Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



MOODY
PÊCHEUR D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.




CHAPITRE PREMIER
UN CAMPAGNARD CHERCHANT SA VOIE

Le foyer paternel. Les origines

Un soir d'hiver, dans une pauvre ferme de la Nouvelle-Angleterre, à travers les volets clos, on entend le vent du nord qui, descendant des solitudes du Canada, souffle le froid, gémit et fait s'entrechoquer les branches des érables. Au logis, tout repose ; seule, la mère veille encore : sur la table, une lampe à huile, un livre, des vêtements d'enfants qu'elle vient de raccommoder. À cette heure, elle a serré son ouvrage et elle se plonge dans de graves pensées ; ses yeux sont baignés de larmes.

Voici peu de mois, son mari lui a été enlevé, jeune encore, en pleine force : il avait à peine quarante et un ans. Pris d'un malaise, il n'a eu que le temps de rentrer chez lui, pour tomber, comme une masse, à genoux devant son lit: le coeur usé sans doute par le travail opiniâtre (car il fallait élever une nombreuse famille), par les soucis que lui causa le lamentable état de ses affaires, par les imprudences d'un caractère insouciant, et aussi - il faut le dire - par un penchant à la boisson auquel, pour complaire à ses voisins, à ses clients, il n'a pas su résister. Betsy Moody-Holton n'a pas trente-six ans. Son fils aîné en a treize ; lors de la naissance du septième enfant, on a tremblé pour la mère ; elle s'était préparée au départ, mais la voilà guérie. Un mois après la mort de son mari, elle a donné encore le jour à deux jumeaux. Elle est frêle de santé. Comment nourrir et vêtir cette ribambelle d'enfants ? Comment garder une maison lourdement hypothéquée?

Les conseils ne lui ont pas manqué, d'autant moins que les détenteurs de l'hypothèque, profitant des circonstances, ont fait saisir tout ce qui pouvait être saisi, jusques et y compris la provision de bois amassée pour l'hiver. Une de ses belles-soeurs lui a écrit :
«...Je puis vous assurer que vous et votre petite bande êtes constamment présents à mon esprit et je serais bien tranquillisée si seulement je vous savais en santé et vos enfants placés dans de bonnes familles, si vous devez vous séparer d'eux. Ce sera sûrement pour vous une rude épreuve. Mais la sage Providence ordonne tout pour notre bien et il vous faut supporter le malheur qui vous frappe avec le courage chrétien qui est le seul moyen d'assurer notre bonheur dans ce monde et dans l'autre... ».

Betsy Moody a cru de son devoir de garder tous ses enfants auprès d'elle ; les plus grands seront bientôt en état de l'aider ; les tout petits ont besoin de ses soins et de son amour. Pourra-t-elle tenir jusqu'à ce qu'ils soient élevés ? Les questions qui l'ont déjà bien des fois tourmentée s'imposent à nouveau. Dans cette soirée d'hiver où le froid pénètre la maison, sa solitude lui pèse comme jamais encore. Longtemps, elle reste courbée par son chagrin, absorbée dans sa douleur. Elle prie, elle expose à Dieu sa peine... Puis, séchant ses larmes, elle ouvre le Livre, cette Bible que son mari a rapportée un jour de Boston, et ses yeux tombent sur cette parole : «Laisse là tes orphelins, moi je pourvoirai à leur subsistance et que tes veuves se confient en moi ! »( Jérémie XLIX, 11). C'est comme un dernier conseil du cher absent. C'est surtout la réponse directe à sa prière, une promesse personnelle du Dieu vivant. Elle relève la tête, elle est sûre qu'Il ne l'abandonnera point. Et sa foi ne sera pas trompée.

Sa foi. Foi de tradition surtout, - on verra comment elle s'enrichit dans la suite - mais singulièrement ferme et vaillante. Elle avait de qui tenir. La famille de Betsy Moody-Holton, et celle de son mari descendaient en ligne directe de ces Pèlerins du «Mayflower», dont un des bas-reliefs du Monument international de la Réformation à Genève rappelle l'arrivée en Amérique en 1620. Pour échapper aux poursuites gouvernementales en Angleterre, ainsi qu'à l'influence de l'hérésie qui les inquiétait dans cette Hollande où ils avaient d'abord émigré, les «Pères pèlerins» s'étaient décidés à chercher au-delà des mers une terre libre où pratiquer en paix leur foi. Avant de quitter le navire, ils avaient signé un pacte ou Covenant fixant les bases religieuses de leur société politique. Ce pacte, pierre angulaire de la démocratie américaine, débute comme suit :
«Au nom de Dieu. Amen. Nous soussignés, nous nous unissons mutuellement par le présent contrat solennel, devant Dieu et en présence les uns des autres, en un corps civil et politique... pour décréter et pour établir telles lois justes et égales qu'il sera jugé opportun et convenable pour le bien général de la Colonie... ».

Betsy Moody-Holton, mère de Moody.

Et, avant de signer, en prêtant serment sur la Bible de Genève, tous s'étaient agenouillés pour la prière.
Ils avaient bâti sur le roc.

Une partie d'entre eux quittèrent Boston en 1633 et, remontant la vallée du Connecticut, commencèrent l'occupation du pays, jusqu'alors possédé par les Indiens, qui devint la Nouvelle-Angleterre. On retrouve le nom d'un Moody sur le monument élevé à Hartford à la mémoire de ces premiers colons. C'étaient des hommes d'un rare courage : ils avaient tout sacrifié à leurs convictions ; ils étaient passionnés d'indépendance, leurs moeurs étaient simples et rudes, mais ils gardaient aussi l'étroitesse d'idées des persécutés. De Hartford, à la suite de divergences ecclésiastiques, un nouveau groupe s'en était allé chercher un établissement plus au Nord. C'est ainsi que, vers 1660, avaient été jetées les fondations de Springfield, de Hadley et de Northampton. Quittant, en 1673, cette dernière localité, un groupe de jeunes gens intrépides et aventureux s'avancèrent jusqu'à la région dont Northfield devait être le centre. Ils furent obligés de se retirer devant les Indiens hostiles qui massacraient impitoyablement ceux qu'ils pouvaient surprendre. En 1685, eut lieu une nouvelle tentative : les colons réussirent, non sans risques, mais finalement dans la paix, à développer cultures et industries qui devinrent bientôt florissantes.

Un Moody avait émigré à Hadley ; un Holton à Northampton, sur le versant opposé de la vallée, et son petit-fils fut l'un des fondateurs de Northfield. C'est là qu'en 1796 Ésaïe Moody vint à son tour, n'ayant, pour toute fortune, que son cheval et ses outils de maçon. L'ouvrage abondait: il se fixa, fonda un foyer. Son fils Edwin, maçon lui aussi, épousa en 1828 Betsy Holton. Les enfants nés de cette union devaient doublement hériter, trésor inappréciable, des traditions de probité, d'énergie et de piété de leurs ascendants puritains.

Northfield est situé non loin de la frontière septentrionale du Massachusetts, près de la «Longue rivière aux eaux agitées», car c'est là, parait-il, la signification du nom de Connecticut que lui ont donné les aborigènes. Le fleuve prend sa source au Canada et, profondément encaissé entre les Montagnes Vertes et les Montagnes Blanches, suit un cours tortueux et torrentiel. Dans la région de Northfield, la vallée s'élargit, l'eau s'apaise : au bruit des cascades renforcé par l'écho des rochers, a succédé celui des moulins. L'horizon est vaste ; on voit alterner prairies opulentes et forêts d'érables ; la contrée est riante ; on y retrouvait encore, il y a cent cinquante ans, les vestiges des établissements et des déprédations des anciennes tribus indiennes, mais l'intelligent labeur des colons la transformait rapidement et faisait valoir les richesses du sol.

Années d'enfance

C'est dans ce cadre, entourée de ces souvenirs et de ces traditions, que la jeune veuve d'Edwin Moody éleva sa nombreuse famille. Tissage et fermage, il fallait travailler dur pour assurer le pain quotidien, pour parvenir à nouer les deux bouts. Heureusement, il y eut des voisins secourables ; les frères Holton, établis à Boston, aidèrent à calmer les exigences des créanciers en payant les dettes les plus criardes et le pasteur du village sut intervenir au bon moment, encourager ; donner de sages conseils pour l'instruction des enfants. Les groupant autour d'elle, le soir, la mère leur racontait les choses du passé bu leur faisait lecture de poèmes chrétiens. Survenait-il quelque dispute entre frères et soeurs, elle se retirait dans sa chambre : «Je priais, disait-elle, et, quand je rentrais vers eux, tout était apaisé».

L'abstinence était de règle. Le dimanche, les aînés allaient à l'église, à quelque distance de la maison. Lorsque l'école de semaine était ouverte, ils la fréquentaient aussi régulièrement que possible. ils apprirent à ne pas perdre de temps. La pauvreté les rendit ingénieux et économes ; elle ne fit pas d'eux des égoïstes. L'exemple de la mère, ferme et tendre à la fois, - limitant strictement la dépense et s'oubliant elle-même, avec cela toujours prête à rendre service à des plus malheureux - exerçait sur ses fils cette influence secrète et profonde de tous les jours dont on ne mesure souvent le prix que beaucoup plus tard.

C'est à cette austère école que se forma celui qui devait marquer de sa forte empreinte des générations de chrétiens brûlant de servir le Maître : Dwight-Lyman, sixième enfant, né le 5 février 1837.

Pendant son jeune âge, rien, sauf un don de parole qui se révéla assez tôt, ne semblait le préparer à une éminente destinée. De connaissances bibliques, il n'en avait guère ; de connaissances générales, moins encore. Car, avec sa nature vive, son besoin d'action, sa santé exubérante, son penchant à l'espièglerie et sa passion pour l'école buissonnière, il ne se plia que très difficilement, mieux vaudrait dire (et il le regrettera lui-même amèrement) qu'il ne se plia pas à la discipline de l'étude. Très vite il s'endormait sur ses livres. Le pasteur Everett qui, quelque temps, essaya de lui donner des leçons, dut y renoncer ayant constaté l'inutilité de ses efforts. Et pourtant les programmes des classes rurales étaient alors bien simplifiés !

Il avait environ dix ans lorsqu'il quitta la maison pour la première fois. Un de ses frères aînés lui avait trouvé une place chez un fermier des environs ; malgré sa résistance, il fallait partir. Longtemps plus tard, il évoquait ainsi le souvenir de cette séparation :
« ... Au matin, nous nous mîmes en route. Arrivés en haut de la colline, nous nous retournâmes pour voir une dernière fois la maison ; nous nous assîmes et pleurâmes. Il me semblait que plus jamais je ne reverrais les miens. je versai des larmes jusqu'à Greenfield. Là, mon frère me conduisit auprès d'un homme si vieux qu'il n'avait plus la force de traire ses vaches. je devais y procéder moi-même, faire les commissions et aller à l'école l'après-midi. je regardai le vieillard et vis qu'il était de fort mauvaise humeur ; je regardai sa femme : elle l'était bien davantage. Bref, au bout d'une heure, qui me parut plus longue qu'une semaine, J'allai à la recherche de mon frère.
- Tu sais, lui dis-je, je retourne à la maison.
- Parce que ?
- Parce que J'ai le mal du pays.
- Le mal du pays ? Cela passera d'ici quelques jours.
- Cela ne passera jamais, répondis-je, et je n'ai pas envie que cela passe.
- Si tu pars maintenant, tu t'égareras ; il fait déjà nuit.

Alors, j'eus peur !
- Eh bien ! je partirai de bonne heure demain.

Mon frère me conduisit devant une boutique et essaya de me distraire en me montrant les étalages : je me souciais bien peu de tout cela ! Ce que je voulais, c'était la maison, c'était retrouver ma mère et mes frères il me semblait que mon coeur allait éclater.

Tout à coup, mon frère me dit :
- Dwight, tu vois ce vieux monsieur qui vient là-bas ? Il va te donner un sou.
- Comment le sais-tu ?
- Parce qu'il donne un sou à tous les garçons qu'il voit pour la première fois.

J'essuyai vite mes larmes ; je n'avais aucune envie que ce monsieur me vît pleurer ; je me plantai au beau milieu du chemin afin d'attirer son attention et je le regardai en face. je me souviens encore de sa bonne et joyeuse figure. Lorsqu'il fut près de moi, il s'arrêta, enleva mon chapeau, mit sa main sur ma tête, et s'adressant à mon frère :
- C'est un nouveau venu, n'est-ce pas ?
- Oui, Monsieur, il est arrivé aujourd'hui même.

Je l'observais pour voir s'il mettrait la main à la poche. Je pensais à mon sou ! Mais je n'y pensai pas longtemps ; mon nouvel ami me parla avec tant de bonté que mon attention en fut captivée. Il me dit que Dieu avait 'un Fils unique qu'Il avait envoyé sur la terre, que de méchants hommes avaient tué ce Fils, et que c'était pour moi qu'il était mort. Il ne me parla que quelques minutes, mais je fus enchanté par ses paroles. Puis, tirant de sa poche un sou si brillant qu'on eût dit de l'or, il me le donna. je crus que c'était de l'or, en effet, et ce que j'ai serré ce sou dans ma main ! Jamais, de toute ma vie, je ne me suis senti aussi riche qu'à ce moment-là. J'ai toujours regretté de n'avoir pas gardé ce sou, ou tout au moins de ne m'être pas rappelé à quoi il fut employé. Il y a cinquante ans que cela s'est passé, mais il me semble sentir encore la pression de cette main sur ma tête et entendre les paroles du bon vieillard. jamais je n'oublierai cette scène ».

De retour à Northfield, Dwight reprit le chemin de l'école, toujours avec aussi peu de succès. Lorsqu'il en sortit, il savait à peine lire couramment, escamotant les mots trop difficiles. Quant à l'orthographe, c'était la mer à boire ! Le dernier hiver pourtant, voyant quel chagrin causaient à sa mère les plaintes que motivait son indiscipline, il s'efforça de mieux faire.

Un seul de ses maîtres eut sur lui quelque empire : ce fut une jeune institutrice. Et voici comment. Tout d'abord, elle ouvrit la classe par la prière ; puis elle annonça son intention de renoncer aux châtiments corporels. Il ne se passa pas un long temps avant que Dwight fût pris en faute ; sommé de rester après la leçon, il se campa dans une attitude d'innocence offensée. Lorsqu'ils furent seuls, la maîtresse lui parla très doucement, dit son vif chagrin de cette désobéissance et sa tristesse de ne pouvoir se fier à lui ; puis elle ajouta :
- J'ai résolu, si je ne puis mener cette école par l'amour, de l'abandonner. Je ne veux pas punir. Si tu m'aimes, essaie de m'aider.

Toute velléité d'opposition tomba du coup.
- Si quelqu'un vous ennuie, s'écria-t-il, je lui donnerai une raclée.

Et, nouveau champion des réformes, il fallut bientôt refréner son zèle, tant il mettait de vigueur à soutenir chevaleresquement l'institutrice. Violent, oui, et d'une violence qui eût pu devenir terrible. Mais il avait aussi du coeur. Et une fois le coeur à Dieu, quelle puissance ! Les années passèrent : le caractère du garçon, volontaire, ambitieux, généreux, sensible et très sûr de lui-même, se formait et s'affirmait plus que ne se meublait son esprit.

Moody a seize ans. Il se croit maintenant un homme. Très développé physiquement, large d'épaules et dur à la fatigue, il est avide de voir autre chose que les horizons de la ferme paternelle et sûr, dès qu'il sera son maître, de se tirer facilement d'affaire. L'existence sans avenir du campagnard lui pèse. La ville l'attire. À la vérité, un premier essai chez un imprimeur sera bien vite abandonné. Le printemps le trouvera faisant, avec l'un de ses frères, métier de bûcheron dans les montagnes. Mais il en a bientôt assez, il jette sa cognée et s'écrie :
«Rester ici me rend malade ; je m'en vais ! »
Au fond, il n'est pas heureux. Il l'avoue lui-même: il déteste le dimanche et, sans cesser pour cela d'aimer sa mère, lui reproche de l'avoir obligé, après avoir trimé aux champs toute la semaine, d'aller encore à l'église écouter un sermon auquel il ne comprend rien.
Sa mère lui a bien appris à prier, mais il n'en voit pas l'utilité. Tout petit encore - il n'avait que six ans - ne lui a-t-il pas dit un jour :
- Prier ne me fait pas de bien, puisque je suis toujours aussi méchant !...

Pourtant, en une autre occasion, il a reconnu la puissance de la prière : de service à la montagne pour garder le troupeau, une lourde barrière lui est tombée dessus, au moment où il se glissait dans une clôture. «... J'essayai de me dégager. Vains efforts. Je criai au secours, mais J'étais trop loin de tout. Personne n'entendait mes appels. Alors, je me dis que J'allais mourir là, tout seul sur la montagne. Peut-être, pensai-Je alors, que Dieu pourrait m'aider ? Je le lui demandai, et, aussitôt, je pus sans difficulté soulever la barrière ... ».

En dépit de cette expérience, il considérait la prière comme une réserve dans les cas extrêmes, lorsqu'on a épuisé tous les autres moyens. Et Dwight restera toujours plus convaincu qu'il est capable de se tirer d'affaire tout seul !

À Boston. Orientation nouvelle

Deux frères de sa mère, commerçants établis à Boston, sont venus en visite à Northfield.
- Oncle, demande à brûle-pourpoint le garçon à l'un d'eux, as-tu une place pour moi dans ton magasin? Me prendrais-tu chez toi ?..

L'oncle interroge sa soeur :
- Faut-il le prendre?
- Non, intervient George, frère aîné de Dwight, il aurait tôt fait de ruiner ton commerce

La conversation en reste là.
Peu de mois plus tard, le jour de ses dix-sept ans, contre la volonté de sa mère et de son frère, Dwight, tenace dans son dessein, quittait le foyer paternel et s'en allait faire sa vie lui-même à Boston. Au moment du départ, George lui glissa dans la main un billet de cinq dollars : c'était là tout son avoir. Ainsi, pauvrement muni, Moody arrive chez son oncle, comme en visite, trop fier pour demander assistance et conseil. Il est sans emploi, mais ne doute nullement d'en trouver un sous peu. Hélas ! quinze jours se passent en recherches vaines. Personne ne veut engager ce campagnard robuste, au regard vif et droit, mais sans instruction ni manières. Il faudra, humiliation cruelle, recourir aux bons offices de la famille. Fort heureusement, l'oncle Samuel consent à le recevoir et lui offre une place à l'essai. Toutefois, connaissant son neveu, il posera ses conditions :
- Dwight, lui dit-il, je crains que si tu entres chez moi, tu ne veuilles bientôt tout diriger. Or, les employés doivent faire leur travail comme j'entends, moi, qu'il soit fait. Si, de ton côté, tu n'as pas honte de demander qu'on t'aide lorsque se présentera quelque chose qui t'embarrasse, si, d'autre part, tu promets de fréquenter l'église et de suivre la classe biblique, de n'aller nulle part où ta mère n'aimerait pas que tu ailles, nous verrons comment cela pourra marcher. je te donne jusqu'à lundi pour me répondre.

Sagement, Dwight réfléchit et accepta. La leçon avait porté. Ses récentes expériences avaient abattu sa confiance en lui. Il s'était senti affreusement seul et désormais, gardera une profonde sympathie pour tout jeune homme isolé dans la grande ville. Lorsque quelque quarante ans plus tard, sa parole attirera la foule, on l'entendra évoquer les heures où, jadis, il avait été si proche du désespoir :
«Il me semblait qu'il y avait place pour tout le monde sauf pour moi. Pendant deux jours entiers, j'eus le sentiment que nul ne me viendrait en aide... J'arpentais les rues dans l'espoir de trouver une occupation. Comme je sentais mon coeur chavirer lorsqu'on me repoussait brutalement ! Mais que quelqu'un me dise : « Je suis bien peiné pour vous ; je voudrais vous aider, mais ne le puis : vous verrez ça ira bientôt mieux, vous vous en sortirez ! » et je m'en allais tout heureux, le coeur léger. La sympathie m'avait fait du bien ».

Ce rustaud était un sensible.
Reçu commis dans le magasin de chaussures Holton, Dwight eut bientôt l'occasion de faire valoir les dons qui sommeillaient en lui. Il avait la bosse du commerce. Très vite au courant du travail, il fit preuve d'initiative. Rompant avec les habitudes, pour ne pas dire avec la routine de la maison, il abordait les passants pour leur offrir sa marchandise, arrêtait les visiteurs, fondant sur eux «comme une araignée sur sa proie». Tant qu'il fut là, ses gains restèrent modestes, mais, au point de vue professionnel, le séjour à Boston ne fut pas sans avantage : pour sa vie intérieure il devait être décisif.

Moody au moment de son départ pour Boston.

Première étape spirituelle

Samuel Holton avait dirigé son neveu vers l'Église congrégationaliste dont, pendant de nombreuses années, il avait été lui-même un membre influent. Le pasteur de cette église de Mount-Vermont était un prédicateur à l'éloquence entraînante, comprenant la jeunesse ; il ne tarda pas à éveiller et à gagner la confiance de Dwight, qui eut cependant quelque peine à se faire à ce milieu de bourgeois aisés. Assez enclin à juger autrui, il n'épargnait pas les critiques à ces «gens pieux et riches» qui regardaient de haut les nouveaux venus. L'orgueil grondait en son coeur mais quelqu'un l'aida à le vaincre : sa tante.
- Les gens pieux et riches te fatiguent, lui 'dit-elle. Regarde plus haut. Aimes-tu l'Eglise? Oublie le reste !

Ce que n'avait pu faire, pour son jeune paroissien, le pasteur de Mount-Vermont, si dévoué, si excellent fût-il, un moniteur de l'École du Dimanche, Édouard Kimball, y réussit. Il s'était attaché à ce nouvel élève tombé au milieu de son groupe, silencieux, replié sur lui-même et encore si étranger à la Bible que les autres garçons se gaussaient à le voir empêtré dans la recherche de quelque passage. Mais, une fois, au cours d'une étude sur la sortie d'Égypte, Dwight, interrompant le moniteur, osa cette exclamation
- Vrai, ce Moïse devait être un type épatant !

Kimball se mit à prier spécialement pour sa conversion sous les dehors frustes il voyait une âme à gagner. Et comme il ne pensait pas avoir accompli toute sa tâche lorsqu'il avait expliqué à ses élèves la leçon du jour, il les suivait, cherchant à établir avec eux des relations personnelles. Un jour, il surprit le jeune homme en plein travail d'emballage. Ce n'était peut-être pas le moment le plus favorable à un entretien religieux ! De quoi lui parla-t-il? Il ne s'en souvenait guère : «Sans doute lui ai-je dit quelque chose du Christ et de son amour ; c'est à peu près tout ». Mais ce peu suffit à toucher profondément ce coeur d'adolescent. «Je puis sentir encore la main de mon moniteur se poser amicalement sur mon épaule», racontait-il plus tard. «C'était la fin de lamatinée. Les cloches sonnaient midi. je sortis alors et marchai comme dans un rêve. Tout m'apparaissait sous un jour nouveau. Le soleil était plus éclatant, les oiseaux semblaient chanter pour moi seul, j'étais prêt à aimer les hommes et la création toute entière»...

Faut-il ici, parler déjà de conversion ?
Oui, mais à la condition de ne pas entendre sous ce mot une expérience complète du salut, la conviction du péché et de l'oeuvre rédemptrice du Christ. Ces expériences-là viendront plus tard : elles constitueront d'ailleurs le centre de sa doctrine.

Bien longtemps après, prêchant à Boston, l'ancien élève d'Édouard Kimball s'exprimera comme suit: « ... Un jour, vous lirez que Dwight L. Moody, de Northfield, est mort. N'en croyez pas un mot. je serai alors aussi vivant que je le suis aujourd'hui. je serai monté plus haut, voilà tout : sorti de cette vieille demeure d'argile pour entrer dans une demeure éternelle ; revêtu d'un corps que la mort ne touchera plus, que le péché ne souillera plus, un corps semblable à Son corps glorieux. Je suis né de la chair en 1837. Je suis né de l'Esprit en 1854. Ce qui est né de la chair peut mourir. Ce qui est né de l'Esprit vivra éternellement».

Et la preuve qu'il est né à une vie nouvelle c'est que, tout de suite, il témoigne de ce que Dieu a fait pour lui. Il faut qu'il communique à d'autres sa joie. Il parle avec sa rude franchise et toute sa naïveté, non sans offusquer bien des gens, mais point à tort et à travers comme on pourrait le penser, exagérant ce manque d'éducation qu'on lui a souvent reproché. N'a-t-il pas en lui un fond de distinction native, un don de sympathie qui adoucit les angles et tempère les rudesses de son caractère ? L'oeuvre de la grâce a commencé.

Dwight a exprimé le désir d'être reçu membre de l'Église. Mais sa première demande ne sera pas agréée : connaissances bibliques, expérience chrétienne trop rudimentaires ! À la question : «Qu'est-ce que le Christ a fait Pour vous et qu'est-ce qui vous engage à lui vouer amour et obéissance ? », il ne sut répondre que ceci : «Je pense qu'il a fait de grandes choses pour nous tous, mais je ne sache pas qu'il ait fait pour moi rien de spécial ! ... ».

Son moniteur lui-même convint qu'une telle réponse était bien insuffisante. «Je dois dire, pour être sincère », écrivait-il à des amis, «et en proclamant cela, je glorifie la grâce infinie de Dieu qui a reposé sur lui, que, j'ai vu peu de personnes dont l'esprit fût plus enténébré que le sien lorsqu'il entra dans mon groupe ; et Je crois que le Conseil de l'Église a rarement rencontré candidat moins apte à devenir un chrétien éclairé. À plus forte raison, ne semblait-il pas destiné à exercer jamais une influence étendue et profonde »...

L'adolescent ne se laissa pas décourager par ce premier échec. «C'était ce qu'il me fallait», écrira-t-il, «pour que je me misse à étudier les Écritures ». Un an plus tard, il se présentait de nouveau et cette fois fut admis. Le registre de l'Église donne sur son admission les précisions que voici :
«12 mars 1856, M. Moody pense qu'il a fait quelque progrès depuis sa dernière démarche, au moins en connaissances. Il a persévéré dans la prière et dans la lecture de la Bible. Il croit que Dieu l'exaucera. Il est décidé à rester fidèle à la cause de Christ... »

Désormais, de toute son ardeur, il tendra à ce but. Mais c'est ailleurs que s'affirmera sa personnalité. Dans sa profession, autant que dans son église, Dwight se sent un oiseau en cage. D'une part, il se heurte constamment à des méthodes périmées, à des traditions qui paralysent son besoin de mouvement et de nouveauté ; d'autre part, on persiste à le tenir à l'écart, on semble se défier de lui, on ne l'appelle pas à l'activité alors qu'il ne demande qu'à se rendre utile. Incompris, il rêve d'une vie plus indépendante. Ah ! que ce Boston est donc arriéré ! Voyez plutôt Chicago, la cité de demain... Bientôt sa décision est prise. Sans en parler à personne (de peur qu'on ne le dissuade) et possédant tout juste l'argent du voyage, le voici qui, le 13 septembre 1856, se tourne vers la magique cité de l'Ouest.


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