Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Histoire de Topsy
II

 (Suite)

(Début)

 Les Mongols s'aperçurent bien vite que Topsy était de leur race, et quand ils apprirent qu'elle était sourde et muette ils l'aimèrent et la choyèrent d'autant plus. Topsy leur rendait bien cette affection.
Elle aimait à s'amuser avec les petits chameaux dans l'étable et à caresser les agneaux et les cabris qu'on gardait dans la tente jusqu'à ce qu'ils fussent assez forts pour sortir.

À la tombée de la nuit, les loups rôdent tout alentour, espérant attraper une bête pour la dévorer. Topsy, voyant l'amour avec lequel les bergers mongols prenaient soin de leurs agneaux, pensait à sa gravure du Bon Berger. Elle non plus ne devait pas sortir à la nuit et ne s'y risquait pas, sachant bien que le loup ne ferait d'elle qu'une bouchée !

Les missionnaires allaient d'un campement mongol à un autre, trouvant toujours le dernier visité plus beau que le précédent.
Ils arrivèrent un jour à la tente du prince de la tribu. Son siège d'honneur était recouvert de brocart écarlate, et Topsy contemplait avec admiration la princesse dont la coiffure était étonnante. Ses longues nattes noires étaient enfermées dans des sacs de satin, brodés de soie, et ornés de jade et de corail. Ils se montrèrent pleins de bonté envers Topsy et ouvrant un magnifique coffret laqué d'or, ils en sortirent du zamba (céréales grillées et moulues) qu'ils offrirent avec le thé.

Suivant leur habitude, les missionnaires eurent un long entretien avec leurs hôtes au sujet de la Parole de Dieu. Ils leur racontèrent la merveilleuse histoire de l'amour de Jésus, le Sauveur, qui parut faire une profonde impression sur le prince qui posa bien des questions.
Ensuite il leur fit visiter ses pâturages où broutaient des centaines de chevaux, gardés par des pâtres à cheval.

Un matin, les voyageurs partirent de bonne heure, comme à l'accoutumée, mais vers dix heures, une lueur rouge, sinistre, apparut dans le ciel. Les chameaux lèvent la tête, hument le vent et s'entr-appellent. Les chameliers disaient : « Une tempête de sable se prépare ». Soudain, on entendit un hurlement et le sable fut pris dans un puissant tourbillon, tandis que les voyageurs se tenaient cramponnés aux bosses de leurs chameaux, risquant fort d'être précipités à terre. Les conducteurs crièrent un commandement aux bêtes dociles, qui s'agenouillèrent, puis allongèrent leurs longs cous et enfouirent leurs naseaux dans le sable. Tout le monde mit pied à terre et chacun s'abrita derrière son chameau. Topsy resta sur le sien et se cacha la figure dans les doux et longs poils de l'animal, car le sable et le gravier l'aveuglaient et elle avait aussi grand peur que le vent ne l'emportât au loin. Mais les chameliers n'étaient pas effrayés, ils savaient qu'au bout de quelques heures le soleil brillerait à nouveau et que le ciel redeviendrait bleu, comme si aucune tempête n'avait eu lieu.

Après avoir cheminé un certain temps, ils arrivèrent à des forêts de peupliers du désert, arbres étranges, dont les branches inférieures portent des feuilles semblables à celles du saule, tandis que les feuilles du haut de l'arbre sont pareilles à celles du peuplier.

Quand le camp était fixé quelque part, Topsy avait l'habitude de recueillir des débris de toutes sortes pour faire le feu, mais ici, dans la forêt, ce furent les hommes qui se chargèrent d'amener de grands troncs d'arbres, et firent une énorme flambée. L'eau se mit à bouillir très vite dans le chaudron, et chacun put avoir autant de thé et de « zamba » qu'il le désirait. Combien tous en jouirent et comme ils mangèrent de bon appétit après cette course au grand air !

De la forêt ils arrivèrent à des collines de sables. C'était un véritable labyrinthe, chaque colline ressemblant tellement à sa voisine, qu'ils n'auraient jamais pu trouver leur chemin sans les chameliers qui, passant leur vie dans le désert, en connaissent tous les passages compliqués et difficiles.

La route ordinaire des caravanes passe au travers de sables mouvants, et pour empêcher les voyageurs de se perdre et peut-être de mourir de soif, les Mongols ont placé au milieu des dunes un grand support de bois, auquel est suspendu une cloche. Quand le temps est beau et calme, la cloche est silencieuse, mais aussitôt que le vent se lève, elle se met à tinter et quand le terrible « buran » (1) souffle, que l'air est obscurci par des nuées de sable, elle sonne fort et retentit très loin.

En donnant des indications au voyageur, les Mongols lui disent : À trois heures à l'ouest de la cloche, il y a des puits d'eau ; si le vent souffle et que vous ne puissiez rien voir, écoutez attentivement jusqu'à ce que vous entendiez la cloche sonner, et alors comportez-vous d'après elle. »

Il était tard dans l'après-midi quand Topsy et ses amis arrivèrent aux dunes où se trouvait la cloche. Ils étaient remplis d'anxiété, ne sachant s'ils trouveraient leur chemin. Dans leur détresse ils s'adressèrent à Celui qui veille sur ses enfants, et se mirent dans son entière dépendance. Puis, pleins de confiance, ils continuèrent leur route.

Le vent se mit à souffler violemment, dispersant le sable sur la crête des monticules, comme l'écume de la mer. Tous tendaient l'oreille, quand tout à coup on entendit clairement le tintement « ding-dong, ding-dong ». Dès lors, ils surent qu'ils étaient saufs et trouveraient à trois lieues de là des puits d'eau. Reconnaissants, ils se hâtèrent pour arriver avant la nuit et trouvèrent enfin quatre grands trous creusés dans le sol, au fond desquels filtrait de l'eau. Elle était brunâtre et avait un goût horrible, mais nos voyageurs étaient si heureux de la trouver, qu'aucun d'eux n'aurait dit : « Comme le thé est amer ce soir ». On apporta quelques branches de saxaul (2), combustible excellent, et l'on fit bouillir l'eau pendant un certain temps afin de pouvoir la boire sans danger.

Le lendemain ils aperçurent une ferme et un peu plus loin, ils arrivèrent à l'« oasis des Cils ». Le nom était joli et bien jolie aussi était l'oasis. Juste à cet endroit la rivière est d'un bleu intense et sur ses rives croissent des peupliers qui ondulent et frémissent à la moindre brise, ce qui fait dire aux gens de l'endroit : « Les arbres sont comme des cils voilant des yeux bleus », d'où son nom « l'oasis des Cils ».

Peu de temps après, nos voyageurs reprirent le chemin de la maison. Il fallut dire adieu aux chameaux et reprendre mules et charrettes. La rivière étant trop haute pour qu'on pût la passer à gué, on la traversa en bac, sorte de grand bateau long et plat.
Mais l'embarquement fut difficile, les mules refusaient d'entrer, elles ne faisaient que ruer et danser sur leurs jambes de derrière. On tira alors le bateau aussi près du rivage que possible, et l'on fit un pont de planches. Ce n'était point encore du goût des bêtes, mais quand la petite mule brune, Molly, s'élança sur le pont, comprenant bien ce qu'on voulait d'elle, les autres la suivirent courageusement.
Il ne fallut pas moins de douze bateliers avec de longues perches pour lutter contre le courant et amener le bateau à bon port. Arrivés près de la rive, les charretiers firent claquer leur fouet et les bêtes sautèrent une à une sur le rivage. La première débarquée en profita pour faire une folle gambade dans la prairie, foulant et piétinant un champ de jeune avoine, mais Molly, petit modèle, ne commit aucun de ces actes répréhensibles.

Qu'il faisait bon se retrouver à la maison ! Tout paraissait si propre et si confortable. Le jardin était plein de fleurs et les abricotiers tout chargés dé fruits encore verts, pour le plus grand bonheur de Topsy, qui, comme toutes les petites filles chinoises, aimait à croquer les abricots avant qu'ils ne soient mûrs. Immédiatement elle secoua une branche, faisant tomber une pluie de fruits dont elle bourra ses poches.

On avait préparé un excellent repas pour les voyageurs. En plus de six plats de légumes, il y avait le pot-au-feu, qu'on apporta sur la table tout chantonnant et bouillonnant, dans sa marmite d'étain, munie d'un réchaud.
C'est tout un art que d'apprêter un pot-au-feu chinois ; on avait fait venir grand-maman Li tout exprès, car elle était renommée pour cela. Personne n'aurait pu dire combien de petites choses et quelles sortes d'aromates elle employait pour assaisonner son bouillon, c'était là son secret, mais elle se sentit très fière quand les Dames, ayant plongé leurs petites cuillers de porcelaine dans la soupe, déclarèrent n'en avoir jamais mangé de meilleure... On apporta ensuite des petits pâtés à la viande hachée, des haricots et des crêpes dorées et fines comme de la dentelle. Grand-maman Li étendait une farce savoureuse sur chacune d'elles, les recouvrait d'une autre crêpe qu'elle parsemait d'ail haché, ce qui faisait un plat des plus appétissants.

Quand Topsy s'assit à table avec ses « mamans » et ses amis autour d'elle, elle pensa au temps où elle était solitaire, affamée, si triste parfois et, quand elle vit qu'on rendait grâces, de son coeur s'éleva, avec simplicité, l'expression de sa reconnaissance envers ce Dieu si bon qui lui donnait de chers amis et une bonne nourriture.

Topsy était enchantée de retrouver sa chambre. Elle avait maintenant un bon lit, si joli avec son couvre-pieds ouaté recouvert de cretonne fleurie ; trois repas par jour et surtout l'affection de ses trois « mamans, et de grand-maman Fan. Grand-papa Fan aussi lui disait en souriant de gentilles paroles qu'elle pouvait comprendre. Elle allait quelquefois chez la femme du mandarin Lin qui la régalait de pistaches grillées, et elle avait encore bien d'autres amis.

De fait, elle se sentait très heureuse, mais elle pensait que son bonheur aurait été parfait, si elle avait pu faire sa volonté dans tous les domaines. Toutefois cela n'était pas possible. Ce que la solitaire petite Gwa-Gwa d'autrefois se permettait, comme mendiante, ne cadrait plus avec ses circonstances actuelles, dans sa nouvelle demeure chrétienne. Comme vous tous, chers petits amis, Topsy devait apprendre que l'obéissance est une des premières choses que le Seigneur demande aux enfants.

Une nuit, les missionnaires furent éveillés en sursaut par des coups de fusil et des aboiements de chiens, puis on entendit un grand coup frappé à la porte d'entrée. La Dame Grise alla entr'ouvrir la porte avec précaution et se trouva en face d'une troupe de femmes portant leurs enfants dans les bras, suivies par de petits garçons qui traînaient de volumineux ballots.
- Permettez-nous d'entrer, disaient-ils à voix basse, les brigands envahissent la ville par la Porte de l'Est, tout le monde se cache et nous n'osons pas rentrer chez nous.
- Entrez, entrez, leur dit la Dame Grise, et racontez-nous ce qui se passe.
- Allez tout de suite dans la chambre de grand-maman Fan, c'est moi qui dirai aux dames ce qu'il en est.

Celui qui parlait ainsi, bien qu'étant un important homme d'affaires, tremblait de peur. Les femmes et les enfants entrèrent dans la chambre de grand-maman Fan où Topsy dormait d'un profond sommeil. Quand elle s'éveilla, elle fut un peu effrayée de voir tout ce monde et ne savait trop que penser. Pendant ce temps, M. Kung racontait aux dames ce qui se passait en ville.
- C'est le général « Baby », disait-il, qui est arrivé avec plusieurs milliers d'hommes.

Ce nom n'a rien de bien terrifiant, cependant les dames savaient tout ce qui concernait ce fameux « Baby » et elles comprenaient très bien pourquoi M. Kung tremblait si fort. Bien qu'il ne fût plus un « baby », il était très jeune pour être le général d'une armée de brigands, car il n'avait que dix-neuf ans. Étant enfant, il avait toujours été désobéissant à ses parents, puis à quinze ans s'était enfui de la maison pour se joindre à de mauvais garnements qui, peu à peu, formèrent une troupe de brigands. Ils volaient des chevaux dans les fermes, des fusils, des marchandises de toutes sortes dans les boutiques et de l'argent dans les banques. Ils s'en allaient rôder dans la campagne, se faisant une terrible renommée, grâce à leurs agissements sauvages. Quand ils s'emparaient d'une ville, ils ouvraient les portes des prisons, invitant les malfaiteurs à se joindre à eux.

À l'aube, la ville fut prise par les brigands. Le général installa son quartier à la cour de justice où les gens effrayés lui apportaient toutes sortes de présents, dans l'espoir de l'amadouer : les paysans donnaient des moutons, des chèvres, de la volaille et des légumes ; les boulangers, du pain, des gâteaux et des friandises ; les cordonniers s'étaient cotisés pour pouvoir donner à chaque brigand une paire de souliers neufs. Le maire envoya des charretées d'avoine qui ne lui coûtèrent rien, car il les prit dans les greniers de la ville.

Le chef d'état-major acceptait tous les présents favorablement en disant : « Hao, hao, hao », ce qui signifie « très bien ».
Les cuisiniers de l'armée se mirent à préparer un festin digne de l'occasion. Quand ils se furent bien régalés, les soldats allèrent en ville à la recherche de logements. Ils s'approprièrent les meilleures maisons et en chassèrent les habitants. Quand ils virent la grande tente devant la maison des missionnaires, ils la prirent, disant que c'était justement ce qu'il leur fallait pour abriter leurs chevaux, mais ils ne chassèrent pas les dames de leur demeure.

Dans cette ville, les maisons avaient des toits plats, et l'on pouvait, en sautant d'une terrasse à l'autre, la parcourir toute sans descendre une seule fois dans la rue. De là, les brigands pouvaient épier et dépister les gens qui possédaient des chevaux, du bétail ou de la volaille. Les écuries étaient vides, plus d'un habitant avait enfermé ses bêtes dans sa propre chambre, bouchant l'entrée avec une commode. Mais les brigands avaient de bonnes oreilles, le nez fin et la vue perçante. Si quelqu'un cuisait de la viande ou rôtissait un poulet, un brigand le découvrait aussitôt et descendait du toit pour demander sa part, qui naturellement était le tout à l'exception des os.
Ils essayaient aussi de faire des recrues, attirant des gamins, leur faisant faire l'exercice, ce qui leur plaisait beaucoup. Par contre, les mères pleuraient à la maison, parce qu'elles craignaient de voir leurs garçons suivre ce terrible exemple et devenir des brigands.
Aucun fumet ne sortait de la maison des Dames ; cependant une nuit elles entendirent un bruit d'armes sur leur toit et des voix rudes réclamant de l'argent. Certaines que le Seigneur les protégerait, les trois Dames ouvrirent calmement la porte aux brigands et accédèrent à leurs demandes au grand déplaisir de Topsy qui fut bien plus chagrinée encore, quand on s'aperçut le lendemain, que la jolie mule noire Kara et Boz, la bonne et forte bête de trait, avaient été volées.

Tout le monde murmurait en secret contre le général « Baby », mais, en apportant des cadeaux, on lui faisait des courbettes et on l'appelait : « Votre Excellence ». On pouvait lire sur des affiches de papier rouge, enjolivées d'ornements au pinceau, toutes sortes de compliments à l'adresse du général « Baby », le traitant de Libérateur du Nord-Ouest.

Enfin, on entendit quelques personnes dire tout bas que l'armée allait partir. Les dames l'apprirent par un ami chrétien qui était ferblantier.
- L'aide de camp, leur dit-il, nous a commandé de faire quatre mille gobelets d'étain devant être livrés dans les trois jours ; ils n'ont pas de gobelets ici, donc, cela veut dire qu'ils vont partir. Le jour suivant, tout le monde savait que cinq cents soufflets avaient encore été commandés et l'on s'en réjouit secrètement. Les soufflets servent à attiser les feux de camp ; les feux de camp se font dans les voyages au désert, par conséquent on pouvait en déduire que l'armée, en quittant la ville, se dirigerait vers le désert de Gobi, le traverserait pour se rendre au Turkestan, et tout faisait prévoir qu'elle ne reviendrait plus.

Désireux de voir les brigands partir au plus vite, les patrons firent travailler leurs ouvriers comme ils ne l'avaient jamais fait, sachant pourtant bien qu'ils ne recevraient pas de salaire pour leur travail. En trois jours tout fut terminé ; l'ordre l'ut alors donné aux forgerons d'avoir à ferrer tous les chevaux du régiment. Le lendemain, à l'aube, l'armée s'éloigna de la ville, ce dont tout le monde se réjouit excessivement. Pendant trois jours on fit des fêtes à l'occasion de ce départ et l'on envoya des cadeaux, tant la joie était grande. En déchirant les affiches complimenteuses sur le général, chaque personne disait sa façon de penser sur ce « fléau » du Nord-Ouest.

Les grandes chaleurs étaient passées ; bientôt se célébreraient les fêtes d'automne. C'était le temps le plus propice pour les voyages missionnaires, car il ne faisait ni trop chaud pour annoncer l'Évangile en plein air, ni trop froid pour camper. En outre, les fermiers avaient du temps de reste pour venir écouter.
Le mandarin Lin fut consulté au sujet d'un nouvel attelage.
- Les routes ont l'air d'être débarrassées des brigands, dit-il, et les gens de la « Cité-des-sables » ont désiré votre visite depuis de longues semaines, mais il y a le problème des mules qui n'est pas facile à résoudre, le général Baby ayant emmené les meilleures d'entre elles. Cependant, je connais un fermier dans un village tout près d'ici, qui a réussi à en acheter deux ; on dit qu'elles sont assez fortes, mais que l'une d'entre elles est la créature la plus laide qui se puisse voir à bien des lieues à la ronde !

On fit venir le fermier avec ses bêtes : la première était une bonne mule blanche, l'autre paraissait assez forte, mais était d'une étrange couleur rose sale.
- Oh ! dit la Dame Bleue, de quoi aurons-nous l'air avec cette mule rose ?
- Même si elle était verte, dit la Dame Grise, j'en serais satisfaite, pourvu qu'elle puisse tirer la charrette.
- Cette teinte rosâtre se changent en un joli châtain quand la bête aura été bien nourrie, dit le fermier, le général Baby m'ayant volé toute mon avoine, la pauvre bête en a pâti.

La Dame Grise s'étant informée du prix, une vive discussion s'engagea entre le charretier et le fermier ; il y eut des serrements d'avant-bras, bien des fois répétés de part et d'autre sous leurs vastes manches, car ici on se comprend par signes, on ne parle pas haut. L'acheteur mécontent s'en va, revient, et tout recommence. Au bout de plus d'une heure de ce manège, on finit par s'entendre et le prix fut fixé à la satisfaction des Dames. Après avoir compté son argent, et fait sonner chaque pièce pour juger si elle était bonne, le vendeur partit en grommelant entre ses dents mais, quand il eut tourné le coin de la rue, il se félicitait de l'excellent marché qu'il venait de conclure, pendant que le charretier, menant ses bêtes à l'écurie, n'était pas moins satisfait de son achat.

L'attelage était au complet, mais il fallut retarder le voyage, grand-papa Fan étant tombé malade, si malade qu'on crut qu'il allait mourir. Après bien des jours, il se remit, mais il n'était pas assez fort pour entreprendre un voyage, aussi fut-il décidé que Topsy partirait avec ses mamans et que grand-papa et grand-maman Fan les rejoindraient plus tard à la Cité-des-sables. Cette ville a été appelée ainsi, à cause des collines de sable qui l'entourent. À la moindre bourrasque, le sable se disperse, changeant constamment la forme de ces collines.

À ce moment, personne ne réalisa la portée que cette décision aurait sur la vie future de Topsy, car si on l'avait laissée en arrière, la fillette n'aurait probablement jamais été en Angleterre.

Topsy plia soigneusement son manteau neuf, fit un paquet de tous ses trésors, les enveloppa dans sa couverture et plaça le tout en lieu sûr dans la charrette.

Le premier soir, les voyageurs arrivèrent à la forteresse nord-ouest de la Grande Muraille de Chine.

Cette énorme muraille fut construite environ deux cents ans avant la naissance de Jésus Christ, pour arrêter les incursions des Tartares. Elle a plus de trois mille kilomètres de long et, en certains endroits, est assez large pour permettre à deux chars d'y passer de front. Elle commence au bord de la mer à un endroit nommé Shanhaïkwan, passe par-dessus des sommets de montagnes, descend dans des vallées pour aboutir à trente-cinq kilomètres environ de la ville où habitaient nos amis.
Les missionnaires campèrent aux abords de la grande forteresse afin de pouvoir parler du Sauveur aux gens qui y vivaient.

Le troisième jour après leur arrivée, un gamin qui allait puiser de l'eau à la source, revint en courant, donnant l'alarme, criant qu'il voyait des cavaliers galopant dans le désert. Les gens, en entendant cela, se mirent à fuir de tous côtés, sachant bien que c'étaient les brigands qui revenaient.
Le charretier ne prononça qu'une parole Partons ! » Avec l'aide de son camarade, il attela les mules et chargea la charrette en moins de rien. On entendait déjà les clameurs des soldats et les sabots des chevaux que l'écho répercutait.

La meilleure manière de se mettre hors de la vue des brigands était de longer vers le nord un embranchement de la Grande Muraille qui conduisait à une petite oasis, habitée par quelques familles seulement. Ils allaient y arriver quand l'appel d'un cavalier les arrêta. Le soldat leur demanda d'où ils venaient, où ils allaient et de montrer leurs passeports. Voilà qui n'était pas du tout agréable, mais à ce moment arriva un second cavalier qui, après avoir salué, transmit son message :
- Ces gens peuvent continuer leur voyage, ce sont des missionnaires que nous connaissons.

Avant le coucher du soleil les tentes furent fixées au bord de la petite rivière qui arrosait l'oasis et, à la tombée de la nuit, les paysans s'approchèrent furtivement de nos amis.

Le lendemain, à la première heure, les voyageurs se mirent en route par des chemins détournés, et ce ne fut qu'au bout de plus de quinze jours de marche et de campements qu'ils arrivèrent à la Cité-des-sables, ayant été gardés au travers de dangers multiples, dans lesquels ils firent une fois de plus la douce expérience que Dieu est bon et fidèle au-delà de nos pensées.

Dans la première auberge où ils entrèrent, il y avait une foule de gens qui n'était ni des Chinois, ni des Mongols, ni des Thibétains, mais des Turcomans. Les femmes portaient un voile blanc sur la tête, surmonté d'un petit bonnet brodé d'or. Ils parlaient un langage que les Chinois ne comprenaient pas.

Pour Topsy qui n'entendait rien, qu'importaient les langages, pourvu qu'elle puisse s'amuser à la course avec les fillettes, et jouer avec les chameaux, venus par delà le grand désert de Gobi, où était la patrie de ces Turcomans. Ceux-ci étaient arrivés un certain matin où tout paraissait bien calme dans la Cité-des-sables. La ville se trouva envahie par ces gens qui étaient montés sur des centaines de petits ânes, les jeunes femmes portant leurs bébés dans les bras, les plus âgées ayant de gros ballots d'habits attachés à leur selle. Ils racontaient qu'ils venaient d'une ville du nom de Hami, où tout avait été pillé et brûlé par le général Baby et son armée. En voyant ces pauvres gens affamés et terriblement fatigués, chacun, dans la Cité-des-sables, se serra pour pouvoir les héberger.

La fin de l'histoire de Topsy paraîtra, s'il plaît à Dieu, prochainement, dans une nouvelle brochure.



Table des matières

Page précédente:

.
1. Buran, vent de tempête du désert.
.
2. Tamaris.

 

- haut de page -