Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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MOODY
PÊCHEUR D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.



CHAPITRE V
PREMIÈRE CAMPAGNE DE RÉVEIL EN ANGLETERRE (1873-1875)

 Le messager et le message

- Pourquoi donc repartir si vite ? opposa-t-on à Moody lorsque, rentré en Amérique, il annonça son nouveau projet de voyage.
- Pour gagner dix mille âmes à Christ

On pouvait se demander, non sans raison, s'il était bien opportun d'abandonner l'oeuvre commencée à Chicago, notamment l'effort d'assistance aux sinistrés et la campagne financière pour l'achat d'un terrain et la reconstruction du «Tabernacle», car la halle provisoire construite en 1871 s'avérait insuffisante. Mais Moody voyait les choses autrement. Il estimait achevée son oeuvre de pionnier. Il déclarait volontiers que la communauté groupée autour de son École du dimanche et devenue une Église digne de ce nom, pouvait se développer en toutes autres mains que les siennes. il se sentait et se savait appelé au travail spécial de l'évangélisation ; Sankey partageait ses vues et leurs épouses se déclaraient prêtes à les accompagner.

Pleins de confiance en la direction divine et sûrs de l'appui qui leur avait été garanti, tous quatre se préparèrent au départ.
Mais les mois s'écoulaient sans qu'aucun message des amis d'Angleterre vint confirmer les promesses que l'on sait. L'été passa. L'hiver aussi. Lassé d'attendre et toujours décidé à partir coûte que coûte, parce que Dieu le voulait, Moody s'en fut retirer les quelque quatre cent cinquante dollars qu'il avait à la banque. Mais cette somme (toutes ses économies !) couvrait tout au plus la moitié des frais de voyage. Malgré tout, il se rend à New-York. Au dernier moment, surgit le fidèle Farwell, l'ami de la première heure ; il vient saluer les voyageurs et remet à Moody un chèque de cinq cents dollars en ajoutant : «Ceci pourra vous être utile là-bas ». Utile certes ! et même aussitôt ! Quant à ce qui suivra... à la garde de Dieu ! ...

Avec les enfants qui seront reçus chez des parents ou des amis, voilà nos gens en route. Sankey a pris avec lui le petit harmonium dont il ne se sépare jamais, la «boîte à sifflets diaboliques», comme la nommeront irrévérencieusement certains Écossais hostiles à l'introduction dans les temples de la musique instrumentale. Outre l'orgue portatif, il a toujours sous la main l'album sur les pages duquel seront couchées les mélodies et les vers de sa composition. Moody, lui, emporte simplement sa Bible et un certain nombre de grandes enveloppes dans lesquelles il glisse des notes, des plans de prédications, des réflexions, des anecdotes et faits divers qui aideront à préciser son message.

Les grandes lignes n'en varieront jamais, car l'Évangile lui-même jamais ne varie. Mais, suivant les circonstances et les milieux, tel ou tel aspect du message sera mis en relief plus qu'un autre. Au centre, toujours la bonne nouvelle de l'amour de Dieu en Jésus-Christ, amour saint, amour rédempteur révélé par la vie et la mort du Sauveur, amour qui cherche l'homme perdu, pour le sauver : de là, proclamation de la gravité du péché et de la joie du salut, appels à la repentance, à la conversion, à des décisions immédiates, le tout appuyé sur des déclarations, illustré par des exemples et confirmé par des faits tirés de la vie courante. Ainsi sera démontrée, en face de la misère et de l'impuissance radicale de l'homme pécheur, la puissance actuelle de la grâce divine, la puissance du Sauveur vivant. Moody disait volontiers : «Je suis de ces gens à la vieille mode qui croient à la Bible. Je crois - et c'est littéralement vrai - que, pour quiconque l'étudie avec l'aide de l'Esprit, des fleuves de vérité couleront de son sein..».

Les mêmes sujets, le même message, oui ! mais la façon dont Moody les présente est si frappante, si directe, son accent si convaincu, que ses auditeurs ne se lassent pas de l'entendre. L'un d'eux décrit ainsi l'impression ressentie : «Représentez-vous que M. Moody est un homme dans la force de l'âge, un hercule aux larges épaules, une mâle physionomie encadrée d'une grande barbe noire, une personnification vivante de la force physique, et vous comprendrez ce qu 'on ressent en voyant un tel homme s'incliner sous le poids de son émotion et parfois éclater en sanglots. Que de force ! Que de simplicité ! Un coeur de lion, un coeur d'enfant... Certain soir, son discours ne fut à proprement parler qu'un cri, un long cri de détresse poussé par les milliers d'êtres perdus dont il était venu plaider la cause ( 1)

La méthode

Il convient de dire ici quelques mots des entretiens particuliers pour les «chercheurs» et les âmes troublées. Son expérience avait amené Moody à leur faire une place importante et à vouer à cet objet des soins spéciaux. Alors même qu'on pouvait y donner une base biblique en invoquant l'histoire de l'Église primitive 13, ce fut, en Angleterre, une innovation que, dans les milieux ecclésiastiques, on critiqua vivement. On redoutait qu'une telle méthode n'exerçât une pression trop forte sur les âmes indécises ; on appréhendait les conversions forcées ou brusquées. Or, nul n'était, plus que notre héros, attentif à éviter ces écueils : il ne les connaissait que trop ! Mais il demeurait convaincu d'une chose : ne rien entreprendre pour aider les consciences réveillées par l'Évangile à marcher sur le chemin de la vie chrétienne, c'est, bien souvent, faire oeuvre vaine : les âmes, un moment soulevées, retombent bientôt dans le mal, l'indifférence ou le sommeil, et voilà des forces perdues pour l'Église.

À tel vénérable pasteur écossais qui lui disait un jour : «Je ne crois pas qu'il soit bon de troubler les saintes impressions provoquées par le culte, car, après avoir semé, vous allez trop tôt gratter la terre pour voir si la semence germe», Moody répliqua du tac au tac : «Il se peut que je fasse autre chose : les paysans ne passent-ils pas la herse de suite après avoir jeté le grain ? ». Puis il ajouta : «Ce serait un singulier médecin que celui qui réunirait tous ses malades pour leur faire un cours de médecine mais trouverait inutile d'aller, auprès de chacun d'eux, s'enquérir de son état et ordonner les remèdes appropriés ».

Pour la cure d'âme personnelle qui se poursuivait pendant les entretiens particuliers avec les «chercheurs», alors que souvent des douzaines, sinon des centaines de gens venaient demander conseil et intercession, il fallait des aides nombreux. Et c'est là que Moody déploya ce don de discernement des esprits qu'il possédait à un si haut degré. Son talent consistait à pousser au travail pasteurs et laïques, leur insufflant un ardent amour des âmes et un respect infini pour toute créature humaine, fût-elle la plus misérable et la plus dégradée. Mais il était sévère dans le choix de ses auxiliaires et ne craignait pas d'écarter quiconque s'avérait inapte à cette mission, délicate entre toutes. «Les enquêteurs», répétait-il, «doivent être bien préparés et doués d'un caractère solide. De plus certains de leur salut. Si j'apprends que l'un d'eux ne marche pas droit, je vais à lui et j'insiste pour qu'il redresse sa voie ; s'il se cabre, la cause est entendue, ce n'est pas celui qu'il me faut ; s'il se trouble... c'est autre chose... Nos aides doivent être capables de distinguer les cas et d'agir en conséquence.

Écoutez soigneusement ce que chacun peut dire de ses difficultés, intercédez par l'Esprit pour apporter le mot juste. Dans chaque cas, utilisez la Bible ; ne vous fiez pas à votre mémoire ; faites lire le passage qui vous est inspiré ; amenez la personne dont vous vous occupez à prier elle-même ; ne précipitez rien ; Peut-être faudra-t-il attendre deux heures avant d'y arriver ; mais ne la faites s'agenouiller que lorsqu'elle y est préparée ». Et Moody ne se laissait pas entraîner aux stériles discussions intellectuelles ; il répondait aux doutes par les affirmations de la foi, par les solennels avertissements du Dieu saint, par les sûres et splendides promesses de la grâce.

Enfin, partout où on l'appelait, il cherchait à s'assurer le concours des diverses communautés. Pour maintenir la continuité de l'oeuvre commencée autant que pour la préparer, il s'efforçait à grouper les chrétiens dans la prière en commun. Là, dès le début, a été la force du mouvement déclenché par lui en Angleterre comme aux Etats-Unis. À ces grands principes et à cette méthode, il est resté toujours fidèle.

Champ nouveau. Premières semailles

La Grande-Bretagne, à laquelle l'évangéliste américain allait consacrer deux pleines années, traversait alors une période de profonde transformation : de nouveaux courants se faisaient jour dans la vie économique et politique comme dans le monde de la pensée. L'ère était ouverte des grandes réformes sociales inspirées par un sens plus profond de la valeur humaine ; déjà s'ébranlaient les barrières qui séparaient profondément les diverses classes de la population ; les franchises communales étaient reconnues ; les ouvriers, tenus jusqu'alors à l'écart de la vie publique, commençaient à s'y intéresser, à y participer plus activement ; des voix courageuses s'élevaient, dénonçant le pharisaïsme des traditions mortes et réclamant un réveil des âmes. Carlyle proclamait que le seul vrai progrès est d'ordre moral et que l'unique garantie de prospérité gît dans le développement d'hommes et de femmes tendant à la perfection. On retrouvait enfin le sens de la religion.

Mais le monde ecclésiastique restait divisé. Le mouvement dit d'Oxford (2), dont Newman, Pusey ou Keble étaient chefs, avait troublé et entraîné bien des âmes sur la pente du ritualisme et de l'obédience à Rome. On redoutait les entreprises dirigées par les laïques. Si profonde était la séparation entre Anglicans et « non-conformistes » (3), qu'en certains milieux on consentait à tolérer le laïque Moody parce qu'il était étranger, mais on écartait le Révérend Spurgeon, Anglais authentique, parce qu'il était baptiste !

Anglicans aussi bien que Méthodistes étaient divisés entre eux. Des oppositions théologiques se manifestaient chez les Congrégationalistes autant que chez les Baptistes et les efforts vers l'unité n'aboutissaient trop souvent qu'à faire ressortir les divergences. Ce qui s'imposait, c'était la recherche d'une grande cause unissant les chrétiens en dehors et au-dessus de toute polémique doctrinale ou ecclésiastique.

William Moody, à qui l'on emprunte ce tableau des milieux ecclésiastiques de Grande-Bretagne vers 1873, ajoute avec raison : «Pareille situation explique l'accueil qui fut réservé à mon père. La ferveur de ceux qui se donnèrent de tout coeur au mouvement de réveil, l'esprit démocratique «catholique» - au sens originel du Mot -(4) qui inspirait la campagne, en ont été les traits dominants. Là où souffle l'Esprit, les distinctions sociales ou ecclésiastiques ne peuvent subsister.
Dans la mission de Moody, c'est une égale consécration, une égale fidélité au Christ qui fit que des gens appartenant à des Églises différentes élargirent leurs sympathies et adoptèrent, sur Dieu et leur devoir les uns à l'égard des autres, des conceptions plus chrétiennes».

Tel était le champ de travail vers lequel cinglaient les Américains. Mais se trouverait-il quelqu'un pour les accueillir ? Le long silence de leurs amis s'expliquerait-il enfin ? Avait-on dressé des plans pour leur mission ? Les Églises étaient-elles averties de leur arrivée ? Par où commencer ? Où se rendre ? Autant de problèmes qu'à vues humaines il eût été prudent de résoudre avant le départ ! ...

Le 13 juin 1873, l'expédition débarque à Liverpool. Seul Moorehouse est présent. Où donc sont «les autres», ceux qui ont invité « les frères d'outre-mer » et se sont chargés des débours autant que de l'organisation d'une campagne de réveil ? Avec surprise et chagrin, Moody apprend que tous trois sont morts dans le courant de l'hiver.
Que faire ?

Moody n'est pas homme à se laisser arrêter par les difficultés, car nul ne lui enlèvera la certitude que Dieu ne l'a point amené ici sans but ni raison. Retrouvant, dans le courrier qui lui a été remis à New-York, l'invitation d'un secrétaire de l'Union chrétienne de jeunes gens d'York, il se décide sur-le-champ à ouvrir là sa campagne et télégraphie a son correspondant inconnu : «Suis prêt à commencer réunions tout de suite».
Réponse immédiate : «Il faut un mois pour les préparer. Veuillez fixer date pour établir programme. Vie religieuse à marée basse, ici, en ce moment».
Réplique de Moody : «Serai à York ce soir même».

Dépêchant sa femme et ses enfants à Londres où habite une soeur et laissant Sankey à Liverpool aux soins de Moorehouse, il arrive seul dans le chef-lieu du Yorkshire. Grand effroi de l'unioniste, nommé Bennett et pharmacien de son métier. Il lève les bras au ciel, déclare qu'il n'y a rien à faire, que tout le monde est en vacances et qu'il n'a pas le temps de lancer des convocations. Son collègue d'outre-mer ne s'émeut pas pour si peu et lorsque, le surlendemain, survient Sankey, une séance a déjà été annoncée pour le soir. Cinquante personnes au plus se trouvent réunies dans une chapelle indépendante, assises aussi loin que possible de l'orateur et refusant de s'associer au chant. En vérité, le début n'est pas engageant ! Mais Moody «tient le coup» et, vers la fin de la semaine, quelqu'un se lève pour déclarer à l'auditoire :
«Rien de plus vrai que ce que nous a dit M. Moody sur la nécessité de posséder le Saint-Esprit. J'ai prêché moi-même pendant des années, travaillant beaucoup, mais ne frappant que l'air. je n'avais, aucune puissance. Depuis je me suis enfermé dans ma chambre, seul avec mon Maître. J'ai prié: - 0 Dieu, donne-moi le Saint-Esprit ! - Le Seigneur a remporté la victoire ; Il m'a vaincu et je me suis rendu. »

Celui qui parlait ainsi n'était autre que le Révérend F. B. Meyer, qui devait devenir pasteur éminent et l'un des écrivains religieux les plus appréciés de sa génération.
«Je vois encore Moody - a-t-il raconté - debout dans une petite chambre sombre de Coney Street et prêt à ouvrir la réunion de prières de midi. je ne me doutais guère que, de cette semence ici jetée, germerait une immense moisson. Qui donc aurait cru que le mouvement qui commençait alors atteindrait, en peu de mois, son point culminant dans la grande salle des Assemblées de l'Église libre d'Édimbourg et, plus tard, à Londres à la Salle d'Agriculture ou au Théâtre royal ? Tel, en effet, fut le début d'une nouvelle conception du ministère, de nouvelles méthodes de travail, de nouvelles inspirations, de nouveaux espoirs. Quel élan m'a donné l'entrée dans ma vie de cette grande et noble personnalité! J'étais alors tout jeune pasteur dans la vieille cité d'York, lié par les chaînes d'un conventionalisme étroit. J'avais été élevé ainsi : toute ma carrière aurait pu se dérouler sur le même plan. Mais j'eus, ce jour-là, la révélation d'un idéal nouveau.. La chose qui m'a le plus frappé chez Moody, c'est qu'il était affranchi de tout conformisme et qu'il restait Parfaitement naturel. Le seul fait qu'on accomplissait certains actes d'après des méthodes rigides était pour lui un motif de s'y prendre autrement, d'une manière plus neuve, plus inattendue. Et si cette nouvelle méthode pouvait surprendre, n'était-ce point une raison de persévérer ? Jamais je n'ai trouvé chez lui la moindre tendance à l'irrespect, à l'extravagance ou au fanatisme. Tout restait harmonie, équilibre ; il agissait avec un rare bon sens, une grande précision, une simplicité, une loyauté d'intention parfaites. De là, ses résultats surprenants ... » (5)

C'est ainsi que s'inaugura un mouvement dont on a pu dire «qu'il remua les masses populaires plus profondément que tout ce qui s'est passé depuis le grand réveil du XVIIIe siècle» (6) ; d'autres sont allés plus loin et ont parlé d'une nouvelle Pentecôte.
Il ne peut être question de suivre pas à pas les Américains dans leur marche conquérante, mais il faut en marquer au moins les étapes principales. On indiquera les préventions qui tombèrent et l'opposition qui se maintint dans certains milieux ; on soulignera d'autre part les conséquences heureuses de cette action.

Résistance et appuis

Les premiers mois furent consacrés à l'Angleterre : à York, Newcastle, où le réveil éclata, irrésistible, ainsi qu'à d'autres localités moins importantes ; puis Moody et Sankey reçurent un appel de l'Écosse où on les vit séjourner de novembre au printemps de l'année suivante ; de là, ils passèrent en Irlande, pour revenir dans les grands centres industriels et commerçants de Manchester, Sheffield, Liverpool et finir à Londres par une campagne qui dura plus de six mois : il fallut, dans la métropole, recourir aux églises, aux théâtres, aux salles les plus vastes, voire même à des constructions temporaires pouvant contenir dix mille auditeurs et plus.
Dans ces milieux divers, dans l'Écosse protestante, divisée depuis la Séparation de 1843 (7) où il travailla au rapprochement des Églises, en Irlande où bien des catholiques se mêlèrent aux réformés, partout Moody rallia autour de sa personne des représentants de toutes les classes et de toutes les professions, le monde universitaire comme les foules ouvrières, celui des collèges aussi bien que celui des usines et des grands chantiers.

Moody dans l'opéra Haymarket à Londres.

Moody prêche dans le «Camberwell Green Hall» à Londres.

Cependant, toutes les portes ne devaient pas s'ouvrir devant lui avec un égal empressement ; les résistances provoquées par le péché, lequel ne lâche pas volontiers ses esclaves, étaient parfois vives et tenaces. Ses détracteurs, notamment parmi les incrédules, n'hésitaient pas à faire courir sur son compte certains bruits malveillants, voire de pures calomnies. Comme l'apôtre Paul suivi ou devancé de ville en ville par des adversaires décidés à lui susciter des obstacles, Moody rencontrait, ouverte ou cachée, l'opposition des esprits forts et des railleurs aussi bien que l'hostilité de gens dont le réveil menaçait les intérêts personnels. il fallait aussi compter avec les suspicions de certains croyants que des méthodes nouvelles gênaient dans leur piété confortable et leurs doctrines assises. Presque toujours attaques et calomnies n'eurent d'autre effet que d'attirer l'attention sur la visite des « étrangers » ; plus la campagne se développait et plus baissait le ton de la presse hostile. Nombreux furent les adversaires du début qui se muèrent en défenseurs. En général, Moody n'intervenait pas en personne dans les discussions. Il laissait passer l'orage ou s'en remettait à des amis pour imposer silence aux détracteurs.

On fit grief aux « Yankees » de battre monnaie avec leurs publications, notamment avec le recueil d'Hymnes et Cantiques en usage dans les réunions, recueil dont ils avaient dû prendre tous les frais à leur charge. Le bénéfice de la première édition ayant couvert les dépenses assez considérables de leur campagne, Moody, dès son arrivée à Londres, tint à mettre les choses au, point : au cours d'une assemblée préparatoire de pasteurs et de laïques, il déclara très ouvertement que la grande difficulté que son ami et lui avaient rencontrée dans leur travail tenait à des préventions injustifiées. Il ajouta que le double reproche de toucher des droits d'auteurs excessifs sur le recueil de chants ou des commissions sur la vente d'harmoniums semblables à celui dont se servait Sankey, manquait totalement de base.

Un pasteur lui ayant alors demandé s'il ne voulait pas faire une déclaration de foi pour que l'on connut dans les Églises le terrain sur lequel il se plaçait, deux mots suffirent à le rassurer : « Déjà imprimée ». Aussitôt, carnets et crayons sortirent des poches ; on réclame le nom et l'adresse de l'éditeur on a hâte de se la procurer... Et Moody de reprendre
- Vous pouvez la lire dans le chapitre 53 du prophète Esaïe !

Bien des gens en voulaient aussi à l'Américain de la réclame exagérée faite autour de son nom ; il est juste de remarquer qu'elle fut le fait d'amis par trop zélés. D'autres ne cessaient de lui reprocher de vouloir obtenir des conversions subites ; à quoi notre homme répliquait invariablement :
- Montrez-moi, dans la Bible, une seule conversion qui ne l'ait pas été ! ...

Et c'est aussi sa largeur qui froissait des chrétiens attachés à leur Église particulière, en laquelle ils voyaient la seule Église fidèle, tandis que d'autres suspectaient chez lui une tendance au sectarisme. À des unionistes qui, sur ce point, lui avaient exprimé leurs craintes, il déclara d'un trait :
«- Je vais où je puis faire le plus de bien. Je ne cherche pas autre chose. Ce sont des âmes que je veux atteindre, des âmes, entendez-vous ! ... »

Un jour que certain jeune pasteur exprimait le désir de voir les foudres de l'Église établie (8) se déchaîner sur Moody, son évêque, ayant reconnu la puissance spirituelle de l'évangéliste et les bénédictions qui reposaient sur son travail, se borna à répondre :
- Allez et faites de même!

Au surplus, Moody se déclarait prêt à travailler avec tous, catholiques y compris. Aussi ne se laissait-il jamais entraîner à des polémiques confessionnelles aussi irritantes qu'infécondes. Son drapeau, c'était l'Évangile ; il le déployait ouvertement, ne distinguant ni Juif, ni Grec, ni Romain, ni Réformé ; il voyait toutes les âmes en Christ, à quelque Église qu'elles appartinssent. Son idéal était la devise des Unions chrétiennes de jeunes gens, cette prière du Maître : «Que tous soient un» ! Cette attitude lui valait les suffrages les plus divers. Jusqu'en Irlande un organe clérical ne craignit pas de publier ces lignes significatives :

Jouons franc jeu !

«Le danger mortel qui nous menace vient des Huxley, des Darwin, des Tyndall bien plus que des Moody et des Sankey. Les catholiques irlandais souhaitent voir les protestants faire preuve de sentiments religieux plutôt que de rationalisme et d'incrédulité. Aussi longtemps que nos voisins réformés viseront loyalement à stimuler la pensée religieuse sans intention agressive et sans offense à notre endroit, c'est un devoir pour nous de rendre à leurs convictions profondes l'hommage de notre déférence, en un mot de faire pour eux ce que nous voudrions qu'on fit pour nous-mêmes. Ce serait sûrement un jour béni pour notre pays que celui où partout on apporterait un esprit de respect mutuel et de tolérance. M. Moody ne fait jamais de controverse. Le succès qu'il obtient en attirant l'attention sympathique de nos frères d'une autre confession est sans exemple dans notre histoire locale... »

Premiers résultats

Sur un autre plan, Moody gagnait à l'Église de vives sympathies en montrant que, loin de confiner les croyants dans un vertuisme et une béatitude égoïstes, la vraie piété évangélique doit manifester son influence dans tous les éléments de leur vie. Aussi les résultats de ses campagnes furent-ils rendus sensibles par le développement de plus d'une oeuvre sociale, par une action plus décidée pour le bien-être des ouvriers établis dans les grands centres manufacturiers, dans les villes industrielles ou dans les ports. Le relèvement des victimes de l'alcool, la protection des orphelins ne trouvèrent pas d'avocat plus convaincu. En mainte cité, on lui dut de fructueuses collectes en faveur d'institutions endettées ou d'Unions chrétiennes de jeunes gens cherchant à ériger des bâtiments. Préoccupé des souffrances qu'imposent la maladie, le chômage ou la misère, il avait, dès 1867, dans un rapport annuel de l'U.C.J.G. de Chicago, nettement posé le problème :

«De nouvelles occasions nous ont été données d'apporter l'Évangile de paix à un grand nombre de personnes qui seraient restées en dehors de son influence si le message n'avait été précédé de pain, de charbon et de vêtements. Le coeur s'ouvre avec autant de spontanéité à de tels témoignages d'amour que les fleurs s'ouvrent au soleil. Lorsque le Christianisme gagne ainsi le coeur des hommes, sa puissance est mieux reconnue. Donner n'est pas tout, agir n'est pas tout, prier n'est pas tout, croire n'est pas tout l'Évangile. Mais vivez tout cela et vous aurez l'Évangile personnifié. Alors s'ajouteront chaque jour à l'Église ceux qui seront sauvés, sauvés pour cette vie et pour la vie à venir. Il faut remarquer d'ailleurs (ajoutait-il) que des hommes et des femmes sauvés par le sang de Jésus ne demeurent pas longtemps les objets de la charité publique. La plupart d'entre eux, du fait même de leur orientation nouvelle, s'élèvent tôt ou tard à un niveau supérieur».

Un théologien d'Écosse, le Dr. Arnot, pouvait résumer en une image frappante l'influence de cet envoyé d'Amérique:

«Chez nous et spécialement à Édimbourg, nous avons toujours été d'honnêtes chrétiens, des chrétiens bien élevés. Mais pour vous faire comprendre ce qui en était de notre vie spirituelle, je vous répéterai ce que j'entendis au cours d'un voyage. Comme on nous retenait dans une gare au-delà de l'heure réglementaire et que personne n'en comprenait la raison, l'un des voyageurs s'adressa au chef de train :
- Pourquoi ne partons-nous pas ? N'y a-t-il point d'eau ?
- L'eau ne manque pas, répliqua le préposé, mais elle ne veut pas bouillir...

C'est ainsi que nous avions en Écosse une éducation' religieuse soignée et des formes ecclésiastiques irréprochables. Mais l'eau était froide et ne développait pas sa puissance. Aujourd'hui, nous avons acquis la chaleur qui produit la force motrice. L'amour du Christ s'est répandu dans le coeur d'une multitude de chrétiens et c'est lui qui les anime».

Libres-penseurs et milieux bourgeois

À la vue des résultats d'une telle campagne, les clubs de libres-penseurs, alors assez prospères, ne laissèrent pas de s'émouvoir. À Édimbourg même, un de leurs représentants voulut, au cours d'une réunion, ridiculiser l'orateur et l'entraîner dans une controverse. Peine perdue, car, sans l'intervention personnelle de Moody, il eût été sûrement expulsé de la salle. Comme il s'y attendait, une fois l'assemblée congédiée, l'orateur s'approcha et lui demanda s'il désirait aussi devenir chrétien.
- Non, - fut la réponse - car je n'ai qu'une piètre estime pour ces gens-là.
- M'est-il permis de prier pour vous ?
- Oh ! riposta l'autre, je n'y ai nulle objection, mais je crois que vous perdez votre temps à vouloir mettre le grappin sur moi !

Moody, s'agenouillant près du railleur, se mit à prier avec tant de sérieux que bientôt, profondément troublé, cet athée ébranlé dans ses sentiments intimes exprima le désir de changer de vie. Et peu de temps après, sur trente «chercheurs», il ne se trouva pas moins de dix-sept anciens libres-penseurs, membres du cercle des «Sans-Dieu», dont l'ancien président devait, par la suite, devenir un évangéliste de talent.

Que Moody, parfois, en dépit de sa constitution athlétique, ressentît quelques signes de fatigue, on n'en sera pas surpris si l'on se rend compte de son incessant labeur : à Édimbourg, à Glasgow, à Dublin comme à Londres, partout et durant des semaines consécutives, les campagnes se prolongèrent sans arrêt. On, peut en juger par la lettre d'un jeune savant chrétien, Henry Drummond, gagné à la cause de l'évangélisation et du réveil pendant le premier séjour du grand évangéliste :

«Me voici (écrivait-il d'Écosse à son père) engagé à suivre Moody tout l'hiver et à diriger les réunions pour jeunes gens, plus je vais de l'avant, plus je suis persuadé que c'est bien ce travail que Dieu me destinait. je ne crois pas qu'il y ait eu dans l'histoire de l'Église de temps plus favorable à l'action. Nous n'avons pas moins de mille auditeurs chaque soir, et cela sans interruption depuis plus de six semaines. Et je suis certain qu'il sortira de ce travail nombre de vocations missionnaires. »

Et de Londres, Drummond écrivait encore : «J'ai eu hier une soirée splendide. Moody est resté seul avec moi, jusqu'à une heure du matin, me racontant toute l'histoire de sa vie. Quelle fortune pour un Journaliste qu'une pareille interview ! Notre ami n'est nullement éprouvé par l'immensité de son travail, bien que parlant chaque soir dans l'Est à quinze mille personnes. Que diriez-vous à la vue de cet auditoire qui couvre un espace de quatre mille mètres carrés ? »... Dès lors, on comprend la remarque du doyen Stanley lorsqu'après l'Est de Londres, Moody s'attaqua aux quartiers bourgeois : «Si l'on ne trouve aucune salle suffisante pour lui dans la région du Palais royal, il faudra le faire prêcher à Westminster ! ».

En l'écoutant, on oubliait que, s'il n'avait point passé par la filière des études, il connaissait, comme pas un, Christ et son Évangile, Pour lui, tout pécheur, même roulant carrosse et portant haut son blason, avait besoin du Sauveur autant que l'habitué des tripots ou des combats de chiens. Sans faire acception de personnes, il gardait avec chacun la même simplicité. C'est ainsi qu'un soir, au moment où l'on voyait affluer les auditeurs, il aperçut près de l'estrade, deux dames âgées qui cherchaient en vain des places. A ce moment un ami s'approcha de lui pour le présenter à un pair d'Angleterre :
«- Enchanté de vous voir, comte ! s'écria Moody. Vous seriez bien aimable de porter des chaises à ces vénérables soeurs !»

Il n'était pas moins à son aise avec les hommes d'Etat les plus éminents.

Parmi ses auditeurs de Londres on vit le premier ministre Gladstone s'associer de tout coeur aux actes du culte. La réunion finie, on lui présenta l'Américain. L'entretien fut court. Comme on en demandait plus tard le sujet:

«- Gladstone m'a dit qu'il aimerait avoir mes épaules, déclara Moody, et je lui ai répondu que sur mes épaules j'aimerais bien avoir sa tête !»

Un autre soir, dans un cercle sportif, la discussion tomba sur les Américains et leur oeuvre. Aussitôt critiques de pleuvoir. L'un des assistants, qui avait fait fortune aux Indes et possédait une écurie de courses alors fameuse, déclara pourtant que nul ne doit être condamné sans avoir été entendu, et annonça son intention d'aller écouter le «Yankee». On en rit. Or, le soir même, le sportsman se convertit et si profond fut le changement qu'il bouleversa son genre de vie. L'écurie vendue, il se consacra avec enthousiasme au service du Christ, s'efforçant de Lui amener les gens de son monde.

Puis l'un de ses fils, élève de l'aristocratique collège d'Eton, ayant suivi son exemple, voici Moody invité à parler aux camarades du jeune homme. Dès qu'on le sut, une tempête s'éleva. D'aucuns déclaraient que l'Américain chercherait à enflammer la jeunesse anglaise pour la République et un dignitaire de la Maison royale alla jusqu'à demander des renforts militaires en prévision de troubles possibles. La Chambre des Lords elle-même s'occupa de l'affaire. or, l'agitation tomba aussi rapidement qu'elle était née, car Moody eut le tact de parler non dans l'école, mais dans une propriété privée. De sorte que ce jour-là la Royauté ne courut aucun danger !

Tout en faisant des réserves sérieuses et en couvrant les évêques qui, par prudence pastorale, n'avaient pas cru pouvoir prendre part officiellement à cette campagne, l'archevêque de Cantorbéry (9) - c'était alors le Dr. Archibald Tait - tint à affirmer ses sympathies et à se féliciter des résultats obtenus :
«Considérant le champ immense qui s'étend devant nous et les énormes difficultés de la lutte contre le péché et l'indifférence, je ne puis, pour ma part, que me réjouir de constater combien, dans les cadres ou hors des cadres réguliers de l'Église, Christ est annoncé et combien de consciences endormies se sont réveillées ... »

Au moment où les deux compagnons de travail allaient se rembarquer pour les Etats-Unis, les dirigeants de toutes les Églises tinrent à rendre hommage à leur labeur incessant et fidèle au cours de ces deux années.

inconnus de la plupart, Moody et Sankey étaient venus pour obéir à un appel de Dieu qui leur avait dit à chacun : «Va avec cette force que tu as ! ». Or, Dieu avait tenu Sa promesse et béni le travail de Ses serviteurs bien au-delà de tout ce qu'ils avaient pu espérer et demander. À Lui seul toute gloire !


Table des matières

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1. Aug. GLARDON, Chrétien évangélique. 1875,1). 397. 13. cf. Actes VIII : 26 à 35, XI : 23, XIII :42-43.
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2. Il s'agit du Mouvement anglo-catholique et noir du Mouvement des groupes dits d'Oxford qui ne s'est produit que soixante airs plus tard.
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3. Nom donné aux Églises autres que l'Église anglicane : Baptiste, Méthodiste, Congrégationaliste, etc...
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4. C'est-à-dire universel.
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5. F. B. MEYER, Souvenirs. .
6. Dr CAIRNS, Discours à la Radio, mai 1937.
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7. À la suite d'un conflit entre un Conseil de paroisse et le «patron» de la dite paroisse, quatre cent soixante-sept pasteurs avaient donné leur démission de l'Église presbytérienne d'Écosse et fondé l'Église libre d'Écosse. Cette séparation a pris fin en 1930.
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8. C'est-à-dire l'Église anglicane.
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9. Le primat de l'Église anglicane.

 

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