DOROTHÉE
TRUDEL
QUATRIÈME PARTIE
Les méthodes de quelques
guérisseurs par la foi
Depuis Mütterli, de nombreux
guérisseurs par la foi ont attiré
l'attention des chrétiens et même
celle des incrédules. Citons, en France M.
Vignes, en Allemagne le pasteur Jean-Christophe
Blumhardt de Boll et M. O. Stockmayer de Hauptweil.
Mais c'est particulièrement en Angleterre et
en Amérique que le mouvement a pris une
extension extraordinaire. On pourrait dresser une
longue liste de ces guérisseurs de toutes
dénominations et de toutes sectes. Nous nous
contenterons de relever les noms du rév. W.
E. Boardman, du Dr Ch. Cullis de Boston, du
rév. Dr A.-B. Simpson, de New-York, de M.
George-O. Barnes, de M. J.-M. Wood
d'Australie, de Mme Baxter et de
miss Gordon.
Or, dans chaque pays, chaque
guérisseur emploie des méthodes
différentes. Aussi avons-nous pensé
qu'il serait intéressant d'ajouter à
l'étude que nous venons de faire, un rapide
aperçu de ces diverses méthodes
préconisées en France, en Allemagne
et en pays de langue anglaise. Cela nous fournira
l'occasion d'apprécier encore une fois, de
ce point de vue, l'oeuvre et la vie de
Dorothée Trudel, en même temps que le
chemin parcouru depuis elle par quelques
guérisseurs contemporains.
I
Monsieur Vignes
C'est une véritable poésie qui se
dégage du tableau simple et primitif de ce
paysan qui s'arrête au
milieu de son travail champêtre, pour
s'occuper de quelques malades venus de loin afin
d'être guéris par lui ; et,
entourant cette scène, en lui prêtant
un cadre de toute beauté, nos belles et
pittoresques Cévennes...
Mais il ne rentre nullement dans notre sujet
de faire une biographie de M. Vignes, à
combien plus forte raison de décrire ses
occupations, sa maison ou le beau pays qu'il
habite. Nous désirons seulement donner une
idée de la méthode avec laquelle il
traite les malades qui l'approchent.
Toutefois, disons d'abord que Mütterli
et M. Vignes ont un point commun qui fait toute
leur force et leur donne toute leur
autorité : c'est la confiance pleine et
entière qu'ils possèdent en leur
Sauveur. Il est intéressant et instructif,
après avoir vu comment, chez Dorothée
Trudel, naquit cette confiance, d'en suivre le
même développement chez M. Vignes, de
Vialas.
Il avait douze ans, lorsque sa mère
qui était veuve et avec
laquelle il vivait seul, tomba gravement malade.
Les médecins se déclarèrent
impuissants. Alors le jeune garçon se
rappela qu'il est écrit dans la Bible :
« Quelqu'un parmi vous
souffre-t-il ? Qu'il prie
(Jacques V, v. 13.). » Le
passage de l'Évangile de
Jean ch. XIV, v. 12 à 14 lui
revint aussi à la mémoire. Il
s'agenouilla près du lit de sa mère
et pria de tout son coeur pour sa guérison.
Aussitôt un mieux se fit sentir et
bientôt la malade fut complètement
guérie.
À partir de ce moment, où
l'Écriture lui était apparue sous un
jour tout nouveau et lui avait donné une
puissance qu'il avait ignorée
jusque-là, le jeune Vignes eut une pleine
confiance en Dieu qui exauce les prières. Il
veilla à ce que cette
bénédiction ne lui fût pas
enlevée ; il pria pour les domestiques
de sa mère, pour les malades de son
village ; puis, sa réputation
grandissant, des étrangers firent le voyage
de Vialas, et, pendant un temps, ce petit coin
des Cévennes eut un grand
nombre de visiteurs qui s'en retournèrent
bénissant et louant Dieu pour tout ce qu'ils
avaient vu, comme les bergers qui avaient
trouvé l'enfant Jésus à
Bethléhem.
Si madame Trudel fut la cause indirecte de
cette confiance inébranlable que nous avons
tous admirée chez Mütterli, pour M.
Vignes sa mère en fut la cause directe. Pour
Dorothée, ce fut l'exemple qui finit par
triompher des résistances
(1) ; pour
le paysan des Cévennes, l'expérience
brisa du premier coup les doutes et les
hésitations. Quoi qu'il en soit, que la
lutte ait été longue ou brève,
qu'elle se soit terminée par une crise ou
sans crise, le même but était atteint,
le même sommet était gravi :
Dorothée Trudel et M. Vignes
possédaient pleinement cette confiance, qui
est l'un des éléments principaux,
sinon l'élément principal de la foi.
Pour conduire les âmes à la
foi, Dorothée Trudel et M. Vignes se
servirent de chemins bien différents.
En premier lieu, M. Vignes ne voulut jamais
s'établir, comme Mütterli finit par s'y
décider (2).
Jamais il ne quitta son travail,
des champs, son labourage, sa charrue et ses
sabots. Toute la journée occupé
à ses affaires, il ne met encore à
part, pour recevoir les malades qui se pressent
tous les jours à sa porte, qu'une heure
après le déjeuner de midi. Ne lui
demandez pas d'installer à Vialas une sorte
d'établissement ou d'oeuvre pour les malades
- vous seriez éconduit de la bonne
manière.
D'ailleurs, M. Vignes reçoit ses
visiteurs avec rudesse et
sévérité. C'est un autre
Jean-Baptiste qui ne craint pas de faire entendre
un reproche, un avertissement salutaire, un appel
décisif à la conscience et à
la volonté.
Nous avons trouvé dans une petite
brochure allemande
(3) les
détails suivants qui donneront une
idée de la façon avec laquelle M.
Vignes reçoit, les malades, souvent
fatigués par un long voyage. Il les
réunit dans une simple chambre de paysan, et
leur parle à peu près en ces
termes :
« Mes amis, vous venez ici pour
chercher quelque chose que je ne puis pas vous
donner. Vous êtes du monde, vous vivez pour
le monde ; si vous étiez de Dieu, vous
ne seriez pas ici ! Vous courez après
la créature, au lieu de vous confier
à Dieu qui vous a créés !
Quand un enfant souffre, il ne va pas vers des
étrangers, mais vers son père et sa
mère, et Dieu nous est en
Jésus-Christ plus que père et
mère. C'est à nous qu'il adresse la
promesse : « Demandez et vous
recevrez ! » Dieu ne ment pas et ne
trompe jamais. Dieu se tient à sa parole et
fait ce qu'il promet. Je ne suis rien, je ne sais
rien, Je ne puis rien. C'est Dieu qui fait tout. Il
est avec vous aussi bien qu'avec
moi. Confiez-vous en lui sans faiblesse et sans
réserve et vous serez
guéris. »
Il dira aussi : « Mes amis,
il n'y a qu'un seul vrai docteur, c'est Dieu par
notre Sauveur Jésus, le bien-aimé de
Dieu ! Il n'a besoin ni de médecins, ni
d'autres moyens ; car il les a tous
créés et nous devons choisir entre
Lui et ces choses. Confiez-vous en Lui sans aucun
doute, et vous serez guéris. Dieu ne veut
pas qu'on souffre, il est le meilleur des
pères. Il nous envoie des maladies pour
notre éducation spirituelle, afin que nous
allions à Lui, et alors il nous
guérit. »
À quelqu'un qui s'étonnait des
guérisons qui s'opéraient à
Vialas, M. Vignes dit :
« Quant à vous, vous priez
et vous n'obtenez aucune victoire parce que vous
priez mal ; vous êtes encore du monde,
vous vivez encore pour le monde, vous avez encore
vos intérêts dans le monde, vous
travaillez pour le monde ! Le monde n'a aucun
prix ! Si vous viviez seulement pour le monde,
cela serait mieux, vous ne seriez jamais
né ! Vivez donc pour
Dieu, soumettez-Lui non seulement vos croyances,
mais aussi votre amour, votre coeur et votre
être tout entier ! »
Se tournant vers un autre, il
s'écria :
« Certainement vous êtes
venu ici pour éprouver qu'il y un Dieu
vivant. N'avez-vous donc aucun Dieu à
Berne ? Soumettez-vous à Lui, restez en
Lui, confiez-vous en Lui et rentrez maintenant chez
vous. »
À un pasteur, il dit :
« Vous prêchez, mais vous ne
croyez pas ; il faut pratiquer
l'Évangile ! Guérissez les
malades vous-même ! »
M. Vignes ne conserve d'ailleurs avec aucun
malade une correspondance qui serait propre
à augmenter son influence et pourrait amener
des résultats bénis. Les quelques
lettres qu'on a de lui rappellent exactement la
brièveté de ses allocutions. On en
pourra juger par la suivante :
Vialas, le 13 Septembre 1895.
MADAME
Je ne tiens aucune correspondance, il m'est
impossible ; vous m'obligez. Je viens vous
dire qu'il n'y a qu'un seul vrai
Docteur, Dieu par notre Sauveur Jésus ;
veuillez le connaître tel qu'il doit
l'être sans faiblesse. ni réserve,
donnez-vous à Lui avec foi et amour ;
le Seigneur accomplira ses divines promesses sur
vous et vos malades. Vous aurez bien lieu de
remercier votre bon Père céleste, par
votre Bienfaiteur. C'est le souhait de mon coeur,
pour vous et pour moi aussi, que je désire
de tout coeur que sa sainte volonté
s'accomplisse sur tous. Amen.
Dans cette agréable attente, que
Dieu, par notre Seigneur, soit et demeure avec vous
tous.
VIGNES.
Nous sommes, par ces quelques faits, assez loin
de la délicatesse, de l'affection, de
l'amour avec lesquels Mütterli accueillait
ceux qui venaient à elle, pour trouver dans
les méthodes employées à
Maennedorf et à Vialas une différence
assez sensible
(4).
Il va sans dire que lorsqu'on se trouve en
présence du rude paysan de soixante-quinze
ans qu'est M. Vignes, on accepte mieux, on
ne tient point pour
étrange ce langage sévère et
froid. Et puis, il y a dans cette manière de
parler aux âmes un avantage : les
illusions s'évanouissent, les consciences se
réveillent, on ne peut que s'humilier et
reconnaître le bien fondé des
reproches. Nous avons aussi remarqué
déjà que Dorothée Trudel
savait flageller la piété alanguie et
rester sévère pour ceux qui
refusaient de se convertir
(5).
Mais où sont, chez M. Vignes, les
mots affectueux de Mütterli ? où
trouverez-vous une attention délicate, un
rien qui réconforte ? Ses visiteurs
vous diront-ils, après l'avoir vu :
c'est un homme affectueux, doux, aimable ? -
Non ; chez lui, l'amour ne revêt aucune
forme extérieure. Le fond du coeur est bon,
mais il ne le montre pas. C'est un homme de Dieu
dans le vieux sens biblique du mot. Je dirai
plus : c'est un prophète. Nous
vénérons sa méthode, mais nous
préférons celle de
Mütterli : l'amour a toujours
gagné plus d'âmes que la
sévérité.
Le peu de temps qu'il consacre à ses
malades force M. Vignes à être
très bref dans ses entretiens particuliers.
Il n'est pas même dit qu'il fasse de
prière avec ceux qui attendent de lui leur
guérison. Il n'acquiert, au près
d'eux une autorité, une influence que parce
que sa conversation se réduit à un
ordre, une affirmation ou une promesse. C'est
d'ailleurs, après les petites allocutions de
l'arrivée, tout ce que l'on peut
ordinairement tirer de lui.
La méthode qu'employait Mütterli
est absolument différente de
celle-là. Il est vrai qu'elle avait tout le
temps d'agir sur les âmes et sur les
corps ; son établissement ouvrait
largement ses portes et l'on pouvait y demeurer
longtemps. Mais toute l'influence qu'elle
exerçait sur les âmes venait de ses
quatre cultes par jour où l'on
méditait la Parole de Dieu, où l'on
priait (6). Elle
priait aussi en particulier avec
ses malades. Son action sur les âmes et sur
les corps était lente, indirecte, mais
profonde et sûre.
Il faut cependant reconnaître tout le
bien que M. Vignes a fait à certaines
âmes et les succès étonnants
qu'a obtenus sa méthode brusque et directe.
Dans la petite brochure allemande
citée plus haut nous lisons :
« M. Vignes se tournant vers Mme
B. lui dit : Qu'avez-vous ? - Ah !
J'ai de terribles douleurs !
répondit-elle. - Remuez-vous, reprit M.
Vignes. B. remue ses doigts l'un après
l'autre. - Mais..., mais..., s'écrie-t-elle,
que signifie cela ? Celui-ci ne me fait plus
mal, celui-là non plus. Je ne sens plus
aucune douleur ! Mais, monsieur, cela
durera-t-il ?
M. Vignes, sans répondre, se tourne
vers un enfant infirme du bras : Étends
ta main ! L'enfant obéit. - Mets-la sur
ta tête ! L'enfant exécute ce
mouvement. Les parents ne peuvent en croire leurs
yeux ; l'enfant est guéri.
« Un autre visiteur était
si malade, qu'il ne pouvait
descendre de voiture. M. Vignes s'approche et lui
dit : - Descendez ! - Cela m'est
impossible, répond le malade. - Au nom de
Dieu, descendez ! - Le malade alors
descend ; il était
guéri. »
Dorothée Trudel n'a jamais
hasardé une parole aussi directe, un ordre
aussi formel. Elle se bornait dans ses
prières à demander avec insistance
mais aussi avec soumission la guérison pour
ses malades. Elle ne voulait pas s'exposer à
un échec, car, pour elle, toute
guérison était subordonnée
à la volonté de Dieu
(7).
Certes M. Vignes ne prétend pas
connaître la volonté de Dieu ; il
n'a jamais affirmé qu'il pouvait
guérir tout le monde. Et quelqu'un
étant un jour venu se plaindre à lui
de ce qu'il n'avait pas guéri sa femme, il
lui répondit : « Que
voulez-vous ? si c'est la volonté de
Dieu que votre femme reste souffrante, je n'y peux
rien
(8) ! »
- Et pourtant il ordonne, il
semble qu'à sa voix la maladie devrait
céder ! N'y a-t-il pas là une
légère contradiction, peut-être
même un danger ?
Il n'est guère impossible, en effet,
que tous les malades n'obéissent pas
à la voix de M. Vignes. Un jour, il ordonne
à un malade souffrant de la jambe de
marcher. Mais le malade n'ose pas. Et M. Vignes de
lui dire : « Vous n'entendez pas ma
voix. Vous êtes du monde ; vous avez des
yeux et vous ne voyez pas, des oreilles et vous
n'entendez pas. Confiez-vous à Dieu sans
réserve, sans douter ; alors vous serez
guéri ! »
Plutôt que de mettre sur le compte du
doute, l'échec de son commandement, ou de
laisser croire au malade qu'il n'a pas eu assez de
foi, nous aurions mieux aimé voir M. Vignes
suivre la méthode prudente et
réservée de Mütterli.
Peut-être aurait-il fait encore plus de bien
et acquis sur les âmes une influence beaucoup
plus grande.
Mais, encore une fois, nous ne voudrions pas
être injuste vis-à-vis de M. Vignes.
Pour l'apprécier
justement, il aurait fallu le voir, l'approcher, le
regarder agir, l'entendre parler, et c'est ce qui
nous a manqué. Nous le regrettons
très vivement.
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