Lettres de Direction spirituelle
inédites
À Antoine Blanc et aux Vaudois Du
Piémont.
XllI. – Madame Antoine Blanc.
LES DIFFICULTÉS Q’ UNE FEMME PEUT
APPORTER À L’OEUVRE DE SON MARI. –
ÊTRE CHRÉTIEN D ESPRIT, NON DE
DOCTRINE SEULEMENT. – L’AIGREUR, LES
DISPUTES, LES SACRIFICES, LES ÉCHECS. –
LA COMMUNION INTÉRIEURE AVEC JÉSUS.
Arvieux, le 24
juillet 1826.
MADAME ET BIEN-AIMÉE SOEUR EN
J.C.N.S.,
Monsieur Antoine m'a fait rire, en me disant que
vous n'aviez pas voulu lui confier une lettre pour
moi. Sans doute ce n'est pas sérieusement,
mais cette plaisanterie n'est pas à sa
place, et je vous en sais mauvais gré, parce
qu'elle me prive du plaisir de recevoir directement
de vos nouvelles. Je ne puis, en
conséquence, vous écrire que peu de
choses, ignorant quel est votre état
spirituel...
Je saisis cette occasion, pour vous prévenir
contre un défaut très commun chez les
femmes, même chrétiennes, qui ont des
pères, des époux ou des enfants,
appelés, par état ou par les
circonstances, à faire quelque chose pour le
règne de Dieu. Souvent, il leur arrive de
les entraver, de les refroidir, ou de rendre leur
oeuvre pénible par leurs craintes, leur
sollicitude déplacée ou
exagérée, et de leur dire, comme
saint Pierre à Jésus en
l'embrassant : Seigneur, aie pitié
de toi-même !... (Marc, VIII :
82). Vous savez comment le Seigneur le remercia de
cette tendre supplication... Je ne veux pas dire
cependant que vous soyez dans un cas
semblable ; rien même ne peut me le
faire soupçonner ; mais l'avertissement
n'est jamais de trop, surtout dans une position
comme celle où vous êtes
maintenant ; car, quelque
désavantageuse et suspecte qu'elle puisse
être, elle ne saurait vous affranchir de
l'obligation imposée à tout
chrétien d'annoncer les vertus de celui
qui l'a appelé des ténèbres
à sa merveilleuse lumière. (I
Pierre II : 9). S'il en était
autrement, la cause de l'Évangile serait
déjà gagnée depuis
longtemps ; car, comment la nouvelle du salut
serait-elle parvenue jusqu'à nous, au
travers de tant d'obstacles et de
persécutions ?
À cette observation, je dois en ajouter
une autre qui, à la vérité, me
concerne plutôt, puisque je peux me
l'appliquer plus qu'à personne ; mais
elle n'en est amour-propre, qui se réveille
facilement en nous, au milieu de toutes les
persécutions et tracasseries qu'occasionne
nécessairement l'apparition de la
prédication évangélique.
Cet orgueil, très subtil, nous fait
aisément perdre le vrai point de vue, sous
lequel nous devons envisager l'oeuvre de Dieu en
général, et la change, pour nous, en
une affaire d'opinion et de parti. Cet orgueil
étouffe ou refroidit la charité dont
nous devrions être animés, même
envers nos plus cruels ennemis, et qui devrait
présider à toutes nos paroles et
à toutes nos actions. Il nous porte à
jeter du ridicule sur ceux qui ne pensent pas comme
nous, et à traiter avec
légèreté les choses les plus
sérieuses, les plus dignes de nous arracher
des soupirs et des larmes. Les fâcheux effets
de ces dispositions sont sensibles, car, en
supposant, ce qui n'arrive guère, que nous
fussions assez prudents pour ne pas les laisser
voir au monde, et ne pas irriter et repousser par
elles ceux que nous voudrions éclairer, il
en résulterait toujours, pour nous, beaucoup
de mal. D'abord cette
légèreté, cette aigreur nous
éloignent de Dieu et troublent les sources
de la vie chrétienne, qui sont la
méditation, la lecture (pour
l'édification et non la dispute), la
prière et les entretiens sérieux.
Cette légèreté, cette aigreur
nous font ensuite oublier que cette oeuvre,
étant celle de Dieu, est un devoir
positif ; elles nous portent à la
négliger, dès que l'amour d'une
certaine gloire n'est pas satisfait par des
succès plus ou moins éclatants, ou
qu'il y a de vrais sacrifices à faire, de
vraies croix à porter.
Le meilleur remède, pour ce mal et pour tous
les autres auxquels notre coeur est sujet, sans
contredit c'est une recherche constante de la
communion intérieure avec le Seigneur
Jésus ; elle constitue, à
proprement parler, la vie du fidèle,
et peut seule la rendre vraiment fertile en
fruits de justice et de sainteté. Hors de
la, et dans la légèreté qui
domine si volontiers en nous, on n'est guère
chrétien que d'esprit et de doctrine ;
on est sensible au mépris du monde, aux
contradictions, aux disgrâces, attaché
à ses aises, à ses goûts,
à ses avantages de toute espèce, et
conséquemment ennemi secret de la croix
du Christ ; soit de celle qu'il faut
porter après lui au milieu du monde,
soit surtout de celle qui doit
intérieurement faire mourir en nous le
vieil homme avec ses passions et ses vices.
Je sais trop combien cette vie sérieuse
et recueillie, cette piété vivante et
douce en même temps qu'ardente, fruit de
l'onction divine que Jésus communique
à ceux qui demeurent en lui et en qui il
demeure, je sais trop combien, dis-je, ces
dispositions sont rares et imparfaites chez la
plupart même des vrais croyants, pour que je
ne pense pas de quelle manière je m'en dois
rappeler l'importance et le prix, surtout quand je
me souviens combien notre exemple, pendant le peu
de temps que nous avons passé chez vous, a
été peu propre à vous les
inspirer. Je me sens obligé de vous dire ces
choses, quelque humiliantes qu'elles puissent
être pour moi, parce qu'il serait très
fâcheux qu'on me prît pour
modèle en cela et en bien d'autres choses,
et qu'on s'imaginât que je fais tout ce que
je reconnais et sans être bon et
nécessaire. Certainement, je ne puis pas
dire, comme l'apôtre : soyez mes
imitateurs, si ce n'est peut-être dans la
manière d'annoncer ouvertement le conseil
de Dieu. Pour le reste, je dois plutôt
être considéré comme le portier
d'un palais qui indique aux suppliants le cabinet
du roi, mais qui reste à la porte, et avec
qui il ne faut pas s'arrêter longtemps, mais
passer outre. Puissé-je y entrer
enfin à mon tour et ne pas être
rejeté après avoir
prêché aux autres !
(1 Cor. IX : 27) **
XIV. – À Paul Gay.
QUEL PARTI PRENDRE QUAND LE ZÈLE SE
REFROIDIT. – LES RESPONSABILITÉS D UN
MARI CHRÉTIEN.
Arvieux, 24 juillet
1826.
MON CHER AMI PAUL,
Notre ami Antoine Blanc m'a dit vous avoir
communiqué ma dernière, dont un
article vous concernait. J'aurais bien
désiré que vous lui eussiez remis
quelques mots pour moi ; j'aurais pu mieux
juger de votre état spirituel, et je saurais
mieux que vous écrire aujourd'hui. Car quoi
qu'on ne m'ait guère parlé de vous,
j'ai cependant cru entrevoir quelque chose qui
ressemble à du refroidissement. J'avais
pensé d'abord, comme vous l'avez vu, que
cela venait de votre mariage ; mais on me dit
que votre épouse ne se montre pas ennemie de
la vérité. Il faut donc qu'il y ait
encore quelque autre chose. Mais ne sachant rien de
positif, je ne puis non plus rien vous dire
à coup sûr.
Tout ce que je puis seulement vous recommander,
c'est de veiller et de prier, de peur que
vous ne vous laissiez peu à peu rendormir
dans la tiédeur et la
sécurité ; car l'ennemi nous
surprend aisément, et rien n'est plus facile
que de reculer ; mais une foi
éloigné du Seigneur, et engagé
à nouveau dans les liens du monde, il n'est
pas facile de reconquérir sa
liberté ; c'est souvent une plaie
mortelle et un mal sans remède ; et
bienheureux celui qui, effrayé à
temps, à l'aspect de l'abîme, recule
précipitamment, et, réveillé
comme au milieu d'une tempête ou d'un
incendie, vient tremblant et confus, chercher un
refuge dans les bras du bon Berger, dont le coeur
charitable ne connaît d'autre affliction que
celle causée par l'inconstance et
l'ingratitude des brebis qu'il a rachetées
au prix de son sang.
On peut dire, en toute vérité, que le
pays où vous habitez est un pays d'ombre de
mort, où l'on marche sans cesse au milieu
des filets et des batteries de l'ennemi ; vous
n'avez donc à choisir qu'entre deux
partis : ou veiller et combattre sans
relâche et remonter à force de rames
contre le courant ; ou vous laisser vaincre,
enchaîner, endormir et entraîner dans
le même abîme où court la
multitude. Je suis loin de douter du choix de votre
coeur ; mais il est si pénible
à la chair et au sang de lutter
toujours ! Il paraît si doux au
contraire de jouir du repos, de la fausse paix et
des délices du monde... Cependant, j'en suis
sûr, s'il vous arrive quelquefois de balancer
entre les deux partis, vous éprouvez
qu'on ne peut servir deux maîtres ;
et qu'il n'y a qu'ennui et
mécontentement intérieur pour celui
qui veut marchander avec sa conscience et rabattre
quelque chose du dévouement que le Seigneur
a le droit d'attendre de nous !
O combien est préférable mille fois
le sort de celui qui ne vit
plus pour lui-même, mais
uniquement pour celui qui l'a
racheté ! Que le joug de
Christ lui paraît doux et son fardeau
léger ! Combien il est riche et
puissant ce maître, dont le seul amour est
une large compensation à tous les
sacrifices ; qui, d'un seul regard,
réjouit le coeur le plus triste, et
guérit les plaies les plus profondes ;
qui fait trouver la richesse dans la misère,
la joie dans l'affliction, et la gloire dans le
mépris
(II Cor. XII : 6-18) ; et
qui d'un rayon de sa gloire peut changer en un
paradis le plus affreux cachot. C'est cependant ce
qu'ont éprouvé, et ce
qu'éprouvent chaque jour les fidèles
serviteurs, sans parler aucunement de la gloire
à venir qui doit être
manifestée en eux. O qui ne voudrait
être tout entier à un si bon, si riche
et si gracieux Seigneur ? Qui pourrait le
connaître et lui refuser son amour, qui
pourrait l'aimer et ne pas verser des larmes
amères sur le triste sort du monde aveugle
qui le rejette et le crucifie chaque jour de
nouveau ?
O mon cher Paul, venez fixer irrévocablement
votre demeure près de cette source
sacrée ; étendez vos racines le
long de ce fleuve d'eau vive, et vous ne manquerez
jamais de joie et de consolation ; vous ne
cesserez jamais de porter du fruit
et votre feuillage sera toujours vert
(Ps. 1). Approchez votre coeur de ce
foyer de lumière et de vie, et ses rayons
vivifiants l'échaufferont et l'embraseront
d'un feu divin que rien ne pourra éteindre,
tant que vous serez près de lui.....
Adieu, mon cher Paul, que le Seigneur vous
soutienne et vous fortifie et vienne habiter en
vous et vous conduise par la voie étroite
à la gloire éternelle
réservée aux siens. Donnez-nous de
vos nouvelles et dites-nous où vous en
êtes, et ce que fait votre épouse.
Priez le Seigneur pour elle et ne négligez
rien pour le lui faire connaître ; car
rien au monde ne doit vous tenir plus au coeur
après votre propre salut.
Puisse celui qui tient les coeurs en sa main
bénir vos efforts et amener celui de votre
compagne captif a son obéissance. C’est
le voeu le plus sincère que je puisse faire
pour elle ; car quand même je n'ai
jusqu'ici rien fait qui put lui faire supposer que
je m'intéressais à elle, maintenant
qu'elle vous est unie, je sens le besoin de la
regarder comme une soeur et une amie en
Jésus-Christ ; puisse-t-elle en sentir
également le besoin. En attendant ce moment
heureux, présentez-lui mes affectueuses
salutations ainsi qu'à toute votre aimable
famille, et recevez l'assurance de l'attachement
de
votre dévoué frère en
Jésus-Christ. " *
XV. – À Paul
Gay.
NOUS NE POUVONS VIVRE SUR LE THABOR. –
POUR LES TEMPS DE SÉCHERESSE SPIRITUELLE.
– LES AVIS DES MONDAINS ET DES
INTOLÉRANTS.
Arvieux, le 23
août 1826.
MON CHER AMI PAUL GAY,
Votre dernière lettre m'a d'autant plus
réjoui, qu'elle m'apprend à la fois
le rétablissement de votre corps et celui de
votre âme. Puisse le Seigneur vous faire
jouir longtemps de ces deux santés, et vous
enseigner lui-même à les conserver
pour sa gloire ! Toutes choses tournent
ensemble au bien de ceux que Dieu a choisis et
appelés, et c'est pourquoi ils se glorifient
même dans les afflictions. Comme le dit
Bunyan, c'est une énigme
incompréhensible aux Philistins, que de
celui qui dévorait, doit procéder la
nourriture
(Juges XIV: 14). Ne regardant qu'aux
choses de la terre, ils ne peuvent penser que le
dépérissement de l'homme
extérieur soit un bien. Mais le
chrétien qui sait apprécier les
choses à leur juste valeur, se
réjouit quand l'homme intérieur se
renouvelle et que l'homme extérieur est
mortifié. Vous savez maintenant tout cela
par expérience ; veillez seulement
à n'en point perdre le fruit, et
bénissez Dieu de sa sage et paternelle
conduite à votre égard.
Vous ne devez pas vous attendre à conserver
toujours l'élévation d'âme qui
a dicté votre dernière lettre ;
nous sommes appelés à marcher par la
foi et non par la vue. Il est bon de demeurer sur
le Thabor, et nous y dresserions volontiers nos
tentes ; mais, pour un instant de gloire, nous
avons, à la suite de Jésus, des
années d'afflictions, et cela ne doit pas
nous empêcher de suivre l'Agneau quelque part
qu'il aille. Ne soyez donc point abattu et
découragé si le Seigneur permet que
vous passiez par des épreuves et des
tentations, et si vous trouvez sur la route de
Canaan de sombres vallées et d'arides
déserts ; cela ne change rien à
la stabilité des promesses de Dieu ; et
si parfois le Seigneur semble vous quitter et vous
laisser dans la tristesse, souvenez-vous que
toujours il vous laisse sa paix.
Prenez garde que dans ces temps de
sécheresse votre coeur ne s'attendrisse, et
que vos mains ne deviennent lâches pour la
prière ; car celle-ci devient alors un
devoir fastidieux et rebutant que l'on est d'autant
plus tenté d'abandonner, croyant que Dieu
n'y prend plus de plaisir. Redoublez alors de
persévérance et défiez-vous de
votre paresse, car nous ne devons pas ignorer les
ruses de Satan ; s'il peut gagner sur vous de
vous tenir éloigné du Seigneur, vous
n'y reviendrez pas facilement. Plus vous
négligerez la prière, plus votre
coeur s'endurcira, et même un temps viendra
où vous apprendrez à vous en passer,
c'est-à-dire à vivre dans la mort et
séparé du vrai cep, tout en gardant
l'apparence de la vie. Veillez donc ; veillez
et croyez que les prières les plus
difficiles pour nous, celles qui nous paraissent
être indignes de Dieu, ne sont pas celles
qu'il écoute le moins : elles ont moins
de ferveur, moins d'amour, mais elles sont plus
humbles et proviennent plus directement de la foi
seule.
Quant à la lettre (1)
qui vous a troublé, je
crois qu'elle a été écrite
dans cette intention, d'autant plus
qu'elle venait d'un homme de
bien, à qui vous devez du respect ;
mais, s'il m'est permis de vous dire ma
pensée, je ne pense point qu'il en soit
l'auteur. Il avoue lui-même qu'il l'a fait
écrire par une personne de confiance et l'a
signée ; cette personne m'a tout l'air
d'être un Ministre mondain et
intolérant, peut-être Mr. P..., son
gendre ? Ainsi vous pouvez en juger avec
beaucoup moins de scrupules... Selon lui, il
faudrait, pour plaire à Dieu, suivre
aveuglement ces conducteurs comme dans L’
Église Romaine et, par une sotte
superstition, respecter le titre et la robe quelles
que soient la doctrine et les oeuvres. La paix du
monde est tout ce qu'il ambitionne. S'il y a dans
cette lettre quelque chose qui semble bon, on voit
que c'est pure hypocrisie : il était
aussi question de Dieu, de piété, de
foi dans les édits sanguinaires des Papes et
de leurs cruels serviteurs.
Quand les Catholiques romains tiennent un langage
semblable aux Protestants, pour leur reprocher
d'avoir troublé et déchiré
l'Eglise, de s'être ingérés
sans vocation, d'avoir osé blâmer et
combattre les pasteurs légitimes, les
Réformés répondent fort bien.
De quel droit des Protestants viendraient-ils jouer
vis-à-vis de nous le rôle du Vatican
et nous faire un crime, un sacrilège, de ce
que nous usons envers eux de la même
liberté qu'ils prennent envers Rome ?
Seraient-ils moins faillibles que le Pape et les
Conciles ? Et s'ils se trompent, se
relâchent ou se corrompent, faudra-t-il les
suivre avec une aveugle et humble soumission ?
Faudra-t-il garder le silence et renier Christ avec
eux, ou du moins leur laisser à loisir
dévorer le troupeau du Seigneur sans crier
au loup ! Loin de nous une si lâche et
si criminelle condescendance, unissons la
charité avec la vérité
(Eph. IV : 15).
Oh ! que le diable serait content si tous les
enfants de Dieu se laissaient lier les bras par de
semblables arguments ! Qu'est-ce que ces
conseils qu'on vous donne : « Bien
vous garder de faire le docteur et le pasteur, de
censurer vos frères sans en avoir
reçu vocation, sans avoir fait des
études et avoir été
consacré. » ... Oh ! que tout
cela est spirituel ! Comme cela ressemble
à l'Évangile ! ... C'est bien
là le langage du monde aveugle. Relisez une
lettre que j'écrivais à Antoine Blanc
l'hiver passé à ce sujet, et, du
reste, représentez-vous au jour du jugement
l'Agneau de Dieu triant les brebis d'avec les boucs
et regardant principalement à ces formes
extérieures, rejetant sans examen et sans
distinction comme faux prophètes tous ceux
qui ont travaillé avec le plus de
zèle, dans tous les temps, et avec le plus
de succès
(2) .....
(la suite manque)
XVI. – À François
Gay.
LES VRAIS ATHÉES. – LE
TÉMOIGNAGE PERSÉVÉRANT. –
TRISTE ÉTAT DES ÉGLISES
VAUDOISES, MAIS LE SEIGNEUR NE LES A PAS
ABANDONNÉES.
Arvieux, le 24
juillet 1826.
MON CHER FRANÇOIS,
J'aurais reçu avec bien du plaisir quelques
mots de votre main par l'occasion de notre ami
Antoine Blanc, cela m'aurait fourni le sujet d'une
réponse plus précise. J'ai cependant
appris que le Seigneur vous multiplie ses
grâces, en vous pénétrant de
plus en plus de l'importance infinie des
vérités évangéliques si
négligées de la multitude. Aussi
suis-je bien persuadé que les sages du
monde, même ceux qui prétendent
à la réputation de gens pieux, se
joignent aux plus frivoles pour vous taxer
d'exagération, et attiédir, glacer
votre coeur, s'il était possible.
Pauvres aveugles, ils font profession de croire en
Dieu qui exige et mérite qu'on l'aime de
tout son coeur, de toute son âme, de toute sa
pensée, et de toutes ses forces
(Deut. VI : 5), et ils craignent
qu'on l'aime trop, qu'on ait l'esprit et le coeur
trop occupés de lui. Ils croient à
une vie éternelle, à
côté de laquelle la
félicité et les maux de la plus
longue carrière ne sont qu'un zéro
devant l'infini, ... ils croient à un enfer,
... ils croient à un paradis, à un
royaume immortel de gloire, à une place pour
le fidèle à la droite de Dieu sur son
trône avec les chérubins, les anges et
tous ses saints, et ils ont peur qu'on y attache
trop de prix, qu'on en soit trop
préoccupé, et qu'on en prenne
occasion d'estimer moins la poussière de ce
pauvre monde !
Ils croient à une rédemption, a un
salut par le sang de Jésus, qui semble avoir
par dessus toute chose occupé le Dieu fort
dès le commencement, qui a été
le but de toutes les dispensations de sa providence
envers cette terre ; salut pour lequel il a
opéré tous les miracles,
envoyé tous les prophètes, et pour
lequel enfin il est venu lui-même
naître, souffrir et mourir sur la
croix ! ... Ils croient à ce grand
mystère de piété, au fond
duquel les anges même désirent
regarder, qui fait et fera éternellement le
sujet des cantiques des armées
célestes et des bienheureux, qui ravissait
l'âme de saint Paul jusqu'à lui faire
dire qu'il ne vivait plus lui-même, ni pour
lui-même, mais qu'il vivait en Christ et que
Christ vivait en lui, et ils osent trouver mauvais
qu'on soit ravi d'une si heureuse nouvelle,
qu'on estime un si grand salut comme la perle de
grand prix, et que, pour l'obtenir, on renonce
aux afflictions déréglées de
la chair et du sang, à la vile
cupidité, et aux vains plaisirs d'un monde
insensé, dont toute la sagesse, et la plus
grande affaire semble être d'offenser Dieu et
d'oublier l'avenir si sérieux !
Mais non ; ils ne croient point à ces
choses. Ils n'en sont point persuadés, ceux
qui y attachent si peu d'importance. Ceux qui
craignent qu'on soit trop chrétien, le
seraient-ils eux-mêmes ? Ces esprits si
actifs, ces coeurs si ardents à la poursuite
des plaisirs, des honneurs ou des biens de la
terre, et si glacés, si indifférents
pour les choses d'en-haut, peuvent-ils être
mis au nombre des croyants ?
Hélas ! que ce nombre est
petit !
Ah ! cher ami, bénissons !
bénissons le Seigneur qui nous a
rachetés, qui a daigné ouvrir nos
yeux et réveiller nos coeurs, aussi
aveugles, aussi morts que les autres. Que notre
âme soit pénétrée d'un
si grand bienfait, et qu'elle soit désormais
partagée entre les sentiments de confusion
que doit nous inspirer notre grande misère
naturelle et la sublime espérance de notre
glorieuse destinée ; entre le regret de
ne rien faire qui soit digne d'un Dieu si saint et
si bon ; et la jouissance de sa
miséricorde infinie ; enfin entre la
joie d'être arraché du gouffre de la
perdition, et la douleur d'y voir courir la
multitude de nos malheureux frères, qui
rejettent avec dédain les pressantes
invitations de leur bon Sauveur et déchirent
avec fureur la main charitable qui veut briser
leurs honteuses chaînes ! Sans doute, la
plupart des aveugles Vaudois qui foulent
indignement dans leurs jeux profanes les cendres et
le sang de leurs bienheureux ancêtres, et qui
souillent, par leurs débauches et leur
impiété, la vénérable
retraite de la vérité divine,
pourraient être aisément
considérés comme livrés avec
justice à l'esprit d'étourdissement
et d'erreur, qui semble les emporter comme un
tourbillon dans l'affreux abîme de la
perdition éternelle.
Sans doute, c'est un juste jugement de Dieu, que la
lumière qu'ils ont laissé
éteindre et qu'ils haïssent maintenant,
leur soit comme interdite, et ne puisse plus
librement briller au milieu d'eux, et que, tandis
que leur nom, comme l'ombre sainte d'un
corps qui n'est plus, émeut encore en leur
faveur les églises les plus
éloignées, la mort et la corruption
exercent librement leurs ravages dans ce sanctuaire
changé en sépulcre, et que la vie ne
puisse plus s'y introduire pour ranimer ces os
secs. Mais devons-nous penser que le Seigneur
ait pour cela totalement abandonné les
restes de son héritage ? N'aurait-il
point laissé quelque semence en Israël,
l'aurait-il laissé devenir comme Sodome et
Gomorrhe ?
(Esaïe I : 9) Ne perdons
point courage et si le Seigneur n'a pas un grand
peuple dans cette pauvre contrée, croyons
qu'au moins il y a quelque résidu selon
son élection de grâce
(Rom. XI, 5) et que tôt ou tard
les enfants seront manifestés. Ne
vous lassez donc point de rendre témoignage
à la vérité, et de
révéler le conseil de Dieu à
tous ceux qui voudront l'entendre.
Croyez que vous êtes soutenus puissamment par
les prières d'un grand nombre de
frères, qui, en divers pays, ont
été informés du combat que
vous soutenez et s'intéressent à
cette oeuvre excellente ; mais surtout
regardez à celui qui peut vous rendre en
toute chose plus que vainqueurs, et fussiez-vous
seuls a lutter contre le torrent de
l'impiété, ne soyez point
intimidés, car celui qui est en vous est
plus fort que celui qui est dans le monde
(I Jean IV : 4), et
lui-même vous dit : vous aurez des
angoisses au monde mais ayez bon courage, j'ai
vaincu le monde
(Jean XVI : 33).
Nous serions tous bien réjouis, si vous
pouviez nous faire, cette année, une petite
visite ; mais dans tous les cas ne manquez pas
de nous écrire de temps en temps, soit par
la poste, soit par des occasions sûres.
Notre ami A. Blanc vous donnera lui-même des
nouvelles de nos contrées, et vous portera
les salutations de nos amis de l'Isère et
des Hautes-Alpes, ainsi je me bornerai pour
aujourd'hui à vous présenter celles
de votre dévoué et bien
affectionné frère en
Jésus-Christ.
P.-S. – On me dit que vous avez un
frère qui s'occupe aussi de la seule chose
nécessaire ; si cela est,
présentez-lui aussi mes salutations et
encouragez-le de ma part à choisir, comme
Marie, la bonne part qui ne lui sera point
ôtée.*
XVII. – À Mme Vinçon,
née Marie Blanc. (Soeur d'André et
d'Antoine)
CE QUI FAIT LA VRAIE, LA GRANDE JOIE DE
NOËL : EMMANUEL DIEU AVEC NOUS. IL EST
TOUT PRÈS DE NOUS, IL DEMEURE EN NOUS.
25 décembre
1826.
BIEN–AIMÉE SOEUR EN JÉSUS -
CHRIST NOTRE SEIGNEUR,
Je vous écris à la hâte ce
petit mot, [pour vous souhaiter], comme on dit,
le bon jour de Noël :
Hélas ! ce jour pourrait dire
à beaucoup de gens, comme Jésus au
jeune homme riche : Pourquoi m'appelles-tu
bon ?... Mais bénissons,
bénissons mille fois le Seigneur de ce que
nous savons pourquoi ce jour est bon !
Puissions-nous dire que nous savons combien
il est bon ! Mais c'est un mystère
que nul ne peut sonder ; pas même les
anges ; car sans contredit, ce mystère
est grand : Dieu manifesté en chair,
la parole faite chair habitant parmi nous :
Emmanuel, Dieu avec nous.
Nous n'étions plus avec Dieu ; le
péché avait
fait séparation entre nous et
lui, et nous avait bannis de sa présence. Le
péché, en corrompant nos esprits et
nos coeurs, en avait banni la pensée et
l'amour de Dieu, et nous n'étions plus avec
lui, nous le fuyions, nous lui tournions le
dos ; ou nous ne savions où, ni comment
le trouver.
Mais voilà, Jésus-Christ s'est fait
Emmanuel : Dieu avec nous, il est venu
chercher ce qui était perdu (Luc
XIX : 10), il a dépouillé
l'éclat de sa gloire, et, enveloppé
d'infirmités, il est venu parmi les
hommes, doux et humble de coeur l (Matth.
XI : 29). Maintenant encore il est Dieu
avec nous ; nous savons à qui
adresser nos plaintes, dans quel coeur verser. nos
peines et nos angoisses. Nous savons à quel
ami confier tout ce qui peut nous inquiéter.
Nous n'avons pas besoin de monter aux cieux et
d'entrer dans le sanctuaire magnifique et terrible,
dont le chérubin même n'approche qu'en
tremblant et qu'en voilant sa face. Il est tout
près de nous, il est avec nous, et
nous pouvons nous le figurer toujours sous la forme
du fils de l'homme. C'est toujours
Jésus, le prophète de Nazareth en
Galilée allant de lieu en lieu faisant du
bien (Actes X : 88) ; étendant
sa main bienfaisante sur les malades, les boiteux,
les aveugles, et les guérissant tous ;
embrassant et bénissant les petits enfants
que de tendres mères lui présentaient
avec simplicité et confiance ; entrant
chez les péagers, se mettant à table
avec eux ; conversant familièrement
avec une porteuse d'eau
(Jean IV) ; en un mot, se
mêlant à la foule avec les pauvres,
les ignorants, les pécheurs, et étant
pour tous Emmanuel : Dieu avec
nous !
Oh ! que nous sommes heureux d'avoir un tel
Dieu, un Emmanuel ! Et quand nous pensons
qu'il sera encore et toujours notre Emmanuel dans
le royaume de sa gloire ! Son désir
est que là où il sera, ceux que le
Père lui a donnés g soient aussi avec
lui
(Jean XVII). L'Agneau
lui-même nous paîtra et nous conduira
aux vives fontaines des eaux
(Apoc. VII : 17).
Il sera le flambeau de la Sainte
Jérusalem ; ses élus verront sa
face et son nom sera écrit sur leurs fronts
(Apoc. XXII : 4) comme leurs
noms sont écrits sur les paumes de ses mains
percées !
(Esaïe XLIX : 16).
Aussi le chrétien pourrait-il supporter
l'idée d'être au ciel privé de
la présence de son aimable et
bien-aimé Sauveur ? Quel vide !
quel désert ! qu'un paradis sans
Jésus !
Aussi avec quelle joie l'apôtre nous annonce
que, quand le Seigneur viendra, nous serons
emportés ensemble avec lui dans les
nuées. Et avec quel ravissement il
ajoute : Et nous serons toujours avec le
Seigneur ! Consolez-vous l'un l'autre par ces
paroles
(I Thess. IV : 18).
Oui, consolons-nous les uns les autres par ces
paroles.
Que les affaires du monde aillent bien ou mal, que
les biens périssables nous échappent,
que les douleurs affaissent notre corps de
poussière, que le monde gronde, insulte,
calomnie, maudisse, persécute, nous avons un
Emmanuel, un Jésus qui demeure avec
nous jusqu'à la fin du monde, et de
l'amour duquel rien ne pourra nous séparer.
Gloire soit au Père –
Qui nous a sauvés,
Au Fils notre frère – Qui s'est
immolé,
À l'Esprit de grâce – Qui sur son
troupeau,
Répand l'efficace – Du Sang de
l'Agneau.
Adieu bien-aimée soeur. Puisse le Dieu de
Paix réjouir et fortifier votre coeur et y
établir sa demeure permanente, comme en un
sanctuaire où il soit adoré et servi
en esprit et en vérité.
Votre dévoué frère en
Jésus-Christ **
XVIII. – À Antoine Blanc.
LES SOURCES DE LA VIE CHRÉTIENNE. –
LA VRAIE ET LA FAUSSE CHARITÉ. – L’ INDÉPENDANCE DE JUGEMENT.
St-Véran, le
28 décembre 1826.
BIEN-AIMÉ FRÈRE EN JÉSUS -
CHRIST NOTRE SEIGNEUR,
Vous avez donc eu la visite de notre digne
frère le capitaine Cotton. Je pense qu'il
aura fini sa tournée dans vos
Vallées ; il me dit dans sa lettre
qu'il est triste d'y trouver si peu de vie ;
toutefois, je crois qu'il en a cru voir d'abord
plus qu'il y en a. Il me parle de quelques pasteurs
avec une certaine satisfaction, et comme les
croyant dans la vérité de
l'Évangile, ce dont je doute fort, car la
vie chrétienne ne peut venir que par le
renouvellement des coeurs et la conversion qu'ils
ont grand-peine à croire nécessaire.
La vie chrétienne d'ailleurs ne saurait
s'allier avec l'amour du monde et tant de
tolérance pour la mondanité, tant de
réserve pour les oreilles
chatouilleuses.
On pourra trouver souvent plus ou moins de
réserve et de ménagement dans un
chrétien que l'expérience a
mûri, mais rarement chez un nouveau
converti.
Le monde crie sans fin charité !
charité dans les jugements ! et il veut
qu'on suppose sans cesse le bien là
où le mal est manifeste.
C’est-à-dire que le monde voudrait
qu'on fermât les yeux et qu'on crût
bêtement voir partout des raisins sur les
épines et la figue sur les chardons, et que,
méprisant comme eux les déclarations
de l'Évangile, on se persuade qu'il y a
beaucoup d'élus, que la voie large
mène au Paradis et qu'il est très
possible de servir deux Maîtres, et d'avoir
son coeur en Dieu, en même temps qu'on se
livre au monde dans tous les actes
extérieurs.
Cependant, je ne veux point dire qu'il ne faille
tenir aucun compte des pas que l'on fait du
côté de la porte étroite, ne
fût-on même pas encore sorti de la
ville de corruption, et encore moins qu'il faille
brusquer et rebuter ceux qui avaient lentement, au
gré de nos désirs ; nous devons
imiter notre maître qui n'éteint point
le lumignon qui fume encore, et qui attend avec
patience même les mauvais ; mais je veux
dire que, quant à nous et entre nous, nous
devons nous faire une idée juste de
l'état des choses, et ne pas écouter
les clameurs des timides et des tièdes qui
prétendent que tout va bien.
Mr. Cotton vous aura donné des nouvelles de
Mens et de la dédicace (3)
à laquelle il a
assisté. Je ne vous en dirai donc rien pour
le présent, sinon que quelques âmes
avancent dans la vie spirituelle, et que leur
nombre s'augmente petit à petit, tandis que
la multitude semble s'éloigner toujours
davantage, et que les ennemis
déclarés de Jésus redoublent
de zèle et d'activité,
pour renverser, s'il était
possible, son règne. Je pense que chez vous,
vous n'êtes pas non plus sans
contradiction ; mais dans le fond et tout bien
considéré, ce n'est pas le plus grand
obstacle à l'oeuvre de Dieu, car j'ai vu
cette oeuvre fulminante dans le Canton de Vaud
où le diable est en pleine force, et je la
vois languissante par ici, où,
jusqu'à présent, nous sommes plus
libres peut-être que nulle part ailleurs.
Prions, cher ami, prions pour que Dieu touche
véritablement nos coeurs, et quand nous
vivrons dans sa communion, nous marcherons aussi
sur ses traces.*
XIX. – À Antoine
Blanc.
DIEU PREND SOIN DE SON ŒUVRE NOUS NE
LUTTONS PAS SEULS. – NE PAS OUBLIER LES SIGNES
ET LES MIRACLES. – LE TEMPS BIEN
EMPLOYÉ.
Guillestre, le 5
avril 1827.
BIEN–AIMÉ FRÈRE EN
JÉSUS - CHRIST NOTRE SEIGNEUR,
... Je viens vous faire part de la joie que
j'éprouve, à l'heure même, en
lisant deux lettres de nos soeurs de Mens, parmi
lesquelles et par lesquelles le Seigneur travaille
au-delà de toute espérance. Si j'en
ai le loisir, je vous en donnerai un extrait.
Oh ! vraiment si nous nous montrons souvent
incrédules et aveugles, nous ne le sommes
jamais plus que quand nous osons douter du soin que
Dieu prend de son oeuvre, et craindre qu'il nous
laisse lutter seuls contre les armées
rangées et les géants des Philistins.
Il pourrait bien nous dire comme aux Juifs :
Si vous ne voyez des signes et des miracles vous
ne croyez point. Et encore combien nous sommes
prompts à oublier ceux que nous voyons,
comme le peuple d'Israël au désert, qui
perdant la mémoire des merveilles et du
puissant secours de Dieu, se plaignait toujours et
se croyait abandonné dans cet aride
désert. Ah ! ce n'est pas Dieu qui est
infidèle ; c'est nous seuls qui le
sommes, et qui sommes tardifs de coeur à
croire ce qu'il nous annonce et nous promet
même avec serment ! Non, il ne
sommeille jamais ni ne dort le guet en Israël
(Ps. CXXI : 4). Veillons donc
aussi avec lui ; que nos reins soient ceints
et nos lampes allumées, et ne nous lassons
point de travailler à l'oeuvre du Seigneur,
sachant que notre travail ne sera pas vain
auprès du Seigneur.
Ne perdons point courage, ni patience, si nous
sommes appelés à semer longtemps avec
larmes. Quand la saison sera venue, nous
moissonnerons avec chants de triomphe !
Souvent nous disons : il y a encore
quatre mois jusqu'à la moisson, et le
Seigneur qui connaît toutes choses voit
déjà les campagnes blanches,
prêtes pour la moisson. Les missionnaires
sont restés quinze à dix-huit ans
dans les îles sauvages de la mer du Sud,
parmi les cannibales, avant de voir germer un seul
grain ; et quand le vent de l'Éternel a
soufflé, tous ces barbares se sont
levés comme un seul homme, pour jeter aux
taupes et aux chauves-souris les dieux faits de
leurs propres mains, pour élever des temples
au Dieu vivant et entonner à l'honneur de
l'agneau victime, le cantique de la
délivrance !
Combien souvent je me reproche mon
incrédulité ! Crois
seulement, disait Jésus à la
soeur de Lazare, tu verras la gloire de Dieu.
Allons, cher ami, du courage, de la patience,
du dévouement ; ne disons pas comme
Moïse par une fausse humilité :
Envoie celui que tu dois envoyer
(Exode IV : 14). Ne nous
lamentons pas de ce que la maison brûle, sans
que personne y jette de l'eau, car nos vaines
larmes n'éteindront pas le feu ; mais
courons-y promptement et portons les premiers
secours. Bost dit : « quand l'ennemi
surprend la ville, le premier venu qui le voit et
le repousse est celui qui avait la meilleure
vocation pour le faire. »
Je suis bien réjoui de voir que, loin de
périr, l'oeuvre du Seigneur fait quelques
progrès parmi vous ; tenez-y la main,
et n'oubliez pas un seul instant qu'au dernier jour
et, pendant toute l'éternité, nous ne
regarderons comme bien employé que le temps
que nous aurons consacré à la gloire
de Dieu – toutes les vaines raisons qui
peuvent aujourd'hui nous tromper et nous
empêcher de travailler, soit à notre
salut, soit à celui des autres, ne
pèseront pas alors toutes ensemble un
denier, et seront cette sagesse du monde
appelée folie dans l'Écriture.
Adieu cher et bien-aimé frère, que le
Seigneur vous fortifie, vous bénisse et vous
réjouisse par la communication de son
Esprit. Si je le puis, j'écrirai aussi
quelques lignes à nos amis.*
XX. – Seconde visite d'André Blanc
en Piémont.
André Blanc, ayant appris que sa
mère, qui habitait avec le reste de sa
famille dans la vallée de Luzerne,
était dangereusement malade, partit de Mens
le 19 mai 1827. Après quelques
journées d'une marche pénible, par un
très mauvais temps, au travers des Alpes
encore couvertes de neige, ou, par des sentiers
couverts de ravines récentes, il arriva en
Piémont. Outre la joie de trouver sa
mère moins malade qu'il ne l'avait cru, il
eut encore celle de la trouver remplie d'une vie
spirituelle dont elle paraissait
éloignée lors de sa visite en
1825 ; la plupart de ses autres parents lui
parurent également avoir fait d'assez grands
progrès dans la connaissance de l'amour, de
Christ...
Il alla rendre visite aux pasteurs des environs. M.
M....., toujours plus léger et
mondain ; autant qu'ennemi des doctrines
évangéliques, ne craignit pourtant
pas de contredire ses propres principes, et offrit
sa chaire à son collègue...
Dès les premiers jours de son
arrivée, André Blanc avait tenu
chaque soir, chez son frère, une
réunion à La Tour, peu nombreuse
parce qu'on était obligé de le faire
secrètement. Mais un dimanche, les
assistants, venus par des chemins différents
pour éviter d'être remarqués,
se trouvèrent en nombre considérable
et remplirent bientôt les appartements.
Après le service, qui avait
été assez long, personne ne parut
disposé à s'en aller. M. Blanc
recommença donc ; et à
l'attention la plus profonde, succéda
bientôt, chez la plupart, une vive
émotion. Fatigué, Blanc termina par
une prière et voulut congédier
l'assemblée, qui, cette fois encore, se
rassit comme pour le prier de continuer.
Touché de ce spectacle inattendu, il entama
avec ses auditeurs une véritable
conversation jusqu'à l'heure où il
fallut, pour tout de bon, se séparer.
Pendant tout son séjour dans les
Vallées, André Blanc eut plusieurs
occasions d'annoncer l'Évangile, et de se
convaincre que, quoique entourée d'ennemis
puissants et nombreux, l'oeuvre de Dieu. y
était vraiment commencée.
Quelque temps après, Neff qui, malade, avait
quitté Arvieux, le 27 avril, pour n'y plus
revenir, écrivait, faisant allusion aux
nouvelles qu'il avait repues :
« Depuis cette époque, j'ai
reçu des lettres de nos chers amis des
Vallées, dans lesquelles ils me parlent fort
peu de leurs épreuves extérieures, et
paraissent tout occupés de leurs âmes
et de l'oeuvre de Dieu en eux. Puisse le Seigneur
les fortifier et les faire croître dans son
amour ! » ***
Neff ne se trompait pas dans son
appréciation. Preuve en est cette lettre
d'Antoine Blanc, fort intéressante sous le
rapport des expériences chrétiennes.
XXI. – Antoine Blanc à Neff.
REVENEZ. –
L’ OEUVRE N’EST QUE COMMENCÉE. LES
CHOSES VONT MAL PARMI NOUS.
La
Tour, le 21 juillet 1827.
CHER MONSIEUR ET FRÈRE
EN JÉSUS-CHRIST VOTRE SEIGNEUR,
Je ne puis manquer cette occasion de vous donner de
nos nouvelles. J'ai été à
Briançon, et j'ai vu aux Moulins deux
lettres venant de votre part.
Oh ! quelle femme que la bonne Marie
Philippe ! quelle famille (4) ! Je suis resté avec quelques
jeunes filles qui, enfin, ont trouvé la paix
de leur âme. Ah ! cher Monsieur, mon
coeur était ému. Je remerciais le
Seigneur de ce qu'il avait daigné se faire
connaître dans nos contrées, et
surtout parmi une foule de mes parents selon la
chair. Revenez, revenez ! L'oeuvre n'est pas
achevée, elle n'est que commencée.
N'est-ce pas vous qui avez été notre
apôtre, qui nous avez prêché
Jésus-Christ et
Jésus-Christ mort pour nos
péchés ? Il y avait longtemps
que nous avions entendu parler du fils de Marie
selon la chair ; mais nous ne le connaissions
pas comme notre frère, notre ami,
l'Époux de nos âmes ; nous ne
connaissions pas les droits qu'il s'était
acquis sur nous, en nous rachetant de la
malédiction que nous avions attirée
sur nous par nos iniquités ; nous
n'avions jamais réfléchi sur
l'horreur que devait inspirer le
péché, et combien il était en
inimitié avec le Seigneur. Mais où le
péché a abondé, la grâce
y a abondé par-dessus ! O amour
incompréhensible de Dieu ! O cher
Monsieur, n'oubliez pas vos fils selon la
foi ; priez pour eux, et que le Seigneur vous
exauce ! Qu'il exauce aussi les faibles
prières de tous ceux qui le prient pour le
rétablissement de votre corps mortel, et
pour votre retour dans nos contrées !
Que le Seigneur ne se courrouce point contre
nous !
Du reste, que sa sainte volonté se fasse et
non la nôtre.
À tous ceux que nous voyons nous demandons
de suite de vos nouvelles. Nous recevions autrefois
quelques lettres de votre part, qui ne sont jamais
restées sans effet, de manière que
nous avons ressenti votre départ, comme si
nous avions été toujours près
de vous.
Les choses vont mal parmi nous, cher frère.
Vous savez que nos réunions nous ont
été interdites ; et ceux qui
nous recevaient chez eux ont manifesté le
désir que chacun s'édifiât chez
soi. Nous continuons à nous voir avec
quelques amis. Nous avons eu la visite de mon
cousin Jean Rostand, qui est venu accompagner sa
soeur. Que de changement dans son
intérieur !
Je viens de recevoir une lettre de mon frère
de Mens, qui me dit que vous êtes assez
malade à Genève. Si le vase d'argile
dépérit, c'est la volonté du
Seigneur ! Que Jésus cependant vous
rende la santé corporelle, s'il vous juge
encore nécessaire pour sa gloire et
l'avancement de son règne ; et, s'il en
est autrement, que sa sainte volonté soit
faite !
Le pasteur actuel est un jeune homme qui a
fréquenté nos réunions et qui
paraît avoir de bonnes dispositions ;
mais il se dirige, je crois, encore vers
Sinaï. Que le Seigneur dans son amour le
tourne vers Golgotha. Daignez le diriger par vos
sages Conseils ***.
XXII. – Aux
Vaudois du Piémont.
LES BONNES NOUVELLES
DES VALLÉES ! – LA VRAIE RELIGION.
COMMENT ON PERD LA « VIE CACHÉE
AVEC CHRIST EN DIEU ». – COMMENT
MEURENT LES ÉGLISES. – COMMENT
AFFAIBLIR SA FOI. – VALEUR DE
L’EXPÉRIENCE CHRÉTIENNE.
Genève, le 14 mai
1828.
MES CHERS AMIS ET
FRÈRES EN JÉSUS-CHRIST,
Mon coeur a
été vivement réjoui de toutes
les bonnes nouvelles que vous me donnez de vos
Vallées. Ah ! combien je serais plus
réjoui encore, si je pouvais vous aller
voir ! Mais ma santé, loin d'être
rétablie comme vous l'avez cru, est plus
faible que l'automne dernier ; je redoute
surtout de lire et d'écrire, et je ne puis
prendre la plume que rarement et pour quelques
moments ; encore faut-il que je n'aie rien du
tout dans l'estomac (5). Mais qu'en toute
chose la volonté du Seigneur soit faite, et
qu'il daigne nous donner de la trouver
bonne, agréable
et parfaite !
Nous avons ici,
à Genève, un Vaudois nommé
Gonin, de la commune de St-Jean, quartier des
Gonins, qui a quitté les Vallées
depuis très longtemps, et n'y a, je crois,
plus de proches parents. Converti dans sa jeunesse
par les Frères-Unis (ou Moraves), il
était resté presque seul, comme un
charbon sous la cendre, pendant les longues
années d'incrédulité et de
mort, qui ont précédé le temps
actuel de réveil religieux : quatre ou
cinq personnes, réunies à ce
fidèle disciple de Christ, ont formé
pendant plus de trente ans le seul foyer de vie
chrétienne qu'il y eût à
Genève. C'est à cette petite lampe,
luisant en un lieu obscur, que s'est, en grande
partie du moins, rallumé le zèle qui
s'est développé parmi nous, et qui,
d'ici, a été reporté chez
vous. Cependant, tout en bénissant le
Seigneur du réveil de nos contrées,
le respectable frère Gonin soupirait en
pensant à ses chers compagnons !
« Et nos pauvres Vaudois ! disait-il
souvent, personne n'ira-t-il leur parler de l'amour
de notre cher Sauveur ? Ah ! si le bon
Dieu me faisait la grâce de voir leurs coeurs
se tourner vers ce bon Berger, je n'aurais plus
rien à désirer dans ce
monde ! »
Avec quel plaisir ce bon vieillard n'a-t-il donc
pas entendu lire votre dernière
lettre ! Des larmes de joie coulaient sur ses
joues ridées ; et, levant au ciel ses
mains tremblantes, il s'est mis à
réciter en sanglotant le cantique de
Siméon : Laisse-moi désormais, Seigneur,
aller en paix. Quand
il a entendu que vous aviez fixé l'heure de
midi pour prier pour l'avancement du règne
de Dieu dans les Vallées, il a dit à
sa bonne vieille femme : « Nous
aussi, nous aussi nous voulons prier avec eux.
Dites-leur, a-t-il ajouté, dites leur
à ces chers frères, qu'un pauvre
vieillard, âgé de quatre-vingt-six
ans, qui est de leur pays, veut aussi prier avec
eux notre bon Sauveur. Que Jésus leur donne
bon courage pour porter sa croix ! Je ne les
ai jamais vus, car ils n'étaient pas au
monde quand j'ai quitté le pays ; mais
je les porte tout de même dans mon coeur.
Saluez ces chers amis de ma part, au nom de
Jésus. »
Et moi aussi, chers amis, quoique plusieurs d'entre
vous me soient inconnus de visage, je puis dire,
comme votre cher compatriote Gonin, qu'aucun ne
m'est étranger, selon l'Esprit ; et je
le dis, non seulement de vous qui connaissez le
Seigneur ou qui le cherchez sincèrement,
mais encore de tous ceux de vos frères selon
la chair, qui courent encore après la
vanité, et pour lesquels je prie ardemment
le Seigneur avec vous qu'il daigne ramener le coeur des pères dans
les enfants (Mal.
IV : 6), et que ce flambeau, qui a lui si
longtemps dans les ténèbres, se
ranime de nos jours, et brille d'un nouvel
éclat pour la gloire de Dieu et la joie de
son peuple.
Je me joins aussi de bien bon coeur à vous,
pour bénir notre Dieu de ce qu'il a
daigné augmenter, parmi vous, le nombre des
témoins de sa grâce. Je dis
témoins, car vous devez tous l'être.
Il faut que le chrétien puisse dire, en
parlant des choses de Dieu et de son Christ, comme
les habitants de Sichar à la
Samaritaine : Nous ne croyons plus sur ta parole,
mais nous l'avons entendu nous-mêmes ;
et comme saint
Jean : Ce que
nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons
entendu de nos oreilles, ce que nous avons
touché et ce que nous avons contemplé
de la Parole de vie, nous vous l'annonçons
(1 Jean 1 : 1).
Qu'est-ce, en effet, qu'une religion de
mémoire, une foi fondée sur ce qu'on
a entendu dire à d'autres, sinon un arbre
sans racines, qui tombera au premier coup de vent,
ou dont le feuillage séchera aux premiers
rayons du soleil ?
Supposez qu'il y eût, non loin de votre pays,
une source d'eaux minérales, qui eussent la
faculté de guérir les douleurs les
plus violentes et les plus incurables d'ailleurs,
et que, sans en avoir usé vous-mêmes,
vous en eussiez entendu parler
dès votre jeunesse ; vous pourriez bien
croire à la vertu de ces eaux, et
répéter les éloges que vous en
avez entendu faire. Mais, si à cause de
cela, on se moquait de vous, si on vous disait de
tous côtés que ce sont des fables, et
qu'aucune eau ne peut avoir la
propriété de guérir de tels
maux, vous commence- riez par en douter, et
peut-être même auriez-vous honte de
votre crédulité, et finiriez-vous par
vous moquer à votre tour de ceux qui y
croient encore... Nais si, ayant été
vous-mêmes très malades, et
après voir longtemps souffert et
employé en vain tous les secours de la
médecine, vous aviez enfin trouvé
votre guérison dans cette source salutaire,
et si, à chaque maladie nouvelle, vous y
trouviez encore le même soulagement et la
même vigueur, pourriez-vous douter de la
réalité de ces eaux ? Quand tout
le monde s'accorderait pour la nier, ne diriez-vous
pas comme l'aveugle-né :
J'y suis allé,
je me suis lavé, et je vois ; je ne
sais si cet homme est un méchant, mais je
sais bien une chose : c'est que j'étais
aveugle, et que, maintenant, je vois !
Eh bien, n'est-ce pas
là l'histoire des Vaudois, comme celle de
tant d'autres églises
chrétiennes ? Aussi longtemps qu'ils
ont connu Jésus-Christ en
réalité, qu'ils ont eu la religion
dans le coeur, et que chacun d'eux a
goûté, pour son propre compte, les
heureux fruits de la communion avec Dieu, rien au
monde n'a pu leur faire abandonner leur
espérance. Ils ont tout enduré, tout
souffert ; et leur foi a été
renommée par
tout le monde. Et,
quoiqu'ils ne fussent qu'un petit peuple, ignorant,
faible, et méprisé, foulé et
dévoré par les loups ravissants, ils
n'ont pas laissé de fleurir au milieu de ces
cruelles
épines.
Mais, quand leur
religion n'a plus été que dans les
livres, dans leur mémoire et dans les
églises, une heure par semaine ; quand
leur coeur a été attiédi, et
qu'ils n'ont plus cherché à
connaître la vie
cachée avec Christ en Dieu, ils se sont facilement laissé
séduire par la philosophie, et par une
science faussement
ainsi nommée ; et, sans aucune violence, sans aucune
persécution, rien qu'avec quelques moque-
ries, quelques chansons, quelques raisonnements
humains, ils se sont laissé détourner
de la piété, et sont tombés,
en peu de temps, dans l'incrédulité,
reniant le Sauveur qui
les a rachetés, ne faisant aucun cas de son
précieux sang, et ne cherchant point le
secours de son Saint-Esprit. Plusieurs en sont
venus à se moquer de son Évangile et
de ses véritables disciples ; et, sans
avoir extérieurement changé de
religion, ils se trouvent plus
éloignés de la foi de leurs
pères, que s'ils s'étaient fait
papistes ! Des loups dévorants n'ont
plus, il est vrai, déchiré leurs
Églises par le fer et le feu ; mais
l'Esprit de vie s'en est retiré peu à
peu, comme une liqueur qui s'évapore ;
et le corps, tout en conservant à peu
près son ancienne forme, n'est plus qu'un
cadavre près de tomber en poussière
au premier souffle... Il a le bruit de
vivre,
mais il est
mort !... (Apoc. III : 1).
Cherchez donc,
ô mes chers amis, cherchez à
connaître de plus en plus Jésus et la
vertu de sa résurrection, et la communion de
ses souffrances ; demandez-lui son Esprit de
vie, par lequel il vienne habiter lui-même en
vous ; tellement que, le connaissant tous,
depuis le plus petit jusqu'au plus grand d'entre
vous, vous n'ayez plus besoin qu'on vous enseigne
et qu'on vous dise : Connais le Seigneur.
C'est ainsi que votre
foi sera affermie et que vous serez à
l'épreuve des orages de la
persécution, des objections des
incrédules et des séductions de la
mondanité ; c'est ainsi que vous
pourrez être de véritables
témoins de la puissante efficace de
l'Évangile que vous professez ; car, je
le répète, il faut que vous puissiez
appuyer de votre expérience le
témoignage de Jésus-Christ, et que
vous y puissiez mettre votre cachet, selon qu'il
est écrit : Celui qui a reçu son
témoignage a scellé que Dieu est
véritable. (Jean III : 33). Il faut que vous puissiez dire
à ceux qui croient qu'il est impossible de
faire tout ce que l'Evangile nous prescrit, comme
de supporter les injures, les mépris, les
injustices, et d'aimer nos ennemis, de renoncer
entièrement à l'impureté, aux
jurements, à l'ivrognerie, à l'amour
des richesses, de la gloire et des plaisirs du
monde, de souffrir avec patience tout ce que Dieu
nous dispense, et de voir venir la mort sans
effroi, et même avec joie ;*** il faut,
dis-je, pouvoir leur affirmer, comme l'ayant plus
ou moins éprouvé vous-mêmes,
que, tout ce qui est
impossible aux hommes est possible à Dieu
(Marc. X : 27), et que, tout est possible à celui qui
croit (Marc IX : 23), que
nous pouvons tout en Christ qui nous fortifie
(Phil. IV : 13) et que tout ce qui est né de Dieu est
victorieux du monde, car celui
que le Fils affranchit est véritablement
libre, et nous savons que l'Esprit de vie, qui est
en Jésus-Christ, nous a affranchis de la loi
du péché et de la mort
(I Jean V :
4-5 ;
Jean VIII : 36 ; Romains VIII : 2).
Il faut pouvoir
affirmer à ceux qui ne comprennent pas
comment on peut trouver son bonheur dans la
piété, loin des cabarets, des bals et
des sociétés joyeuses, et qui
s'imaginent que se convertir, c'est s'ensevelir
tout vivant, et se condamner à l'ennui et
à la tristesse, il faut pouvoir leur
affirmer, comme en ayant fait l'expérience
vous-mêmes, que, hors du Christ, on ne
connaît point de véritable paix ;
que celui qui s'abreuve à la source
empoisonnée des joies mondaines
aura encore soif, mais
que l'eau que Jésus donne jaillit en nous en
vie éternelle (Jean IV : 14-18), tellement, que celui qui vient
à Christ n'a plus faim et que celui qui
croit en lui n'a plus jamais soif (Jean VI : 35). Il faut que vous puissiez leur
dire, comme David : Pour moi, m'approcher de Dieu, c'est
mon bien (Ps. LXXIII : 28), car il
a mis plus de joie en mon coeur que les mondains
n'en éprouvent, quand leur froment et leur
vin ont été abondants
(Ps. IV : 8) ; un seul moment qu'on passe dans son
temple, vaut mieux qu'un siècle au palais
des mortels (Ps. LXXXIV : 11).
Mais ce témoignage serait bien peu de chose,
s'il se bornait à des paroles, et si on ne
voyait pas en vous la réalité et la
preuve de ces choses, et si votre conduite
n'était pas d'accord avec vos principes.
Que votre
lumière luise donc devant les hommes, afin
que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient
votre Père céleste au jour de leur
visitation. Vous êtes le sel de la terre,
mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui
rendra-t-on ? Vous êtes la
lumière du monde, mais si cette
lumière n'était que
ténèbres, combien seraient grandes
ces ténèbres mêmes.
(Math. V : 13-16 ; VI : 23).
Notre tâche est grande, mes bien-aimés
frères, et nos forces sont bien
petites ; mais rappelez-vous que Dieu est
riche, et que c'est lui qui produit le vouloir et
l'exécution, et qui accomplit sa force dans
notre faiblesse ; rappelez-vous que Dieu est
riche pour tous ceux qui l'invoquent, et qu'il se
tient près d'eux, et que, si les jeunes gens d'élite se
fatiguent et tombent, ceux qui se confient en
l'Éternel reprennent de nouvelles forces, et
que les ailes leur reviennent comme aux aigles
(Esaïe XL :
30-31). Tenez-vous
donc attachés à Christ comme des
sarments bénis du cep de vie, et
ne vous lassez pas
d'aller au trône de grâce avec une
confiance toujours nouvelle, pour obtenir
miséricorde et pour être aidés
dans le besoin (Héb. IV : 16).
Adieu, mes chers amis, chers frères et
chères soeurs en Jésus-Christ, que le
Seigneur soit votre force, votre espérance
et votre foi. Amen.
Votre affectionné frère en
Jésus-Christ « *
Antoine Blanc, écrivant à son
frère André, à Mens, conforme
les détails précédents sur les
Vallées. Quel chemin parcouru depuis que
Neff raccompagnait Antoine Blanc de
Freyssinières à
Briançon !
« Nous voyons maintenant les jours que
les prophètes ont désiré voir.
Puissions-nous sentir quelle grande grâce le
Seigneur nous a faite, en nous choisissant comme de
faibles instruments, pour porter sa Parole à
ceux qui ne la connaissent pas encore !
Puisse-t-il aussi nous donner de n'être en,
scandale à aucun !... Il ne se passe
presque pas de semaine qu'il n'y ait quelqu'un qui
renonce aux divertissements profanes. Plusieurs de
ceux qui brillaient dans le monde abandonnent
toutes ces vanités, et se montrent
pénétrés d'une sérieuse
repentance. Vous pouvez penser de quel oeil les
amis du monde voient cela. ; l'orage
grossit ; mais le Seigneur peut le dissiper...
Les Almanachs des bons
conseils nous sont
d'une grande utilité. N'en ayant pas assez
pour tous, nous avons répandu des copies du
calendrier, avec l'indication des passages pour
chaque jour. Chacun cherche le texte dans la Bible,
et quand on se rencontre, c'est ordinairement
là le sujet de la conversation.
« Nous nous réunissons souvent
chez nous. Parmi ceux qui se réunissent,
plusieurs n'ont pas encore éprouvé
combien le Seigneur est doux ; mais il s'est
opéré en tous des merveilles quant au
changement de conduite. Puissent-ils tous apprendre
que la repentance n'efface pas les
péchés, mais que c'est le sang du
Juste, qui a été versé pour
les coupables ! Les lettres que nous recevons
des Hautes-Alpes sont lues avec avidité et
courent partout de main en
main... »***
Citons encore la fin de la dernière lettre
de cette époque que nous possédions
d'Antoine Blanc ; elle est adressée
à son frère André, le
1er janvier 1829 :
« Je finis en priant le Seigneur qu'il
vous bénisse ; qu'il nous fasse la
grâce que, comme l'an passé n'est
plus, ainsi nous puissions avoir quitté tout
ce qui est inimitié contre lui, et qu'avec
le nouvel an nous marchions en nouveauté de
vie ; et que, comme nous ne verrons plus le
jour d'hier, il nous fasse la grâce de ne
plus voir en nous ce qui est du vieil
homme ! »***
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