Nous
les jeunes
II.
L'INSTINCT SEXUEL
« PREMIÈREMENT
LA VOLONTÉ, PUIS LA FORCE, ET A LA
FIN, LA
VICTOIRE ! »
MULTATULI.
|
Dans notre corps, à nous, jeunes hommes,
s'éveille une puissance qui semble
être notre ennemie, qui menace d'entraver la
formation de notre caractère, de
détruire l'intimité et l'unité
de notre être, et nous attaque ainsi dans ce
que nous possédons de meilleur, dans notre
honneur : C'est l'instinct
sexuel.
Mais le fait de considérer cette
puissance comme une ennemie, indique bien que
quelque chose, en nous, n'est pas dans l'ordre. Car
la force sexuelle, ce signe de notre
virilité, qui agit dans notre corps pour le
former, qui fortifie nos muscles, donne à
l'oeil l'éclat et à l'âme la
puissance de sentir et de penser fermement, fait si
bien partie de notre être que son absence est
regardée, avec raison, comme une mutilation.
Il faut donc qu'il y ait en nous une
dégénération de la
pensée, pour que nous arrivions à
considérer cette force, si indissolublement
liée à notre être, comme un
pouvoir ennemi et perturbateur.
Nous ne voulons plus nous tromper
nous-mêmes ; l'instinct sexuel est le
plus fort de tous les instincts ; il peut
fondre sur nous comme un feu dévorant, comme
une vague irrésistible, Nous traversons des
moments où il nous semble que tous les
autres instincts sont morts en nous -
celui-là seul subsistant pour s'enfoncer
dans notre chair comme une lame d'acier - ou qu'ils
se sont ligués pour fortifier l'instinct
sexuel et en faire une souffrance continuelle et
insupportable.
Mais il n'est pas naturel que tous nos
instincts, si riches et si variés, soient
soumis à ce seul instinct et dirigés
uniquement par lui. Si nous croyons que
l'humanité a réussi à se
dégager de l'animalité, grâce
à un développement progressif, nous
avons une nouvelle conquête à
faire : il faut que l'instinct sexuel devienne
partie intégrante de notre vie physique et
morale. De même, si nous estimons que les
péchés des innombrables
générations qui nous ont
précédés, ont produit une
dégénération de la vie
sexuelle, nous devrons nous efforcer de
reconquérir ce qui a été perdu
par elles.
Loin de partager cette ancienne
conception monacale qui considère l'instinct
sexuel comme quelque chose de
mauvais et de repoussant, nous croyons, au
contraire, que grâce au pouvoir sexuel,
l'homme participe à cette création
éternelle qui rajeunit constamment
l'humanité. Il est ainsi
élevé, par lui, au-dessus de toutes
les autres créatures. À l'aide de
cette force, l'homme éveille de nouvelles
vies, engendre des individualités nouvelles,
qui contribueront, à leur tour, au
progrès de l'humanité, au bien de la
collectivité. Et s'il est, de nos jours,
difficile de contester la réalité du
développement ininterrompu de notre race, il
deviendra, de plus en plus certain que la puissance
de procréation de l'homme, beaucoup plus
grande que celle des animaux, est aussi un facteur
beaucoup plus actif et plus puissant de son
développement.
La force sexuelle est une force
créatrice ; bien comprise et bien
employée, elle est ce que l'homme
possède de plus noble et de plus
fécond. Il nous suffit d'avoir, une fois, la
joie de serrer dans nos bras un enfant robuste et
plein d'avenir, qui soit à nous, pour que
nous nous moquions de toutes les préventions
et de tous les mystères qui ont
enveloppé, comme d'une atmosphère
étouffante, la puissance sexuelle, et pour
que nous nous réjouissions de tout notre
coeur de la posséder, ainsi
qu'au printemps, la nature se
réjouit, les montagnes sont en fête,
et les sources exultent lorsque germe la nouvelle
vie.
Cependant, au lieu d'être pour nous une
source de joie, l'instinct sexuel est devenu une
source de souffrance. Ce sont, d'abord, les
tentations qui détruisent notre
équilibre intérieur et compromettent
le développement harmonique de notre
caractère. Puis, le mauvais emploi de
l'instinct sexuel qui charge la conscience, trouble
la vue intérieure et affaiblit la
volonté ; puis c'est la licence dans la
jouissance sexuelle, qui use les forces et rabaisse
le niveau de la vie spirituelle, jusqu'à ce
qu'on ait honte de soi-même.
Enfin, ce sont toutes sortes de maladies
qui ruinent la force vitale de notre corps et nous
conduisent à cette constatation effroyable
que notre vie est gâtée, qu'elle a
perdu sa valeur, par le fait de cette même
force qui, bien dirigée, nous aurait
extraordinairement enrichis et
fortifiés.Comment se fait-il que la force
sexuelle, qui devrait être
un bienfait, puisse devenir une source de
malheur ? Avant tout, grâce à des
notions inexactes : notre éducation a
déjà été
faussée, sur ce point, par une pruderie
exagérée dans tout ce qui touchait
aux sexes. Au lieu de nous faire considérer
comme une joie l'éclosion de cette force
nouvelle, au moment où l'instinct sexuel
s'éveillait en nous, au lieu de nous
dire : « Enfant, tu es sur le point
de devenir un homme, et maintenant, toutes tes
forces, mentales et physiques, vont être
accrues d'une force nouvelle, » on nous a
inspiré une frayeur malsaine et impure de ce
mystère.
Un grand événement est
ainsi survenu dans notre vie, sans que nous
sachions ce qu'il signifiait ; une arme
nouvelle s'est trouvée dans notre main, et
personne ne nous a appris à nous en servir.
Alors le nouvel instinct devint ce qu'il n'aurait
jamais dû être : notre
maître. Notre vue, qu'il rendit plus
perçante, se mit à rechercher les
objets propres à exciter nos sens ;
notre ouïe, qu'il rendit plus fine, nous
servit à écouter mille folies
auxquelles nous ne prêtâmes que trop
volontiers attention. Mais tout ce que nous
apprîmes, tout ce que nous parvînmes
à savoir, ne nous expliqua pas le grand
mystère qui sommeillait en nous, et
n'aboutit qu'à nous rendre à la fois
craintifs et brûlants d'une
ardeur malsaine, état que beaucoup d'entre
nous conservent dans la maturité.
Parce qu'on ne connaissait pas la
signification de la force sexuelle, on s'en joua,
et l'on s'imagina qu'elle ne s'éveillait que
pour le plaisir ; puis on chercha une raison,
une sorte de justification scientifique, et l'on
déclara que l'instinct sexuel était
un instinct animal qui réclamait
impérieusement sa satisfaction. Il arriva,
alors, ce qui arrive souvent en pareil cas ;
la morale générale baissa, et l'on
inventa une théorie destinée à
cacher cet affaissement moral. C'est ainsi qu'on
répandit cette fausse notion du besoin
insurmontable de satisfaction sexuelle. On
oublia que, dans le monde animal, la vie sexuelle
est réglée par des lois naturelles
inviolables, non seulement par le rut, mais aussi
par le repos sexuel, dans lequel le mâle
laisse instinctivement la femelle lorsqu'elle est
fécondée. Même en admettant le
fait que l'instinct sexuel est toujours en
éveil chez l'homme, l'idée que
celui-ci pourrait et devrait satisfaire ce besoin
à chaque sollicitation placerait l'homme
au-dessous de la bête. Du reste, une
observation exacte de la vie des animaux, chez les
oiseaux aussi bien que chez les mammifères
les plus développés, a
démontré que chaque mâle
ne peut pas toujours satisfaire
son instinct sexuel lorsqu'il a atteint sa
maturité. La concurrence pour la possession
d'une même femelle fait souvent reculer le
mâle plus jeune, mais pourtant pubère,
devant le plus âgé, et le force ainsi
à la continence.
Un autre mal provient d'une satisfaction
artificielle de l'instinct sexuel. Beaucoup de
garçons, parvenus à l'âge de
puberté, se livrent à la masturbation
(onanisme). Ils font bien vite l'expérience
que cette satisfaction contre-nature ne leur
apporte pas l'apaisement souhaité, mais
augmente, au contraire, leurs souffrances.
L'excitabilité devient toujours plus grande
et enserre le jeune garçon, ou le jeune
homme, comme dans un étau de fer. Il a
involontairement conscience qu'il fait quelque
chose de mal, mais il recule devant cette
découverte, il cache sa souillure et le
désordre de sa vie intime. Ainsi, au moment
où la force sexuelle lui ouvre un monde de
pensées et de sensations inconnues
jusqu'alors, au moment où des sentiments
virils demandent à se faire
jour en lui, son imagination
l'entraîne dans une voie où il n'y a
pas de progrès féconds.
Même si la masturbation ne
dépasse pas certaines limites, elle exerce
son influence déprimante sur l'âme,
sans parler des traces, facilement reconnaissables,
qu'elle laisse dans l'organisme. Corps et âme
perdent en fraîcheur, en vivacité de
mouvements, en force impulsive et
réconfortante, et nombreux sont ceux qui
n'ont jamais pu recouvrer, leur vie durant, ce que
ce vice leur avait fait perdre dans leur
jeunesse.
Lorsque le garçon est devenu un
jeune homme, il se lie avec des camarades plus
âgés, parmi lesquels il rencontre des
fanfarons qui veulent prouver leur virilité
en se vantant de leur libertinage, et regardent
avec mépris ceux qui n'ont pas encore
essayé leur force sexuelle ; ils
éveillent ainsi chez ces derniers une
ambition malsaine. Plus d'un jeune garçon
inexpérimenté s'est engagé
dans le chemin qui mène à la
prostitution pour prouver qu'il était un
« homme » et mettre fin aux
railleries de ses « amis » plus
âgés.
J'estime que répondre par le
mépris à de telles attaques serait
une bien plus grande preuve d'énergie et
d'indépendance. Celui qui veut être
véritablement un
« type » doit se montrer
différent des autres, plus
indépendant. Par sa force de
résistance, il rendra stériles les
moqueries des libertins. Un
« non ! » ferme et
courageux, voilà ce qui est vraiment
digne !
Car, qu'est-ce qui engage ces fanfarons
à donner aux plus jeunes, leur libertinage
comme un signe de virilité ? Ils
auraient cependant tous les motifs de cacher cette
triste page de leur vie. Ne serait-ce pas
qu'inconsciemment ils cherchent à s'excuser
à leurs propres yeux en proclamant la
licence sexuelle comme un droit et un
privilège du jeune homme ? Et une autre
raison semblable ne serait-elle pas qu'ils
désirent aussi avoir des complices ? Il
est si facile de distinguer ce qui est bien de ce
qui est mal ! Seul, le besoin de s'excuser
soi-même est capable d'engendrer les
théories proclamant la liberté
sexuelle !
Et demandez à ceux qui font
parade de leurs moeurs relâchées si,
dans leur première visite à une
prostituée, ils n'ont pas dû surmonter
un dégoût physique qui a
considérablement amoindri la jouissance
espérée ! Je n'ai qu'à
penser à ce linge touché aussi par
d'autres hommes, à ce lit qui n'est
certainement pas toujours maintenu dans un
état de propreté parfaite, à
l'absence de soins corporels,
surtout chez les prostituées à bas
prix, pour que la simple possibilité d'une
jouissance physique avec de semblables femmes soit,
pour moi, plus que douteuse. Il faut avoir des
goûts peu raffinés pour se lier avec
une de ces filles de joie. Celui qui n'est plus
capable de discerner la situation écoeurante
dans laquelle la prostitution place l'homme, a
perdu une partie de sa valeur morale, car le sens
et le goût se tiennent de très
près.
C'est une folie inexcusable que
d'éveiller les désirs sexuels chez un
jeune homme qui est encore en plein
développement corporel. On empiète
ainsi sur les droits de la nature, on provoque une
précocité qui n'est utile ni à
la croissance physique, ni à la croissance
spirituelle. La nature travaille lentement ;
c'est là le secret de sa force et de son
art. Comme le dit C. F. Meyer, dans
« Huttens letzte Tage »
- « Patience, je connais la force
de mon peuple !
- Ce qui croît lentement devient
doublement fort.
- Patience ! ce qui mûrit
lentement vieillit tard !
- Quand d'autres se faneront, nous, nous
serons forts. »
Je veux supposer, pour un instant, qu'un jeune
homme a réussi à traverser le
bourbier de la prostitution, sans préjudice
physique, sans maladies sexuelles. Je dis que je
veux le supposer, quoique, en
réalité, ce soit à peu
près impossible, les maladies les plus
repoussantes se contractant presque à
coup sûr. Mais, dans quel milieu l'homme
pénètre-t-il, lorsqu'il s'unit
à une prostituée ? Nous ne
voulons jeter la pierre à aucune de ces
créatures sacrifiées à notre
fausse manière de vivre. Qui dira quelle
part de responsabilité incombe à
telle pauvre fille dans la faute qui l'a
jetée à la rue, et l'a conduite
à offrir son corps en pâture à
celui qui désire assouvir ses
convoitises ? Je suis convaincu que,
même dans ces bas-fonds de la
société, beaucoup de créatures
soupirent après la délivrance. Mais,
la souillure qui, transmise et renforcée de
génération en
génération, s'est accumulée
dans la prostitution, avec son atmosphère
chargée de vapeurs d'alcool, de
pensées perverses et de désirs
sexuels, n'est, en réalité, pas
propre à nous faire progresser.
Au lieu d'éviter tout ce qui
pourrait faire obstacle à la formation de
notre caractère et de rechercher ce qui nous
ferait avancer, nous attacherions à notre
pied, par la prostitution, un boulet qui
entraverait nos progrès et
notre développement normal. Nous
introduirions dans nos veines un sang qui trouble
la vision, égare les pensées, et nous
ferions, enfin, bien vite l'expérience que
nous avons été trompés quant
à la satisfaction espérée.
C'est l'amour mercenaire qu'offre la prostitution,
et des rapports intimes et tendres ne peuvent pas
naître, entre l'homme et la femme, lorsqu'il
n'existe qu'une union sexuelle. Nous perdons ainsi
de notre dignité humaine, et nous
n'exerçons pas la fonction sexuelle plus
noblement que l'animal ; donc, nous sommes
dans l'erreur.
Je ne veux pas insister ici sur ce que
l'abus dans la jouissance sexuelle peut conduire
à la perversion sexuelle, qui déprave
la vie personnelle jusqu'à la rendre
intolérable. Je ne m'appesantirai pas non
plus sur le danger de contracter des maladies
répugnantes que l'on ne guérit que
très difficilement, ou même pas du
tout, et qui peuvent empoisonner toute une vie et
toute une génération. Cela fera le
sujet d'un autre chapitre, quoiqu'il soit loin de
ma pensée de chercher à effrayer et
à angoisser par l'épouvantail de la
maladie.
Revenons plutôt au point de
départ de nos réflexions. Nous
voulions protéger notre honneur
personnel ; cet honneur,
nous en sommes tombés d'accord, exige que
nous conservions la voie libre au
développement d'un caractère ferme,
d'une personnalité robuste et vaillante qui
puisse être, pour le monde, un
élément de prospérité
et de progrès. Si l'instinct sexuel tend
à détruire l'harmonie de notre
être, nous devons employer toute notre
énergie à l'incorporer dans notre
vie, de telle sorte qu'il nous serve au lieu de
nous nuire, et qu'il devienne, pour elle, une
bénédiction et non une
malédiction.
Pour cela, il est avant tout
nécessaire que nous croyions à la
possibilité de nous en rendre maître.
Celui qui, d'emblée, estime impossible de
dompter cet instinct, renonce, par cela même,
à atteindre un degré supérieur
de vie morale, accessible cependant à
tous.
Carlyle a dit : « Ce
n'est pas un mot heureux que le mot
impossible ; il n'y a rien de bon à
attendre de ceux qui l'ont souvent à la
bouche. Quel est celui qui dit : Il y a un
lion sur le chemin ? Toi, paresseux ! eh
bien, tue-le ; le chemin doit être
parcouru... Toutes les perspectives
n'étaient que banalité lorsque
Napoléon parut et conquit le monde. Par les
calculs exacts des courants, on avait
déclaré que les navires ne pourraient
jamais aller, par le plus court
chemin, de l'Irlande à Terre-Neuve :
force propulsive, résistance, maximum ici,
minimum là, lois naturelles et preuves
géométriques ; que pouvait-il en
résulter ? Le « Great
Western » leva l'ancre dans le port de
Bristol ; le « Great
Western » traversa sans danger le
détroit d'Hudson et alla aborder devant
New-York ! L'écriture, encore humide,
de nos preuves accumulées put sécher
en tout repos.
« Impossible » ? criait
Mirabeau à son secrétaire, e ne me
dites jamais ce bête de
mot ! »
C'est avec la certitude absolue de
pouvoir atteindre le but que nous devons
procéder à une nouvelle orientation
de notre pensée et à une nouvelle
organisation de notre vie.
Commençons tout d'abord
à nous habituer à penser
autrement.
Dès maintenant, regardons
l'instinct sexuel comme une chose naturelle
à laquelle on peut appliquer le vieux
proverbe : « naturalia non sunt
turpia ». Nous ne parlerons plus
seulement à voix basse de ce qui concerne le
sexe, comme si nous avions quelque chose à
cacher. Plus nous traiterons ces sujets simplement
et ouvertement, plus vite s'évanouiront les
brouillards de la pruderie. Nous
ne tomberons pas, non plus, dans l'extrême
contraire, comme si l'on devait parler de ces
choses à tout le monde. Si les cachotteries
étaient pleines de danger, le manque de tact
pourrait aussi détruire le bien que nous
voulons faire.
De même que nous exerçons
notre corps en vue de grands efforts, nous
disciplinerons nos pensées et parlerons de
choses sérieuses avec une gravité
virile.
Nous apprendrons, avec une joie intime,
que la force sexuelle est la base de notre
virilité, que d'elle dépend la force
productrice de notre corps et celle de notre
esprit. Les racines de l'arbre sont soigneusement
cachées sous la terre, afin que les sucs et
la sève montent dans le tronc et les
branches ; de même, la nature a
prudemment caché, les sources de la
virilité, afin que des forces merveilleuses
puissent en jaillir. Si nous n'avons pas à
épaissir le voile dont la nature a
discrètement recouvert ce qu'elle tenait
à cacher, comme nous le ferions pour quelque
chose de honteux, nous ne nous permettrons pas non
plus d'écarter ce voile, sans nul souci de
la pudeur. En considérant la vie sexuelle
comme naturelle, compréhensible,
nécessaire, nous la tiendrons pour sainte,
car tout ce qui est naturel est
saint. Pourquoi la
laisserions-nous injurier plus longtemps, comme si
c'était une chose honteuse ?
C'est avec fierté que nous nous
dirons que la force sexuelle nous confère
une force créatrice avec laquelle nous
pouvons travailler à l'avenir de
l'humanité. De même que nous ne
réussissons à faire quelque chose de
grand qu'en concentrant toutes les forces de notre
esprit et de notre âme, de même la
transmission de la vie est liée à la
concentration, dans l'acte conjugal, de toutes les
forcer, du corps et de l'esprit. C'est au moment
où l'homme et la femme s'appartiennent que
culminent le sentiment de la possession de
soi-même et la conviction d'appartenir
à l'humanité. Mais ces sentiments ne
peuvent vibrer en nous, purs et forts, que si
l'acte conjugal est un acte d'amour, la plus forte
expression du don de l'union la plus intime entre
l'homme et la femme qui veulent transmettre leur
personnalité à leurs enfants. Ce
n'est que dans l'exercice légitime de l'acte
sexuel, lorsque tout ce qui est contre-nature est
exclu, et que l'union des corps et des âmes
existe, que l'on y trouve cette satisfaction qui
augmente les forces et rend plus riche et plus pur.
À côté des délices
passagères du moment, il y a le
sérieux stimulant d'une
paternité possible ;
à côté de ce don inexprimable
de la nature, une grande tâche :
élever des enfants.
Disciplinons nos pensées,
veillons à ce qu'elles ne s'introduisent
dans notre vie sexuelle qu'avec cette vraie
simplicité et cette joie paisible, et
nous apprendrons à nous défaire de
tout ce monde de pensées qui font voir dans
l'instinct sexuel quelque chose de bestial et dans
sa satisfaction, une nécessité. Les
autres besoins de notre nature ne sont-ils pas
identiques à ceux des animaux ? Et
cependant, quelle différence dans notre
manière de les satisfaire ! Le besoin
de nourriture existe chez l'homme comme chez
l'animal ; mais, s'il est resté chez ce
dernier une fonction purement organique, il a
été ennobli par l'homme qui y a
ajouté le charme de la
société. Nous ne buvons et ne
mangeons pas uniquement pour apaiser notre faim.
Des aliments bien préparés nous
procurent une sorte de jouissance, et nos repas
sont devenus l'occasion et l'expression d'une
joyeuse sociabilité. Nous subordonnons notre
besoin de nourriture à notre goût, et
nous choisissons nos aliments en tenant compte de
leur saveur et de leur digestibilité. Et ce
qui est convenable pour un besoin physique ne
devrait-il pas l'être, à plus forte
raison, pour le besoin sexuel qui
est la concentration de toutes
les virtualités et de toutes les forces de
l'homme ? Si nous désirons nous
distinguer de l'animal, ce sera dans le domaine des
choses sexuelles que devra se manifester le plus
clairement notre possibilité d'ennoblir une
fonction purement animale.
Une autre considération nous
amène à conclure que notre force
sexuelle, mal dirigée, ne peut occasionner
que du mal. Lorsque la matière est mise en
mouvement par une force aveugle, elle ne peut
produire que confusion ou malheur. Celui qui ne
sait pas manoeuvrer la voile ou le gouvernail, sera
anéanti par la tempête. Des enfants
qui voudraient jouer avec les fils dans lesquels
passe le courant électrique seraient
tués. Le matérialisme creux, qui ne
sait trouver dans la puissante organisation de la
nature aucun esprit directeur, est
réfuté par les petites
expériences de la vie quotidienne. Toute
force doit être soumise à la
discipline d'un esprit directeur, autrement elle se
consume inutilement, ou cause des dommages.
L'homme qui travaille depuis des siècles
à s'associer toutes les forces de la nature,
pourra-t-il se proclamer le maître du monde,
aussi longtemps qu'il n'aura pas pu ranger sous sa
domination la force naturelle la
plus puissante, celle qui lui tient de plus
près, la force sexuelle ?
Mais n'en restons pas à des
réflexions générales, allons
plus loin ! Nous affirmons, de la façon
la plus catégorique, que nous n'entendons
pas, en posant le principe de l'assujettissement de
l'instinct sexuel, condamner ceux qui n'ont pas
toujours su y parvenir. Nous savons combien
d'innombrables influences, découlant de
notre civilisation, nous rendent cette
maîtrise difficile. Nous savons que nous
pouvons avoir à traverser le bourbier, ou
à livrer bien des combats, avant d'arriver
à secouer toute entrave et à mener
une vie saine et naturelle. Nous ne voulons pas
condamner un seul de ceux qui ont succombé
dans ce combat pour la pureté. Il est faux
de dire, ainsi qu'on le fait, d'un ton grave et en
levant un doigt menaçant :
« Une fois tombé, c'est pour
toujours. » Il n'y a aucun domaine vital
à la conquête duquel nous puissions
marcher de victoire en victoire ; et
même, en regardant bien, nous constaterons
que pour plus d'un combattant,
une défaite est devenue le commencement de
la victoire. Nous ne voulons rien avoir à
faire avec la pureté rigoriste d'hommes
incomplets dont la vie sexuelle est physiquement
atrophiée, ou chez qui, grâce à
une crainte maladive, elle est devenue d'une
immatérialité exagérée
et mystique. Nous nous entretenons ensemble comme
des jeunes hommes pour qui la question de la vie
sexuelle est une question brûlante, qui
cherchent une solution, et ne redoutent aucun moyen
de la trouver.
Et si l'on doit affirmer que la
pureté absolue et sans
exception, dès le commencement, est non
seulement la meilleure, mais, à proprement
parler, la seule condition digne de l'homme, et de
beaucoup la plus facile pour le jeune homme
normal, il faut aussi faire ressortir qu'il y a une
énorme différence entre celui qui,
par faiblesse, a perdu occasionnellement la
maîtrise de lui-même et un cynique
dépravé ayant abandonné toute
honte au contact de la prostitution. Celui qui,
tombé, a en se relevant secoué la
boue de la chute avec une sainte horreur, pourra
encore faire son chemin. Mais, comment pourrait
progresser, dans sa vie intérieure ou
extérieure, celui qui se trouve bien dans la
vase, qui y vit à son
aise, et n'a plus la volonté de se
relever ? Vouloir, ou ne pas vouloir, tout
est là !
Je crois aussi qu'un homme
possédant de la force morale pourra,
même s'il est descendu profondément
dans la fange de la débauche sexuelle, s'en
arracher par un vigoureux effort. Toutefois, cela
ne réussit qu'aux êtres doués
d'une force extraordinaire. Pour la
généralité des hommes,
l'abandon volontaire d'eux-mêmes à
l'instinct sexuel leur enlève dignité
et force.
Le « Pierre
Camenzind » de Hermann Hess, après
avoir expliqué dans quels bas-fonds de la
vie parisienne il était plongé,
raconte ce qui suit : « Un soir,
j'étais assis, seul, au
« Bois », et je me demandais si
je quitterais Paris, ou s'il ne valait pas mieux en
finir tout de suite avec l'existence. Pour la
première fois, depuis longtemps, je revoyais
en pensée toute ma vie, et je calculais que,
je n'avais plus grand chose à perdre. Mais,
tout à coup, un souvenir précis et
vivant me reporta à un jour depuis longtemps
passé et oublié - une matinée
d'été, là-haut dans les
montagnes - et je me vis agenouillé au
chevet d'un lit sur lequel gisait ma mère
mourante. J'eus peur, et j'eus honte d'avoir,
pendant si longtemps, oublié cette
matinée. Les stupides idées de
suicide étaient
passées... Je
commençai à comprendre que la
souffrance, la mélancolie et les
déceptions ne sont pas destinées
à nous paralyser, à nous rendre sans
valeur et sans dignité, mais à nous
mûrir et à nous transformer. Huit
jours plus tard, mes malles partaient pour
Bâle... »
Beaucoup d'entre nous ne
possèdent-ils pas des souvenirs qu'ils
devraient seulement éveiller, pour donner
à leur vie une direction, une force et une
valeur nouvelles ? Celui qui veut, ne
doit jamais désespérer de son
relèvement. Mais, il faut vouloir.
Nous ne pouvons fermer les yeux sur le
fait que, dans nos conditions sociales actuelles,
il n'est possible que 6, 8 ou 10 ans après
la maturité sexuelle, de songer au mariage
par lequel, grâce aux relations conjugales
normales, la vie sexuelle se règle presque
d'elle-même. Cependant, avant d'accuser les
circonstances, il est juste que nous nous
demandions si nous n'avons pas contribué
à les former, si les
« prétentions » que nous
élevons, en ce qui concerne la vie sociale
et domestique, si la prodigalité avec
laquelle nous avons, jusqu'à présent,
employé nos forces et nos moyens, ne sont
pas des causes qui nous rendent le mariage
difficile. Je suis convaincu que le courant
d'individualisme qui domine à notre
époque fera aussi son
oeuvre dans ce domaine. Lorsque le jeune homme se
rendra compte de l'imperfection de son état
et reconnaîtra que le mariage peut
l'améliorer, il tiendra à se marier.
Celui qui a une volonté se fraye vite un
chemin.
Notre genre de vie, avant le mariage,
devra également être l'objet de nos
préoccupations, et voici la question que
nous aurons à nous poser :
« Voulons-nous être le coursier
qui se laisse exciter et harceler par un cavalier
sauvage, ou voulons-nous être le cavalier qui
tient les rênes d'une main sûre, qui
dompte son cheval avec vigueur ? Voulons-nous
nous laisser pousser comme un navire sans
gouvernail sur une mer sans rivage, ou voulons-nous
être le pilote qui dirige son navire et le
conduit au but ?»
Eh bien, il y a une direction à
laquelle nous pouvons soumettre notre vie
sexuelle :
NOUS AVONS UNE
VOLONTÉ.
Je ne suis pas seul à avoir fait
l'expérience qu'une volonté vaillante
et joyeuse, unie à une foi sérieuse,
à la certitude du succès, surmonte
des obstacles, en apparence insurmontables. Il est
vrai que la volonté n'est pas une de ces
forces naturelles qui puisse être
utilisée suivant des lois
fixées d'avance ; c'est bien
plutôt la seule force dont nous avons la
libre disposition, et quoique de temps à
autre, elle puisse dévier, par le fait
d'influences extérieures, elle n'en demeure
pu moins soumise à notre direction. C'est la
volonté qui se charge d'établir
l'harmonie dont nous avons parlé, entre les
mobiles qui nous font agir et l'action
elle-même. Elle est l'élément
qui donne de la consistance à notre vie.
Lorsque la volonté est mise en
activité au bon moment, et dans la bonne
direction, il n'est pas d'obstacle dans
l'entourage, pas de vice héréditaire,
si lourd soit-il, qu'elle ne puisse surmonter.
Mieux nous comprendrons et excuserons les
faiblesses des autres par leurs ascendants et leur
entourage, moins nous serons tentés de nous
servir de ces excuses pour
nous-mêmes.
Loin de nous donc, la peur de
l'insuccès dans l'exercice de notre
volonté ! « C'est notre
premier devoir, » dit Carlyle,
« de vaincre la peur. Tant que nous
n'aurons pas foulé aux pieds la crainte,
nous agirons comme des esclaves ; nous
n'aurons que l'apparence de la
volonté ; nos pensées
mêmes seront fausses, car nous penserons en
esclaves et en lâches. Nous pouvons et nous
devons être vaillants, marcher en avant avec
la tranquille assurance que nous
devons notre vocation à des puissances
supérieures. Nous n'avons rien à
craindre. C'est dans la mesure où un
être vaine la peur, qu'il est un
homme. »
Et c'est notre honneur que d'être
un homme.
Nous ne voulons pas non plus être
de ceux qui nient la vie, ou vivent comme des
moines, en dehors du monde. Nous ne voulons pas, de
parti pris, nier la force sexuelle, ni la
comprimer. Nous la voulons dans toute sa
beauté. Nous l'aimons, comme la quintessence
de notre force. Et si notre amour pour elle est
pur, comment cet amour ne nous rendrait-il pas
infiniment plus capables de la maîtriser que
cette lâcheté monacale qui fuit devant
sa grandeur ?
En avant, donc, courons au combat !
Je sais que la lutte est difficile et exige un
éveil journalier de toutes les forces
disponibles, une vigilance continuelle, une tension
ininterrompue, jusqu'à ce que le temps de
l'apprentissage soit terminé et que nous
soyons parvenus à une sécurité
laissant entrevoir, comme très prochain le
prix du combat.
Pourquoi redouterions-nous la lutte dans
ce domaine, lorsque le monde entier n'est que
guerre et combat ? Ce qui n'aspire qu'au repos
meurt tout de suite. Nous devons
toujours être équipés et
armés, toujours prêts, comme ceux qui
doivent rencontrer l'ennemi. Nous devons être
des guerriers.
Et encore une fois, pourquoi
redouterions-nous le combat sur ce terrain ?
Il nous faut bien lutter, pour conquérir
cette liberté intérieure qui est la
mère de toutes les autres libertés.
Entrons joyeusement dans la lice ; à
celui qui accepte avec joie sa vie et son travail,
à celui-là seulement, les puissances
supérieures sont favorables, et le cours des
ans lui apporte sa récompense. Un
échec ne doit pas nous abattre. Le mot de
Carlyle reste vrai : « Tout homme
qui veut accomplir quelque chose de bien dans cette
vie, ne le peut qu'en se disant : Je
l'accomplirai ou je mourrai. »
Nous libérerons par ce travail
plein de grandeur toutes les forces vives et nobles
qui sommeillent en nous. Notre pensée
deviendra plus féconde et plus pure, notre
travail sera plus productif et notre jugement plus
clair. Quand la victoire sur nous-mêmes sera
complète, nous serons fermes,
résolus, capables de résister au
monde.
C'est notre honneur que d'employer notre
volonté à créer la
pureté et l'harmonie de notre être que
notre force virile doit fortifier et non souiller.
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