Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



PETIT FRÈRE

CHAPITRE XI
Une nouvelle demeure

 On était à la fin d'une chaude journée du mois d'août. Toutes les portes et les fenêtres du Clos des Fougères étaient ouvertes, mais la température restait étouffante. La pauvre Mme Clarke en souffrait cruellement. Edith était assise près de la chaise-longue que sa mère ne quittait plus que bien rarement. La perte de son petit garçon, deux ans auparavant, avait brisé le coeur de la mère ; elle ne montrait plus aucun intérêt pour ce qui l'entourait et peu à peu elle avait abandonné la direction du ménage et les soins de la maison entre les mains de ses deux filles. Jessie était maintenant institutrice dans une école enfantine, mais, n'étant occupée que le matin, elle avait amplement le loisir de seconder sa soeur. Mme Clarke avait peu à peu renoncé à toute responsabilité quelle qu'elle fût et rien ne venait la distraire de sa préoccupation constante : la disparition de Tan. Elle refusait même de recevoir les visites de ses amis, prétextant la fatigue. Son mari désolé n'insistait pas, mais pourtant, combien il eût été préférable que la pauvre femme, oubliant un instant son propre chagrin, cherchât aide et consolation en partageant les souffrances d'autres affligés. Mais Mme Clarke ne faisait aucun effort pour secouer son apathie. Quelques jours auparavant, le docteur de la famille avait insisté auprès d'Edith sur l'impérieuse nécessité d'un changement, quel qu'il fût.
- Si votre mère ne réagit pas, avait-il affirmé, je ne réponds pas de sa vie.

Edith avait consulté son père, mais ils n'étaient arrivés à aucune conclusion. Jessie, de son côté, avait suggéré un plan qu'Edith cherchait à soumettre à Mme Clarke en cette chaude soirée d'été.
- Maman, commença-t-elle doucement, voici bientôt deux ans que notre cher petit Tan nous a quittés. Ne peux-tu pas maintenant le laisser entre les mains de notre tendre Père ?

Un spasme douloureux contracta le visage de la malade.
- Il y a longtemps que je l'ai fait, répondit-elle.
- Alors, pourquoi continuer à mener deuil comme tu le fais, chère maman ? Tu ne penses qu'à lui, jour et nuit.
- Mon enfant, tu ne peux admettre qu'il me soit absolument impossible d'oublier mon chéri, même pendant quelques instants. Personne ne peut comprendre l'amour d'une mère, et tout ce qui m'entoure ne fait que raviver mes souvenirs !

Edith ne répondit rien. Elle avait intensément souffert elle-même, car elle avait pour ainsi dire servi de mère à son petit frère. Mais Edith avait apporté son chagrin au Dieu de toute consolation. Il lui en avait beaucoup coûté de faire le sacrifice de sa propre volonté, mais, par grâce, elle avait remporté la victoire. Et maintenant, elle n'avait plus qu'un but dans la vie, s'oublier elle-même pour penser aux autres. Des réflexions de sa mère, Edith n'avait retenu que cette seule phrase : Tout ce qui m'entoure ne fait que raviver mes souvenirs !
- Si nous partions d'ici, maman, cela ne te ferait-il pas du bien ?
- Non, Edith ; le retour, après le séjour que j'ai fait au bord de la mer, le printemps dernier, n'a fait que raviver mon chagrin.
- Papa m'a demandé de te parler d'un projet qu'il a fait dernièrement. Veux-tu m'écouter, maman ?
- Oui, ma fille, parle seulement. Et Mme Clarke ferma les yeux et se laissa retomber sur ses coussins d'un air de complète indifférence.
- Papa a décidé de se retirer des affaires, et d'en laisser la direction à son chef de bureau. Il prendra une maison à la campagne d'où il pourra facilement revenir en ville deux fois par semaine. Edith parlait encore lorsque M. Clarke entra.
- Hé bien ! ma chère, que penses-tu de nos arrangements ? fit-il en se penchant affectueusement sur la malade.
- Tu ne m'as pas demandé mon avis, John, repartit sa femme ; mais j'accepte ce que tu jugeras bon de faire. Où as-tu l'intention de nous installer ?

Mme Clarke était intéressée en dépit d'elle-même. La nouvelle du changement projeté lui avait été annoncée si subitement qu'elle avait réagi à son insu. Son mari et sa fille le constatèrent avec joie.
- Dans un joli village, à quelques kilomètres de Bedford, j'ai trouvé le genre de maison que tu aimes, au milieu d'un grand jardin à la vieille mode. Ce qui m'a décidé à la louer, c'est que ta cousine Annie habite à deux pas de Stoneton.
- Cousine Annie ! s'écria Mme Clarke.
- Elle-même. Tout à fait fortuitement, j'ai appris qu'elle était revenue du Canada avec ses deux enfants, il y a quinze jours. Mais il faut que je me sauve, on m'attend en ville.
- Au revoir, papa. Je donnerai tous les détails à maman, dit Edith tout bas au moment où son père quittait la chambre.
- Pauvre Annie ! dit Mme Clarke.
- Oui, maman, elle a eu ses chagrins, elle aussi. Elle a perdu son mari, elle a été laissée seule dans un pays étranger. Sans doute sera-t-elle contente de nous avoir si près d'elle.

Sa mère ne répondit pas. Elle pensait que sa cousine avait encore ses deux fils et qu'elle avait perdu son unique.

Au milieu de septembre, tous les arrangements étaient achevés, et Mme Clarke put prendre possession d'une maison complètement installée. Le changement sembla lui faire grand bien. Le vieux jardin était délicieux avec ses plates-bandes d'oeillets et de réséda, et ses allées bordées de buis.

Mme Clarke passait la plus grande partie de la journée près de la fenêtre ouverte. Jessie, qui était restée en ville jusqu'à ce qu'elle eût trouvé une remplaçante, devait maintenant venir rejoindre sa famille. Ce fut avec délices qu'elle quitta les rues enfumées de Londres ; jamais la campagne ne lui avait paru aussi belle. Edith l'attendait à la gare, avec une petite voiture attelée d'un poney, un cadeau de M. Clarke à sa femme.
- Comment va maman ? fut la première question de Jessie.
- Vraiment mieux, répondit Edith. Notre cousine Annie Brunton nous a été d'un grand secours. Elle a montré à maman combien elle avait tort de murmurer constamment lorsque Dieu envoie l'épreuve. Mais pourtant, nous ne pouvons pas oublier notre chéri, et les yeux d'Edith se remplirent de larmes. Je me demande où il est, Jessie. Peut-être pas aussi loin que nous le croyons.
- Penses-tu donc, demanda sa soeur, tout étonnée, que son esprit nous visite quelquefois ?
- Non, ma chérie, je ne crois pas qu'il soit mort. J'ai souvent pensé qu'il aura trouvé quelqu'un qui l'aura recueilli et adopté. Mais voilà maman qui nous attend à la porte du jardin.

Ce soir-là, Mme Brunton vint souhaiter la bienvenue à Jessie. Elle était accompagnée de ses deux petits garçons, âgés de sept et neuf ans. Raymond, l'aîné, était un vrai petit nègre, aux yeux noirs, aux cheveux crépus, au teint basané, tandis que Vincent était blond comme sa mère. Les deux enfants allaient à l'école à Bedford et avaient mille choses à raconter.
- Cela vous amuse-t-il de prendre le train chaque jour ? demanda Edith.
- C'est très drôle, répondit Raymond, mais Vincent dit qu'il préférerait voyager dans une vieille roulotte que nous avons vue près de la gare. Elle était conduite par un vilain bohémien qui n'avait pas l'air commode et son petit garçon était appuyé contre la porte. Pauvre gamin, il avait pleuré, on le voyait bien.
- Mais moi, je ne pleurerais pas, interrompit Vincent. Ce serait délicieux de voyager toujours et de ne jamais aller à l'école.
- Je crois, mes chers garçons, dit leur mère doucement, que vous devriez plutôt remercier Dieu d'être nés dans des circonstances bien plus heureuses que celles de ce pauvre petit bohémien.
- Oh maman ! voilà précisément la roulotte qui passe, s'écria Raymond. Nous permets-tu d'aller saluer encore une fois le petit garçon ?
- Sans doute, mes chéris, courez vite, répondit Mme Brunton.

Les enfants revinrent au bout de quelques minutes.
- Nous l'avons vu, dit Vincent.
- Oui, fit Raymond, et je lui ai promis un sou s'il voulait me dire son nom ; mais le vieux bohémien l'a repoussé à l'intérieur du char, et il n'a pu me répondre.
Ah ! si leurs auditeurs avaient su que les petits cousins avaient failli retrouver Tan !

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CHAPITRE XII
Tan quitte la roulotte

Les longs jours de l'été se traînaient lentement pour le petit Tan. Jack lui manquait terriblement. L'enfant, rendu précoce par la souffrance, guettait sans cesse une occasion propice pour rejoindre son ami. Mais où le chercher maintenant ? Pourtant, la pensée de passer un nouvel hiver avec les bohémiens était intolérable. S'il ne réussissait pas à retrouver Jack, peut-être quelqu'un d'autre aurait pitié de lui. Il pourrait alors parler de son ami et on lui aiderait à le chercher.

Heureusement pour Tan, lorsque le mois de septembre commença, Jim Smith résolut de reprendre le chemin de Londres. On devait s'arrêter dans les environs de Bedford que l'enfant connaissait bien. Et c'est ainsi que Raymond et, Vincent Brunton avaient pu voir le petit bohémien appuyé contre la porte de la roulotte. Ce que les deux garçons ignoraient, c'est que le brutal conducteur du véhicule, furieux de la question qu'ils avaient adressée à Tan, avait cruellement fouetté l'enfant. « Cela t'apprendra à te faire remarquer des passants ! » vociférait-il entre chaque coup de lanière. Cette nuit-là, Tan résolut de s'enfuir.

Meg et son mari dormaient profondément ; Sal ronflait dans le lit de Jack qu'elle s'était appropriée. Tout était tranquille. L'enfant s'habilla lestement ; il n'avait rien à emporter que les haillons qui le recouvraient à peine. Retenant sa respiration, il se glissa vers la porte. Là, jetant un dernier regard épouvanté sur Meg et son mari, il souleva le loquet et se trouva sur l'escalier. Oh ! que l'air de la nuit était pur et froid !

La lune éclairait en plein la longue route blanche qui conduisait à Bedford. C'est là que Tan voulait aller. Dans la ville, il y avait beaucoup de monde ; peut-être quelqu'un lui viendrait-il en aide. Pendant près de dix minutes, le petit garçon courut de toute la vitesse de ses jambes ; puis le souffle lui manqua. Il ne voyait plus la roulotte. Pour Tan, elle était très loin et il se sentait presque en sécurité.

L'enfant se mit à marcher plus tranquillement la route était solitaire et personne n'était là pour remarquer l'étrange petit être qui avançait courageusement sous les rayons de la lune. Tan n'avait pas peur ; il avait passé deux années de sa courte vie parmi les bohémiens et rien ne l'étonnait beaucoup. Le petit voyageur passa devant une maison blanche, au milieu d'un vieux jardin. Ah ! s'il avait su qui habitait sous ce toit et quelles ardentes prières s'élevaient de cette demeure vers le trône de Dieu en faveur d'un enfant perdu !

Les heures s'écoulaient et maintenant les petits pieds se traînaient péniblement dans la poussière. Bedford n'était plus qu'à un demi-kilomètre, mais le petit Tan, absolument anéanti par le manque de nourriture et par la fatigue, se coucha au bord de la route et ne tarda pas à s'endormir, la tête appuyée contre une borne. Pouvons-nous douter que les anges veillaient sur l'abandonné ?

Quelques heures plus tard, Raymond et Vincent, se rendant à l'école, aperçurent l'enfant endormi.
- Tiens, voilà notre bohémien ! Comme il dort ! s'écria Vincent.
- C'est bien lui, fit Raymond. Il semble très fatigué. Où donc peut être la roulotte ? Réveillons-le, Vincent, et demandons-lui pourquoi il est tout seul ici.
- Hé ! bohémien ! où est ton père ? cria Vincent en se penchant sur le dormeur.

Tan ouvrit ses yeux, les frotta vigoureusement pour en chasser le sommeil. Il se mit sur son séant.
- Je vais à Bedford, pour chercher Jack, fit-il prudemment.
- As-tu faim ? demanda Raymond, toujours plein de pitié pour les malheureux.
- Très, fut la réponse laconique, mais combien expressive.
- Alors voici quelque chose pour toi, fit le garçon et, mettant son propre déjeuner dans la main de Tan, il appela son frère.
- Viens vite, Vincent ; nous arriverons en retard. Adieu, petit, j'espère que tu trouveras Jack.

Tan déballa le paquet et ses yeux étincelèrent en découvrant deux grosses tranches de pain, garnies de confiture.
- Quel gentil garçon, se dit-il tout bas. Et je ne lui ai même pas dit merci ! Mais je vais remercier Dieu tout de suite.

L'enfant s'agenouilla au bord de la route et dit très simplement sa reconnaissance à Celui qui avait ainsi veillé sur lui, lui envoyant son messager au moment du besoin. Après son simple repas, Tan reprit son chemin. Plus d'un passant remarqua le petit garçon en guenilles, mais dans la ville les pauvres ne manquaient pas et personne ne s'arrêta pour questionner l'enfant. En vain cherchait-il dans la foule quelque visage sympathique ; chacun paraissait trop absorbé par ses propres affaires pour s'inquiéter de celles d'un pauvre petit abandonné. La matinée se passa ainsi et, vers midi, poussé par la faim, Tan prit son courage à deux mains et, s'approchant d'une jeune femme, debout sur le seuil de sa demeure, il lui demanda un morceau de pain. La femme le toisa sans bienveillance.
- Où est ta mère ? Morte, naturellement.
- Oui, madame, répondit Tan.
- Toujours la vieille histoire ? Enfin, voici deux sous et pars un peu vite.

Se tournant vers une voisine, elle ajouta :
- Ces vagabonds ont toujours une histoire toute prête.

Mais Tan n'avait pas attendu la suite, et bien vite avait échangé sa piécette contre un gros morceau de pain.
Se trouvant dans le voisinage d'un jardin public, où de nombreux enfants jouaient sous la surveillance de leurs bonnes, Tan se glissa parmi les bouquets d'arbres et, s'asseyant sur le gazon, eût bientôt fait disparaître son maigre repas. Le pauvre petit se sentait très triste et très abandonné.

Que faire ? Où aller ? Il en venait presque à regretter la roulotte. Les heures passèrent ; Tan, toujours à la même place, regardait les enfants qui s'amusaient. Toutes sortes de pensées se pourchassaient dans son petit cerveau. Mais une idée peu à peu prenait le dessus. Il désirait ardemment revoir sa maman. Pourtant Meg lui avait dit qu'elle était morte. Alors Tan aurait voulu mourir aussi et s'en aller auprès du Seigneur Jésus où sûrement il la reverrait. Vers le soir, l'air devint plus froid. Le gardien du parc, faisant le tour des allées, découvrit le petit garçon et lui ordonna de partir avant qu'il fermât les grilles.

Comme il faisait sombre et comme Tan était fatigué ! Incapable de mettre un pied devant l'autre, le pauvre petit s'assit sur une marche d'escalier et les larmes se mirent à couler quatre à quatre. Il ne bougea pas même lorsqu'une main se posa sur son épaule et qu'une grosse voix lui dit :
- Allons, petiot, il faut aller plus loin !

Levant les yeux, Tan rencontra le regard bienveillant d'un agent de police qui s'était penché vers lui.
- Oh ! s'il vous plaît, je ne sais pas où aller. Voulez-vous me mener quelque part, parce que je n'ai point de lit. Je me suis sauvé de la roulotte cette nuit.

L'enfant parlait spontanément, sans crainte aucune. Quelqu'un s'occupait de lui... enfin !
- Viens avec moi, petiot, je te mettrai à l'abri, fit l'agent tout ému de pitié.

L'enfant se leva avec difficulté. Ses membres étaient raidis, tout son corps lui faisait mal. Il avait très faim. La forte main de l'agent saisit la menotte de Tan et ensemble, ils se dirigèrent vers le poste de police le plus proche.
Tan dut subir un interrogatoire en règle. Avec une parfaite candeur, le petit garçon raconta ce qu'il savait de son histoire. Il avait vécu dans une roulotte, mais l'homme le battait depuis que Jack était parti. Sa maman « demeurait avec Jésus dans le ciel ». On lui demanda s'il avait toujours été chez les bohémiens. « Pas toujours », répondit-il, mais sans pouvoir donner d'autres détails. Il avait complètement oublié Edith et peut-être n'aurait-il pas réalisé que Meg n'était pas sa mère, si Jack ne lui avait souvent rappelé que sa propre maman était morte et qu'il n'avait pas toujours habité dans la roulotte.

Cette nuit-là, le petit voyageur dormit profondément et le lendemain matin un avis parut dans le journal local, décrivant un enfant trouvé qui disait se nommer Tan.


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