UNE
VOCATION
(THWARTED)
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE V
LA FÉE DE
BIG-HOUSE.
Le lendemain matin, Willam quitta la maison plus
tôt que de coutume, ayant un paquet de linge
à porter à Big-House, avant d'aller
à son travail.
Absorbé par son sujet favori, il
marchait vite, son panier au bras ;
arrivé à la porte de service,
à Big-House, il déposa son fardeau et
allait repartir lorsque la domestique le pria
d'attendre un moment une commission pour Mme
Tarver.
Elle lui demanda de porter le panier
jusqu'au bas de l'escalier, puis ouvrant une porte,
en passant, elle lui dit : Voulez-vous entrer
pendant que je vais monter ? car si la femme
de chambre est auprès de Mme Herbert, je ne
pourrai pas lui parler tout de suite. Il n'y a
personne dans la bibliothèque et
mademoiselle ne descendra pas de longtemps.
Willam fit ce qu'on lui demandait et il
se trouva dans un petit appartement très
confortable et évidemment consacré
à la pauvre malade.
Une chaise longue était
près du feu, ainsi qu'une table et un
pupitre à lecture.
II y avait, sur différentes
tables, des livres, des ouvrages, des
matériaux pour dessiner, des boîtes de
couleurs et Willam soupira en songeant que Mme
Herbert était bien privilégiée
de posséder tant d'avantages et de moyens de
cultiver et de développer ses
goûts.
Mais il chercha en vain la merveilleuse
boîte d'outils qui occupait si fort ses
pensées.
Il parcourut la chambre, regardant les
porcelaines, les peintures et les autres objets,
puis il arriva, près de la fenêtre,
à une petite table sur laquelle était
posée une grande et belle boîte en
bois.
Lorsque ses yeux tombèrent sur la
boîte, il tressaillit et joignit les
mains.
Il laissa échapper une
exclamation de surprise, et s'approcha de plus en
plus, transporté d'admiration, car cette
boîte merveilleusement sculptée,
était vraiment une oeuvre d'art.
Pendant dix minutes, il resta sous le
charme, contemplant avec étonnement la
beauté des détails et la
délicatesse du travail. Dominé par le
sentiment de son impuissance, et le souvenir de ses
essais infructueux, il avait pourtant le coeur
rempli de cet orgueil qui avait arraché
à un artiste ce cri de triomphe
« et moi aussi je suis
peintre !
Il se sentait avec joie sur le premier
échelon de l'échelle au sommet de
laquelle était parvenu l'auteur d'une telle
conception, il se proposait le même but, si
glorieusement atteint par un autre, il voyait la
réalisation de ses rêves
exécutée par des moyens humains, et
il s'élançait, avec ardeur, vers un
avenir radieux.
- Ce qu'un homme a fait, un autre peut
le faire, s'écria-t-il, presque à
haute voix, avec un long soupir.
- Quoi ! vous parlez seul ?
dit tout près de lui une petite voix
argentine.
Willam tressaillit et se retourna.
Oubliant où il était et ce qui
l'avait amené, il pouvait à peine
parler, tant il était ravi.
Il ne vit rien tout d'abord, mais en
baissant les yeux, il aperçut une petite
créature, avec une profusion de beaux
cheveux et de grands yeux brillants qui le
regardaient avec surprise.
Transporté dans le pays des
rêves, il croyait voir quelque jeune reine de
la beauté et des arts, venant lui demander
comment il avait pénétré dans
son royaume.
Cette figure charmante et
encadrée de beaux cheveux, lui avait fait
voir dans cette apparition une autre forme de
l'art, un autre exemple de la perfection des lignes
et de l'harmonie des détails qui charmaient
son esprit.
Un seul instant de réflexion lui
rappela que c'était la petite fille de Mme
Herbert.
Il la connaissait de vue seulement,
l'ayant aperçue à l'église,
dans les rues sur son poney, ou dans ses promenades
avec sa bonne, mais il ne lui avait jamais
parlé.
Rougissant profondément, il
quitta son chapeau et murmura une excuse.
- Que faites-vous ? demanda
l'enfant en riant. Qu'est-ce qui vous absorbait au
point que vous ne m'avez pas regardée quand
je suis entrée ? Pourquoi parliez-vous
seul ? Savez-vous que j'ai eu peur ? J'ai
cru un instant que vous étiez...
Elle secoua la tête en murmurant
quelque chose.
- Fou ? reprit Willam en
souriant.
- Oh non ! dit-elle, c'est bien
pis.
- Pis, s'écria Willam.
- Oh oui !
répéta-t-elle, c'est si affreux que
je n'ose pas vous le dire.
- Je suis peiné que vous puissiez
penser de moi quelque chose de si affreux,
mademoiselle, dit-il en souriant.
- Je suis sûre que vous ne
l'êtes jamais, n'est-ce pas ?
- Je ne sais pas ce que vous voulez
dire, mademoiselle, répondit Willam.
- Alors approchez-vous, que je vous le
dise.
Willam s'avança.
- Baissez-vous.
Willam se baissa.
- Encore, dit-elle en se levant sur la
pointe des pieds, vous êtes si grand, si
grand ! Il se baissa encore, mais pas
assez.
- Vous feriez peut-être mieux de
vous mettre à genoux, j'arriverais juste
à votre oreille.
Willam obéit, et l'enfant, se
tenant sur la pointe des pieds, murmura d'une voix
solennelle :
« ivre. »
Willam se releva en riant.
- Ne soyez pas effrayée,
mademoiselle, je ne bois que de l'eau le plus
souvent.
- Que je suis contente ! dit-elle
avec un long soupir de soulagement, j'ai une telle
peur des gens ivres ! J'en rencontre souvent
dans les rues, j'en vois à la porte des
cabarets, et ils me font une frayeur horrible. J'y
rêve parfois la nuit, ajouta-t-elle avec un
léger frémissement, et je les vois
chanceler et tomber. Avez-vous quelquefois
rêvé qu'ils vous poursuivaient et que
vous ne pouviez fuir parce que vos pieds
étaient attachés ?
Mais Willam chercha en vain dans sa
mémoire d'aussi terribles souvenirs.
-Vous êtes bien heureux, car ce
sont des cauchemars bien pénibles, mais vous
êtes peut-être comme notre
cocher ?
- Comme votre cocher ? dit
Willam.
- Oui, il n'a pas du tout peur des
ivrognes et il ne comprend pas la peur qu'ils me
font.
- Je n'en ai pas peur, mademoiselle,
mais je n'aime pas les rencontrer. C'est affreux de
voir un homme s'abrutir comme s'il était un
animal.
- Comme un animal ?
répéta-t-elle frappée de cette
idée.
- Oui, dit-il tristement.
- Mais à quelle espèce
d'animal ressemble un homme.... ? et elle
secoua la tête, ne pouvant se décider
à prononcer ce mot terrible.
- Je ne sais, à un âne
peut-être, reprit-il lentement, plus pour
lui-même que pour elle.
- Vous avez l'air fâché,
reprit l'enfant.
- Je suis irrité de voir des
hommes gaspiller leur temps parce que rien n'occupe
leurs loisirs, répondit-il, oubliant qu'il
parlait à une enfant.
- Est-ce vraiment la cause de tant de
mal ? demanda-t-elle.
- Certainement, reprit-il vivement,
inspiré par tous ses griefs contre
Grinfield, dans un endroit comme celui-ci que peut
faire un homme, si ce n'est aller au cabaret ?
Ainsi y a-t-il plus d'ivrognes à Grinfield
que partout ailleurs.
Le visage de l'enfant
s'assombrit.
- En proportion, vous le comprenez, dit
Willam.
- En proportion ? est-ce le nom de
notre comté ?
- Non, dit Willam en souriant, nous
sommes dans le Yorkshire, n'est-ce
pas ?
- Je ne sais pas bien mes comtés,
dit-elle timidement, je ne sais presque rien en
géographie ; maman est trop malade pour
me faire souvent travailler et je déteste
les leçons.
- Je voudrais que vous visitassiez
l'école, quand ma soeur est au milieu de ses
élèves, ils aiment tant ses
leçons et apprennent un peu de
géographie.
- Savent-ils où est
Proportion ?
- Ce n'est pas un pays, mademoiselle,
mais un mot.
- Que signifie-t-il alors ?
Willam regarda autour de lui, se sentant
incapable d'une explication convenable.
- Je ne puis guère vous
l'expliquer, mademoiselle, répondit-il
enfin.
- Est-ce un vilain mot ?
- Non, mais il est difficile à
expliquer à une jeune demoiselle comme
vous.
- Vous me croyez bien ignorante,
dit-elle d'un ton ennuyé ; je suis plus
ignorante que les enfants de l'école, et
vous voudriez que je fusse témoin de tout ce
qu'ils savent ? C'est bien mal à
vous.
Willam, incapable de comprendre l'enfant
gâtée, fut surpris de ce
changement.
- Ce n'est pas ma pensée,
mademoiselle, je croyais qu'il vous serait
agréable de leur voir prendre leurs
leçons.
- J'en serais très contente, mais
maman ne veut jamais m'y laisser aller, Où
que j'aille elle a toujours peur que je ne prenne
quelque maladie, et c'est très
ennuyeux.
- Ma soeur voit tout de suite s'il y a
quelque enfant malade, mais ils sont tous bien
portants et vous n'avez rien à craindre sous
ce rapport.
- C'est étrange, continua
l'enfant d'un ton contrarié, maman craint
toujours que je ne sois malade, ce qui n'arrive
jamais, je voudrais bien qu'elle n'ait plus cette
crainte.
- Elle éprouve ce sentiment parce
qu'elle a perdu plusieurs enfants, dit Willam
gravement.
- Ils sont morts, mais ils ne sont pas
perdus, s'écria l'enfant, ils étaient
toujours malades, ils l'ont été de
plus en plus et sont tous morts, excepté
moi.
- Je suppose que vous ne vous les
rappelez pas, mademoiselle ?
- Oh non ! il me semble parfois que
je n'ai jamais eu ni frères ni soeurs et il
ne reste d'eux, dans le cimetière, que leurs
petites tombes où je vais m'asseoir
gaîment. Non, reprit-elle en remarquant la
surprise de Willam, non pas gaîment, mais
volontairement. Là, du moins, ajouta-t-elle
d'une voix plaintive, je puis aller seule, sans
rien craindre, quand maman est trop malade pour que
je reste avec elle. Je suis si triste, si triste
d'être seule !
Willam fit promptement un signe
d'assentiment tant il craignait qu'elle ne se
mît à pleurer.
-Mais à présent j'irai
à l'école quand je serai
triste.
-Ne disiez-vous pas que Mme Herbert ne
le voulait pas ?
- En effet, mais je dirai ce soir
à maman que vous m'avez engagé
à y aller pour entendre votre soeur donner
ses leçons aux enfants.
Willam fut très embarrassé
et avant qu'il eut trouvé quelque chose
à dire, elle ajouta : revenez à
ce que vous disiez avant, je vous prie.
- Je disais, reprit Willam, heureux de
changer de sujet, qu'il y a plus d'ivrognes
à Grinfield qu'ailleurs.
- Est-ce réellement vrai?
s'écria-t-elle avec terreur.
- Je le crois, répondit
tristement Willam.
- Si j'étais reine d'Angleterre,
dit l'enfant en frappant du pied, il n'y aurait
plus de cabarets. Je les fermerais tous et personne
n'irait s'y enivrer.
- Ce serait peine perdue,
répliqua Willam, oubliant la jeunesse de son
interlocutrice. Quand on veut boire, on boit. S'il
n'y avait point de cabarets, on boirait chez soi ou
ailleurs, ce qui reviendrait au même. Au lieu
de traiter les hommes comme des enfants, il faut
leur apprendre à user des choses et non
à en abuser ; au lieu d'éloigner
la tentation, enseignez-leur à y
résister. Pour cela il faut du courage, je
le sais, d'ailleurs ce n'est pas l'amour de la
boisson qui les conduit là, mais le manque
d'occupations dans les heures de loisir, car ici
personne ne s'occupe des autres. Il n'y a ni
société de lecture, ni écoles
d'adultes, ni abonnements à bas prix ;
il n'y a pas moyen de s'amuser honnêtement,
pas un concours d'horticulture, rien, quelle
honte !
- Est-ce que vous me grondez ?
demanda l'enfant, on dirait que vous êtes en
colère. Willam s'arrêta court.
Elle le regardait avec étonnement
et effroi, car il avait dépassé la
portée de son intelligence. Flattée
d'abord d'avoir été traitée
comme une grande fille, elle avait seulement
compris que si les uns étaient coupables,
les autres n'accomplissaient pas leur
devoir.
- Pardon, mademoiselle, je voulais
seulement vous expliquer que s'il y a tant
d'ivrognes, c'est qu'on néglige
d'améliorer la condition de l'ouvrier. Puis
il s'arrêta, craignant que
l'héritière de tant d'opulence ne
vît dans ses paroles un reproche
indirect.
Elle gardait un silence
embarrassé. Il n'avait heureusement rien
à craindre sous ce rapport, car pour rien au
monde, il n'aurait voulu ébranler dans ce
jeune coeur le respect, la tendresse, la foi en sa
mère, beau privilège de
l'enfance.
Elle montra cependant un grand
désir de reprendre la conversation.
- Qui sont les coupables ? dit-elle
en regardant attentivement Willam, quels sont leurs
noms ?
- Il est difficile de le dire,
répondit-il d'une manière
évasive. Le recteur, M. Powel est trop
vieux, et le reste du troupeau est trop pauvre, Mme
Herbert est trop malade et vous êtes encore
trop jeune, mais quand vous serez une grande
demoiselle, vous pourrez faire beaucoup.
L'idée d'être une grande
personne, amena un sourire sur ses
lèvres.
- J'aurai 8 ans cet été et
dans 10 ans j'en aurai 18. Je serai tout à
fait grande alors, n'est-ce pas ?
- Oui, je ne les ai pas tout à
fait.
L'enfant le mesura de l'oeil avec un
sourire de satisfaction.
- J'aurai une robe à queue, mes
cheveux seront arrangés comme ceux de maman
et on ne me parlera plus de leçons !
s'écria-t-elle avec joie.
La charmante enfant oubliait le
présent en pensant à l'avenir, et
s'absorbait dans ses rêves
délicieux.
De l'enfance à la jeunesse il n'y
a qu'un pas, et les pensées du jeune homme
erraient aussi, quand il songeait à tous les
changements que 10 ans pouvaient amener.
Pendant un instant, ils gardèrent
tous les deux le silence, puis l'enfant, oubliant
la première ses méditations, chercha
à reprendre la conversation.
- Vous ne buvez que de l'eau,
reprit-elle avec admiration ? et moi
aussi.
- Je bois quelquefois de la
bière, c'est nécessaire pour un homme
qui travaille beaucoup et ma mère voudrait
que j'en prisse davantage, elle n'aime pas à
me voir boire de l'eau pure.
- Je suppose qu'il faut beaucoup d'eau
chez vous, et c'est pour cela que votre mère
voudrait vous faire boire de la
bière.
Puis voyant l'étonnement de
Willam, elle ajouta : À cause du
blanchissage, vous comprenez ?
Willam sourit. Ce n'est pas pour
épargner l'eau, dit-il, mais pour me
fortifier.
Elle poussa un soupir de profond
intérêt en disant : Que
regardiez-vous si attentivement que vous ne m'avez
rien dit quand je suis entrée ?
- J'examinais cette boîte ;
pouvez-vous me dire quelque chose de ce qui la
concerne ?
- Non, si ce n'est que moi aussi j'aime
beaucoup à la regarder.
Willam tressaillit. Cette jeune enfant
aurait-elle reçu le même don que
lui ?
-Sculptez-vous aussi ?
demanda-t-il.
-Un peu, mais pas aussi bien que Mme Hitchins
qui découpe délicieusement.
- Quelle est cette dame
Hitchins ?
- La femme de chambre de maman,
répondit la petite fille.
- Que découpe-t-elle ?
demanda Willam.
- Des poulets, des lapins ou ce que nous
devons manger à dîner. Je
découpe un peu aussi, je fais la poitrine et
les choses faciles, puis pour les ailes et les
jambes, je les donne à Mme Hitchins ;
mais vous ne m'écoutez pas du tout.
Willam soupira pour cacher son
désappointement.
- Mme Herbert sculpte aussi, n'est-ce
pas ? reprit-il en songeant tout à coup
à la boîte qu'il avait vue.
- Pauvre maman ! s'écria
l'enfant, elle n'a pas dans le poignet autant de
force que moi. Elle ne peut même pas
découper une volaille qui se met en
pièce avec une cuillère. Les seules
choses qu'elle puisse faire, ce sont des cadres
à photographies, des couteaux à
papier ou d'autres objets de ce genre.
- N'a-t-elle pas une magnifique
boîte d'outils ? demanda Willam de plus
en plus surpris.
- Oui, une boîte venue de Londres
et dont elle ne s'est jamais servie, parce qu'elle
a été occupée ces jours-ci
d'un nouvel ouvrage. Elle ne fait pas deux jours de
suite la même chose, car elle est très
vite fatiguée de tout.
Willam se détourna, le coeur
rempli d'une douloureuse surprise.
- Quelle perte ! quelle
perte ? Répétait-il. À
quoi serviront alors la fortune et tant d'autres
avantages ?
Ici la voix joyeuse de l'enfant le
rappela à lui-même.
- L'intérieur de la boîte
est bien plus beau que le dehors, dit-elle en
secouant la tête.
- Comment est-ce possible ?
répondit Willam.
- C'est parfaitement vrai, reprit-elle
avec un sourire malicieux, voulez-vous le
voir ?
Tout en parlant, elle s'avança
doucement jusqu'à la table, posa une main
sur la boîte et lui fit signe
d'approcher.
Mais à côté de cette
oeuvre d'art, ne ressemblait-elle pas à une
petite fée, à une reine des arts,
à une création de
l'imagination ?
Elle se prépara à ouvrir
la boîte pour en révéler les
trésors cachés, aux regards
étonnés de Willam.
- Fermez les yeux, s'écria-t-elle
impérieusement, vous les ouvrirez quand je
dirai : trois.
Willam obéit, attendant
patiemment le signal convenu.
- Un !... deux...
trois !
Willam chercha d'un regard avide les
beautés supposées, mais il ne vit que
des bonbons français.
- Est-ce tout ? demanda-t-il
désappointé.
- Non, répondit la petite
fée, la bouche déjà pleine, il
y au-dessous, un autre compartiment. N'est-ce pas
une délicieuse surprise ? Prenez un
bonbon. Que préférez-vous ? un
caramel au café ou un chocolat à la
crème ?
Puis regardant Willam et surprise de son
silence et de son air sérieux elle
ajouta : J'ai bien le droit de vous en
offrir.
- Merci, mademoiselle, mais
j'espère que vous serez assez bonne pour
choisir pour moi.
La petite fille commença alors
une grande recherche, puis s'arrêta
indécise et offrit enfin à Willam un
bonbon rose en lui disant de le manger et de ne pas
le goûter comme si c'était une
médecine.
- N'est-il pas bon ? demanda-t-elle
joyeusement. Je vais en manger un tout
pareil.
Alors recommença une nouvelle
recherche, moins heureuse que la première,
car elle écrasa un bonbon avec son bras et
fit rejaillir la crème sur ses
manches.
- Quelle tache !
s'écria-t-elle.
- Ma mère la lavera,
répondit Willam en souriant.
- Tant mieux, reprit-elle gaîment.
Mais j'oubliais tout à fait que Mme Hitchins
m'avait envoyée pour faire une commission
à laquelle je ne pensais plus.
- Et j'attendais cette commission, dit
Willam, car je devrais être depuis longtemps
à mon travail.
- J'en suis très
fâchée et je vais vous la faire
maintenant. Mes manches n'ont pas été
assez empesées cette semaine, elles sont
tout de suite chiffonnées, vous le
voyez.
- Oui, je le dirai à ma
mère, et puisque je n'ai plus à
attendre, je vais aussi vous saluer,
mademoiselle.
Willam craignait que Mme Herbert ne
fût mécontente de cette causerie
familière entre sa fille et un garçon
de ferme et il ne voulait pas abuser de l'ignorance
de l'enfant.
Il se dirigea donc vers la
porte.
- Vous ne m'avez pas dit adieu,
reprit-elle en lui tendant sa petite main.
Au lieu de la prendre, Willam s'inclina
et passa.
- Pourquoi ne voulez-vous pas me serrer
la main ? dit-elle en la lui tendant encore.
Willam hésita.
- Est-ce parce qu'elle est sale ?
mais ce n'est que du sucre, et je l'aurai vite
nettoyée.
Joignant l'action à la parole,
elle la frotta deux ou trois fois à sa robe
et la lui tendit de nouveau en disant :
- Elle est propre maintenant.
Willam sentit qu'il ne pouvait pas
refuser, et rencontrant ce regard candide et pur,
il comprit l'impossibilité d'expliquer son
premier refus.
- Vous êtes tout à fait
original, n'est-ce pas ? dit-elle comme il
serrait silencieusement sa petite main.
Willam ne voulut ni la contredire, ni se
justifier : ses pensées erraient de
nouveau loin de l'enfant.
Elles allaient de l'antique boîte,
à cette figure charmante qu'un peintre
aurait reproduite avec joie. De minute en minute
elle lui paraissait plus séduisante, elle se
gravait dans sa mémoire en traits
indélébiles que rien dans l'avenir ne
pouvait effacer, car elle devait se trouver
toujours associée pour lui à son
premier aperçu de l'art
véritable.
L'enfant formait un tableau
délicieux, et on sait combien les
beautés de la nature réveillent un
puissant écho chez les admirateurs des
beautés de l'art !
Elle le regardait étonnée
et pensive, tant l'indifférence
manifestée par Willam était chose
nouvelle pour l'enfant gâtée.
Cette pensée la troubla un
instant et elle se tourna vers la fenêtre
avec un soupir.
Le menton dans les mains, les coudes
appuyés sur la table, elle regardait
mélancoliquement les bonbons.
- Je suppose, se dit-elle après
un instant de réflexion et en mangeant un
chocolat à la crème, qu'elle avait
pris sans se tacher dans les mystérieuses
profondeurs de la boîte, je suppose que c'est
la vue de tant de linge blanc qui le rend si
original.
.
CHAPITRE VI
UNE LETTRE DE
BOURNHY.
Le dîner était prêt au
cottage, mais Willam n'était pas encore
rentré. Bessie et Charlie, ayant le
demi-congé du samedi, étaient
revenus, et la veuve repassait activement un peu de
linge appartenant encore à Big-House
- Le facteur ! s'écria
Charlie qui jouait avec le chat, et qui courut
à la porte. Une lettre pour vous, maman,
elle est timbrée de Bournhy.
- Bien, bien, donnez-la à Bessie,
dit la veuve, elle la lira pour moi, car je n'ai
pas le temps de m'arrêter. Il y a bien
longtemps que je n'ai eu de nouvelles de mon
frère, et je serai contente de savoir ce
qu'il dit.
- Charlie devrait bien aller chercher
à ma place du bois pour le feu, dit
Bessie.
Charlie courut faire ce qu'on lui
demandait et Bessie ouvrit la lettre qu'elle
commença à lire :
« Ma chère
soeur,
« J'espère que ma
lettre vous trouvera, vous et les vôtres, en
bonne « santé, ici nous sommes
tous bien.
- Quel coeur ! s'écria la
veuve, y a-t-il jamais eu un frère meilleur
ou plus affectueux ? Continuez,
Bessie.
« Je vous écris pour
vous parler des merveilles qui s'accomplissent ici
et « auxquelles vos enfants seront
peut-être bien aises de prendre part. Je vous
« envoie un programme que vous me ferez
plaisir de me retourner après
« l'avoir lu. »
Un papier vola alors sur le plancher,
mais Bessie était trop occupée pour
le remarquer.
Tout en lisant, elle jetait un coup
d'oeil en avant, elle rougit et sa voix devint
tremblante.
- Qu'avez-vous, mon enfant, dit sa
mère en levant les yeux.
- Oh, mère !
écoutez ! N'est-ce pas miraculeux
après la conversation d'hier soir ? Ne
disais-je pas à Willam d'attendre,
espérant que Dieu lui montrerait la voie
à suivre.
- Pourquoi ne lisez-vous pas la lettre
au lieu de parler ? reprit vivement la veuve.
Des soupçons désagréables
s'emparaient d'elle et son ton trahissait une
irritation contenue.
Bessie continua :
« La grande affaire donc est
une exposition Industrielle pour le mois
« d'avril. »
Bessie laissa tomber la lettre en
s'écriant avec une figure rayonnante :
- N'est-ce pas un miracle,
maman ?
Mais la veuve continua à repasser
dans un silence de mauvais augure.
Dominée par sa joie, Bessie, qui
avait d'abord oublié l'opposition de sa
mère, se sentait de moins en moins à
son aise. Elle regardait avec anxiété
la veuve, dont la figure exprimait une
désapprobation marquée, unie à
quelque chose de résolu que Bessie n'aimait
pas à voir.
Elle se leva et s'approcha de Mme
Tarver.
- Vous n'êtes pas satisfaite,
maman ?
- De quoi serais-je satisfaite ?
répondit aigrement celle-ci. Est-ce que je
ne sais pas de quoi il est question ? Mettre
ces idées dans la tête de Willam,
n'est-ce pas l'irriter encore, lui qui est
déjà si dégoûté
de son travail ? Tout cela est bon pour les
fils de votre oncle qui peuvent y consacrer leurs
loisirs, sans nuire à leur travail. Mais je
sais trop bien quel serait l'effet de cette
invitation sur Willam et je suis résolue
à ce qu'il l'ignore toujours. Donnez-moi ma
lettre.
- Qu'allez-vous faire, maman ?
demanda Bessie inquiète, je n'en ai pas
encore lu la moitié.
- Donnez-la-moi, répéta la
mère en tendant la main.
- Ne voulez-vous pas que je la lise
d'abord ? dit Bessie en fermant
involontairement la main. Il est question de
l'exposition et de ce que feront mon oncle et ses
fils. Laissez-moi lire le reste, maman.
- Donnez-la-moi, vous dis-je,
répondit la mère avec colère,
est-ce votre lettre ou la mienne ?
Pendant que sa fille hésitait
encore, elle arracha la missive de ses mains
tremblantes, traversa la chambre d'un pas rapide,
et jeta tout dans le feu, lettre et
enveloppe.
Bessie s'élança en avant,
comme pour essayer de la sauver, mais les flammes
eurent tout consumé en un instant.
- Maman, maman, s'écria-t-elle
avec désespoir, qu'avez-vous fait ?
Comment avez-vous pu... Que dira
Willam ?...
- J'ai fait ce que j'ai cru devoir
faire ; puisque Willam n'est pas plus
raisonnable, il ne saura rien. Je ne lui en dirai
rien et vous ne lui en parlerez pas non
plus.
Bessie, stupéfaite, croyait que
ses oreilles la trompaient.
- Que dites-vous, maman ?
reprit-elle à voix basse, et en contenant
avec peine son indignation. Je ne dirai rien
à Willam ? Il ne saura
rien ?
- Oui, c'est ce que je dis et ce que je
veux. Je vous défends même de lui dire
que j'ai reçu une lettre de Bournhy.
M'entendez-vous ?
Bessie réprima à
grand'peine un flot de paroles, et répondit
à voix. basse : Je ne sais si je dois
vous obéir, maman, et si je puis promettre
cela.
- Je veux que vous me le promettiez et
tout de suite, car Willam sera ici d'un instant
à l'autre, reprit aigrement la veuve. Que
sait une enfant comme vous ? J'ai mes raisons
pour agir ainsi et vous le verriez si je vous les
expliquais. Voilà Willam ; promettez,
Bessie, promettez-moi vite.
Elle serrait fortement le bras de sa
fille, et Bessie fut effrayée de la sentir
toute tremblante et en proie à une
inexplicable agitation.
Moitié par crainte, moitié
par compassion au souvenir de la soirée,
précédente, elle jugea toute
résistance cruelle et impossible.
- Je le promets, dit-elle tristement, et
elle s'échappa de la chambre pour cacher les
larmes qu'elle ne pouvait plus refouler.
Willam rentrait de joyeuse humeur.
Depuis qu'il avait vu la boîte
sculptée, ses yeux brillaient d'un
éclat inaccoutumé, il se tenait plus
droit, il paraissait heureux, disposé
à causer et à parler de sa visite
à Big-House et de sa rencontre avec la jeune
demoiselle Herbert. Mais il ne dit rien de la
boîte, bien résolu à fuir ce
sujet délicat, car il n'avait pas
oublié sa récente conversation et ne
voulait pas tourmenter de nouveau sa
mère.
La blanchisseuse était aussi
disposée que son fils à soutenir la
conversation, elle redoutait l'air troublé
de Bessie et ne voulait pas que Willam le
remarquât et fit des questions en voyant les
yeux rouges de sa soeur.
Elle redoutait ses enfants depuis qu'ils
étaient en âge de raisonner et
montraient des velléités
d'indépendance.
S'ils se liguaient contre elle au sujet
de la lettre de Bournhy, que
ferait-elle ?
Elle avait assurément une pleine
confiance dans l'obéissance de Bessie, elle
savait qu'elle tiendrait sa promesse, mais elle
redoutait les questions et la persistance de
Willam, si l'absence de sa soeur éveillait
ses soupçons.
- La petite fille de Mme Herbert est
bien gentille, dit Willam.
Bessie se glissa alors silencieusement
à sa place, sans répondre au regard
affectueux et au sourire amical de son
frère.
La blanchisseuse la regarda avec
anxiété et fut bientôt
rassurée en voyant la figure triste et
pâle de Bessie, sur laquelle toute trace de
pleurs avait disparu.
Mais tout danger n'était pas
passé, car Willam, étonné que
sa soeur ne répondît pas à son
accueil silencieux, l'examinait attentivement,
tandis que sa mère
répondait :
- Oui, elle est fort gentille,
quoiqu'elle soit aussi gâtée que
possible, on ne lui refuse rien et on ne la
contrarie jamais. C'est la seule enfant que Mme
Herbert ait conservée, tous les autres sont
morts fort jeunes, vous le savez. Mais où
l'avez-vous vue, Willam ? c'est la
première fois, n'est-ce pas ?
- Oui, répondit-il, j'attends
généralement à la
cuisine ; mais aujourd'hui elle était
chargée par la femme de chambre de me faire
une commission qu'elle oubliait d'abord en
causant.
- Où attendiez-vous, est-elle
allée à la cuisine ?
- Non, on m'avait fait entrer dans la
bibliothèque.
Il retomba alors dans sa rêverie
et resta inattentif aux paroles de sa mère,
car le souvenir de l'enfant était
inséparablement uni au souvenir de la
boite.
- Elle aime à jouir de sa
liberté, reprit Mme Tarver, et les
domestiques disent que quoiqu'elle soit aussi vive
qu'un oiseau, elle est trop bonne pour être
gâtée.
- Willam, silencieux et rêveur, ne
s'intéressait plus à ce qu'on
disait ; le danger étant passé,
la veuve cessa de soutenir la conversation. Le
repas était fini et Bessie arrangea la
table.
Willam se leva en disant qu'il aurait
dû être déjà à la
ferme, et au moment de partir, il demanda à
sa soeur si elle voulait venir le rejoindre
à quatre heures pour rentrer avec
lui.
- Nous reviendrons ensemble, dit-il,
lorsque vous aurez fait vos commissions.
Bessie y consentit, mais son entrain
ordinaire avait disparu ; elle aurait
véritablement beaucoup donné pour
éviter ce jour-là un
tête-à-tête avec son
frère, puisque les circonstances avaient
changé son plaisir en amertume.
Elle avait lu cependant dans ses yeux
qu'il avait quelque communication à lui
faire ; mais comment pouvait-elle être
la confidente de ses craintes et de ses
espérances, avec le poids de sa promesse sur
la conscience ?
Comment lui témoigner sa
sympathie habituelle, quand elle savait qu'on
l'empêchait si volontairement de saisir cette
main tendue vers lui ?
Elle soupira profondément en
mettant la chambre en ordre. Elle était
seule. La veuve redoutant peut-être aussi la
présence de sa fille, était dans la
buanderie, et Charlie jouait devant la
porte.
Les yeux de Bessie tombèrent tout
à coup sur un papier imprimé, volant
sur le plancher, et qu'elle ramassa
promptement.
Une espérance soudaine s'empara
d'elle, lorsqu'en l'ouvrant, elle lut en gros
caractères :
Il n'y avait pas d'erreur !
C'était bien le programme mentionné
par son oncle et qui était tombé par
mégarde. Absorbée par cette chance
favorable, offerte encore à Willam, elle lut
ce qui suit :
« Aux ouvriers et
ouvrières de Bournhy et autres
villages :
« Une exposition industrielle
sera ouverte à Bournhy le 7 avril.
« Nul ne connaît
exactement ses capacités avant de les avoir
éprouvées, et vous verrez tous que
vous pouvez faire beaucoup plus que vous ne le
pensez. Le comité de l'exposition
industrielle de Bournhy désire vous
encourager à faire chez vous un travail
récréatif, et à gagner ainsi
quelque chose.
« Les soirées d'hiver
sont le plus souvent trop longues pour beaucoup de
personnes, voici un moyen de les bien employer en
les faisant passer rapidement.
« Des prix seront
donnés aux meilleurs travaux exposés,
et les articles eux-mêmes seront
vendus. »
Les joues en feu, les yeux brillants,
Bessie lut et relut le programme, en se posant
cette question : le donnerai-je à
Willam ?
Quelle terrible tentation, quel conflit
de pensées diverses !
Avait-elle le droit de lui cacher cette
bonne fortune ? Pouvait-elle ainsi
décolorer sa vie ? devait-elle
être l'arbitre du sort de son
frère ?
Ne le sacrifiait-elle pas à la
crainte puérile de ne pas chagriner sa
mère ? Ne fallait-il pas peser
consciencieusement chacune de ces questions et leur
donner une solution équitable ?
Mais non, une pression terrible
l'oppressait : elle était liée
par une promesse ! Ce n'était plus,
hélas, une question de justice ; sa
parole était engagée.
Il lui semblait qu'elle trahissait son
frère dans un cas et sa mère dans
l'autre, et elle se sentait profondément
malheureuse.
Nul compromis n'était-il donc
possible ? Ne pouvait-elle donner ce programme
à Willam sans lui parler ? Sa
mère lui avait dit seulement :
« Je vous défends de lui parler de
cette exposition et de lui dire même que j'ai
reçu une lettre de Bournhy, » et
elle avait promis de se conformer à cet
ordre, mais en donnant le programme à Willam
elle ne manquait pas à sa parole et sauvait
son frère.
Elle pouvait encore, sans que sa
conscience eût rien à se reprocher,
laisser dans sa chambre ce programme qu'il
lirait : il pourrait ainsi juger
lui-même la question, car leur mère
abusait de son autorité en cachant à
son frère ce qui pouvait lui être si
avantageux.
Elle gagna promptement la petite chambre
de son frère, où elle
s'arrêta.
Elle ne foulait pas aux pieds la lettre
du commandement, mais obéissait-elle bien
à l'esprit qui l'avait
dicté ?
Elle comprit, tout à coup, le
sophisme qui l'avait entraînée et
sentit qu'elle avait eu tort.
Non, elle ne devait pas agir ainsi, bien
qu'en songeant aux sculptures de Willam et au rare
talent qu'elle lui croyait, elle fût
indignée de l'opposition que sa vocation
rencontrait.
- Qu'est-ce qui inspirait leur
mère ? quel était ce secret du
passé qui s'élevait toujours contre
les désirs de Willam ?
Elle voulait obliger sa mère
à donner enfin l'explication demandée
et à laisser Willam libre de prendre une
décision. Combien elle regrettait d'avoir
eu, la veille, la faiblesse d'empêcher son
frère de pénétrer le
mystère auquel ils touchaient et comme elle
se promettait d'avoir plus de volonté
à l'avenir !
Bessie se laissa dominer par des
sentiments bien amers, pendant quelques minutes
seulement, car sa droiture habituelle et la
pensée de sa mère chassèrent
bien vite ses mauvaises pensées.
Ne devait-elle rien à cette
pauvre mère qui s'était usée
par un travail pénible et qui luttait si
vaillamment pour eux ?
La forcer de dire ce qu'elle voulait
taire eût été bien mal
assurément ; il fallait seulement
accomplir son devoir, sans oublier le respect
filial et sa dignité personnelle.
S'il y avait là une voie à
suivre, Dieu, qu'elle avait tant supplié, ne
la lui montrerait-il pas ?
Mais comment saurai-je, se dit-elle avec
angoisse, si cette lettre est une réponse
à mes ardentes prières ?
Où est le chemin où il veut que je
marche ? Est-ce que je ne refuse pas de
répondre à ses appels ?
Quelle lutte amère pour le
devoir !
Où était le bien,
où était le mal ? Que faire dans
cette pénible alternative où elle ne
savait comment séparer l'un de
l'autre ?
Pourquoi n'étaient-ils plus ces
temps antiques, où une voix divine se
faisait clairement entendre pour diriger les
serviteurs de Dieu et où Abraham, Jacob,
Moïse et Job parlaient face à face avec
l'Éternel comme un homme parle à son
intime ami ?
Pourquoi une barrière visible ne
séparait-elle pas le mal du bien ? Il
n'y aurait alors ni doutes ni
hésitations.
Tombant à genoux, la pauvre
enfant recourant à la prière demanda
instamment lumière et secours ; elle se
releva plus calme, plus capable de juger la
situation et crut entendre une voix intime murmurer
ces mots :
- Nous ne devons pas faire le mal,
même pour qu'il en résulte du
bien.
C'était assez, il fallait agir
droitement, laissant le reste à
Dieu.
- Remets ta voie sur l'Éternel et
te confie en Lui, et il dirigera tes pas....
confie-toi, dis-je, à l'Éternel et
attends en repos qu'il te délivre.
La lutte avait été
cruelle, mais Bessie en sortit victorieuse.
- Mère, dit-elle en entrant dans
la cuisine et en posant le programme sur la table,
ceci est tombé de la lettre de mon oncle,
sans que je l'aie remarqué ; je l'ai
trouvé sur le plancher. Il vous prie de le
lui renvoyer quand vous n'en aurez plus
besoin.
Quoique triste et basse, sa voix
n'était pas altérée et elle
quitta la cuisine aussi tranquillement qu'elle y
était entrée.
Mais quand elle eut atteint sa chambre,
elle tomba à genoux et donna un libre cours
à ses larmes amères.
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