Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



UNE VOCATION
(THWARTED)



SECONDE PARTIE
CHAPITRE VII

LE FARDEAU D'UN DOUBLE SECRET.

 Il était près de trois heures quand Bessie et Charlie gagnèrent le village pour faire leurs commissions.

La jeune fille était pale et triste, mais toute autre trace d'émotion avait disparu. Craignant d'éveiller les soupçons de ses frères, elle avait fait tout son possible pour atteindre ce but ; maintenant, elle causait gaiement avec Charlie, espérant qu'il ne l'examinerait pas, et à quatre heures, ils se trouvaient à la borne où Willam devait les attendre.
Son coeur battait à la pensée d'un tête-à-tête avec Willam, et elle voulait garder Charlie auprès d'elle pour éviter toute confidence et éloigner le plus possible l'instant redouté.

Willam était si joyeux à dîner qu'il avait sûrement quelque communication agréable à lui faire au sujet de ses sculptures ; et comment lui répondre avec un intérêt et une sympathie qui étaient devenues pour elle une souffrance réelle ?
Mais à la vue de son frère, tout sentiment d'égoïsme personnel s'évanouit. Quelque changement était évidemment survenu depuis le matin, il ne semblait plus le même et marchait à pas lents, comme pour retarder ainsi une rencontre redoutée.
Son regard radieux avait disparu et il était plus pâle que de coutume.
En s'approchant, il jeta sur Charlie un regard impatient et Bessie comprit qu'il fallait éloigner le petit garçon pour que leur frère aîné pût lui parler.
Effrayée de ce changement, et inquiète de ce qu'elle allait apprendre, elle donna les paquets à Charlie en lui disant de les porter en courant à la maison.
Willam le regarda s'éloigner, puis il dit vivement à sa soeur : Bessie, j'ai perdu ma place.
- Quoi ? s'écria-t-elle.
- J'ai perdu ma place à la ferme, répondit-il, j'ai reçu ce matin mon congé.

Bessie crut que le monde tournait autour d'elle et eut bien de la peine à réunir ses idées.
Le moindre changement était un événement dans sa vie monotone, et maintenant tout arrivait à la fois. Il lui semblait avoir vécu des années depuis ce matin-là, où tous les soucis tombaient sur sa tête sans lui laisser de répit.
La communication de Willam était d'ailleurs si inattendue, si désolante
Le renvoi dont il parlait si tranquillement, était une calamité désastreuse entraînant pour eux tous la ruine et la pauvreté.
Sans les gages de Willam qui formaient une large part des ressources de la famille, que feraient-ils ?
D'autres pensées encore traversaient son esprit, mais elle ne s'arrêta à aucune considération égoïste, son principal souci ne concernait que les autres.
- Oh Willam, Willam ! que deviendrons-nous ?
- Je ne le sais pas, je ne puis encore envisager l'avenir, car j'ai été complètement surpris.
- Et maman, murmura-t-elle, que dira maman ?
- Je ne veux pas le lui dire tout de suite, car il faut auparavant que je réfléchisse un peu. Elle sera tranquille demain encore, mais lundi il faudra bien qu'elle le sache ; d'ici là j'aurai peut-être trouvé moyen de me tirer d'affaire, tandis que maintenant...
- Pourquoi le fermier vous a-t-il renvoyé d'une manière si soudaine ?
- Ce n'est pas aussi soudain que vous le pensez, Bessie. Sans m'attendre à rien de pareil, je voyais, depuis quelque temps, qu'il n'était pas content de moi, parce que je ne puis travailler autant que d'autres. Mais voici le mot de cette catastrophe. Un de ses neveux est venu le voir et lui demander ma place, et comme il est deux fois plus fort que moi, le fermier a été charmé de faire d'une pierre deux coups, en obligeant son neveu et en prenant un meilleur travailleur, ce dont je ne le blâme pas. Il s'est très bien conduit avec moi et m'a donné une indemnité parce qu'il prend tout de suite son neveu. Nous ne mourrons donc pas de faim pour le moment et vous ne seriez pas étonnée de la décision du fermier, si vous voyiez combien son neveu est robuste. Pourquoi, ajouta-t-il, en riant, mes bras ressemblent-ils à des allumettes ?
- Je suis heureuse que vous puissiez rire, dit tristement Bessie.
- C'est étrange, en effet, et je ne sais pourquoi, une fois le premier moment passé, je ne suis pas aussi abattu que j'aurais cru l'être à la perspective du mécontentement de ma mère. Est-ce parce que je suis plus libre que je ne l'étais ? Je ne pouvais abandonner mon gagne-pain, mais puisqu'il m'a abandonné, il me semble plus naturel qu'auparavant, de chercher un autre genre de vie.
- Pourquoi cela ? s'écria Bessie amèrement, quelle ressource nouvelle avez-vous aujourd'hui plus qu'hier ?
- C'est vrai, répondit Willam pensif et plus découragé qu'il ne l'avait encore été.

La pauvre enfant parlait avec angoisse, ne pouvant envisager d'un oeil calme les privations et la pauvreté qui les attendaient. Elle avait le coeur serré en songeant à cette occasion précieuse, à cette chance d'avenir, offerte le jour même à Willam, et que maintenant surtout, il eût été si utile de saisir.
Avec quelle joie n'aurait-elle pas donné à son frère cette petite consolation, cette espérance qui aurait compensé, et au delà, la perte qu'il avait subie !
- Maman changera sûrement d'avis en apprenant ce qui arrive, se disait-elle, c'est le dernier espoir pour Willam.

Mais une pensée soudaine la remplit d'effroi. Si Willam ne parlait à sa mère que le lundi, ne serait-ce pas trop tard ?
La lettre refusant l'offre de son oncle ne serait-elle pas déjà écrite ?
Malheur à eux, s'il en était ainsi !

Le dimanche était le seul jour où sa mère pût écrire et la lettre serait sans doute partie le lundi. Que faire alors ! Détourner Willam de garder plus longtemps son secret et lui persuader de dire tout de suite à leur mère que sa place chez le fermier était donnée à un autre.
Mais comment décider son frère sans éveiller ses soupçons ?
Elle songeait à ce qu'elle dirait s'il lui demandait la cause de cette insistance, lorsque la voix de Willam interrompit brusquement ses réflexions.
- À quoi réfléchissez-vous si profondément, Bessie ? Je vous conte tous mes chagrins et vous ne m'avez encore rien dit.

Il fallait parler, elle aborda courageusement la question :
- Je pensais, Willam, qu'il vaudrait mieux dire, tout de suite, à maman, cette mauvaise nouvelle.
- Oh non ! Il me faut un peu de temps pour réfléchir et m'y préparer.
- Ce serait pourtant mieux, reprit-elle vivement.

Cependant Willam fut inébranlable.
- Vous connaissez maman, Bessie, ses lamentations et ses reproches me tourmenteront et n'attristeront, et il faut qu'après lui avoir annoncé ce contretemps je puisse lui dire quelque chose de bon.
- C'est juste, répondit-elle, tandis que son coeur battait fortement et que sa voix trahissait son agitation, mais si vous avez confiance en moi, parlez aujourd'hui à maman, cela vaudra mieux pour tous.

Surpris de son émotion, il la regarda avec étonnement.
- Pourquoi êtes-vous si étrange et si persistante, Bessie ? Qu'y a-t-il donc ?
- Rien, rien, répondit-elle, très désireuse de changer le sujet de la conversation et renonçant à le faire revenir sur sa décision. Qu'est-ce qui vous rendait si heureux à dîner, Willam ?

L'attention de celui-ci fut immédiatement détournée et il fit une description animée de la magnifique oeuvre d'art de Big-House.
- Elle me poursuit partout, Bessie, ajouta-t-il, je la rêvais sans cesse, et je veux essayer de la reproduire dès que je serai à la maison.

Bessie l'écoutait, le coeur gros et songeant à l'occasion présentée et rejetée le jour même, tandis que son frère retombant dans sa mélancolie habituelle ne l'embarrassait pas par de nouvelles questions.
En arrivant à la maison, il l'embrassa tendrement en lui défendant de se tourmenter à son sujet.
- Espérez, espérez toujours, dit-il, et nous trouverons bien quelque chose.
Et il se retira dans sa petite retraite qu'il ne quitta pas jusqu'à l'heure du souper.
Absorbé par son occupation favorite, il oublia son chagrin, et gagna son lit, heureux de son travail, tandis que sa pauvre soeur, privée d'une telle consolation, s'était endormie avec un coeur bien gros, chargée comme elle l'était du double secret qui l'avait oppressée tout le jour.

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CHAPITRE VIII

LA PARABOLE DES TALENTS

 Le lendemain la famille Tarver assista, comme tous les dimanches, au service du matin.

Après le dîner, Willam sortit pour aller se promener, Bessie s'établit avec un livre près du feu, et Charlie prit une Bible pour apprendre sa leçon pour l'école du dimanche qui avait lieu dans l'après-midi.
Bessie suivait avec anxiété les mouvements de sa mère, tant elle craignait de lui voir écrire une lettre, ce qui arriva en effet.
Mme Tarver chercha papier et encre et s'assit devant la table près de la fenêtre ; puis mettant le programme dans l'enveloppe, elle commença à écrire et Bessie lut à distance
« Mon cher Édouard,
« Je viens vous....

Puis elle se tourna vers le feu, en proie à une indicible angoisse.
Quoique tout espoir fût complètement perdu, elle fit une prière silencieuse, demandant que, même à la onzième heure, sa mère fut détournée de son dessein.
- Bessie, demanda alors Charlie, qu'est-ce qu'un talent ?

Pourquoi l'enfant posait-il une pareille question, comment lui donner l'explication demandée sur un sujet aussi épineux ?
Charlie avait eu souvent recours à l'obligeance de sa soeur, et loin d'accepter un refus, il insista encore.
- Pourquoi demandez-vous cela ? dit-elle pour gagner du temps.
- Parce que nous devons être interrogés cette après-midi sur la parabole des talents, répondit-il.

Bessie vit qu'elle ne pouvait ni éviter de répondre, ni détourner la conversation ; il fallait donc aborder courageusement la question.
Tout en cherchant sa réponse, elle regarda furtivement si sa mère l'écoutait, ce dont elle ne put pas s'assurer, car la veuve, penchée sur la table, lui tournait le clos.
- Un talent, répondit enfin Bessie, accoutumée à se mettre à la portée des enfants, c'est un don que Dieu nous confie pour que nous le développions.
- Si nous ne le cultivons pas, est-ce quand même un talent ?
- Oui, mais un talent inutile. Le serviteur qui avait caché son talent dans la terre, fut appelé pour en rendre compte, et Dieu nous demandera aussi ce que nous aurons fait des talents qu'il nous a confiés, et pourquoi nous les avons enfouis.

Quoiqu'elle parlât d'un ton bas et d'une voix agitée, pas une de ses paroles n'était perdue pour la veuve dont la plume s'était arrêtée et qui écoutait.
Bessie, tournée vers son frère, n'observait plus sa mère et l'entretien continua.
- Je suppose que peu de personnes ont reçu des talents ? dit Charlie.
- Il y en a plus que vous ne le pensez, répondit doucement Bessie, nous en avons tous d'un genre ou d'un autre.
- Quel est celui de maman ? Bessie hésitait à répondre et Charlie ajouta : ne consiste-t-il pas à blanchir, repasser et mettre le linge à la presse ?
- Oui, et elle en fait un bien bon usage.
- Si elle ne blanchissait pas et ne repassait pas, cacherait-elle le don que Dieu lui a confié ?
- Sûrement, mais la force et la santé pour les cultiver, sont aussi des dons de Dieu.
- Quelles sont encore les choses qui sont des talents ? Citez-m'en, Bessie, que tout le monde possède.
- Tout d'abord la vie dont nous devons faire le meilleur usage possible et dont il faudra rendre compte un jour. Si nous l'avons gaspillée, que répondrons-nous au jour suprême où nous paraîtrons devant Dieu ? Le temps, la jeunesse, la santé, la position sont dons que les hommes sont loin d'apprécier à leur juste valeur. Il y a encore des dons particuliers possédés par quelques-uns seulement : l'influence, la fortune, l'intelligence, l'éloquence (comme saint Paul) ; puis nous avons des aptitudes spéciales pour la littérature, la peinture, la musique, la sculpture, etc.
- Je pense, reprit Charlie gravement, que vous avez un talent et un don, puisque notre maître disait l'autre jour que vous aviez le don de l'enseignement. Si vous n'instruisiez pas des enfants, enfouiriez-vous votre talent dans la terre ?
- Je le crois, répliqua-t-elle doucement. La veuve avait posé sa plume et écoutait en silence.
- Ai-je reçu quelque talent particulier, Bessie
- Non, je ne le crois pas.

L'enfant poussa un long soupir de soulagement.
- Et Willam ?

Bessie émue n'entendant plus la plume de sa mère commença à croire que celle-ci l'écoutait. En levant la tête elle aurait pu voir sa mère assise devant sa lettre inachevée.
- Vous le savez aussi bien que moi, répondit-elle d'une voix si basse qu'elle n'était qu'un murmure.
- N'est-ce pas son amour pour la sculpture, dit-il d'une voix assurée ? C'est presque comme découper ou peindre, et c'est un don, n'est-ce pas ?

Bessie incapable de parler fit un signe affirmatif.
- Si Willam ne sculpte pas, cachera-t-il son talent dans la terre ?
- Oui, répondit-elle très bas.

La veuve restait immobile sur sa chaise.
- Sera-ce perdre le talent que Dieu lui a confié ? reprit l'enfant avec une rare persistance, devra-t-il rendre compte à Dieu de ne l'avoir pas cultivé ?
- Non, répondit doucement Bessie, ce n'est pas sa faute, puisque sa position ne le lui permet pas.

La veuve prit sa lettre encore inachevée et la déchira en mille morceaux.
- Merci, Bessie ; maintenant je comprends bien mieux la parabole. Mais je devrais être parti, dit Charlie en rassemblant ses livres, après quoi il sortit en sifflant.

Bessie regardait tristement le feu en songeant avec regret au talent enfoui et à l'occasion perdue, lorsqu'elle sentit qu'on touchait son épaule. Elle se retourna et vit sa mère debout près d'elle tenant l'imprimé.
- J'ai changé d'avis à ce sujet, dit-elle, vous pouvez donner à Willam ce programme dont il fera ce qu'il voudra.

Et elle quitta la chambre avant que Bessie fût revenue de sa surprise.
La première pensée de Bessie fut une silencieuse action de grâce pour la réponse faite à ses prières, puis mettant précipitamment son chapeau elle s'élança à la recherche de son frère.
Comment décrire cet entretien, que dire du joyeux étonnement, du bonheur sans nuage du pauvre garçon ?
Les joues en feu, les yeux animés, il dévora. le programme qu'il serrait convulsivement dans sa main.
Il se couvrit la figure, comme s'il ne pouvait pas supporter la réalisation de ses espérances les plus chères, et fit ensuite d'innombrables questions.
Comment était venue cette invitation ? D'où ? Pourquoi l'avait-il ignorée jusqu'à ce jour ?
Bessie lui raconta ce qu'avait été pour elle ce mémorable samedi, ses tentations, ses luttes, sa complète victoire, et elle fut bien heureuse de son entière approbation. Pour toutes les expositions du royaume, ajouta-t-il, il n'aurait pas voulu qu'elle eût agi autrement.
- Nous ne devons jamais faire le mal pour qu'il en résulte du bien, dit-il, et maman aurait tout d'abord cru que cette perspective était la cause de mon renvoi.

Ils rentrèrent donc doucement, appuyés l'un sur l'autre, bâtissant des châteaux en Espagne sur la grandeur future de Willam et leurs voix heureuses et leurs rires joyeux arrivèrent aux oreilles de leur mère qui les attendait sur le seuil de la porte ouverte.
- Que vous êtes gais, mes enfants, dit-elle comme ils franchissaient la porte du cottage.
- Ce n'est pas étonnant, répondit Willam tout joyeux, et en s'approchant, le programme à la main, pour l'embrasser tendrement.
- Vous êtes encore un enfant, reprit-elle joyeuse aussi, et j'ai peut-être tort de vous pousser vers de pareilles chimères. Mais promettez-moi, Willam, que vous n'abandonnerez pas votre place, n'est-ce pas ?
- Mère, répondit tranquillement celui-ci, ma place m'a abandonné.

La veuve devint très pâle et le regarda d'un air désespéré.
- Oh, Willam ! qu'avez-vous fait ?

Mais après l'explication de son fils, elle exprima vivement son indignation contre le fermier.
- Mon pauvre garçon, disait-elle, ce n'est pas votre faute si vous êtes aussi frêle que votre père.
- Non, maman, mais si vous voyiez celui qui me remplace vous seriez la première à approuver le fermier. Il est très vigoureux, aussi grand et deux fois plus fort que moi. Tenez, approchez-vous vite de la fenêtre et vous le verrez passer.

En un instant, la veuve fut à ses côtés. Sa vanité maternelle était blessée à l'idée qu'un garçon si lourd pouvait éclipser son fils.
- Je n'ai jamais vu un air plus gauche et plus maladroit, s'écria-t-elle, et j'aime mieux vous voir tel que vous êtes, eussiez-vous perdu toutes les places du monde. Quoique mince vous êtes au moins un homme, tandis que cet individu
- À quoi ressemble-t-il, mère ?
- Je n'en sais rien, dit-elle, en s'éloignant avec dédain, mais je ne veux plus penser à tout cela, ce qui m'empêcherait de souper.

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CHAPITRE IX

LE SACRIFICE D'UNE SOEUR.

Willam savait qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud, et craignant que l'avis de sa mère pût se modifier, il entra tout de suite en communication avec son oncle et reçut, en retour, les instructions demandées.

La semaine suivante s'écoula tranquille et monotone. La veuve travaillait plus activement que jamais sans faire aucune question quand Willam disparaissait pendant de longues heures, dans sa petite retraite.
Elle n'aurait voulu, pour rien au monde, retirer la permission qu'elle avait volontairement accordée, mais elle tenait à montrer cependant que son avis étant toujours le même, elle ne s'occupait pas des travaux de son fils.

Bessie, relevée de son secret, et joyeuse d'une espérance qui ne pénétrait guère dans le coeur de sa mère, était de nouveau rayonnante de bonheur, et si elle sentait parfois que son frère pouvait échouer comme d'autres, ses rêves de succès dépassaient, le plus souvent, ceux de Willam lui-même.
Quant à celui-ci, le coeur gonflé d'espoir, et absorbé par son travail, il ne s'inquiétait guère d'autre chose.
Du matin au soir, il travaillait sans relâche, et on voyait, sous ses doigts agiles, un ouvrage d'une rare beauté et qui, ébauché seulement, ressemblait déjà à la boite qu'il avait vue.
Sa grande frayeur était d'en oublier le dessin et cette crainte le tourmentait sans cesse.
Il s'asseyait parfois, la tête dans les mains, les yeux fermés, évoquant sans un succès complet ses moindres souvenirs, pour la revoir nettement. Si parfois il ne se la rappelait pas exactement, d'autres fois aussi les détails lui revenaient si abondants, qu'il craignait d'oublier leur harmonieux arrangement.
Que n'aurait-il pas donné pour la contempler une fois encore, ce qui lui aurait été si précieux !

Un jour, fatigué de tant d'efforts inutiles, il était allé se reposer dans le jardin, mais la promenade effaçait encore plus les souvenirs qu'il voulait réveiller. Comprenant enfin qu'il fallait, pour ce jour-là, renoncer au succès, il alla rejoindre sa mère et causer avec elle, pendant qu'elle défaisait un paquet venant de Big-House.
Tout à coup, il lui sembla revoir la scène de la bibliothèque et la boite dans tous ses détails, comme dans son ensemble.
Inattentif aux paroles de sa mère qui le croyait calmé, il avait repris son regard intelligent et vif.
L'inspiration était revenue, il murmura une excuse et gagna promptement sa chambre pour reprendre son travail.
- Quel garçon ! s'écria la veuve en plongeant son linge dans l'eau, il est fou avec cet ouvrage. Il ne peut écouter ce qu'on lui dit.

Qu'est-ce que Willam avait donc aperçu ? Quelle puissance nouvelle le poussait au travail ?
Où était la vision cachée qui avait éveillé son esprit endormi ?
Le charme inconnu n'était-il pas dû à la présence inattendue de deux petites manches de toile tachées par un bonbon ?

Au bout de quinze jours environ, l'absence des gages de Willam commença à se faire sentir.
Chacun le comprit, sans en faire la remarque, et tout ce qui annonçait l'aisance disparut par degré de la table, car la veuve gagnait seule pour l'entretien de la famille et quelques dépenses étaient même indispensables pour Bessie et Charlie.
Il était évident pour la veuve que cet état de choses ne pouvait pas durer, il lui semblait tout à fait nécessaire que jusqu'au moment où Willam aurait trouvé de l'ouvrage, Bessie renonçât à ses études, pour l'aider dans ses travaux de blanchissage, ce qui était, du reste, le seul moyen d'augmenter leurs ressources.
Elle ne pouvait faire davantage à elle seule, et si elle avait pris une aide, les gages qu'elle lui aurait donnés auraient absorbé le surplus des recettes.
Sachant que ce serait un grand sacrifice pour sa fille, Mme Tarver renvoyait toujours au lendemain pour aborder ce sujet ; elle espérait d'ailleurs que la jeune fille comprenant cette dure nécessité, parlerait la première.

La pauvre mère, absorbée par ses préoccupations, travaillait sans relâche, et disait partout que Willam n'avait plus d'ouvrage ; elle voyait arriver l'avenir avec appréhension. Mais les jours se succédaient, les repas devenaient de plus en plus maigres, et l'aiguillon de la pauvreté se faisait sentir.
Quoique Bessie n'eût rien dit, elle avait parfaitement compris comment tout cela devait finir, elle attendait seulement une occasion favorable.
Mais en rentrant un soir de l'école, elle vit deux enfants étrangers qui jouaient dans le jardin du presbytère, et elle se dit que les visites occasionnaient toujours plus de blanchissage.
Tout était donc fini pour elle ! Le but allait lui échapper ! quelques semaines seulement la séparaient des examens, et elle aurait eu besoin de tout son temps pour se préparer.
Appuyée tristement contre la porte, pendant que les enfants jouaient, elle entendit la femme de charge du recteur qui l'appelait et lui dit :
- Mon maître étant retenu au lit par un rhumatisme, son frère est venu le soigner et a amené sa famille. J'allais justement demander à Mme Tarver si elle peut se charger de leurs blanchissages, et j'espère que vous pouvez me répondre.
- Oui, dit lentement Bessie, nous nous en chargerons.
- Nous aurions aussi besoin d'un journalier pour travailler dans la maison et au jardin, et puisque votre mère a dit que Willam est libre, j'ai pensé qu'il viendrait peut-être, qu'en dites-vous ?

L'hésitation de Bessie disparut, car si elle n'acceptait pas les blanchissages, sa mère accepterait la place pour Willam, et quoique ce fut bien douloureux, elle renonça complètement à ses rêves chéris.
Puisque l'un des deux devait être sacrifié, ce serait elle et non lui, car il fallait, à tout prix, qu'il pût continuer ses sculptures.
Elle refusa donc la place offerte à son frère, et promit que sa mère se chargerait de tout le blanchissage.
- Il vaut mieux que ce soit moi que lui, se répétait-elle en gagnant la maison, et rentrant directement, elle alla raconter tout cela à sa mère.

La veuve fut soulagée d'un grand poids.
- Je suis très fâchée de tout cela pour vous, Bessie, mais vous voyez vous-même qu'il n'y avait pas autre chose à faire.
- Oui, maman, je l'ai parfaitement compris, répondit-elle, mais elle ne parla pas de l'offre concernant Willam, et nul ne connut le sacrifice de cette soeur, si ce n'est Celui qui lit dans les coeurs et auquel nul secret n'est caché.

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CHAPITRE X

LA PETITE FÉE A L'ÉCOLE DES ENFANTS.

Les difficultés de Willam croissaient naturellement à mesure que son travail avançait ; certaines parties étaient relativement faciles, mais d'autres étaient fort délicates et ses souvenirs parfois moins précis.
Il n'avait vu la boîte qu'une fois et sentait qu'un second coup d'oeil aurait supprimé toute difficulté, mais retournerait-il jamais dans la petite bibliothèque ?
Il était donc fort découragé, un samedi soir, dernier jour où Bessie allait à l'école.
Il jeta son canif et se décida à aller rejoindre sa soeur, pour adoucir ses regrets de quitter l'école et lui conter ses angoisses, mais il était parti trop tôt, et arriva une demi-heure avant la fin de la classe.
Il s'assit sur un banc, près de l'école et fermant les yeux, il essaya une fois encore de revoir la boîte.
C'était une belle soirée de printemps, une brise légère caressait sa figure et calmait son agitation, tandis que de jeunes voix chantaient, dans l'école :

C'est une leçon à apprendre,
Essayez, essayez, essayez encore.

Tout, dans ce chant enfantin, depuis la, fraîcheur de ces jeunes voix jusqu'aux cadences mesurées, était en harmonie avec les sentiments de Willam et lui apportait courage et espoir.
Ces voix d'enfants ne lui présageaient-elles pas le succès ? N'est-ce pas à force de persévérance qu'on finit par vaincre toutes les difficultés ?
Les enfants avaient fini leurs chants et tout était redevenu tranquille, lorsqu'il entendit peu à peu le pas rapide d'un poney qui s'approchait et qui s'arrêta tout à coup.
Puis il entendit un rire joyeux et une voix argentine et impérieuse l'appelant : Willam Tarver !
Cependant il ne leva pas les yeux, quoique un sentiment mystérieux et étrange le reportât dans la bibliothèque de Big-House où il aurait tant voulu être.
Il revoyait la boîte dans tous ses détails et désirait que rien ne troublât sa contemplation mentale ; vain espoir !
La petite voix argentine répéta : Willam Tarver !
Il la reconnut et vit à ses côtés le poney et la petite fée dont la présence le transportait, en esprit, a Big-House, et de minute en minute, l'image de la boite se dessinait plus précise devant lui, car ces deux souvenirs étaient pour lui tellement unis, qu'il ne pouvait les séparer.
Les yeux brillants, les cheveux magnifiques de l'enfant, sa petite main délicate, appuyée sur le poney haletant faisaient le fond d'un tableau charmant, encadré par un feuillage luxuriant.
- Ne me reconnaissez-vous pas, dit miss Herbert ? Je vais quitter mon chapeau, et peut-être vous souviendrez-vous de moi ?
- Je vous demande pardon, mademoiselle, dit-il en se levant lentement et en ôtant son chapeau, mais j'étais à moitié endormi.
- Je suis bien heureuse de vous trouver ici, répondit-elle, car je viens selon votre conseil, voir les enfants à leurs leçons et vous me montrerez le chemin.

Willam la regarda avec surprise.
- Faites-moi entrer maintenant, continua-t-elle, en s'élançant à bas de son poney, et venez avec moi, je vous prie, je n'aime pas à aller seule.

Willam resta immobile en dépit des instances de l'enfant gâtée.
- Entrons, reprit-elle, pourquoi ne voulez-vous jamais faire ce que je vous demande ?
- Et le poney, mademoiselle ?
- Il m'attendra. Venez.

Mis ainsi en demeure d'obéir, Willam prit la petite main tendue vers lui, et ils entrèrent ensemble dans l'école.
Bessie faisait seule en ce moment la classe. Le plus jeune des enfants était sur ses genoux, un autre s'appuyait sur elle, un troisième pleurait et tous se pressaient autour d'elle, tandis que la consternation se lisait sur leurs petites figures en apprenant qu'elle ne viendrait plus au milieu d'eux.
Un bruit de pas lui fit lever la tête, et à son grand étonnement elle vit son frère conduisant par la main la petite miss Herbert.
Elle se leva pour s'avancer vers eux, mais les enfants l'en empêchaient, en s'attachant à elle.
- Laissez-moi, mes chéris, murmura-t-elle en essayant de se débarrasser d'eux.

Mais les enfants dominés par la nouvelle qu'elle leur avait annoncée, s'accrochaient à elle en criant : Non, non, ne partez pas ! Restez avec nous !
- Je ne pars pas, répondit-elle, je veux seulement parler à miss Herbert.

Ils se reculèrent alors tout en la suivant avec des yeux craintifs.
La petite fille qui avait attentivement observé cette scène, dit à Willam : Comme ils aiment votre soeur ! Puis s'approchant de Bessie, elle ajouta : Willam Tarver m'a dit que vous leur enseignez la géographie : je voudrais bien assister à leur leçon.
Bessie s'étonnait que Willam eût choisi ce sujet, car les connaissances des enfants étaient très limitées en géographie.
- Ils savent très peu de chose, mademoiselle, ils sont si petits ! mais vous verrez ce qu'ils peuvent faire. Willam, voulez-vous donner une chaise à miss Herbert ?

Bessie réunit ensuite autour d'elle ses petits élèves et leur adressa de simples questions auxquelles ils répondirent fort bien.
Miss Herbert écoutait avec une attention profonde et regardait Bessie avec ses grands yeux mélancoliques.
Après avoir placé un siège auprès de sa soeur, Willam désireux de profiter de cette heureuse inspiration pour reprendre son travail, s'éclipsa sans rien dire.
- Je voudrais qu'on me donnât des leçons aussi agréables, dit enfin la petite fille, c'est plutôt un jeu qu'une leçon.

La jeune institutrice sourit. Vous allez maintenant voir leurs jeux, mademoiselle, ils jouent et chantent en même temps.
Les enfants formèrent bientôt un cercle et commencèrent le Paysan avec mille gestes. La joie de la petite fille n'avait plus de bornes ; s'approchant de plus en plus, elle finit par se mêler à la bande joyeuse, et les écoliers indisciplinés oubliant toutes les règles, terminèrent dans un désordre complet.
Bessie heureuse de voir leur chagrin dissipé les laissa jouer sans contrainte, puis l'heure du départ étant arrivée, elle les rappela à l'ordre.
Retenant miss Herbert à ses côtés, elle fit défiler, deux à deux, les enfants qui saluaient et s'inclinaient en sortant.
La jeune fille suivait avec tristesse chaque enfant qui disparaissait, ses yeux se remplirent de larmes, son coeur se serra douloureusement à la pensée qu'elle ne dirigerait plus jamais leurs jeux, mais contenant enfin son émotion, elle se retourna vers la jeune lady qui regardait tristement la porte ouverte et l'école silencieuse et déserte.
- Que je voudrais qu'ils fussent encore ici, s'écria-t-elle ; je n'avais pas l'idée de tels jeux ! Quel entrain ils ont, comme ils sont heureux ! Je voudrais être une petite fille pauvre, et venir prendre mes leçons avec eux ! Vous leur enseignez si bien et vous les grondez si peu quand ils font quelque bruit !

Bessie soupira. Non, mademoiselle, je ne les gronde pas, je désire seulement qu'ils aiment leurs petites leçons.
À ce moment-là un coup fut frappé à la porte, et le cocher parut en laissant échapper une exclamation de soulagement.
Il raconta à Bessie que sa jeune maîtresse ayant disparu par une route qu'il ne connaissait pas, il l'avait cherchée, sans succès, et avait été fort effrayé de trouver le poney tout seul, à la porte de l'école.
Voulez-vous rentrer maintenant, mademoiselle, continua-t-il. L'heure du thé est passée depuis longtemps et madame doit être inquiète.
L'enfant se leva et chercha autour d'elle.
- Où est Willam Tarver ? Je voudrais lui dire adieu.
- Il est rentré depuis longtemps, répondit Bessie.
- C'est très mal à lui, reprit-elle tristement. il ne veut jamais me dire adieu.
- Il est si occupé maintenant qu'il n'a pas une minute à perdre.

La petite fille calmée par cette explication, se dirigea vers la porte et remonta sur son poney. Je reviendrai bientôt, dit-elle à Bessie en s'éloignant, je reviendrai bientôt voir les enfants jouer et chanter.
La charmante enfant disparut rapidement, le bruit des pas du poney s'évanouit dans le lointain et l'isolement et la tristesse remplirent le coeur de la jeune institutrice.
Tout en répétant les paroles d'adieu de l'enfant, elle retourna dans la salle d'école doublement tranquille et déserte.
- Vous ne verrez plus tout cela, murmura-t-elle, c'est fini pour toujours ! et après un long regard d'adieu, elle quitta tristement ce lieu témoin de ses travaux passés et gagna lentement sa demeure.

Quand les ombres du soir enveloppèrent la vallée, Willam qui avait travaillé sans relâche, inspiré par cette vision bénie, vit avec angoisse son courage s'évanouir aussi.
Posant son canif, il repassa dans son souvenir les incidents de l'après-midi, espérant que l'inspiration reviendrait, mais un demi-sommeil s'empara de lui.
Il se croyait assis à la porte de l'école, écoutant une musique délicieuse, tandis que la petite fée, debout près de la table où se trouvait la boite, lui tendait la main.
Il essayait en vain de saisir ses paroles, lorsqu'elle chanta enfin doucement :

Si le succès semble inaccessible,
Essayez, essayez, essayez encore.

Avait-il dormi, ou non ? il l'ignora toujours, mais quand il reprit son canif, toute difficulté s'était évanouie.


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