MOODY
PÊCHEUR
D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.
CHAPITRE V
PREMIÈRE CAMPAGNE DE RÉVEIL EN
ANGLETERRE (1873-1875)
Le messager et le
message
- Pourquoi donc repartir si vite ?
opposa-t-on à Moody lorsque, rentré
en Amérique, il annonça son nouveau
projet de voyage.
- Pour gagner dix mille âmes
à Christ
On pouvait se demander, non sans raison,
s'il était bien opportun d'abandonner
l'oeuvre commencée à Chicago,
notamment l'effort d'assistance aux
sinistrés et la campagne financière
pour l'achat d'un terrain et la reconstruction du
«Tabernacle», car la halle provisoire
construite en 1871 s'avérait insuffisante.
Mais Moody voyait les choses autrement. Il estimait
achevée son oeuvre de pionnier. Il
déclarait volontiers que la
communauté groupée autour de son
École du dimanche et devenue une
Église digne de ce nom, pouvait se
développer en toutes autres mains que les
siennes. il se sentait et se savait appelé
au travail spécial de
l'évangélisation ; Sankey partageait
ses vues et leurs épouses se
déclaraient prêtes à les
accompagner.
Pleins de confiance en la direction
divine et sûrs de l'appui qui leur avait
été garanti, tous quatre se
préparèrent au départ.
Mais les mois s'écoulaient sans
qu'aucun message des amis d'Angleterre vint
confirmer les promesses que l'on sait.
L'été passa. L'hiver aussi.
Lassé d'attendre et toujours
décidé à partir coûte
que coûte, parce que Dieu le voulait, Moody
s'en fut retirer les quelque quatre cent cinquante
dollars qu'il avait à la banque. Mais cette
somme (toutes ses économies !) couvrait tout
au plus la moitié des frais de voyage.
Malgré tout, il se rend à New-York.
Au dernier moment, surgit le fidèle Farwell,
l'ami de la première heure ; il vient saluer
les voyageurs et remet à Moody un
chèque de cinq cents dollars en ajoutant :
«Ceci pourra vous être utile
là-bas ». Utile certes ! et même
aussitôt ! Quant à ce qui suivra...
à la garde de Dieu ! ...
Avec les enfants qui seront reçus
chez des parents ou des amis, voilà nos gens
en route. Sankey a pris avec lui le petit harmonium
dont il ne se sépare jamais, la
«boîte à sifflets
diaboliques», comme la nommeront
irrévérencieusement certains
Écossais hostiles à l'introduction
dans les temples de la musique instrumentale. Outre
l'orgue portatif, il a toujours sous la main
l'album sur les pages duquel seront couchées
les mélodies et les vers de sa composition.
Moody, lui, emporte simplement sa Bible et un
certain nombre de grandes enveloppes dans
lesquelles il glisse des notes, des plans de
prédications, des réflexions, des
anecdotes et faits divers qui aideront à
préciser son message.
Les grandes lignes n'en varieront
jamais, car l'Évangile lui-même jamais
ne varie. Mais, suivant les circonstances et les
milieux, tel ou tel aspect du message sera mis en
relief plus qu'un autre. Au centre, toujours la
bonne nouvelle de l'amour de Dieu en
Jésus-Christ, amour saint, amour
rédempteur révélé par
la vie et la mort du Sauveur, amour qui cherche
l'homme perdu, pour le sauver : de là,
proclamation de la gravité du
péché et de la joie du salut, appels
à la repentance, à la conversion,
à des décisions immédiates, le
tout appuyé sur des déclarations,
illustré par des exemples et confirmé
par des faits tirés de la vie courante.
Ainsi sera démontrée, en face de la
misère et de l'impuissance radicale de
l'homme pécheur, la puissance actuelle de la
grâce divine, la puissance du Sauveur vivant.
Moody disait volontiers : «Je suis de ces
gens à la vieille mode qui croient à
la Bible. Je crois - et c'est littéralement
vrai - que, pour quiconque l'étudie avec
l'aide de l'Esprit, des fleuves de
vérité couleront de son
sein..».
Les mêmes sujets, le même
message, oui ! mais la façon dont Moody les
présente est si frappante, si directe, son
accent si convaincu, que ses auditeurs ne se
lassent pas de l'entendre. L'un d'eux décrit
ainsi l'impression ressentie :
«Représentez-vous que M. Moody est
un homme dans la force de l'âge, un hercule
aux larges épaules, une mâle
physionomie encadrée d'une grande barbe
noire, une personnification vivante de la force
physique, et vous comprendrez ce qu 'on ressent en
voyant un tel homme s'incliner sous le poids de son
émotion et parfois éclater en
sanglots. Que de force ! Que de simplicité !
Un coeur de lion, un coeur d'enfant... Certain
soir, son discours ne fut à proprement
parler qu'un cri, un long cri de
détresse poussé par les milliers
d'êtres perdus dont il était venu
plaider la cause (
1).»
La méthode
Il convient de dire ici quelques mots
des entretiens particuliers pour les
«chercheurs» et les âmes
troublées. Son expérience avait
amené Moody à leur faire une place
importante et à vouer à cet objet des
soins spéciaux. Alors même qu'on
pouvait y donner une base biblique en invoquant
l'histoire de l'Église primitive 13, ce fut,
en Angleterre, une innovation que, dans les milieux
ecclésiastiques, on critiqua vivement. On
redoutait qu'une telle méthode
n'exerçât une pression trop forte sur
les âmes indécises ; on
appréhendait les conversions forcées
ou brusquées. Or, nul n'était, plus
que notre héros, attentif à
éviter ces écueils : il ne les
connaissait que trop ! Mais il demeurait convaincu
d'une chose : ne rien entreprendre pour aider les
consciences réveillées par
l'Évangile à marcher sur le chemin de
la vie chrétienne, c'est, bien souvent,
faire oeuvre vaine : les âmes, un moment
soulevées, retombent bientôt dans le
mal, l'indifférence ou le sommeil, et
voilà des forces perdues pour
l'Église.
À tel vénérable
pasteur écossais qui lui disait un jour :
«Je ne crois pas qu'il soit bon de troubler
les saintes impressions provoquées par le
culte, car, après avoir semé, vous
allez trop tôt gratter la terre pour voir si
la semence germe», Moody répliqua du
tac au tac : «Il se peut que je fasse autre
chose : les paysans ne passent-ils pas la herse de
suite après avoir jeté le grain ?
». Puis il ajouta : «Ce serait un
singulier médecin que celui qui
réunirait tous ses malades pour leur faire
un cours de médecine mais trouverait inutile
d'aller, auprès de chacun d'eux,
s'enquérir de son état et ordonner
les remèdes appropriés
».
Pour la cure d'âme personnelle qui
se poursuivait pendant les entretiens particuliers
avec les «chercheurs», alors que souvent
des douzaines, sinon des centaines de gens venaient
demander conseil et intercession, il fallait des
aides nombreux. Et c'est
là que Moody déploya ce don de
discernement des esprits qu'il possédait
à un si haut degré. Son talent
consistait à pousser au travail pasteurs et
laïques, leur insufflant un ardent amour des
âmes et un respect infini pour toute
créature humaine, fût-elle la plus
misérable et la plus dégradée.
Mais il était sévère dans le
choix de ses auxiliaires et ne craignait pas
d'écarter quiconque s'avérait inapte
à cette mission, délicate entre
toutes. «Les enquêteurs»,
répétait-il, «doivent
être bien préparés et
doués d'un caractère solide. De plus
certains de leur salut. Si j'apprends que l'un
d'eux ne marche pas droit, je vais à lui et
j'insiste pour qu'il redresse sa voie ; s'il se
cabre, la cause est entendue, ce n'est pas celui
qu'il me faut ; s'il se trouble... c'est autre
chose... Nos aides doivent être capables de
distinguer les cas et d'agir en
conséquence.
Écoutez soigneusement ce que
chacun peut dire de ses difficultés,
intercédez par l'Esprit pour apporter le mot
juste. Dans chaque cas, utilisez la Bible ; ne vous
fiez pas à votre mémoire ; faites
lire le passage qui vous est inspiré ;
amenez la personne dont vous vous occupez à
prier elle-même ; ne précipitez rien ;
Peut-être faudra-t-il attendre deux heures
avant d'y arriver ; mais ne la faites s'agenouiller
que lorsqu'elle y est préparée
». Et Moody ne se laissait pas
entraîner aux stériles discussions
intellectuelles ; il répondait aux doutes
par les affirmations de la foi, par les solennels
avertissements du Dieu saint, par les sûres
et splendides promesses de la grâce.
Enfin, partout où on l'appelait,
il cherchait à s'assurer le concours des
diverses communautés. Pour maintenir la
continuité de l'oeuvre commencée
autant que pour la préparer, il
s'efforçait à grouper les
chrétiens dans la prière en commun.
Là, dès le début, a
été la force du mouvement
déclenché par lui en Angleterre comme
aux Etats-Unis. À ces grands principes et
à cette méthode, il est resté
toujours fidèle.
Champ nouveau. Premières
semailles
La Grande-Bretagne, à laquelle
l'évangéliste américain allait
consacrer deux pleines années, traversait
alors une période de profonde transformation
: de nouveaux courants se faisaient jour dans la
vie économique et politique comme
dans le monde de la
pensée. L'ère était ouverte
des grandes réformes sociales
inspirées par un sens plus profond de la
valeur humaine ; déjà
s'ébranlaient les barrières qui
séparaient profondément les diverses
classes de la population ; les franchises
communales étaient reconnues ; les ouvriers,
tenus jusqu'alors à l'écart de la vie
publique, commençaient à s'y
intéresser, à y participer plus
activement ; des voix courageuses
s'élevaient, dénonçant le
pharisaïsme des traditions mortes et
réclamant un réveil des âmes.
Carlyle proclamait que le seul vrai progrès
est d'ordre moral et que l'unique garantie de
prospérité gît dans le
développement d'hommes et de femmes tendant
à la perfection. On retrouvait enfin le sens
de la religion.
Mais le monde ecclésiastique
restait divisé. Le mouvement dit d'Oxford
(2), dont Newman,
Pusey ou Keble étaient chefs, avait
troublé et entraîné bien des
âmes sur la pente du ritualisme et de
l'obédience à Rome. On redoutait les
entreprises dirigées par les laïques.
Si profonde était la séparation entre
Anglicans et « non-conformistes »
(3), qu'en
certains milieux on consentait à
tolérer le laïque Moody parce qu'il
était étranger, mais on
écartait le Révérend Spurgeon,
Anglais authentique, parce qu'il était
baptiste !
Anglicans aussi bien que
Méthodistes étaient divisés
entre eux. Des oppositions théologiques se
manifestaient chez les Congrégationalistes
autant que chez les Baptistes et les efforts vers
l'unité n'aboutissaient trop souvent
qu'à faire ressortir les divergences. Ce qui
s'imposait, c'était la recherche d'une
grande cause unissant les chrétiens en
dehors et au-dessus de toute polémique
doctrinale ou ecclésiastique.
William Moody, à qui l'on
emprunte ce tableau des milieux
ecclésiastiques de Grande-Bretagne vers
1873, ajoute avec raison : «Pareille
situation explique l'accueil qui fut
réservé à mon père. La
ferveur de ceux qui se donnèrent de tout
coeur au mouvement de réveil, l'esprit
démocratique «catholique» - au
sens originel du Mot
-(4) qui
inspirait la campagne, en ont été les
traits dominants. Là où souffle
l'Esprit, les distinctions sociales ou
ecclésiastiques ne peuvent subsister.
Dans la mission de Moody, c'est
une égale consécration, une
égale fidélité au Christ qui
fit que des gens appartenant à des
Églises différentes élargirent
leurs sympathies et adoptèrent, sur Dieu et
leur devoir les uns à l'égard des
autres, des conceptions plus
chrétiennes».
Tel était le champ de travail
vers lequel cinglaient les Américains. Mais
se trouverait-il quelqu'un pour les accueillir ? Le
long silence de leurs amis s'expliquerait-il enfin
? Avait-on dressé des plans pour leur
mission ? Les Églises étaient-elles
averties de leur arrivée ? Par où
commencer ? Où se rendre ? Autant de
problèmes qu'à vues humaines il
eût été prudent de
résoudre avant le départ !
...
Le 13 juin 1873, l'expédition
débarque à Liverpool. Seul Moorehouse
est présent. Où donc sont «les
autres», ceux qui ont invité « les
frères d'outre-mer » et se sont
chargés des débours autant que de
l'organisation d'une campagne de réveil ?
Avec surprise et chagrin, Moody apprend que tous
trois sont morts dans le courant de
l'hiver.
Que faire ?
Moody n'est pas homme à se
laisser arrêter par les difficultés,
car nul ne lui enlèvera la certitude que
Dieu ne l'a point amené ici sans but ni
raison. Retrouvant, dans le courrier qui lui a
été remis à New-York,
l'invitation d'un secrétaire de l'Union
chrétienne de jeunes gens d'York, il se
décide sur-le-champ à ouvrir
là sa campagne et télégraphie
a son correspondant inconnu : «Suis prêt
à commencer réunions tout de
suite».
Réponse immédiate :
«Il faut un mois pour les préparer.
Veuillez fixer date pour établir programme.
Vie religieuse à marée basse, ici, en
ce moment».
Réplique de Moody : «Serai
à York ce soir même».
Dépêchant sa femme et ses
enfants à Londres où habite une soeur
et laissant Sankey à Liverpool aux soins de
Moorehouse, il arrive seul dans le chef-lieu du
Yorkshire. Grand effroi de l'unioniste,
nommé Bennett et pharmacien de son
métier. Il lève les bras au ciel,
déclare qu'il n'y a rien à faire, que
tout le monde est en vacances et qu'il n'a pas le
temps de lancer des convocations. Son
collègue d'outre-mer ne s'émeut pas
pour si peu et lorsque, le surlendemain, survient
Sankey, une séance a déjà
été annoncée pour le soir.
Cinquante personnes au plus se trouvent
réunies dans une chapelle
indépendante, assises aussi loin que
possible de l'orateur et refusant
de s'associer au chant. En vérité, le
début n'est pas engageant ! Mais Moody
«tient le coup» et, vers la fin de la
semaine, quelqu'un se lève pour
déclarer à l'auditoire :
«Rien de plus vrai que ce que
nous a dit M. Moody sur la nécessité
de posséder le Saint-Esprit. J'ai
prêché moi-même pendant des
années, travaillant beaucoup, mais ne
frappant que l'air. je n'avais, aucune puissance.
Depuis je me suis enfermé dans ma chambre,
seul avec mon Maître. J'ai prié: - 0
Dieu, donne-moi le Saint-Esprit ! - Le Seigneur a
remporté la victoire ; Il m'a vaincu et je
me suis rendu. »
Celui qui parlait ainsi n'était
autre que le Révérend F. B. Meyer,
qui devait devenir pasteur éminent et l'un
des écrivains religieux les plus
appréciés de sa
génération.
«Je vois encore Moody -
a-t-il raconté - debout dans une
petite chambre sombre de Coney Street et prêt
à ouvrir la réunion de prières
de midi. je ne me doutais guère que, de
cette semence ici jetée, germerait une
immense moisson. Qui donc aurait cru que le
mouvement qui commençait alors atteindrait,
en peu de mois, son point culminant dans la grande
salle des Assemblées de l'Église
libre d'Édimbourg et, plus tard, à
Londres à la Salle d'Agriculture ou au
Théâtre royal ? Tel, en effet, fut le
début d'une nouvelle conception du
ministère, de nouvelles méthodes de
travail, de nouvelles inspirations, de nouveaux
espoirs. Quel élan m'a donné
l'entrée dans ma vie de cette grande et
noble personnalité! J'étais alors
tout jeune pasteur dans la vieille cité
d'York, lié par les chaînes d'un
conventionalisme étroit. J'avais
été élevé ainsi : toute
ma carrière aurait pu se dérouler sur
le même plan. Mais j'eus, ce jour-là,
la révélation d'un idéal
nouveau.. La chose qui m'a le plus frappé
chez Moody, c'est qu'il était affranchi de
tout conformisme et qu'il restait Parfaitement
naturel. Le seul fait qu'on accomplissait certains
actes d'après des méthodes rigides
était pour lui un motif de s'y prendre
autrement, d'une manière plus neuve, plus
inattendue. Et si cette nouvelle méthode
pouvait surprendre, n'était-ce point une
raison de persévérer ? Jamais je n'ai
trouvé chez lui la moindre tendance à
l'irrespect, à l'extravagance ou au
fanatisme. Tout restait harmonie, équilibre
; il agissait avec un rare bon sens, une grande
précision, une simplicité, une
loyauté d'intention parfaites. De là,
ses résultats surprenants ... »
(5)
C'est ainsi que s'inaugura un mouvement
dont on a pu dire «qu'il remua les masses
populaires plus profondément que tout ce qui
s'est passé depuis le grand réveil du
XVIIIe siècle»
(6) ; d'autres
sont allés plus loin et ont parlé
d'une nouvelle Pentecôte.
Il ne peut être question de suivre
pas à pas les Américains dans leur
marche conquérante, mais il faut en marquer
au moins les étapes principales. On
indiquera les préventions qui
tombèrent et l'opposition qui se maintint
dans certains milieux ; on soulignera d'autre part
les conséquences heureuses de cette action.
Résistance et
appuis
Les premiers mois furent
consacrés à l'Angleterre : à
York, Newcastle, où le réveil
éclata, irrésistible, ainsi
qu'à d'autres localités moins
importantes ; puis Moody et Sankey reçurent
un appel de l'Écosse où on les vit
séjourner de novembre au printemps de
l'année suivante ; de là, ils
passèrent en Irlande, pour revenir dans les
grands centres industriels et commerçants de
Manchester, Sheffield, Liverpool et finir à
Londres par une campagne qui dura plus de six mois
: il fallut, dans la métropole, recourir aux
églises, aux théâtres, aux
salles les plus vastes, voire même à
des constructions temporaires pouvant contenir dix
mille auditeurs et plus.
Dans ces milieux divers, dans
l'Écosse protestante, divisée depuis
la Séparation de 1843 (7)
où il travailla au
rapprochement des Églises, en Irlande
où bien des catholiques se
mêlèrent aux réformés,
partout Moody rallia autour de sa personne des
représentants de toutes les classes et de
toutes les professions, le monde universitaire
comme les foules ouvrières, celui des
collèges aussi bien que celui des usines et
des grands chantiers.
Moody dans l'opéra Haymarket
à Londres.
Moody prêche dans le
«Camberwell Green Hall» à
Londres.
Cependant, toutes les portes ne devaient pas
s'ouvrir devant lui avec un égal
empressement ; les résistances
provoquées par le
péché, lequel ne lâche pas
volontiers ses esclaves, étaient parfois
vives et tenaces. Ses détracteurs, notamment
parmi les incrédules, n'hésitaient
pas à faire courir sur son compte certains
bruits malveillants, voire de pures calomnies.
Comme l'apôtre Paul suivi ou devancé
de ville en ville par des adversaires
décidés à lui susciter des
obstacles, Moody rencontrait, ouverte ou
cachée, l'opposition des esprits forts et
des railleurs aussi bien que l'hostilité de
gens dont le réveil menaçait les
intérêts personnels. il fallait aussi
compter avec les suspicions de certains croyants
que des méthodes nouvelles gênaient
dans leur piété confortable et leurs
doctrines assises. Presque toujours attaques et
calomnies n'eurent d'autre effet que d'attirer
l'attention sur la visite des
« étrangers » ;
plus la campagne se développait et plus
baissait le ton de la presse hostile. Nombreux
furent les adversaires du début qui se
muèrent en défenseurs. En
général, Moody n'intervenait pas en
personne dans les discussions. Il laissait passer
l'orage ou s'en remettait à des amis pour
imposer silence aux détracteurs.
On fit grief aux
« Yankees » de battre monnaie
avec leurs publications, notamment avec le recueil
d'Hymnes et Cantiques en usage dans les
réunions, recueil dont ils avaient dû
prendre tous les frais à leur charge. Le
bénéfice de la première
édition ayant couvert les dépenses
assez considérables de leur campagne, Moody,
dès son arrivée à Londres,
tint à mettre les choses au, point : au
cours d'une assemblée préparatoire de
pasteurs et de laïques, il déclara
très ouvertement que la grande
difficulté que son ami et lui avaient
rencontrée dans leur travail tenait à
des préventions injustifiées. Il
ajouta que le double reproche de toucher des droits
d'auteurs excessifs sur le recueil de chants ou des
commissions sur la vente d'harmoniums semblables
à celui dont se servait Sankey, manquait
totalement de base.
Un pasteur lui ayant alors
demandé s'il ne voulait pas faire une
déclaration de foi pour que l'on connut dans
les Églises le terrain sur lequel il se
plaçait, deux mots suffirent à le
rassurer : « Déjà
imprimée ». Aussitôt,
carnets et crayons sortirent des poches ; on
réclame le nom et l'adresse de
l'éditeur on a hâte de se la
procurer... Et Moody de reprendre
- Vous pouvez la lire dans le
chapitre 53 du prophète
Esaïe !
Bien des gens en voulaient aussi
à l'Américain de la réclame
exagérée faite autour de son nom ; il
est juste de remarquer qu'elle fut le fait d'amis
par trop zélés. D'autres ne cessaient
de lui reprocher de vouloir obtenir des conversions
subites ; à quoi notre homme
répliquait invariablement :
- Montrez-moi, dans la Bible, une seule
conversion qui ne l'ait pas été !
...
Et c'est aussi sa largeur qui froissait
des chrétiens attachés à leur
Église particulière, en laquelle ils
voyaient la seule Église fidèle,
tandis que d'autres suspectaient chez lui une
tendance au sectarisme. À des unionistes
qui, sur ce point, lui avaient exprimé leurs
craintes, il déclara d'un trait :
«- Je vais où je puis
faire le plus de bien. Je ne cherche pas autre
chose. Ce sont des âmes que je veux
atteindre, des âmes, entendez-vous ! ...
»
Un jour que certain jeune pasteur
exprimait le désir de voir les foudres de
l'Église établie
(8) se
déchaîner sur Moody, son
évêque, ayant reconnu la puissance
spirituelle de l'évangéliste et les
bénédictions qui reposaient sur son
travail, se borna à répondre
:
- Allez et faites de même!
Au surplus, Moody se déclarait
prêt à travailler avec tous,
catholiques y compris. Aussi ne se laissait-il
jamais entraîner à des
polémiques confessionnelles aussi irritantes
qu'infécondes. Son drapeau, c'était
l'Évangile ; il le déployait
ouvertement, ne distinguant ni Juif, ni Grec, ni
Romain, ni Réformé ; il voyait toutes
les âmes en Christ, à quelque
Église qu'elles appartinssent. Son
idéal était la devise des Unions
chrétiennes de jeunes gens, cette
prière du Maître : «Que tous
soient un» ! Cette attitude lui valait les
suffrages les plus divers. Jusqu'en Irlande un
organe clérical ne craignit pas de publier
ces lignes significatives :
Jouons franc jeu !
«Le danger mortel qui nous menace vient
des Huxley, des Darwin, des Tyndall bien plus que
des Moody et des Sankey. Les catholiques irlandais
souhaitent voir les protestants faire preuve de
sentiments religieux plutôt que de
rationalisme et d'incrédulité. Aussi
longtemps que nos voisins réformés
viseront loyalement à
stimuler la pensée religieuse sans intention
agressive et sans offense à notre endroit,
c'est un devoir pour nous de rendre à leurs
convictions profondes l'hommage de notre
déférence, en un mot de faire pour
eux ce que nous voudrions qu'on fit pour
nous-mêmes. Ce serait sûrement un jour
béni pour notre pays que celui où
partout on apporterait un esprit de respect mutuel
et de tolérance. M. Moody ne fait jamais de
controverse. Le succès qu'il obtient en
attirant l'attention sympathique de nos
frères d'une autre confession est sans
exemple dans notre histoire locale... »
Premiers
résultats
Sur un autre plan, Moody gagnait
à l'Église de vives sympathies en
montrant que, loin de confiner les croyants dans un
vertuisme et une béatitude
égoïstes, la vraie piété
évangélique doit manifester son
influence dans tous les éléments de
leur vie. Aussi les résultats de ses
campagnes furent-ils rendus sensibles par le
développement de plus d'une oeuvre sociale,
par une action plus décidée pour le
bien-être des ouvriers établis dans
les grands centres manufacturiers, dans les villes
industrielles ou dans les ports. Le
relèvement des victimes de l'alcool, la
protection des orphelins ne trouvèrent pas
d'avocat plus convaincu. En mainte cité, on
lui dut de fructueuses collectes en faveur
d'institutions endettées ou d'Unions
chrétiennes de jeunes gens cherchant
à ériger des bâtiments.
Préoccupé des souffrances qu'imposent
la maladie, le chômage ou la misère,
il avait, dès 1867, dans un rapport annuel
de l'U.C.J.G. de Chicago, nettement posé le
problème :
«De nouvelles occasions nous ont
été données d'apporter
l'Évangile de paix à un grand nombre
de personnes qui seraient restées en dehors
de son influence si le message n'avait
été précédé de
pain, de charbon et de vêtements. Le coeur
s'ouvre avec autant de spontanéité
à de tels témoignages d'amour que les
fleurs s'ouvrent au soleil. Lorsque le
Christianisme gagne ainsi le coeur des hommes, sa
puissance est mieux reconnue. Donner n'est pas
tout, agir n'est pas tout, prier n'est pas tout,
croire n'est pas tout l'Évangile. Mais vivez
tout cela et vous aurez l'Évangile
personnifié. Alors s'ajouteront chaque
jour à l'Église
ceux qui seront sauvés, sauvés pour
cette vie et pour la vie à venir. Il faut
remarquer d'ailleurs (ajoutait-il) que des hommes
et des femmes sauvés par le sang de
Jésus ne demeurent pas longtemps les objets
de la charité publique. La plupart d'entre
eux, du fait même de leur orientation
nouvelle, s'élèvent tôt ou tard
à un niveau
supérieur».
Un théologien d'Écosse, le
Dr. Arnot, pouvait résumer en une image
frappante l'influence de cet envoyé
d'Amérique:
«Chez nous et
spécialement à Édimbourg, nous
avons toujours été d'honnêtes
chrétiens, des chrétiens bien
élevés. Mais pour vous faire
comprendre ce qui en était de notre vie
spirituelle, je vous répéterai ce que
j'entendis au cours d'un voyage. Comme on nous
retenait dans une gare au-delà de l'heure
réglementaire et que personne n'en
comprenait la raison, l'un des voyageurs s'adressa
au chef de train :
- Pourquoi ne partons-nous pas ?
N'y a-t-il point d'eau ?
- L'eau ne manque pas,
répliqua le préposé, mais elle
ne veut pas bouillir...
C'est ainsi que nous avions en
Écosse une éducation' religieuse
soignée et des formes ecclésiastiques
irréprochables. Mais l'eau était
froide et ne développait pas sa puissance.
Aujourd'hui, nous avons acquis la chaleur qui
produit la force motrice. L'amour du Christ s'est
répandu dans le coeur d'une multitude de
chrétiens et c'est lui qui les
anime».
Libres-penseurs et milieux
bourgeois
À la vue des résultats
d'une telle campagne, les clubs de libres-penseurs,
alors assez prospères, ne laissèrent
pas de s'émouvoir. À Édimbourg
même, un de leurs représentants
voulut, au cours d'une réunion, ridiculiser
l'orateur et l'entraîner dans une
controverse. Peine perdue, car, sans l'intervention
personnelle de Moody, il eût
été sûrement expulsé de
la salle. Comme il s'y attendait, une fois
l'assemblée congédiée,
l'orateur s'approcha et lui demanda s'il
désirait aussi devenir
chrétien.
- Non, - fut la réponse - car
je n'ai qu'une piètre estime pour ces
gens-là.
- M'est-il permis de prier pour vous
?
- Oh ! riposta l'autre, je n'y ai
nulle objection, mais je crois
que vous perdez votre temps à vouloir mettre
le grappin sur moi !
Moody, s'agenouillant près du
railleur, se mit à prier avec tant de
sérieux que bientôt,
profondément troublé, cet
athée ébranlé dans ses
sentiments intimes exprima le désir de
changer de vie. Et peu de temps après, sur
trente «chercheurs», il ne se trouva pas
moins de dix-sept anciens libres-penseurs, membres
du cercle des «Sans-Dieu», dont l'ancien
président devait, par la suite, devenir un
évangéliste de talent.
Que Moody, parfois, en dépit
de sa constitution athlétique,
ressentît quelques signes de fatigue, on n'en
sera pas surpris si l'on se rend compte de son
incessant labeur : à Édimbourg,
à Glasgow, à Dublin comme à
Londres, partout et durant des semaines
consécutives, les campagnes se
prolongèrent sans arrêt. On, peut en
juger par la lettre d'un jeune savant
chrétien, Henry Drummond, gagné
à la cause de l'évangélisation
et du réveil pendant le premier
séjour du grand évangéliste
:
«Me voici
(écrivait-il d'Écosse à
son père) engagé à suivre
Moody tout l'hiver et à diriger les
réunions pour jeunes gens, plus je vais de
l'avant, plus je suis persuadé que c'est
bien ce travail que Dieu me destinait. je ne crois
pas qu'il y ait eu dans l'histoire de
l'Église de temps plus favorable à
l'action. Nous n'avons pas moins de mille auditeurs
chaque soir, et cela sans interruption depuis plus
de six semaines. Et je suis certain qu'il sortira
de ce travail nombre de vocations missionnaires.
»
Et de Londres, Drummond
écrivait encore : «J'ai eu hier une
soirée splendide. Moody est resté
seul avec moi, jusqu'à une heure du matin,
me racontant toute l'histoire de sa vie. Quelle
fortune pour un Journaliste qu'une pareille
interview ! Notre ami n'est nullement
éprouvé par l'immensité de son
travail, bien que parlant chaque soir dans l'Est
à quinze mille personnes. Que diriez-vous
à la vue de cet auditoire qui couvre un
espace de quatre mille mètres carrés
? »... Dès lors, on comprend la
remarque du doyen Stanley lorsqu'après l'Est
de Londres, Moody s'attaqua aux quartiers bourgeois
: «Si l'on ne trouve aucune salle
suffisante pour lui dans la région du Palais
royal, il faudra le faire prêcher à
Westminster ! ».
En l'écoutant, on oubliait
que, s'il n'avait point passé par la
filière des études, il connaissait,
comme pas un, Christ et son Évangile, Pour
lui, tout pécheur, même roulant
carrosse et portant haut son blason, avait besoin
du Sauveur autant que l'habitué des tripots
ou des combats de chiens. Sans faire acception de
personnes, il gardait avec chacun la même
simplicité. C'est ainsi qu'un soir, au
moment où l'on voyait affluer les auditeurs,
il aperçut près de l'estrade, deux
dames âgées qui cherchaient en vain
des places. A ce moment un ami s'approcha de lui
pour le présenter à un pair
d'Angleterre :
«- Enchanté de vous
voir, comte ! s'écria Moody. Vous seriez
bien aimable de porter des chaises à ces
vénérables soeurs
!»
Il n'était pas moins à
son aise avec les hommes d'Etat les plus
éminents.
Parmi ses auditeurs de Londres on
vit le premier ministre Gladstone s'associer de
tout coeur aux actes du culte. La réunion
finie, on lui présenta l'Américain.
L'entretien fut court. Comme on en demandait plus
tard le sujet:
«- Gladstone m'a dit qu'il
aimerait avoir mes épaules, déclara
Moody, et je lui ai répondu que sur mes
épaules j'aimerais bien avoir sa tête
!»
Un autre soir, dans un cercle
sportif, la discussion tomba sur les
Américains et leur oeuvre. Aussitôt
critiques de pleuvoir. L'un des assistants, qui
avait fait fortune aux Indes et possédait
une écurie de courses alors fameuse,
déclara pourtant que nul ne doit être
condamné sans avoir été
entendu, et annonça son intention d'aller
écouter le «Yankee». On en rit.
Or, le soir même, le sportsman se convertit
et si profond fut le changement qu'il bouleversa
son genre de vie. L'écurie vendue, il se
consacra avec enthousiasme au service du Christ,
s'efforçant de Lui amener les gens de son
monde.
Puis l'un de ses fils,
élève de l'aristocratique
collège d'Eton, ayant suivi son exemple,
voici Moody invité à parler aux
camarades du jeune homme. Dès qu'on le sut,
une tempête s'éleva. D'aucuns
déclaraient que l'Américain
chercherait à enflammer la jeunesse anglaise
pour la République et un dignitaire de la
Maison royale alla jusqu'à demander des
renforts militaires en prévision de troubles
possibles. La Chambre des Lords elle-même
s'occupa de l'affaire. or,
l'agitation tomba aussi
rapidement qu'elle était née, car
Moody eut le tact de parler non dans
l'école, mais dans une
propriété privée. De sorte que
ce jour-là la Royauté ne courut aucun
danger !
Tout en faisant des réserves
sérieuses et en couvrant les
évêques qui, par prudence pastorale,
n'avaient pas cru pouvoir prendre part
officiellement à cette campagne,
l'archevêque de Cantorbéry
(9) -
c'était alors le Dr. Archibald Tait - tint
à affirmer ses sympathies et à se
féliciter des résultats obtenus
:
«Considérant le champ
immense qui s'étend devant nous et les
énormes difficultés de la lutte
contre le péché et
l'indifférence, je ne puis, pour ma part,
que me réjouir de constater combien, dans
les cadres ou hors des cadres réguliers de
l'Église, Christ est annoncé et
combien de consciences endormies se sont
réveillées ... »
Au moment où les deux
compagnons de travail allaient se rembarquer pour
les Etats-Unis, les dirigeants de toutes les
Églises tinrent à rendre hommage
à leur labeur incessant et fidèle au
cours de ces deux années.
inconnus de la plupart, Moody et
Sankey étaient venus pour obéir
à un appel de Dieu qui leur avait dit
à chacun : «Va avec cette force que
tu as ! ». Or, Dieu avait tenu Sa promesse
et béni le travail de Ses serviteurs bien
au-delà de tout ce qu'ils avaient pu
espérer et demander. À Lui seul toute
gloire !
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