MOODY
PÊCHEUR
D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.
CHAPITRE IV
CRISE INTÉRIEURE - TOTALE
LIBÉRATION
Vie trop
remplie
Une lettre que, pendant les années de
guerre civile, Moody écrivit à l'un
de ses frères, donne le programme de ses
journées et renferme un aveu significatif :
«Je ne réponds pas à une
lettre sur dix que je reçois ; il est chaque
jour onze heures ou minuit quand je puis m'aller
coucher et je me lève à l'aube.
J'aimerais que tu viennes une fois an moment de mes
réceptions : tu verrais le monde qui
m'attend ! Je n'ai pas cinq minutes à moi
pour étudier, aussi dois-je parler comme
ça vient ! ».
Or, depuis cette époque,
d'année en année, ses tâches
s'étaient étendues, multiples et
absorbantes. Continuer à une telle allure ne
pouvait aboutir qu'à un rapide
épuisement. Serait-ce là le
résultat de cette passion toute
désintéressée pour les
âmes et de cette foi sincère et
active.
Par la grâce de Dieu, ce n'est pas
à un effondrement - redouté par
lui-même et quelques-uns de ses amis - que
l'on va assister, mais, bien plutôt, à
un laborieux et profond effort de sanctification.
Dans ce travail intérieur, Dieu et Moody
eurent leur part : Moody par son
indéfectible humilité entretenue dans
la prière, Dieu par Sa Parole. On ne dira
jamais assez la merveilleuse puissance qu'exerce,
dans le secret des coeurs, la Parole divine,
épée de l'Esprit ; c'est le plein
exaucement de la prière d'intercession du
Christ pour ses disciples : «Sanctifie-les par
ta Vérité ; ta Parole est la
Vérité».
Mais Dieu agit aussi par les témoins
qu'Il a placés à côté de
nous ou qu'Il nous a fait rencontrer au moment
favorable. C'est par eux qu'Il se
révèle à ceux qu'il veut
former pour Son service et c'est par eux qu'Il
communique Son Esprit.
Voyons d'abord ce qui en est de Moody
lui-même.
Le malaise qu'il éprouvait à
la vue de son ignorance et des lacunes de son
éducation allait s'accentuant. Souffrance
d'orgueil ? Non certes, mais de ne pas accomplir
comme il le faudrait l'oeuvre du
Maître, souffrance de se sentir
inférieur à la tâche. Son
humilité, le sauvant de l'aigreur et du
découragement, lui faisait accepter avec
gratitude observations et critiques ; par elles il
saisissait toute occasion d'étendre le champ
de ses connaissances. il aimait à
rechercher, à recevoir l'aide de ceux qui
lui étaient supérieurs en culture et
en expérience, à solliciter leurs
conseils. Il aurait voulu se remettre à
l'école, suivre des cours ; il n'en eut
jamais le temps. Par bonheur ! dirons-nous,
songeant qu'il risquait d'y perdre quelque chose de
sa spontanéité, de sa puissante
originalité, songeant aussi que les livres
pouvaient diminuer la force de son inspiration
prophétique ; car enfin, ils ont plus d'une
fois tué les prophètes que Dieu avait
suscités et dont Il voulait se servir !
Moody a été l'homme du LIVRE
qu'il n'a cessé de sonder et de commenter.
Ce fut, à l'École du dimanche et dans
toutes ses activités, son seul manuel, mais
un manuel encore imparfaitement connu. Au
début, pour réveiller les âmes,
on l'a vu insister sur la Loi plus que sur la
Grâce, compter sur la peur plus que sur
l'amour. En vérité, devait-il
s'étonner que. le résultat de ses
efforts fût parfois infécond ? Des
temps d'abattement profond suivaient les
journées les plus remplies, les
conférences les plus émouvantes. Il
ne cessait de prier et de solliciter l'intercession
de ses amis: Dieu ne devait-Il pas les exaucer.
N'était-ce point Lui qui entretenait, dans
l'âme de son serviteur, la faim et la soif de
Sa Parole ?
Moody raconte à ce propos comment il
fut guéri du découragement.
«Certain lundi, après avoir
prêché la veille, sans aucun fruit,
semblait-il, je me sentais tout à fait
abattu. Assis à mon bureau et ruminant sur
mon insuccès, je reçus la visite d'un
jeune homme qui dirigeait un groupe biblique d'une
centaine d'adultes. Je le vis très heureux,
tandis que moi j'étais au fond de
l'abîme.
- Comment s'est passée votre
journée d'hier, me demanda-t-il ?
- Misérablement, lui dis-je. Je n'ai
rien obtenu et me sens très
découragé. Et vous, qu'avez-vous
fait
- Ma journée a été
magnifique. Je n'en ai jamais en de meilleure.
- Ah ! Quel sujet traitiez-vous ?
- La vie et le caractère de
Noé. Avez-vous jamais prêché
sur Noé? Avez-vous jamais
étudié sa vie?
- J'avoue que non. je croyais savoir assez
bien tout ce que la Bible raconte sur lui. Toute
son histoire tient en quelques lignes.
- Vous feriez bien alors de l'étudier
maintenant. Cela vous aidera. Noé est un
personnage admirable...
Lorsque le jeune homme m'eut quitté,
Je pris ma Bible et quelques autres livres, et me
mis à lire tout ce que je pus trouver sur
Noé. je n'étais pas encore
très avancé dans ma lecture quand
cette phrase surgit et se fixa dans mon esprit :
«Voici un homme qui a travaillé
cent-vingt ans sans voir une seule conversion en
dehors du cercle de sa famille. Et malgré
cela il ne s'est pas relâché ! ...
».
Je fermai le livre. Les nuages
s'étaient dissipés. je sortis pour
aller à la réunion de prières
de midi. J'y étais à peine
arrivé qu'un homme se leva et dit venir
d'une petite ville de l'Illinois où, la
veille, on avait admis dans l'Église pas
moins de cent jeunes convertis. En
l'écoutant, Je méditais en
moi-même : «Qu'est-ce que Noé
aurait donné pour entendre cela, lui qui n'a
jamais vu pareil résultat de son labeur...
»
Après quoi, un homme assis
derrière moi se leva et dit
- Je tiens à vous demander de prier
pour moi : Je voudrais devenir
chrétien.
Je pensai : «Qu'est-ce que Noé
aurait donné pour entendre cela, lui qui n'a
entendu aucune âme implorer la grâce de
Dieu, et qui ne s'est pas découragé
pour autant ? »
Depuis ce jour, conclut Moody, je n'ai plus
jamais suspendu ma harpe aux saules du
rivage.»
Et c'est dans ces dispositions qu'il reprit
son travail.
Mais trop d'éléments humains
encombraient encore cette existence
débordante. Le service joyeux du
début pouvait se transformer en servitude.
Toujours reste vraie la parole de Vinet :
«L'exercice du ministère tue l'esprit
du ministère si rien, au-dedans, ne
l'entretient». C'est là, dans ce lent
et laborieux effort fait de dépouillement,
de renoncements et de progrès successifs,
que Dieu l'aida en lui donnant de précieux
compagnons de route.
Le
rôle d'une épouse
Au premier rang de ces « ouvriers avec
Dieu » doit figurer celle en qui Moody trouva
J'aide semblable à lui », un vrai don
du ciel, la femme vertueuse et active dont le livre
des Proverbes dit que celui qui la trouve, trouve
le bonheur.
Emma-Charlotte Revell était fille
d'un constructeur de bateaux d'origine anglaise,
venu s'établir à Chicago en 1847
à la suite de revers de fortune.
Intelligente, elle avait poursuivi ses
études en vue d'obtenir le brevet
d'institutrice, brevet qu'elle n'utilisa
guère, s'étant fiancée
à dix-sept ans, et mariée à
dix-neuf ! Assurément, elle fit preuve de
confiance en acceptant une situation qui ne lui
offrait aucune garantie d'avenir, car pour se
consacrer exclusivement à
l'évangélisation, son époux
venait de renoncer à une carrière
rémunératrice.
D'éducation soignée et de
nature plutôt réservée, cette
jeune femme ne craignit pas d'associer sa vie
à celle d'un être bouillant, brusque,
dépourvu de manières. Pourquoi? Parce
qu'elle partageait son ardente foi et avait reconnu
ses qualités profondes et son coeur aimant.
Sans s'imposer jamais, elle sut polir les angles de
ce caractère, l'adoucir sans l'affaiblir,
lui donner avec grâce des conseils sur la
façon de se conduire en
société, ou de rédiger ses
lettres (car - il ne faut pas le dissimuler - Moody
resta longtemps brouillé avec l'orthographe
!). Elle fit de leur home familial le sanctuaire
où son mari venait chercher, dans le
recueillement, l'inspiration nécessaire
à ses incessants travaux, la retraite
paisible où il renouvelait ses forces, le
foyer hospitalier où ses nombreux amis
aimaient à se rendre. Largement, elle prit
sa part des responsabilités dans l'oeuvre de
son compagnon de route. De plus, elle partagea ses
diverses activités extérieures.
À l'École du dimanche d'abord : rien
de plus naturel, puisque c'est là qu'ils
s'étaient rencontrés ! On raconte
à ce sujet que, peu après leur
mariage, un visiteur se montra fort surpris, pour
ne pas dire scandalisé, de trouver un groupe
d'hommes; presque tous dans la quarantaine,
dirigés par une très jeune
personne.
- Comment, s'écria-t-il, ose-t-on
confier pareille tâche à une jeune
fille, assurément
inexpérimentée ? Le directeur
répondit brièvement qu'elle s'y
entendait assez bien. Quelques instants plus tard
l'importun revenait à la charge.
Moody
à 33 ans avec sa femme, en 1869.
- Voulez-vous me dire, je vous prie, M. Moody,
qui est cette monitrice ?
- Bien volontiers : c'est ma
femme !...
De plus Emma se chargea de presque toute la
correspondance, tint les comptes, aida souvent
à la préparation des discours. Et,
que de fois dans des campagnes
d'évangélisation, ne la vit-on pas se
vouer à la cure d'âmes qui prolonge et
approfondit l'heureux effet des appels? Au
témoignage d'estime que lui rendait son
époux en lui confiant souvent des cas
difficiles, ajoutons celui d'un tiers :
«Nous venions de faire la connaissance de
Mrs. Moody, écrivait une amie d'origine
écossaise, mais un jour suffisait pour voir
quelle source de force et quel appui elle
était pour son mari. Plus j'eus l'occasion
de la rencontrer et plus je pus me convaincre
qu'une bonne part de sa puissance lui venait
d'elle, non seulement par ce qu'elle a fait pour
lui, mais par ce qu'elle était par
elle-même. Sa pensée
indépendante - car elle fut loin de
n'être qu'un écho impersonnel de la
pensée de son seigneur et maître ou un
simple reflet de sa volonté -, son calme en
face de la force impulsive qui le
caractérisait, son humilité, sa
grande noblesse de caractère, sa
sincérité, sa pureté
cristalline ont été pour le grand
évangéliste une aide incomparable
dans son oeuvre aussi ardue
qu'épuisante.»
Moody devait confirmer hautement cet hommage
lorsque, sur son lit de mort, il fit cette
suprême confidence à celle qui,
trente-cinq ans, avait été sa
fidèle compagne :
- Maman, tu as été pour moi la
meilleure des femmes ! ...
Premier séjour en
Angleterre
Les «Frères de Plymouth»
rencontrés par Moody au début de sa
carrière l'avaient frappé par la
ferveur de leur piété et par leur
connaissance approfondie des Écritures.
Aussi désirait-il, en allant assister
à l'une des assemblées qu'ils
tenaient annuellement en Grande-Bretagne, prendre
contact avec ces géants de la Parole de Dieu
dont les livres l'édifiaient.
Voyant son mari plus absorbé que
jamais, toujours inquiet, et incapable de dissiper
son trouble intérieur, Emma Moody ne put
qu'encourager ce projet. Comme elle
souffrait elle-même de
crises d'asthme qu'un voyage en mer pourrait
peut-être soulager, tous deux
décidèrent subitement de quitter
l'Amérique au printemps de 1867.
Parmi les relations personnelles que ce
séjour devait favoriser, il faut signaler
d'abord celles que Moody contracta avec
Charles-Haddon Spurgeon, l'éminent
prédicateur baptiste dont il avait lu toutes
les publications. Dès son arrivée
à Londres, il se rendit au Metropolitan
Tabernacle où l'orateur prêchait
chaque dimanche, saisissant au surplus toute
occasion de l'entendre ailleurs. Le coin de galerie
où il avait pu trouver place lui fut,
dit-il, «un Béthel». Et
l'amitié qui. naquit de ces relations lui
devint une force.
D'autre part, engagé comme il
l'était dans le mouvement des Unions
chrétiennes de jeunes gens, il ne pouvait
rester indifférent à l'effort qui se
poursuivait en faveur de la jeunesse londonienne.
Il vit George Williams (1)
, assista à des
séances où on le fit parler de ses
propres expériences et, partout où il
le put, recommanda les réunions de
prières quotidiennes comme une source
particulière de bénédiction
pour le rapprochement des chrétiens
(2).
D'emblée sa simplicité
charmante et sa brusque franchise
s'imposèrent à tous. Au cours de
l'une des assemblées des
sociétés religieuses qui se tiennent
chaque année à Londres, au mois de
mai, on lui avait demandé, selon l'usage, de
présenter une «résolution»
pour remercier le haut personnage qui avait
présidé la séance et qui
n'était autre que le très
estimé lord Shaftesbury. On l'annonça
comme suit :
- Notre cousin américain, le pasteur
Moody, de Chicago, va vous proposer de voter des
remerciements au noble comte.
Moody se leva, dédaigneux de toutes
les formes conventionnelles :
«Le président, dit-il, a
commis deux erreurs : tout d'abord, je ne suis pas
M. le pasteur Moody, je ne suis que Dwight
L.Moody - je m'occupe
d'Écoles du dimanche. En second lieu, je ne
suis pas voire cousin d'Amérique ; par la
grâce de Dieu, je suis voire frère,
m'intéressant comme vous à l'oeuvre
que le Père céleste accomplit pour
Ses enfants. Maintenant, en ce qui concerne les
remerciements «au noble comte», je ne
vois pas pourquoi nous aurions à le
remercier plus qu 'il n'aurait, lui, à le
faire. Lorsqu'il y a quelque temps, on voulut louer
noire grand président Lincoln d'avoir
présidé une assemblée, il s'y
opposa, disant qu'il avait essayé de faire
son devoir, comme ses auditeurs avaient
essayé de faire le leur. À son avis,
tous étaient quittes ! ... »
Par cette entrée en matière,
assez inattendue, Moody gagna d'un seul coup la
sympathie de ses auditeurs et le trait fit
fortune.
À d'autres occasions, il stimulait.
le zèle des unionistes en les poussant
à entreprendre des campagnes
d'évangélisation et à faire de
la propagande jusque dans les établissements
publics, ce qui ne fut pas sans provoquer une vive
opposition. Passant à Bristol, il tint
à visiter les fameux orphelinats de George
Müller : «Il a cent cinquante
élèves», écrit-il
à sa mère, «et ne demande jamais
un centime. Il fait appel à Dieu et Dieu
envoie l'argent nécessaire. C'est
merveilleux de voir ce que Dieu peut faire d'un
homme qui prie !».
Si bref qu'ait été ce premier
séjour de quatre mois en Grande-Bretagne, il
permit au ménage Moody de gagner de
précieuses amitiés qui devaient
faciliter grandement le travail ultérieur.
Rendant compte du dîner d'adieux qui fut
offert au «cousin d'Amérique», un
Journaliste nota : «Peu d'hommes visitant
un pays étranger se sont créés
en si peu de temps autant d'amis ; peu d'hommes
arrivant sans lettres de recommandation ont su
conquérir l'affection d'un aussi grand
nombre de frères à qui ils
étaient jusqu'alors complètement
inconnus».
De retour aux Etats-Unis, Moody reprit son
activité itinérante, gardant un
très reconnaissant souvenir à ceux
qui l'avaient si fraternellement accueilli et
encouragé. Une lettre à l'un de ses
hôtes en fait foi : « ... Dieu
travaille dans notre pays. Plus de huit cents
membres se sont joints à notre Union
chrétienne de jeunes gens depuis mon retour
; ils viennent à nous de toutes les
Églises. Nous sortons en bande de vingt
à cent et tenons des réunions en
plein air dans la ville. Ensuite, nous dirigeons
nos auditeurs vers les Églises, et
quelques-unes, parmi les plus
riches et les plus conservatrices, ont ouvert leurs
portes toutes grandes pour recevoir la foule qui
avait assisté à notre réunion.
On entend de tous côtés la même
question : Que dois-je faire pour être
sauvé ? Priez Pour que Dieu me garde dans
l'humilité près de Lui... ».
Deux
hommes, deux méthodes
Si Moody s'était senti attiré
par une instinctive et vive sympathie vers
Spurgeon, rien par contre ne le poussait à
se lier avec un jeune évangéliste
qui, en Angleterre, vint se présenter
à lui et annonça son intention
d'entreprendre une campagne
d'évangélisation aux Etats-Unis.
Déjà le fait d'offrir lui-même
ses services marquait, aux yeux de Moody, une
singulière outrecuidance. De plus, ce
personnage, nommé Henry Moorehouse (il avait
alors vingt-sept ans, mais n'en paraissait que
dix-sept), continuait à se faire ou à
se laisser appeler «the
Boy-preacher», le
garçon-prédicateur. Or, Moody avait
horreur de toute réclame qui lui semblait
incompatible avec la dignité de
l'Évangile. Il ne put vaincre ses
préventions et repartit pour
l'Amérique sans attendre Moorehouse.
Celui-ci prit le bateau suivant et commença
ses réunions à New-jersey,
d'où il écrivit à son
correspondant pour lui annoncer son arrivée
prochaine et renouveler ses avances. À quoi
l'homme de Chicago répondit, non sans
froideur : «Si l'on doit vous voir dans
l'Ouest, venez me faire visite ».
« Je pensais qu'après cela
» raconte Moody dans ses souvenirs personnels,
je n'entendrais plus parler de lui. Mais je
reçus bientôt une nouvelle lettre me
disant qu'il n'était pas loin de nous. Je
lui répondis comme la première fois.
Peu de jours plus tard, troisième message
précisant qu'il arriverait un certain jeudi,
à Chicago et qu'il me remplacerait
volontiers le dimanche. je ne savais que faire,
m'étant fourré dans la tête
qu'il ne pouvait monter en chaire. Comme je devais
m'absenter, j'avertis les anciens de mon
Église qu'un jeune Anglais se
présenterait pour prêcher à ma
place, mais que j'ignorais s'il en était
capable.
- Faites un essai préalable - leur
dis-je - et, s'il prêche bien, vous saurez
si, oui ou non, vous devez annoncer qu'il
présidera le service du dimanche matin.
Sitôt rentré, j'eus hâte
de savoir comment le «Boy-preacher»
s'était tiré de son épreuve
initiale.
- Eh bien ? dis-je à ma femme.
- On l'a beaucoup aimé,
répondit-elle.
- Toi-même, qu'en penses-tu ?
- Je l'ai fort apprécié et je
crois que tu penseras comme moi, même s'il
prêche d'autre façon que toi.
- Comment cela ?
- Il dit aux plus grands pécheurs que
Dieu les aime.
- Alors, il se trompe.
- Mais c'est sur les Écritures qu'il
s'appuie : tu ne peux être en
désaccord avec lui !
Le dimanche arriva. Je remarquai que tous
les auditeurs s'étaient munis d'une Bible et
qu'il indiquait d'une façon précise
les passages sur lesquels se basaient ses
affirmations. Le soir, l'église était
comble, et il reprit le même texte :
Jean III, 16.
Je n'avais pas encore compris que Dieu nous
aimât à ce point. Mon coeur
s'émut ;Je ne pus retenir mes larmes.
C'était comme de bonnes nouvelles arrivant
d'un pays lointain. je m'en délectais. Toute
l'assemblée était à l'unisson.
Je vous assure qu'il n'y a rien qui attire en ce
monde comme l'amour.
Lundi, mardi, les jours suivants, Moorehouse
continua de traiter le même sujet et il
termina la série par ces mots : «J'ai
essayé de vous montrer combien Dieu vous
aime. Mais je ne sais que balbutier... ».
Humblement, Moody accepta la
leçon que le jeune prédicateur venait
de lui donner. Humblement, Moody l'écouta
lorsqu'il lui dit en particulier :
- Vous êtes sur une mauvaise voie.
Mais si vous changez et prêchez les paroles
de Dieu et non les vôtres, Il fera de vous
une grande force.
Et Moody changea. «Il y eut un
temps où je prêchais que Dieu hait les
pécheurs et je poursuivais chacun d'eux avec
une épée à deux tranchants,
prêt à les pourfendre tous. J'ai
changé d'idées sur ce point
».
C'est, on le voit, à cette
rencontre, redoutée d'abord mais
providentielle, qu'il dut une attitude
nouvelle.
Ainsi fut-il, une fois de plus,
ramené à l'étude de la Bible.
Comme il pensait et déclarait devoir
absorber quantité de livres, Moorehouse lui
répondit :
- Vous n'avez besoin que d'un seul.
- Mais, reprit Moody, vous-même
n'en avez-vous pas étudié beaucoup
pour arriver à une pareille connaissance des
Écritures ?
- Je suis l'homme d'un seul livre,
répliqua Moorehouse. Si un texte
m'embarrasse, je cherche dans l'Écriture un
autre texte qui l'éclaire ; et si je n'y
arrive pas, je remets la difficulté
directement à Dieu.
Dès lors retentirent d'autres
accents dans la chaire de North-Market. Au lieu
d'accrocher à une parole biblique un
discours dans lequel il exposait avant tout ses
propres pensées, les illustrant d'anecdotes
inspirées par son expérience de la
vie, Moody se plongea dans la lecture suivie du
Livre des livres. S'attachant à une
biographie, à un sujet
déterminé, il simplifia ses discours.
Se dépouillant du ton oratoire qu'il avait
cru devoir adopter au début, il eut moins
recours, pour réveiller les consciences,
à l'efficacité d'exhortations
enflammées. «Les paroles humaines ne
servent à rien ; donnez les paroles de
Christ, elles sont esprit et vie. Les
églises seraient vite remplies si ceux du
dehors pouvaient, en y entrant, constater que ceux
du dedans les aiment. C'est cela qui attire les
pécheurs. Il nous faut les gagner à
nous pour pouvoir les gagner à
Christ».
Rappelant ailleurs le souvenir de sa
rencontre avec Moorehouse, Moody déclarera
ceci : « Je retins le mot amour, et je ne
sais combien de semaines je mis à
étudier les passages où ce mot
revient, jusqu'à ce que je ne pusse
m'empêcher d'aimer tout le monde. Je m'en
étais nourri au point que l'ambitionnais de
rendre meilleures toutes les personnes avec qui
j'entrais en relations. J'en étais
pénétré jusqu'aux moelles.
Prenez, vous aussi, ce sujet. Sondez-le dans votre
Bible. Vous en serez tellement
pénétré que tout ce que vous
aurez à faire sera simplement de laisser
s'ouvrir votre coeur. Alors se répandra le
flot de l'amour de Dieu »...
L'orateur et le musicien : Moody et
Sankey
Quelque deux ans plus tard, Moody
rencontra l'homme dont le nom allait devenir
inséparable du sien : Ira D. Sankey.
D'origine anglaise par son père,
irlandaise par sa mère, Sankey était
né en Nouvelle-Angleterre. Il appartenait
lui aussi au milieu puritain. Sa
conversion, tout comme celle de Moody, avait
été préparée et
encouragée par son moniteur d'École
du dimanche et par un simple marguillier. Il avait
alors seize ans. Peu après, sa famille alla
s'installer à Newcastle où il fut
admis dans l'Église méthodiste
épiscopale et, à vingt ans
déjà, on lui confiait la direction
d'une classe biblique de trois cent cinquante
élèves. C'est là que se
révélèrent ses dons musicaux.
Il aimait à «chanter l'Évangile
dans le coeur de ses enfants». Placé
à la tête d'un groupe d'adultes et
appelé à la présidence d'une
Union chrétienne de jeunes gens
récemment fondée, il ne tarda pas
à comprendre que son premier devoir
était de se mettre sérieusement
à l'étude de la Bible. Il acquit
ainsi une remarquable maturité spirituelle.
Vint la Guerre de Sécession. Engagé
volontaire, il revint au bout de trois mois et
entra au département des finances où
son avenir était assuré. Mais il
continuait à mettre ses forces au service de
l'Église, participant avec joie à des
campagnes de réveil ou à des
congrès unionistes. Il excellait à
traduire dans ses chants la bonne nouvelle de
l'Évangile et nombre de ses cantiques
devaient connaître une rapide
popularité. Sans être
l'élève d'aucun conservatoire, il se
révélait musicien de race, tout comme
Moody, sans posséder aucun diplôme,
s'était révélé orateur
éminent.
C'est au congrès annuel des
Unions chrétiennes de jeunes gens,
convoqué, en 1870, à Indianapolis,
que tous deux se rencontrèrent pour la
première fois. Dirigé par un
vieillard fort respectable, le chant traînait
lamentablement ; la séance traînait
comme le chant, au désespoir de Moody que
l'on avait porté à la
présidence. Ce que voyant, un voisin poussa
Sankey du coude, lui soufflant à
l'oreille
- Entonnez donc quelque chose, vous
!
Sankey se leva et chanta l'un de ses
cantiques.
Sitôt la séance
terminée, Moody fond sur lui. Sans autre
préambule, un bref dialogue s'engage
:
- Où demeurez-vous ?
- À Newcastle.
- Marié?
- Oui !
- Combien d'enfants?
- Un.
- J'ai besoin de vous pour m'aider
à Chicago.
Ira D.
Sankey, collaborateur de Moody.
- Je ne puis quitter ma place !
- Il le faut. Voilà huit ans que
je vous attends. Vous allez lâcher votre
emploi et venir avec moi. Vous chanterez, je
parlerai.
Sankey réclama huit jours de
réflexion. Avant la fin du cinquième,
il était démissionnaire. Pareille
décision entraînait pour lui un
sacrifice matériel considérable. Mais
est-ce que cela compte lorsqu'à travers
Moody l'appel est venu de Dieu ? Sankey
obéit et, dès l'année
suivante, commença cette admirable
collaboration qui devait durer vingt-huit
années, collaboration doublée d'une
amitié que rien ne voila jamais.
Ces deux hommes étaient faits
pour s'entendre. À maints égards, ils
avaient passé par le même chemin :
conversion dans des circonstances analogues,
zèle commun pour la cause de
l'Évangile, semblable amour pour la
jeunesse, désintéressement et esprit
de consécration pareils. Tous deux
étaient convaincus de l'importance que peut
avoir le chant dans l'évangélisation,
à cette différence près que
jamais Moody n'a pu émettre deux notes
justes, alors que son ami, en plus d'une oreille
impeccable, était doué d'un organe
hors de pair.
«Voix d'un timbre particulier, a-t-on
écrit, voix qui émouvait
profondément, voix très douce et qui
néanmoins portait à de grandes
distances... Dès qu'il en faisait usage, un
silence passait sur la foule comme si des anges la
frôlaient de leurs ailes. Il semblait que,
derrière le chanteur, le Christ
lui-même était apparu... »
Prédicateur et chantre jugeaient
que la valeur permanente d'un cantique
dépend de la vérité qu'il
proclame, «La musique - disait Moody - est
comme les plumes de la flèche ; elle aide
les mots à pénétrer Jusqu'au
coeur». Néanmoins, prise pour
elle-même, elle le laissait
indifférent. Quand à Sankey, loin de
faire d'elle le but unique de ses efforts, il
tenait à ce que, exclusivement
composées de chrétiens, les masses
chorales aient leur part dans le témoignage
à rendre.
«La musique doit garder son rôle
de servante car, lorsqu'elle veut être
maîtresse, l'Évangile descend au rang
de timide prince-consort ». Sankey et
Moody entendaient que l'Évangile eût
toujours la première place.
Ce fut là le secret de leur
influence.
Forces à
l'oeuvre
Ainsi, entouré de ses proches,.
soutenu par ses collaborateurs et par des amis
fidèles qui pourvoyaient à ses
besoins (ne lui firent-ils pas don d'une petite
maison toute meublée où il pût
être entièrement à soi ?),
Moody voyait s'étendre sans arrêt le
champ de son action. Par bonheur, apparemment
inaccessible à la fatigue, il voyait aussi
se renouveler ses forces ; mais le malaise
intérieur naguère ressenti ne
s'était pas totalement dissipé. Que
manquait-il donc à son ministère
?
Parmi les auditrices de North-Market,
l'orateur avait remarqué deux dames
âgées qui suivaient avec attention les
réunions du milieu du jour. Leur attitude,
leurs regards pénétrants ne
laissaient pas de le gêner. Leur
présence le troublait, mais, chose curieuse,
leur absence lui était pénible. Se
rendaient-elles compte que la voie qu'il suivait
n'était pas selon la volonté de Dieu,
parce que, dans son travail, les activités
extérieures tenaient une place excessive
?
Moody, de son côté,
reconnaissait que toute ambition personnelle
n'était pas morte en son âme :
revenant à d'anciens errements ne lui
était-il pas arrivé de se
prêcher lui-même au lieu de
prêcher Christ ? Il se souvenait de la parole
que, longtemps auparavant, un chrétien
âgé lui avait un jour adressée
: «Jeune homme, lorsque vous parlerez de
nouveau, honorez le Saint-Esprit ! ». Et, au
lieu de s'appliquer à prêcher la
Parole de Dieu, n'était-il pas
retombé dans le simple exposé de la
morale humaine ?
À l'issue d'un service,
s'approchant du prédicateur, l'une des
soeurs murmura :
- Nous avons prié pour
vous.
- Pourquoi ne priez-vous pas pour les
auditeurs?
- Parce que c'est vous qui avez besoin
de la puissance du Saint-Esprit.
Il comprit que ces «mères en
Israël» voulaient son bien, qu'elles
l'aimaient vraiment. Mais il eut conscience
qu'à leurs yeux le vieil homme en lui
était encore vivace, qu'il avait plus d'un
progrès à faire, plus d'une
lumière à recevoir. De cela, il fut
profondément humilié. Et sa femme sut
lui dire avec courage :
- Elles ont raison.
«Oui, j'avais besoin de puissance,
reconnaîtra-t-il plus lard, mais je croyais
la posséder, celle puissance ! Mon auditoire
était le plus important de Chicago et
j'obtenais de nombreuses conversions jusqu'à
un certain point, je pouvais être satisfait.
Or, sans se lasser, ces deux femmes continuaient
à prier pour moi, et ce qu'elles me dirent
de la nécessité d'être
revêtu du Saint-Esprit vie donna fort
à réfléchir. Je finis par leur
demander de venir me voir. Elles vinrent. Nous nous
agenouillâmes. Elles répandirent leur
coeur devant bleu et Le supplièrent de me
donner la plénitude de Son Esprit. Je sentis
alors s'éveiller en moi comme une grande
aspiration vers quelque chose que je ne connaissais
pas encore. Je criai à Dieu comme jamais ne
l'avais fait. Je sentis qu'en réalité
peu m'importait de vivre davantage si je n'obtenais
pas celle puissance dont on me
parlait»...
Bien des épisodes devaient se
produire avant que cette aspiration devînt
une réalité.
L'incendie de
Chicago
En effet, vers la même
époque, et au cours d'un voyage en
Californie, Moody replié sur lui-même
et en proie à un douloureux sentiment de
solitude, était resté longtemps
livré à ses méditations. On le
sentait de nouveau glisser sur la pente du
découragement, cette faiblesse dont sont
menacés tous ceux qui travaillent en
s'appuyant sur leurs propres forces. Fallait-il
changer de méthode, organiser des
réunions, des conférences, des
concerts variés, quelque attraction nouvelle
pour ramener les foules qui semblaient se
détourner de la prédication de
l'Évangile. Pourtant, lorsqu'il avait
entendu Spurgeon, Müller, Moorehouse,
n'avait-il pas vu, comme à l'oeil, la
puissance de la vieille et toujours jeune doctrine
? «O Dieu, aie pitié de moi !
», s'écriait-il. «C'est en moi que
quelque chose cloche. Corrige-moi ! Je ne veux plus
continuer sur celle voie ! ... ». Et tout
aussitôt les souvenirs des rencontres, des
expériences, des bénédictions
du passé remontent à son coeur,
l'émeuvent et l'éclairent. L'homme,
qui tout à l'heure faiblissait, se ressaisit
et rentrera à Chicago décidé
à ne prêcher désormais autre
chose que le pur et simple message biblique, sans
se préoccuper de savoir si la chose plaira
ou non.
Aussitôt il commence, avec l'aide
de Sankey, une série d'études sur les
grandes personnalités de la Bible. Et la vie
de revenir dans l'Eglise. En dépit des
chaleurs torrides de l'été, les
auditoires grandissent. En septembre, on
étudie la vie du Christ ; la puissance
d'En-Haut est agissante. Tous les dimanches, plus
de trois mille personnes se pressent à
Farwell Hall.
8 octobre 1871. Avant l'exhortation
finale, Sankey entonne le cantique :
Aujourd'hui jésus
t'appelle,
Cherche ton refuge en Lui !
Voici la tempête et la nuit...
Moody, qui à pris pour texte la question
de Pilate : «Que ferai-je de ce Jésus
qu'on appelle Christ ?», presse ses auditeurs
d'y réfléchir jusqu'au dimanche
suivant où, au pied de la croix du Calvaire,
il leur demandera à tous de prendre une
décision. Puis, il congédie
l'assemblée.
Or, à cette heure même,
voici qu'on entend sonner le tocsin. Un incendie,
activé par un vent violent, vient
d'éclater et, deux jours durant, se
propagera avec une vitesse effroyable. Des
quartiers entiers sont réduits en cendres.
Des milliers de familles restent sans abri. Le
bâtiment neuf de l'Union chrétienne de
jeunes gens l'un des premiers du genre), et combien
d'autres sont la proie des flammes
(3) .
Rentrés chez eux en hâte, le
prédicateur et les siens trouvent leur
maison menacée. Il faut la quitter tout de
suite sans vouloir rien emporter. Pourtant Mme
Moody demande à son mari de l'aider à
décrocher un portrait auquel elle tient
particulièrement.
- Quelle plaisanterie, ma
chère ! tu me vois rencontrant des amis dans
la même situation que nous : - «Ah !
vous voilà, Mr. Moody ! Heureux que vous
ayez pu échapper. Et que portez-vous
là de si précieux ? »... Que
diraient-ils si je leur répondais : «
... Mon portrait» !
Arrachant la toile à son cadre,
Emma décide de s'en charger
elle-même.
Longtemps après ces
événements (c'était pendant
l'Exposition universelle, la
World's Fair, de 1893), le grand
évangéliste évoquait le
terrible épisode : «Je veux vous
dire quelle leçon j'ai apprise cette
nuit-là ;je ne l'ai jamais oubliée.
La voici : quand je prêche, insister pour que
ceux qui m'écoutent se donnent à
Christ sans délai ; essayer de les amener
à une décision immédiate.
J'aimerais mieux maintenant me couper la main
droite que de donner à mes auditeurs une
semaine de réflexion pour examiner s'ils
veulent suivre jésus. On m'a souvent
critiqué. On m'a dit : «Moody, vous
paraissez vouloir contraindre les gens à se
décider sur le champ ; pourquoi ne leur
donnez-vous pas le temps de réfléchir
? Ah ! j'ai bien des fois demandé à
Dieu de me pardonner d'avoir, ce jour-là,
renvoyé chez eux mes auditeurs en leur
laissant une semaine de réflexion. Tant que
Dieu me conservera la vie, plus jamais je ne le
ferai. Dans quelques minutes, nous allons nous
séparer. Peut-être ne nous
retrouverons-nous plus jamais. N'y a-t-il pas dans
cette pensée quelque chose de solennel ?
».
Cette «nuit d'octobre» fut aux
Etats-Unis l'occasion d'un splendide élan de
solidarité. Églises et Unions
chrétiennes de jeunes gens se mirent
immédiatement à l'oeuvre pour
secourir ceux qui avaient tout perdu, la chose
étant d'autant plus urgente qu'on se
trouvait à l'entrée de la mauvaise
saison. Avec son ardeur coutumière et tout
son sens pratique, Moody fut au premier rang des
réparateurs de brèches. Cependant, on
le vit, au bout de quelques mois, abandonner la
présidence du Comité de secours,
certains le trouvant trop généreux
dans sa façon de répartir les
subsides. Aussitôt, il reprit son rôle
de simple collecteur et d'évangéliste
itinérant.
Vers
la libération
C'est durant la tournée des
collectes destinées à
l'érection du bâtiment qui devait
remplacer le temple incendié qu'il fit enfin
l'expérience de sa complète
libération intérieure, cette
libération après laquelle il avait
tant soupiré : grâce de Dieu, pure
grâce, qui fit de lui un témoin de
l'Évangile d'une exceptionnelle
puissance.
Un jour qu'à Brooklyn, retombant
dans son travers habituel, il avait
recommencé de prêcher comme il le
faisait auparavant, une auditrice
lui dit à brûle-pourpoint :
- Nous avons assez de prêches par
ici ! Dites-nous donc quelque chose de la Bible ;
cela nous sera une bénédiction
infiniment plus grande !
Dès le lendemain,
l'évangéliste se borna à une
simple lecture expliquée et s'en
tint-là les jours suivants. Sans tarder, la
vie revint dans cette Église. Le bruit en
étant parvenu à Philadelphie, Moody y
est appelé : mêmes études de la
Bible et même résultat. De
Philadelphie il passe à New-York. Là,
un soir de novembre, tandis qu'il chemine dans les
rues, n'ayant point le coeur à sa besogne de
quémandeur, et qu'il supplie Dieu de l'aider
dans sa détresse, la joie, une joie divine,
tout à coup l'envahit. Ce fut une sorte
d'ivresse exaltante. Chaque pas qu'il faisait
était scandé d'un «Gloria»
ou d'un "Alléluia" qui retentissaient au
fond de son coeur. Et cette prière montait
ardente : «0 Dieu, pourquoi ne m'obliges-tu
pas à marcher avec Toi, toujours ?
Délivre-moi de moi-même ! Prends la
direction absolue de ma vie !»
Profondément ému, il court s'enfermer
chez un ami et reste seul de longues
heures.
Évoquant plus tard dans un cercle
intime ce moment solennel de sa vie, il avoua que
les mots lui manquaient pour décrire la
force qui le subjuguait. Trop longtemps, il avait
essayé de puiser l'eau d'un puits qui
semblait vide. Malgré ses efforts, elle
n'était venue que faiblement. Mais,
dès ce jour, Dieu avait fait jaillir en son
âme une source qui ne devait jamais
tarir.
Lorsqu'il revint à Chicago
où, peu à peu, la ville se relevait
de ses ruines, on put, grâce aux dons
recueillis, édifier avant la fin de
l'année, un grand bâtiment de bois qui
servit de salle de réunions et devint le
refuge, ouvert jour et nuit, où
quantité de malheureux purent venir
s'abriter. Moody et Sankey s'installèrent
tant bien que mal dans un coin de la salle : il
fallait, le soir, boucher, comme on pouvait, les
trous du plancher et les fentes des parois pour
conjurer l'invasion du froid, de la pluie et des
courants d'air.
Le «North Side
Tabernacle» édifié par Moody
après l'incendie de Chicago.
Le 24 décembre, jour de l'inauguration,
une foule avait rempli le local ; plus de mille
enfants étaient là,
accompagnés de leurs parents. Pour
procéder à la dédicace, Moody
ouvrit le Livre de Vie. Et que découvrit-il,
devant lui ? Les deux fidèles soeurs qui,
l'ayant d'abord fait trembler, l'avaient par la
suite si profondément
réconforté. D'elles
lui vinrent ces simples paroles : « ...
Après le feu, il y eut une voix comme un son
doux et subtil ! ... Marchez devant Dieu tous les
jours de votre vie. L'Éternel a
travaillé pour VOUS ».
Totalement
consacré
Une dernière expérience
devait couronner toutes celles qu'il avait faites
durant ces années d'activité intense
et de luttes intérieures souvent
humiliantes. Laissant cette fois sa famille en
Amérique et confiant à Sankey la
direction de l'oeuvre de Chicago, Moody repartit
pour la Grande-Bretagne, afin d'y revoir ses amis
et d'assister à Dublin aux
conférences dites de Mildmay. Pourquoi ne
pas réaliser ainsi un ancien et très
cher désir : se rendre là-bas non
pour enseigner mais pour écouter et
apprendre?
Sitôt débarqué en
Irlande, il fait la rencontre, chez un ami, de
l'évangéliste Henry Varley, et c'est
pendant une conversation générale
qu'il entend ces mots, prononcés non point
à son intention mais aussitôt
gravés dans son coeur en traits
ineffaçables :
«Il faut que le monde voie
maintenant ce que Dieu peut faire, avec, pour,
par et dans un homme qui Lui est pleinement et
absolument consacré.»
Le surlendemain, se trouvant à
Londres, il retourne au Tabernacle de Spurgeon,
à la place même qu'il occupait en 1867
lors de sa première visite. Et tout en
écoutant son éminent ami, il se sent
poursuivi par les mots qu'il a entendus à
Dublin.
«Le monde doit voir... par un homme
entièrement consacré.. ». Un
homme ! Varley pensait à un homme comme les
autres ; il n'a pas dit qu'il dût être
particulièrement instruit ni brillant... Un
homme ! Eh bien ! avec le secours de l'Esprit,
pourquoi ne serait-ce pas moi ? » Soudain,
Moody saisit quelque chose qu'il n'a pas
réalisé jusqu'ici. Ce n'est pas
Spurgeon qui est à l'oeuvre. C'est Dieu
utilisant Spurgeon. Dieu en lui ! Alors, pourquoi
n'utiliserait-Il pas les autres aussi ? Pourquoi ne
nous mettrions-nous pas tous aux pieds du
Maître et ne Lui dirions-nous pas:
«Envoie-moi ! Emploie-moi ! ».
Puis il partit pour se rendre dans la
paroisse du pasteur Lessey qu'il
devait remplacer. C'est là qu'habitaient
deux soeurs dont l'une était infirme. Ne
pouvant assister au culte public, cette
dernière s'était mise à prier
pour le réveil, et, ayant eu connaissance de
l'oeuvre qu'accomplissait à Chicago Dwight
L. Moody, elle demandait à Dieu de lui
envoyer tôt ou tard son serviteur. Ce
jour-là, comme la soeur valide revenait du
culte et lui disait : «Devine qui nous avons
eu ce matin ! », l'infirme, ignorant
totalement que l'évangéliste
américain fût a Londres, salua sa
venue par ces mots :
- Je sais ce que cela signifie. Dieu a
entendu mes prières.
Et, le soir même, le réveil
éclatait.
Ceux qui entendirent Moody les jours
suivants eurent l'impression très nette que
cet homme était devenu une force de Dieu.
Quant à lui, il eut comme la vision de ce
que pourrait produire un réveil de masses en
Grande-Bretagne. Et c'est dans cet esprit qu'il se
mit à la disposition du Maître.
À ce même moment, trois
chrétiens de ce pays, d'un commun accord,
lui demandèrent de consacrer plusieurs mois
à une vaste campagne
d'évangélisation. Ils
l'invitèrent à se libérer de
ses obligations pour revenir le plus tôt
possible. De plus, à eux trois, ils
garantissaient son entretien et le traitement de
tout auxiliaire qu'il jugerait utile d'engager. Ils
promettaient d'avancer aussi les frais de
voyage.
Qu'allait faire Moody ?
Aucune hésitation possible ! Une
telle proposition ne répondait pas seulement
à ses désirs, elle était
l'exaucement de sa prière :
«Me voici, emploie-moi»
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