ; personne ne les
suit ; ils ne réussissent pas à
engendrer des âmes à là vie
éternelle, et comme pourtant il y a en eux
un certain zèle et une réelle
sympathie pour ceux qui périssent loin de
Dieu, ils se demandent avec angoisse si leur foi
est de bon aloi et s'ils ne sont pas
eux-mêmes dans l'illusion. C'est là ce
qui explique le peu de progrès que fait le
christianisme dans bien des milieux, tandis
qu'à côté de lui des
théories pessimistes conquièrent
rapidement les âmes assoiffées de
bonheur et de vérité.
Plus d'une raison pourrait
être invoquée pour expliquer ce double
état d'âme : la principale,
à nos yeux, c'est l'oubli de la grande
question de la régénération ou
nouvelle naissance, porte d'entrée de toute
vie vraiment divine. Cette doctrine n'a pas
été suffisamment comprise dans
l'Église chrétienne, ni surtout mise
en pratique ; chez beaucoup elle est
restée lettre morte, sans devenir un fait et
un fait d'expérience pratique et
personnelle. Beaucoup de gens
sont croyants et même
croyants orthodoxes, un certain nombre sont
convertis, mais ils en sont restés à
la conversion sans aller jusqu'à la nouvelle
naissance. Nous distinguons intentionnellement la
régénération de la conversion,
celle-ci étant plutôt l'acte de
l'homme par lequel il se tourne vers Dieu, tandis
que la régénération serait
l'acte de Dieu se communiquant à
l'homme : quand un homme s'est converti, c'est
le signe qu'il s'est donné à
Dieu ; quand il est né de nouveau,
c'est la preuve que Dieu a pris possession de
lui.
Cette doctrine de la nouvelle
naissance est en tout cas affirmée par
l'Écriture, voici les principaux
passages : « Je vous donnerai un
coeur nouveau, dit Dieu, par la bouche du
prophète Ézéchiel, et je
mettrai en vous un esprit nouveau ;
j'ôterai de votre corps le coeur de pierre,
et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai
mon esprit en vous, et je ferai que vous suiviez
mes ordonnances, et que vous observiez et
pratiquiez mes lois
(Ez. XXXVI, 26 et 27).
« La Parole
(c'est-à-dire Jésus-Christ), dit
l'apôtre Jean, est venue chez les siens, et
les siens ne l'ont pas reçue. Mais à
tous ceux qui l'ont reçue, à ceux qui
croient en son nom, elle a donné le pouvoir
de devenir enfants de Dieu, lesquels sont
nés, non du sang, ni de la volonté de
la chair, ni de la volonté de l'homme, mais
de Dieu
(Jean I, 11 à 13).
« En vérité,
en vérité, je te le dis, affirme
Jésus à
Nicodème, si un homme ne
naît de nouveau, il ne peut voir le royaume
de Dieu. Si un homme ne naît d'eau et
d'esprit, il ne peut entrer dans le royaume de
Dieu. Ce qui est né de la chair est chair,
et ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne
t'étonne pas que je t'aie dit : Il faut
que vous naissiez de nouveau. Le vent souffle
où il veut et tu en entends le bruit, mais
tu ne sais d'où il vient ni où il va.
Il en est ainsi de tout homme qui est né de
l'Esprit
(Jean III, 3,
5 à 8).
« Lorsque, dit saint Paul,
la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour
pour les hommes ont été
manifestés, Il nous a sauvés, non
à cause des oeuvres de justice que nous
aurions faites, mais selon sa miséricorde,
par le baptême de la
régénération et le
renouvellement du Saint-Esprit, qu'Il a
répandu sur nous avec abondance par
Jésus-Christ, notre Sauveur
(Tite III, 4 à 6).
« Ayant purifié vos
âmes, dit saint Pierre, en obéissant
à la vérité pour avoir un
amour fraternel sincère, aimez-vous
ardemment les uns les autres, de tout votre coeur,
puisque vous avez été
régénérés, non par une
semence corruptible, mais par une semence
incorruptible, par la Parole vivante et permanente
de votre Dieu. Car toute chair est comme l'herbe,
et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe.
L'herbe sèche, la fleur tombe ; mais la
parole du Seigneur demeure éternellement
(1 Pi. I, 22 à
25). »
Signalons enfin les cinq passages de
la première
épître de Jean,
où cet apôtre parle de ceux qui sont
nés de Dieu :
« Si vous savez qu'Il est
juste, reconnaissez que quiconque pratique la
justice est né de Lui
(1 Jean II, 29).
« Quiconque est né
de Dieu ne pèche pas, parce que la semence
de Dieu demeure en lui ; et il ne peut
pécher, parce qu'il est né de Dieu
(1 Jean III, 9).
« L'amour est de Dieu, et
quiconque aime est né de Dieu et
connaît Dieu
(1 Jean IV, 7).
« Quiconque croit que
Jésus est le Christ est né de Dieu,
et quiconque aime celui qui l'a engendré
aime aussi celui qui est né de lui. L'amour
de Dieu consiste à garder ses commandements.
Et ses commandements ne sont pas pénibles,
parce que tout ce qui est né de Dieu
triomphe du monde
(1 Jean V, 1,
3). »
Ainsi donc, quiconque examine en
sincérité de coeur les enseignements
de la Parole de Dieu est obligé de
reconnaître l'importance qu'elle met à
la question de la nouvelle naissance, il ne s'agit
pas là d'un passage ou deux isolés
dans le texte sacré, mais de toute une
série d'affirmations bien
coordonnées, citées par les
principaux apôtres et surtout d'une triple
déclaration du Maître à
Nicodème, le docteur d'Israël. Ce
Nicodème était instruit, pieux,
strict observateur de la loi ; il devait être
sans aucun doute un homme très
considéré, membre du
sanhédrin, et c'est à lui que, dans
une nuit solennelle, Jésus
déclara par trois fois,
en mettant l'accent sur ses paroles, qu'un homme,
que tout homme, doit naître de nouveau s'il
veut entrer dans le royaume de Dieu ou même
seulement le voir.
Mais si tous les disciples primitifs
du Christ sont d'accord sur la
nécessité de la nouvelle naissance,
leurs interprètes ne le sont plus quand ils
cherchent à comprendre ce que signifie ce
mot : il existe en particulier deux
explications opposées, que nous allons
examiner, pour être à même de
choisir en connaissance de cause. Ce choix est
important, solennel même, dirais-je, car
suivant que nous adopterons l'une ou l'autre, nous
déclarerons par là même que
nous croyons au christianisme comme à une
religion naturelle ou comme à une religion
surnaturelle.
Dans le premier cas, le
christianisme n'étant pas le fruit d'une
révélation divine, mais le fruit de
la raison et de la conscience humaines à la
recherche de la vérité, pourra
renfermer des erreurs en plus ou moins grand nombre
et par conséquent devra subir la critique
pour être finalement mis de
côté, remplacé par une religion
meilleure. Le christianisme ne méritera plus
alors le titre de religion absolue, ce sera une
religion au milieu de beaucoup d'autres,
supérieure momentanément, puis
reconnue inférieure.
Si au contraire nous adoptons la
seconde explication de la
régénération, le
christianisme reprend toute son importance, il est
la religion révélée,
surnaturelle, donc divine et absolue, et s'il peut,
s'il doit y avoir variation et
progrès dans l'appropriation que l'homme en
fait suivant son développement, le fond ne
change pas, parce qu'il est
éternel.
Voici quelles sont ces deux
explications si différentes l'une de
l'autre : en vertu de la première, la
régénération est une simple
évolution ; en vertu de la seconde,
c'est une véritable révolution. Je
les appellerai donc la conception
évolutionniste et la conception
révolutionnaire de la nouvelle
naissance.
La première, il faut le
reconnaître, est extrêmement
séduisante au premier abord ; elle
plaît infiniment à l'imagination
poétique et même à la raison de
l'homme ; elle est d'autant plus attrayante
qu'elle est la suite et comme
l'épanouissement de la doctrine
évolutive et darwiniste de la vie. La vie se
développerait lentement, mais
régulièrement et dans la pleine
harmonie sur notre planète : partie
d'une cellule primitive inconsciente et
rudimentaire, elle se serait élevée
peu à peu, de règne en règne,
toujours plus haut, jusqu'au royaume de Dieu. Les
règnes divers seraient sortis successivement
les uns des autres ; une fois organisé,
le règne minéral aurait en quelque
sorte enfanté le règne
végétal, puis celui-ci le
règne animal ; ce dernier le
règne humain et à son tour le royaume
divin serait sorti lentement, insensiblement du
règne humain. Toute cette marche ascendante
vers la vie se serait faite peu à peu
à travers de longs siècles, sans
secousses, ni crises, ni saut, sous l'action d'un
moteur caché, Dieu sans doute.
Ce Dieu lui-même peut avoir
été au point de départ,
c'est lui qui aurait
conçu ce magnifique programme, c'est lui qui
aurait donné l'impulsion primitive et son
oeuvre serait si parfaite qu'elle se continuerait
toute seule, en vertu de la loi d'inertie, sans
qu'Il ait à intervenir, puisque une
intervention de sa part serait l'aveu d'une
imperfection ou d'un accident. Ce Dieu peut encore
être lui-même à l'état de
devenir ; Il ne serait pas, Il deviendrait, Il
deviendrait peu à peu, lui-même
prenant part au mouvement ascensionnel,
lui-même se formant peu à peu à
travers les âges ; dans ce cas, le point
culminant de l'ascension, le sommet de
l'évolution ne serait autre que ce Dieu, et
la théorie n'en serait que plus grandiose et
plus poétique encore.
Que le lecteur se représente
un magnifique lever de soleil : la nuit noire
va finir, on aperçoit à l'horizon une
lueur blanchâtre, c'est l'aube qui
commence ; peu à peu l'éclat
grandit, des teintes pourpres apparaissent, le ciel
prend sa couleur bleue, et tandis que les oiseaux
entonnent leurs chants d'amour débordants de
vie et de joie, le roi de la création,
l'astre du jour se lève à l'horizon,
majestueux, solennel, inondant tout de chaleur et
de lumière ; et le crescendo va
grandissant de minute en minute jusqu'à ce
qu'il atteigne son maximum à l'heure de
midi.
Telle est l'histoire de la vie sur
notre globe ; elle part de la nuit,
c'est-à-dire de l'inconscience, pour grandir
de plus en plus et s'avancer vers la conscience et
la lumière ; les êtres
très simples au point de
départ se compliquent à mesure qu'ils
apparaissent sortant les uns des autres.
Dans cette évolution
merveilleuse, la nouvelle naissance n'est pas un
élément extraordinaire, c'est la
marche en avant ou un signe de cette marche, un pas
vers le sommet, ou plutôt le dernier pas,
celui qui précède l'arrivée,
l'entrée dans le royaume supérieur de
sainteté et d'amour. Un homme né de
nouveau serait un être qui aurait franchi la
dernière étape ; un descendant
de l'animal si l'on veut, qui deviendrait fils de
Dieu ; un fils mineur atteignant sa
majorité. Si cette théorie est la
vraie, le Dieu de l'Évangile est bien le
même Dieu que le Créateur, la nature
n'est que le commencement de la grâce, les
lois de l'une et de l'autre sont les mêmes,
et l'esprit se sent saisi d'émotion à
la vue de cette grandiose unité du plan
divin : le dualisme a cessé et il est
remplacé par un monisme des plus
séduisants.
L'apparition de Jésus-Christ
viendrait confirmer admirablement cette
théorie : Christ serait le sommet de
l'évolution, le point culminant de
l'histoire de la vie sur notre globe ;
préparé longuement, il serait enfin
arrivé, « le désiré
des nations », celui dans lequel la race
humaine a atteint son apogée. L'apparition
du Sauveur sur la terre serait en quelque sorte la
régénération de
l'humanité et cette
régénération se serait faite
tout naturellement, sans crise profonde. Chaque
homme à son tour serait appelé
à naître de nouveau, tout simplement
en se tournant vers ce nouvel
homme, Jésus-Christ, et en devenant son
disciple par sa seule volonté et ses bonnes
dispositions.
Je me sens moi-même d'autant
plus embarrassé de combattre une conception
pareille que je suis, au point de vue
physiologique, évolutionniste
convaincu ; cette théorie
répondrait tout-à-fait à mes
idées concernant le développement de
notre planète et de la vie qui l'anime. Et
pourtant je dois avouer qu'une telle explication de
la nouvelle naissance me paraît inacceptable,
parce qu'elle se heurte à des faits que nul
n'a le droit de contester. Théoriquement
elle peut être vraie ; conçue
dans le silence d'un cabinet d'études, elle
semble vraie au point de vue philosophique.
Elle apparaît fausse,
profondément fausse dès que vous
descendez sur le terrain pratique, pour vous placer
en face de ce qui est. Or toute hypothèse
doit reposer sur des faits, pour être vraie
elle ne doit contredire aucune
réalité dûment
constatée ; elle paraîtra
suspecte et devra très probablement
être rejetée si les faits ne peuvent
pas s'harmoniser avec elle : c'est là
une vérité banale. Or la belle
théorie évolutionniste de la
régénération contredit quatre
faits indiscutables :
1° Celui de la liberté.
On peut nier la liberté, la traiter
d'illusion grossière ou subtile ; un
homme de bon sens ne sera jamais convaincu par ces
négations, il croit à sa
liberté comme il croit à son
existence. Or la liberté est un facteur qui,
pour paraître secondaire, n'en est pas moins
si considérable en réalité
qu'il bouleverse à lui
seul toute la théorie évolutionniste.
Entendons-nous bien cependant : il est
probable, presque certain que jusqu'à
l'apparition de l'homme, l'évolution est
vraie, elle l'est encore pour expliquer la
formation de son être physique, mais à
côté de cet être et le
pénétrant, il existe un
élément mystérieux
appelé âme ou esprit qui ne peut venir
de la matière et qui n'est plus soumis aux
lois du déterminisme, toutes-puissantes
jusqu'ici. Avec l'esprit, la liberté
apparaît et l'évolution se complique.
Elle peut se continuer régulièrement
et cette fois d'une manière consciente, elle
deviendra alors de plus en plus merveilleuse. Elle
peut aussi être interrompue,
bouleversée même et la catastrophe
sera terrible. C'est, hélas ! ce qui a
eu lieu.
2° Le second fait que semblent
passer sous silence les partisans de la
théorie évolutionniste de la
régénération est celui du
péché, cause
précisément du bouleversement que je
viens de signaler. Je le reconnais, l'existence du
péché est un fait gênant,
très gênant au point de vue
philosophique, il serait infiniment plus simple de
le supprimer ou du moins de le passer sous silence.
Mais c'est un fait indéniable, et ce fait
qui a entraîné des conséquences
terribles dans tous les domaines doit en avoir
entraîné aussi dans celui de la
vie : s'il détruit la vie, ainsi que
nous l'avons vu dans notre précédent
chapitre, il doit transformer aussi le
phénomène de la
régénération en si
étroite connexion avec la vie
elle-même. Une théorie juste de la
régénération doit absolument
tenir compte de ce facteur
considérable, le péché,
autrement elle est suspecte et doit être
fausse.
3° Le troisième fait est
celui de l'apparition même de Christ :
comment s'expliquer que Jésus-Christ soit un
personnage du passé s'il est le sommet de
l'évolution ? Il devrait être
devant nous, dans un avenir plus ou moins
éloigné et nous devrions tous tendre
vers ce sommet. Or il est derrière nous, il
faut nous retourner pour l'apercevoir, marcher en
arrière pour être à même
de monter. Évidemment, cela est impossible
à concevoir, à moins que l'apparition
de Christ soit quelque chose de surnaturel,
d'inattendu, qui change le cours normal des
événements. Mais alors que devient la
théorie évolutionniste de cette
apparition et de la
régénération ?
4° Enfin le quatrième
fait dont ne tient aucun compte cette
théorie, c'est la douloureuse constatation
que jusqu'ici Jésus-Christ est resté
seul de son espèce ; une fois parvenue
au sommet en Christ, l'humanité aurait
dû s'y maintenir et désormais produire
et en grand nombre des types semblables à
lui. Que nous en sommes loin ! Il semble
vraiment, à considérer l'histoire
contemporaine, que les hommes deviennent pires, ou
qu'en tout cas ils ne soient pas meilleurs :
le sommet reste isolé, nul autre ne l'a
atteint après le Christ. Ceux qui s'en sont
le plus rapprochés ont été les
premiers à reconnaître quelle distance
formidable les en séparait encore. Ne
serait-ce pas qu'il y a autre chose dans la
régénération qu'une simple
évolution ? et que, pour en faire
l'expérience de façon à
atteindre la vie divine, il faut
qu'un élément nouveau vienne s'y
ajouter ?
Nous sommes ainsi amenés tout
naturellement à la seconde explication de la
nouvelle naissance, celle que j'ai
appelée révolutionnaire :
d'après elle la
régénération ne serait pas le
résultat d'une simple évolution, mais
bien d'une révolution. Que faut-il entendre
par là ?
Pour passer à un degré
supérieur, pour devenir fils de Dieu
d'homme-animal qu'il était, pour entrer dans
le royaume de Dieu, l'être humain serait
appelé à traverser une crise plus ou
moins profonde qui interromprait en quelque sorte
la marche de l'évolution ou plutôt qui
viendrait s'y ajouter ; un
élément tout nouveau interviendrait,
produit non de la vie inférieure qui
précède, mais d'en haut, d'une vie
supérieure, la vie même de Dieu. Le
terme grec naître de nouveau, peut en effet
tout aussi bien se traduire : naître
d'en haut. La nouvelle naissance serait par
conséquent plus encore une naissance
d'en-haut, une naissance surnaturelle, qu'une
naissance nouvelle. Ou si l'on garde le mot
nouvelle, il faudrait lui donner le sens non de
renouvelée, répétée,
mais de différente, de nouvelle dans le vrai
et profond sens du mot.
Il y aurait donc quelque chose qui
n'existait pas jusqu'ici et qui se produirait tout
à coup. Disons le mot, la nouvelle naissance
serait une nouvelle création, suivant cette
parole de saint Paul : « Si
quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle
créature, ou
création. Les choses anciennes sont
passées ; voici toutes choses sont
devenues nouvelles
(2 Cor., V, 17). Nous sommes son
ouvrage, ayant été
créés en Jésus-Christ pour de
bonnes oeuvres
(Eph. II, 10). Ce n'est rien
d'être circoncis ou incirconcis ; ce qui
est quelque chose, c'est d'être une nouvelle
créature
(Gal. VI, 15). Vous avez
été renouvelés dans l'esprit
de votre intelligence et vous avez revêtu
l'homme nouveau, créé selon Dieu,
dans une justice et une sainteté
véritables
(Eph. IV, 23 et 24). Ne mentez plus
les uns les autres, vous étant
dépouillés du vieil homme, et de ses
oeuvres et ayant revêtu l'homme nouveau, qui
se renouvelle, dans la connaissance, selon l'image
de celui qui l'a créé
(Col. III, 9 et
10). »
En effet, par suite du
péché, l'homme est tombé trop
bas, sa corruption est trop profonde, par le fait
de sa séparation d'avec Dieu, pour qu'il
puisse atteindre sa destinée en suivant le
cours ordinaire de la vie. Quelque chose de
nouveau, le péché, étant
intervenu dans sa marche et l'ayant fait sortir de
sa route, il faut qu'un nouvel
élément intervienne pour le replacer
sur la route et le remettre sur la voie normale. Il
ressemble à un train de chemin de fer qui a
déraillé, ou mieux encore qui s'est
fourvoyé sur une voie de garage ;
fatalement il devra s'arrêter ; il faut
à tout prix qu'il soit replacé sur
ses rails et lancé de nouveau sur la grande
ligne. Or une telle opération ne peut pas se
faire toute seule, elle
nécessite une intervention puissante sans
laquelle le train court à sa
ruine.
Au reste, quand nous avons
parlé du
chapitre 1 de la Genèse, nous
avons montré que même avant
l'apparition de l'homme, il était venu
s'ajouter à la marche de l'évolution,
un élément nouveau, à trois
reprises successives trois fois dans ce chapitre,
avons-nous vu, il est dit Dieu créa. Ainsi
donc même dans le cours ordinaire et normal
des choses, un acte créateur
réitéré est nécessaire
pour que l'évolution de la vie se fasse
complète. Qu'y a-t-il d'étonnant
qu'il en soit ainsi au moment où la vie
supérieure, la vie divine doit faire son
apparition dans le monde ?
Je n'examine pas la question de
savoir ce qui serait arrivé au cas où
l'homme n'eût pas péché ;
je serais tenté de croire qu'il n'y aurait
pas eu de crise au sens ordinaire du mot, ou,
plutôt, une crise eût-elle
été nécessaire, elle aurait
revêtu un caractère
atténué, ressemblant beaucoup plus
à une évolution qu'à une
révolution. Il se serait sans doute produit
quelque chose d'analogue à ce qui est
arrivé au Christ, l'homme normal.
Après s'être développé
dans l'innocence il dut parvenir à la
sainteté par un acte d'obéissance
plusieurs fois répété, pour
être ensuite glorifié sur la montagne
de la transfiguration. Jésus
transfiguré c'est précisément
le point culminant de l'évolution de la vie
sur la terre, c'est l'heure solennelle où
l'être spirituel sorti de la nuit des
existences antérieures entre dans la pleine
gloire divine, parce qu'il s'est identifié
librement et consciemment avec
le Créateur, devenu son
Père. Mais à ce moment, le Christ ne
disparut pas dans le ciel, il redescendit de la
montagne pour pouvoir sauver le monde en mourant
sur la croix. Il était sur la voie de
l'évolution en sa qualité d'homme
normal et allait s'élever de gloire en
gloire, jusqu'au trône de Dieu, mais il
aurait fait seul cette sublime ascension. Il
préféra redescendre au niveau de
l'homme déchu et passer lui aussi par la
crise de la révolution, même
sanglante, en vue de nous replacer tous sur la voie
de l'évolution.
Quoi qu'il en soit, ce qui rend
nécessaire, indispensable même, cette
crise de la régénération sous
forme de révolution, c'est
précisément le péché
dans lequel tous nous sommes tombés. Il est
vrai que, suivant les individus, cette crise
revêt des formes différentes :
chez les uns elle ressemble plus à
l'évolution, Chez les autres au contraire
à la révolution, Ainsi beaucoup de
très braves gens, élevés dans
un milieu religieux et parfaitement honnête,
habitués à faire le bien dès
leur plus tendre enfance, sont devenus
chrétiens, réellement
chrétiens, sans même s'en rendre
compte ; ils seraient dans
l'impossibilité de dire :
« C'est à telle date que je suis
entré dans la vie nouvelle, je ne me
rappelle absolument pas dans quelles circonstances,
attendu que cela s'est fait peu à peu, sans
crise douloureuse ou profonde. » Il
arrive parfois que ces chrétiens-là
en sont troublés ; ils se demandent
s'ils sont bien nés de nouveau puisqu'ils
n'ont pas connu de crise ; ils cherchent
même à en produire
une, à se suggérer des sentiments,
une douleur factice pour tranquilliser leur
conscience. C'est une erreur ; le
symptôme essentiel n'est pas ce point de
départ, c'est la direction suivie, c'est la
marche en avant. « Le vent souffle
où il veut, disait Jésus, et tu en
entends le bruit ; mais tu ne sais ni
d'où il vient ni où il va. Il en est
ainsi de tout homme qui est né de l'esprit
(Jean III, 8). » On ne peut pas dire
exactement où dans l'espace, le vent
commence à souffler, mais ce que tout le
monde peut constater, ce sont les effets du vent,
effets plus on moins puissants, tous
contrôlables par les sens.
Quoi qu'il en soit, si le point de
départ n'a pas été
marqué par quelque phénomène
frappant, quelque drame intérieur se
manifestant au dehors et transformant subitement la
vie, il doit, il a dû y avoir sans aucun
doute un moment psychologique qui a
déterminé une marche en avant, plus
consciente et plus décidée
qu'auparavant. La révolution, pour
être atténuée, cachée
même, ne s'en est pas moins produite, et je
serai fort étonné que les parents ou
les amis, vivant près de celui qui est
né de nouveau, ne s'en soient pas
aperçus.
Dans d'autres cas, au contraire, la
crise a tout-à-fait le caractère
d'une révolution : il s'agit alors
d'hommes vivant ouvertement dans le
péché, dans
l'incrédulité on même dans une
opposition déclarée à
l'Évangile. Tout à coup, ces hommes
sont arrêtés, puis
terrassés par Celui auquel ils font la
guerre : ils se reconnaissent vaincus, et,
à la suite de cette abdication devant Dieu
et de ce don de leur coeur, commence pour eux une
vie nouvelle qui les étonne eux-mêmes
autant que les autres. Il n'y a pas à
hésiter, ces gens-là viennent de
naître de nouveau, et leur nouvelle naissance
a tous les caractères d'une
révolution.
Parmi les apôtres, il en est
deux qui représentent admirablement ce
double type, Jean et Paul.
Le premier semble être
arrivé peu à peu à la vie
spirituelle intense qu'il manifeste dans ses
écrits ; il s'élève
graduellement à partir de sa rencontre avec
le Maître un certain jour, à quatre
heures de l'après-midi ; pas de saut
brusque, pas de crise tragique, mais une lente
ascension, qui paraît d'autant plus certaine
à mesure qu'il contemple Jésus-Christ
et qu'il le connaît mieux, il se sent
gagné par lui, pénétré
de son Esprit ; chaque expérience
nouvelle du Christ l'unit à lui plus
intimement et la vie de son Sauveur devient de plus
en plus la sienne. On peut même se demander
si le disciple que Jésus aimait a bien
réellement passé par la nouvelle
naissance : en tout cas, s'il y a
passé, la régénération
pour lui a plus ressemblé à une
évolution qu'à une révolution.
Et pourtant, chose curieuse ! c'est Jean qui
dans ses écrits insiste le plus sur la
réalité et la nécessité
de la nouvelle naissance et c'est lui
précisément qui nous raconte la
conversation de Jésus avec ce
Nicodème si honnête et si pieux, dont
la régénération ressemble elle
aussi à une évolution.
Saul de Tarse fait contraste avec
Jean, sa régénération à
lui eut un caractère dramatique des plus
prononcé. Persécuteur des
chrétiens, ennemi acharné du Christ
et de l'Église, il fut arrêté
soudain sur le chemin de Damas, terrassé et
vaincu par son nouveau Maître ;
brisé, aveuglé, il dut être
conduit par les soldats jusqu'à Damas,
où il reçut l'imposition des mains
d'un humble laïque Ananias. À la suite
de cette imposition, signe de sa
consécration, le Saint-Esprit fit de lui un
homme nouveau, absolument différent de
l'homme d'autrefois, si différent même
que l'on se demande vraiment si Saul de Tarse et
Paul, l'apôtre, sont bien un seul et
même personnage. Jamais, comme dans cette
vie, la nouvelle naissance ne prit un
caractère aussi révolutionnaire et
dramatique. Chose curieuse ! si ses
épîtres sont toutes remplies du fait
de la régénération, si les
expériences qu'elles décrivent ne
peuvent s'expliquer que par elle, cette crise n'en
est pas moins très rarement
nommée ; nous l'avons vu, Paul
n'emploie qu'une fois le mot de
régénération.
Le passé de Jean et de Paul
explique parfaitement le caractère si
différent de leurs deux conversions ;
le premier était déjà
orienté dans le sens de la vie
chrétienne, le second, au contraire, lui
était directement opposé. Cela
n'empêche pas qu'il y eut un point tournant
dans la vie de Jean, qui, pour ne pas attirer les
regards de la foule, n'en fut pas moins
réel, et, d'autre part, la transformation de
Saul de Tarse dut certainement être
préparée par une série
d'expériences plus ou
moins douloureuses et suivies d'une longue
éducation spirituelle.
Telle est la seconde conception de
la nouvelle naissance, celle qui ressemble plus
à une révolution qu'à une
évolution, Évidemment avec notre
idée du péché, nous la croyons
infiniment plus vraie que l'autre, parce qu'elle
est bien plus en harmonie d'un côté
avec l'état de déchéance de
l'homme, conséquence du péché,
et de l'autre avec ce que l'Évangile nous
dit de Jésus-Christ. Cet état de
déchéance que je viens d'indiquer est
tel, en effet, que l'homme qui se connaît se
sent incapable d'atteindre l'idéal qu'il
entrevoit. Il aperçoit cet idéal, il
fait des efforts pour l'atteindre, mais il constate
avec douleur, chaque jour davantage, que ses
efforts n'aboutissent pas ; l'idéal
entrevu fut comme un mirage dans le désert,
il lui échappe toujours au moment même
où il croit le toucher, Le
péché est là qui le lie, sa
nature corrompue entrave sa marche en avant ;
il voudrait, il ne peut pas ; et plus il fait
d'efforts, plus il sent le poids des chaînes
qui l'accablent. Aussi, fatigué d'essayer
vainement de s'affranchir, il s'écrie avec
le personnage décrit par saint Paul au
chapitre VII des Romains :
« Malheureux que je suis, qui me
délivrera de ce corps de
mort ? »
Ceux que l'on a coutume d'appeler de
grands pécheurs, les
débauchés, les voleurs, y arrivent
assez facilement, leur vie en est la
démonstration. Les autres, les
honnêtes gens ont plus de peine, beaucoup
plus de peine parfois, mais quand ils ont
été éclairés
par l'Esprit de Dieu, ils
perdent eux aussi leurs illusions sur
eux-mêmes et comprennent la
nécessité d'une transformation
radicale. D'autre part, je crois que cette
idée de la nouvelle naissance est en
harmonie parfaite avec ce que l'Écriture
nous dit de Christ. En effet, elle ne nous le
montre pas comme un produit naturel de
l'humanité dans soit ascension vers Dieu,
mais comme une descente de Dieu vers l'homme, une
intervention directe et surnaturelle de Dieu dans
l'histoire. Or la régénération
n'est pas autre chose, à son tour, que cette
même intervention se produisant dans la vie
individuelle : pour que l'humanité
naisse de nouveau en Christ par un miracle de la
grâce divine, il faut que chacun de ses
membres naisse de nouveau en lui par un miracle
analogue. Une transformation pareille ne ressemble
guère à l'évolution dont nous
parlions tout à l'heure.
Je sais bien que cette
révolution, étant intérieure,
demeure ignorée et douteuse aux yeux de
beaucoup. Mais pour cachée et profonde
qu'elle soit, elle n'en est que plus
radicale ; ce qui frappe les sens n'est pas
toujours ce qu'il y a de plus réel ici-bas.
Cette révolution toute intérieure
doit du reste entraîner après elle une
révolution extérieure immense et si
cette dernière ne s'est pas encore produite,
on pourrait en faire un grave reproche aux
représentants du christianisme. Si le
christianisme des croyants avait davantage le
caractère d'une révolution et moins
celui d'une évolution, il aurait infiniment
plus de portée.
Jésus, en insistant sur la
nécessité de la nouvelle
naissance, montre qu'il
considère l'homme né de nouveau comme
étant très supérieur à
l'homme naturel. Une plante si belle qu'elle soit,
une fleur si parfumée qu'elle puisse
être ne vaut pourtant pas un animal; l'animal
à son tour peut être très beau
de formes, il peut avoir des instincts très
supérieurs ou une force musculaire
étonnante, il ne vaut pas pour cela une
créature humaine quelconque. L'homme qui,
par la nouvelle naissance, a
pénétré dans le royaume divin,
a atteint un degré très
supérieur à l'homme ordinaire, si
distingué que puisse être celui-ci.
Cet homme ordinaire est une splendide
représentant du règne animal, le plus
beau de tous. La vie de cet homme rappelle un
splendide coucher de soleil, personne ne peut
contester la splendeur des derniers moments d'une
radieuse journée d'été ou
d'automne : ou ne peut pourtant pas
s'empêcher d'éprouver une certaine
mélancolie en pensant que ce coucher de
soleil est une fin et que dans quelques minutes, la
nuit va venir, d'autant plus sombre peut-être
que, tout à l'heure, le jour était
plus brillant. L'homme-animal, si parfait qu'il
apparaisse, a atteint le sommet de
l'évolution, il va redescendre et s'enfoncer
dans la nuit, s'il n'est pas parvenu par un acte
libre de sa volonté au degré
supérieur du règne divin.
L'homme né de nouveau, au
contraire, peut à certains égards
paraître inférieur, il a probablement
des défauts contre lesquels il devra
lutter ; beaucoup le jugeront peut-être
sévèrement, le trouvant
inférieur à soit titre de
chrétien et même très
inférieur à
l'homme naturel qui vit à côté
de lui. Cela n'empêche pas qu'il est
infiniment plus à envier que l'autre, car il
n'est pas à un point d'arrivée, il
est à un point de départ ; il a
devant lui un développement indéfini
et infini, qui tôt ou tard amènera le
plein épanouissement de son être. Sa
vie n'est pas un coucher de soleil, mais une aube
encore indécise ; une faible lueur
illumine à peine son horizon, c'est pourtant
le début d'une radieuse journée,
d'une journée qui n'aura point de fin, le
soleil va paraître dans toute sa gloire et sa
lumière grandira toujours, sans jamais se
voiler, car le temps pour cet homme n'est que
l'aurore de l'éternité. Et pourquoi
cela ? Par la simple raison qu'un
élément nouveau est entré en
lui le jour où il a passé par la
régénération : la vie
divine a pénétré sa vie
humaine et animale.
Le célèbre naturaliste
écossais Drummond dans son livre sur les
Lois du monde spirituel, a expliqué ce
double fait au moyen d'une image très
frappante. Il compare l'homme naturel à une
délicate fougère, qu'en hiver le
givre forme contre nos fenêtres ; et
l'homme né de nouveau, à une autre
fougère qui croît à l'air libre
dans une forêt. Celle-là peut
être à à première vue
très supérieure à celle-ci,
ses formes sont régulières, chacune
de ses feuilles s'étale gracieusement, tout
est parfait en elle. La seconde, au contraire,
cachée modestement sous les grands arbres,
toute entourée de buissons qui la
dissimulent aux yeux du passant, ne paraît
décidément pas à la hauteur de
l'autre, peut-être même est-elle
chétive ; qui sait ? il
se peut qu'un passant, un
voyageur inattentif l'a foulée aux pieds et
que telle de ses feuilles ait été
cassée. Cela n'empêche pas que la
fougère naturelle est infiniment
supérieure à l'autre, car elle est un
organisme vivant, l'autre n'est qu'une
apparence ; possédant la vie en
elle-même, elle pourra se guérir de
ses blessures, reprendre sa croissance, atteindre
son plein épanouissement pour renaître
ensuite multipliée dans d'autres plantes
semblables à elle, tandis que la
fougère de cristal, admirée un
instant, va se fondre sous les rayons du soleil
pour laisser après elle une petite goutte
d'eau prête à
s'évaporer.
Tel est le double sort qui attend
d'un côté ceux qui ont
échappé volontairement ou
involontairement à la crise de la nouvelle
naissance et de l'autre, ceux qui l'ont
traversée par un acte libre de leur
volonté.
On a souvent comparé, d'autre
part, l'homme régénéré
à un arbre fruitier qui a subi
l'opération de la greffe ; avant cette
opération, Les fruits qu'il portait
étaient acides ou amers ; maintenant
ses fruits sont doux et excellents, l'ancien arbre
est méconnaissable. Or jamais dans le cours
ordinaire des choses, par la simple
évolution, semblable métamorphose ne
se serait produite : l'évolution
n'aboutissait qu'aux fruits manqués, la
révolution qu'a produite la main du
jardinier a seule pu faire porter à l'arbre
des fruits savoureux.
Mais encore faut-il chercher
à comprendre en quoi consiste exactement
cette crise de la nouvelle
naissance. Jésus nous
l'apprend quand il dit à Nicodème que
naître de nouveau, c'est naître d'eau
et d'Esprit, c'est-à-dire passer par le
baptême de repentance et de
consécration que les Pharisiens, au nombre
desquels était Nicodème, ne voulaient
pas. Or dans le baptême il y a deux
éléments, l'un négatif une
mort, l'autre positif une résurrection.
L'eau représente le côté
négatif, la mort, l'Esprit le
côté positif, la
résurrection.
Pour naître de nouveau, il
faut donc renoncer à sa vie propre, parce
qu'on en reconnaît l'insuffisance et
l'imperfection, il faut une abdication du moi qui a
constaté son néant et surtout sa
nature corrompue ; il faut une banqueroute
morale qui rende nécessaire quelque chose de
tout nouveau. Au reste l'histoire de la vie sur
notre terre, même celle de
l'évolution, peut être
résumée ainsi : Par la mort
à la vie ; point de vie sans
mort ; point de résurrection sans
tombeau. Si le minéral devient
végétal, c'est qu'il est
absorbé par lui et qu'il disparaît
comme minéral ; si le
végétal passe dans le règne
animal, c'est qu'à son tour il meurt comme
tel pour être mangé par l'animal et
ainsi de suite.
Il en est ainsi de l'homme naturel
qui veut passer dans le règne
supérieur. Grâce au
péché qui consiste
précisément à vouloir. garder
sa vie propre en refusant d'obéir à
la loi divine, le passage se fait dans la douleur
au travers de la croix pour Jésus, et de la
repentance amère suivie de la mort à
soi-même pour les autres hommes. Beaucoup
hésitent devant ce
passage ; ils trouvent la
porte trop étroite, le sacrifice trop grand,
sans doute parce qu'ils ne connaissent encore ni la
profondeur de leur misère ni la hauteur de
la miséricorde divine. Leur moi les
hypnotise en quelque sorte et, tout en
désirant devenir chrétiens, ils ne
l'osent pas, ils regardent l'avenir avec
anxiété et jettent des regards de
regret et de tristesse sur le passé qu'il va
falloir quitter.
Quand au contraire l'homme
pécheur a pris courageusement son parti de
l'abdication, quand il a accepté de mourir
avec Christ en renonçant à
soi-même, à la suite d'une crise plus
ou moins douloureuse, alors, oh ! alors, la
réponse de Dieu ne se fait pas
attendre : Dieu lui-même par son Esprit
de sainteté et d'amour entre par la porte
qui vient de s'ouvrir, il pénètre
dans le coeur de celui qui vient de consentir au
vide, et, s'Il vient, c'est pour en faire un
sanctuaire, le plus beau des sanctuaires
d'où la gloire de Dieu va rayonner. Le
côté positif de la
régénération se produit, la
naissance d'Esprit a lieu, le baptême du
Saint-Esprit s'est accompli et dorénavant la
vie divine va se substituer peu à peu
à la vie naturelle, la sainteté
à la souillure, l'amour à
l'égoïsme, l'incorruptible au
corruptible, le ciel à l'enfer. Mais tout
cela n'a pu se produire que par une intervention
directe et personnelle de Dieu ; sans elle la
nouvelle naissance n'eût pas pu avoir lieu.
N'est-ce pas la preuve que celle-ci est une
révolution, bien plutôt qu'une
évolution ?
Je me hâte toutefois d'ajouter
que l'explication
évolutionniste renferme
une part de vérité, en ce sens que
sans le péché la nouvelle naissance
se fût faite sans crise et sans souffrance
aucune ; et d'autre part parce que né
de nouveau, l'homme rentre dans la vie
d'évolution : il n'a plus qu'à
suivre sa marche normale régulière,
et plus il s'affranchira du péché,
plus il deviendra saint en identifiant sa
volonté avec celle de Dieu, plus aussi il
s'éloignera de la révolution pour
rentrer dans l'évolution. L'une était
nécessaire pour rétablir
l'autre ; la première est devenue la
condition de la seconde par le fait même de
la révolte de l'homme.
N'est-ce pas là du reste ce
qui se passe dans le domaine social et
politique ? Tous les peuples qui n'ont pas
voulu suivre régulièrement
l'évolution du progrès qui s'offrait
à eux, ont préparé par
là même la révolution, et
celle-ci a été d'autant plus terrible
que l'opposition à l'évolution a
été plus longue et plus tenace. Il
faut qu'en quelques jours ou en quelques heures ils
rattrapent le temps perdu pendant des années
ou même des siècles : quand la
digue vient à se rompre, l'inondation est
d'autant plus à craindre que l'eau a mis
plus de temps à s'accumuler. Les peuples au
contraire qui on fait régulièrement
les progrès exigés par
l'évolution ont échappé
à la révolution et atteint un
équilibre infiniment plus solide et plus
durable. Que l'on compare à ce point de vue
l'histoire des nations protestantes avec celle des
nations catholiques et l'on verra le prix de
l'opposition à la loi de l'Évangile
et les résultats
magnifiques au contraire
qu'entraîne à sa suite
l'obéissance fidèle à cette
loi.
Il me reste pour conclure à
développer brièvement deux
idées qui découlent tout
naturellement des pages qui
précèdent : d'un
côté j'affirme que la nouvelle
naissance est une nécessité et une
nécessité absolue, de l'autre
qu'elle est une grâce et une grâce
miséricordieuse de notre Dieu
Sauveur.
Une nécessité, ai-je
dit en premier lieu, car l'Écriture l'a
déclaré, Jésus-Christ l'a
répété à plusieurs
reprises et de la manière la plus
solennelle, et nous n'avons pas le droit de dire
qu'il s'est trompé ; il doit
connaître cela mieux que nous. Et. d'ailleurs
il suffit de nous rappeler la
déchéance profonde de l'homme d'une
part et de l'autre la destinée infiniment
glorieuse à laquelle il est appelé.
Si réellement hors de Christ nous ne pouvons
rien faire, si le coeur de l'homme est
désespérément malin, s'il n'y
a pas un seul homme juste sur la terre, pas un seul
qui fasse le bien, si c'est de notre coeur que
sortent les mauvaises pensées, les meurtres,
les adultères, les impudicités, les
vois, les faux témoignages, les
calomnies ; si d'autre part nous devons
être saints comme Dieu est saint, parfaits
comme notre Père céleste est parfait,
s'il nous faut être un jour saints et
irréprochables devant Dieu et si l'image de
notre Père doit se reproduire parfaitement
sur notre âme, il est de toute
nécessité qu'une crise profonde
s'accomplisse en nous et cette crise, la nouvelle
naissance ne peut plus nous étonner, car
elle est indispensable pour tous.
Mais j'affirme en même temps
que c'est une grâce de la miséricorde
divine. N'est-il pas arrivé à plus
d'un de mes lecteurs de s'écrier :
« Ah ! si je pouvais recommencer ma
vie ! si je pouvais ressembler à tel
enfant qui a devant lui toute une existence, que je
serais heureux ! et comme je vivrais
différemment ! Hélas ! je
suis déjà avancé dans la vie,
âgé peut-être, et à
mesure que ma vie s'écoule, je
m'aperçois davantage que je l'ai
perdue. »
Eh bien ! la doctrine de la
nouvelle naissance répond
précisément et d'une manière
admirable à ce soupir du coeur, plus
général qu'on ne le croit : Dieu
veut nous renouveler à tel point que notre
vie ne ressemble plus à l'ancienne, ce sera
l'entrée dans une phase nouvelle et
supérieure.
Peut-être aussi, tel de mes
lecteurs se sera-t-il trouvé en face d'un
malheureux, victime de passions
héréditaires, d'un alcoolique par
exemple, ou d'un débauché, d'un
misérable prisonnier condamné pour
des crimes dont il était à peine
responsable. Si vous dites à cet
homme : « Allons ! du courage,
de l'énergie, de la bonne volonté et
tu t'affranchiras ! de la
persévérance, et tu te
transformeras, » vous le pousserez au
désespoir ; il vous trouvera dur et
rejettera avec horreur une religion assez cruelle
pour dévoiler l'idéal sans donner les
forces nécessaires pour l'atteindre.
« Comment voulez-vous,
s'écriera-t-il, que je m'améliore,
puisque j'en suis incapable ? J'ai beau faire,
j'ai beau lutter, j'ai beau prendre de bonnes
résolutions, tout ce que je fais augmente
mon désespoir, car cela me
révèle davantage mon
indescriptible misère,
mon affreux esclavage. Il n'y a point de Dieu,
puisque je suis si malheureux, ou bien, s'Il
existe, c'est un monstre de cruauté, auquel
j'aime mieux ne pas croire, car j'aurais horreur de
lui ressembler. »
Représentez-vous quel baume
vous verserez sur les blessures de cet homme, quand
vous pourrez lui dire que, s'il est incapable de se
changer, Dieu peut le transformer ? Quelle
joie quand vous lui annoncerez que Dieu est
prêt à faire un miracle en sa faveur,
un miracle dans le genre de ceux que le Christ
faisait jadis quand il guérissait les
lépreux, qu'il délivrait les
démoniaques ou ressuscitait les morts!
Quelle espérance soudaine dans sa nuit
noire, quand vous lui parlerez de la nouvelle
naissance que Dieu veut lui-même
opérer dans son coeur ! Voilà
précisément la bonne, la joyeuse
nouvelle de la
régénération : n'avais-je
pas raison d'affirmer que c'est une grâce et
une grâce infiniment miséricordieuse
de notre Dieu ?
Que ceux de mes chers lecteurs qui
ne la connaissent pas encore par expérience
n'aient donc plus peur ; qu'ils ne la fuient
plus comme une chose redoutable, qu'ils y voient
bien plutôt une preuve de l'amour infini de
leur Père céleste et que, abandonnant
leur vie propre qui est une vie souillée,
ils se livrent avec confiance à ce Christ
tout-puissant qui les amènera à sa
vie pure et sainte par la nouvelle naissance.
|