Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LETTRES À MON CURÉ






TROISIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Je vous ai exposé avec franchise quel a été le résultat de mes premières recherches sur le catholicisme. Je m'étais dit : le catholicisme c'est l'Église, et l'Église c'est l'autorité, et je m'étais mis à examiner où réside cette autorité infaillible qui est l'essence du catholicisme. Je ne l'avais pu découvrir. C'est alors que je me demandai involontairement si Tradition, Église, Autorité, tous ces grands mots dont on fait tant de bruit, ne seraient pas de simples mots, des abstractions vides, ou tout au moins un idéal auquel rien ne correspond dans la réalité. Cependant, j'ai dû réprimer un doute dont la conséquence aurait été de rendre superflue toute autre recherche. Je me suis adressé à vous, je vous ai fait part de mes difficultés, et, en attendant votre réponse, j'ai poursuivi mes études comme si de rien n'était.

Qu'est-ce que le catholicisme ? Telle est la question que je m'étais d'abord posée. Quelles sont les preuves du catholicisme, quels sont les signes de sa vérité, quels sont les titres qu'il fait valoir pour établir ses droits ? Telle fut la seconde question que je m'adressai à moi-même. Avouez, Monsieur, qu'on ne peut procéder d'une manière plus méthodique.

Cependant, la nouvelle question qu'il s'agissait de résoudre s'annonçait tout d'abord comme plus difficile encore que la précédente. Celle-ci, je veux dire le problème relatif au siège de l'autorité, avait été posée par les prétentions rivales des papes, des patriarches et des conciles, et n'avait pu manquer, sinon d'être résolue, au moins d'être nettement formulée. Mais je ne trouvais rien de semblable pour ce qui concerne les preuves de la doctrine catholique. Il fallait écouter les prédicateurs, consulter les théologiens, parcourir mille ouvrages de controverse, il fallait laisser de côté les arguments secondaires, classer ceux qui paraissaient plus solides, mettre en regard ceux qui semblaient contradictoires. La tâche n'était pas légère. Je ne l'en ai pas moins entreprise avec ardeur, - hélas ! avec plus d'ardeur que de fruit.

Entre vous et moi, Monsieur le Curé, il ne doit y avoir aucune dissimulation. Je sais bien que je ne puis vous raconter mes déconvenues successives, sans risquer de blesser vos sentiments de bon catholique. Est-ce une raison pour me taire ? Renoncez-vous à siéger au confessionnal, parce que bien des aveux risquent d'y souiller la pureté de votre belle âme ? Évidemment non. Je vous dirai donc d'emblée et sans ménagement que les preuves généralement alléguées en faveur du catholicisme m'ont paru illusoires.

Je vous énumérerai ces preuves telles que je les ai recueillies çà et là, et je vous exposerai en quoi elles ne m'ont pas satisfait. C'est à vous, Monsieur, de m'avertir si j'ai omis quelque considération essentielle, si je n'ai pas bien compris les autres, enfin, si j'ai été injuste ou inexact dans l'appréciation que j'en ai faite.

Je m'apprêtais à commencer l'enquête solennelle dont j'ai parlé, quand une question préjudicielle me traversa subitement l'esprit. Je vais demander au catholicisme de faire ses preuves, me dis-je à moi-même, mais le catholicisme a-t-il réellement besoin de preuves ? ne peut-il pas invoquer l'évidence, et l'évidence ne tient-elle pas lieu de toutes les démonstrations ?

J'ignore si les défenseurs de l'Église romaine ont jamais explicitement affirmé que les prétentions de cette Église portent le caractère de l'évidence, mais je suis certain que toute la théorie du catholicisme implique cette assertion. Le catholicisme, aux yeux du catholique, n'est pas seulement la vérité absolue, il est aussi la certitude absolue. Il participe de la nature des premiers principes. Il tient de l'axiome. Il n'a pas besoin de discuter, mais seulement de s'affirmer. Il se légitime à l'esprit comme la lumière à l'oeil, en y pénétrant. La prévention ou la mauvaise foi peuvent seules en méconnaître la divinité. Le catholicisme est certain, que dis-je ? il est la source même de la certitude, et tout ce qui paraît le plus sûr au monde, toute vérité, tout principe, toute croyance, tout droit, tout devoir n'ont d'autre fondement et d'autre garantie que l'enseignement de l'Église infaillible.

Voilà, Monsieur, les conséquences auxquelles arrivent nécessairement ces nombreux théologiens qui, de nos jours, sapent à l'envi l'ordre naturel tout entier pour ne laisser debout que l'Église, et qui entreprennent de faire du doute universel le fondement de l'autorité infaillible.
D'ailleurs, comment expliquer ou justifier l'intolérance de l'Église romaine, si ce n'est par l'évidence des droits de celle-ci ? La tolérance repose sur le principe de l'inévidence des croyances religieuses ; mais du moment qu'un dogme est certain pour tous, il peut, et, par conséquent aussi il doit être reçu de tous ; l'incrédulité devient le plus coupable des entêtements, et les châtiments se présentent comme un moyen aussi légitime qu'efficace pour ouvrir les yeux de l'hérétique.

Et cependant, Monsieur, quel paradoxe que l'évidence du catholicisme ! Le catholicisme évident ! Qu'y a-t-il donc en lui, je vous prie, qui porte ce caractère ? L'infaillibilité de l'Église sans doute, puisque l'infaillibilité est l'expression suprême du catholicisme.

Quoi ! l'infaillibilité d'un homme ou de plusieurs hommes qui me ressemblent en tout le reste, et qui ne sont toujours, il s'en faut, ni des sages ni des saints ! Voilà ce qu'il faut recevoir comme un axiome. Je suis tenu d'admettre comme un principe premier et évident par lui-même que ces individus peuvent se tromper comme hommes et en leur particulier, mais qu'ils deviennent la bouche même de Dieu lorsqu'ils sont réunis en un certain nombre et lorsqu'ils parlent avec de certaines formes. Il serait plus vrai de dire qu'il en est de l'infaillibilité comme de la transsubstantiation.

Je vois un morceau de pain qui a l'apparence du pain, la substance du pain, la saveur du pain, mais que, malgré mes sens et malgré les apparences, je dois tenir pour de la chair et du sang. De même je vois un personnage d'un esprit médiocre, d'un caractère méprisable, auquel j'entends dire des sottises, que je vois commettre des infamies, et cependant je dois admettre que le Saint-Esprit l'a choisi pour organe.

Le propre des autres miracles est de se montrer, mais celui-ci se cache ; on dirait en vérité que, pour mieux se dissimuler, l'infaillibilité se plaît à prendre les apparences de l'erreur et du mensonge. Et voilà le dogme dont on voudrait faire le fondement de toute certitude humaine. Dites plutôt que c'est le renversement du principe même de la certitude. Reconnaissez qu'au lieu de croire à l'évidence, il s'agit de croire contre l'évidence. Avouez enfin, avouez que nous sommes en droit d'exiger de vous les preuves les plus concluantes avant de renoncer à la certitude ordinaire pour votre certitude catholique.

Ce sont ces preuves concluantes que je voulais rassembler. Toutefois, avant de le faire, je voulus encore examiner si, à défaut de l'évidence, on ne pourrait pas en appeler à une illumination surnaturelle comme raison suffisante de la foi catholique.

Je fus d'abord séduit par la simplicité de ce moyen apologétique. J'y entrevoyais une fin de non-recevoir admirable pour repousser toutes les objections. Et cependant, j'ose croire, Monsieur le Curé, que vous m'approuverez d'avoir fini par écarter cet argument-là. Qui ne sait, en effet, que toutes les religions prétendent ou peuvent prétendre à une démonstration de ce genre ; de sorte que, s'il n'y avait d'autre manière d'arriver à la conviction en matière de foi, il faudrait renoncer à comparer les droits respectifs du catholicisme, du protestantisme, du mahométisme, du bouddhisme, etc. En d'autres termes, il n'y aurait plus qu'à s'asseoir et à attendre patiemment et passivement le rayon d'en haut. Ce n'est pas que je révoque en doute la nécessité de la grâce pour déterminer l'adhésion du coeur aux convictions de l'intelligence ; Dieu seul peut faire naître en nous les saintes affections sans lesquelles on n'est jamais véritablement gagné à l'Évangile ; mais il est certain aussi que l'on ne devient pas chrétien sans savoir à quoi l'on doit croire et sans avoir quelque raison d'y croire. Il en est de l'illumination comme de la Providence ; celui qui ne verrait partout que l'action directe de Dieu tomberait dans le fatalisme ; celui qui s'en rapporterait uniquement à la grâce intérieure, tomberait dans l'illuminisme.

J'ajoute que l'Eglise catholique ne risque pas de tomber dans une pareille erreur. Elle sait que l'illuminisme justifie les croyances les plus diverses, puisque chacun peut se dire ou se croire illuminé ; elle sait que, s'en rapporter à la grâce surnaturelle, c'est, au fond, mettre l'individu à la place de l'Église, c'est rompre l'unité catholique, c'est établir une espèce de protestantisme. Il y a plus. Cette prétendue méthode aboutit tout droit à la prédestination absolue ; si c'est Dieu qui éclaire, s'il faut être éclairé pour croire, et s'il faut croire pour être sauvé, il est évident que Dieu est la cause de l'incrédulité et de la perdition de tous ceux qui ne croient pas. Or, l'Église catholique repousse énergiquement la doctrine qui fait de Dieu la cause du mal. Mais à quoi bon chercher à prouver que l'illuminisme n'a point de place dans la tradition catholique. Votre Église a-t-elle jamais renoncé à la discussion avec les incrédules ? Vos docteurs n'ont-ils pas écrit d'innombrables volumes pour convaincre juifs et musulmans, athées et protestants, incrédules et hérétiques ? Vos conciles n'ont-ils pas raisonné à perte de vue ? Vos prédicateurs de l'Avent et du Carême font-ils autre chose qu'entasser des syllogismes ? Les conférences des Frayssinous, des Lacordaire, des Ravignan, des Combalot, ne sont-elles pas remplies d'arguments de tous les genres et pour tous les goûts ? Tant de paroles ne constitueraient-elles pas une grossière inconséquence, si la conviction dépendait uniquement de la grâce ? Non, assurément, et si l'Église romaine se défie de la raison, ce n'est pas elle qui tentera d'y substituer les méthodes du mysticisme.

Une fois que je fus bien sûr de ce point, je n'hésitai plus à aborder les démonstrations rationnelles, et je ne tardai pas à en trouver une qui me parut tout à fait spécieuse. « Dieu, disent les théologiens dont je veux parler, Dieu a établi dans le monde un signe infaillible pour le discernement de la vérité ; il a ouvert une source assurée de la certitude ; c'est le consentement universel. La raison générale du genre humain est évidemment supérieure à la raison de l'individu ; en effet, elle renferme tout ce qu'il y a de commun dans les raisons particulières, et, par conséquent, elle est la faculté de connaître élevée à sa plus haute puissance, elle est la véritable raison humaine. Le catholicisme est donc vrai parce qu'il est catholique, c'est-à-dire parce qu'il est universel. » Au fond, vous le voyez, Monsieur, la règle du consentement n'est pas autre chose que la célèbre maxime de Vincent de Lérins. la doctrine orthodoxe est celle qui a été professée dans tous les lieux, dans tous les temps et par tous les hommes.

À la rigueur ; j'aurais pu me dispenser d'examiner la valeur d'un argument que l'abbé de Lamennais a entaché d'un renom d'hétérodoxie. Toutefois, je ne crus pas devoir m'arrêter à cette circonstance. Je considérai que, si M. de Lamennais est suspect, Vincent de Lérins est encore en honneur. Puis il me semblait que la doctrine de l'illustre abbé a des racines réelles et profondes dans le terrain du catholicisme, et que la déférence au consentement du grand nombre est bien la voie par laquelle on devient généralement catholique. il est tant d'esprits qui ne marchent avec sécurité que lorsqu'ils se sentent appuyés à droite et à gauche par la foule.

Mais si le pape a condamné en M. de Lamennais une tradition catholique passablement authentique, je n'ai pas tardé à me convaincre qu'au fond il a condamné une doctrine très peu solide. Il est de fait que la raison individuelle donne quelquefois une certitude inébranlable, et il est faux que le consentement universel donne toujours cette certitude. N'y a-t-il pas eu des erreurs universelles, telles que l'astrologie et la sorcellerie ? Toutes les vérités n'ont-elles pas commencé par être méconnues et outragées ? Dira-t-on que l'obligation de croire au christianisme était moindre lorsqu'il n'était représenté que par une poignée de confesseurs et de martyrs ? Accorderez-vous que la certitude du catholicisme a diminué depuis que la Réformation lui a enlevé la moitié de ses adhérents ? Pour moi, je vous l'avoue, j'ai les instincts si peu catholiques sur ce point, que je suis porté à me défier d'une opinion dès qu'elle est adoptée par le grand nombre; l'empressement du vulgaire pour une idée me paraît un mauvais signe, et j'ai peine à croire que la justice avec la force d'âme qu'elle suppose, et la vérité avec ses nuances infinies et ses tempéraments délicats, soient le privilège de ce qu'on appelle les masses.

Jusqu'ici je n'avais guère rencontré que des faux-fuyants. De tous les arguments que j'avais examinés, pas un n'avait offert une véritable prise à la discussion. Je n'en eus que plus de joie lorsque j'arrivai enfin sur le terrain de l'histoire. Ma joie, il est vrai, n'était pas sans mélange. Je sentais bien qu'il s'agissait d'une dernière tentative, et que si les preuves historiques m'échappaient, je devais, pour le coup, renoncer à trouver les preuves du catholicisme.

Permettez-moi, Monsieur le Curé, de vous faire assister à mes réflexions ; je veux que vous soyez vous-même juge des conclusions auxquelles j'ai été conduit.
Le catholicisme prétend reposer sur une institution positive de Jésus-Christ. Cette institution est un fait qu'il s'agit de constater comme tout autre fait, c'est-à-dire par le moyen du témoignage historique. Mais ce témoignage, cela va sans dire, doit être apprécié d'après les règles de la critique. Nous chercherons donc dans quels écrits se trouvent consignées les paroles du Seigneur relatives à la fondation de l'Église. Nous établirons quelle est la date de ces écrits. Nous examinerons s'ils ont été véritablement rédigés par les auteurs dont ils portent les noms. Nous nous demanderons si ces auteurs ont été bien informés, s'ils ont recueilli eux-mêmes les paroles dont il s'agit ou s'ils les ont reçues de la tradition, et, dans ce dernier cas, si ces paroles n'ont pas subi d'altération. Cela fait, nous aborderons l'étude des passages dont nous aurons ainsi essayé de constater l'authenticité. Je n'ai pas besoin d'ajouter que nous les étudierons dans la langue originale, en nous entourant de tous les secours que peuvent nous fournir les grammaires et les dictionnaires. Mais ce n'est pas tout. Le sens des passages dont je parle a été obscurci par de nombreuses discussions, et il sera prudent de comparer les diverses interprétations qui en ont été données depuis les Pères jusqu'à nos jours.

Quelle besogne ! Et ce ne serait rien encore si nous pouvions nous y livrer avec le sang-froid qu'exigent des études si ardues. Mais non. Je m'assieds à mon bureau, j'ouvre mes livres, je feuillette mes dictionnaires, je vais commencer, quand tout à coup, ô terreur ! j'aperçois l'épée de Damoclès suspendue sur ma tête. Que dis-je ? Le courtisan de Denys s'inquiétait d'un glaive attaché à un fil, tandis que moi je tremble sous un arrêt de condamnation éternelle, attaché au fil bien autrement délicat des recherches qui m'occupent. Ai-je le malheur d'oublier un témoignage, - je suis perdu ! M'arrive-t-il de broncher sur la valeur d'un mot, - ma place est parmi les damnés ! Mon esprit, borné ou troublé, laisse-t-il échapper le vrai sens d'un passage, - on me relègue dans les ténèbres du dehors en qualité d'hérétique ou de schismatique !

Peut-être essaierez-vous d'abréger et de faciliter la tâche en me renvoyant, pour la certitude des textes, à l'inspiration de la Bible, et pour l'interprétation des mêmes textes à la tradition catholique. Mais, Monsieur, la logique la plus élémentaire vous fera bientôt reconnaître que vous n'en avez pas le droit. À vos yeux, c'est l'autorité de l'Eglise qui établit l'inspiration de l'Écriture, et, par conséquent, si l'Écriture doit vous servir à prouver l'autorité de l'Église, ce ne peut être comme livre inspiré, mais uniquement comme témoignage historique. il en est de même de la tradition. À votre point de vue, elle ne peut avoir de valeur, ou tout au moins d'autorité, que lorsque nous aurons démontré l'autorité de cette Église, qui enseigne l'infaillibilité de la tradition.

Reconnaissons-le, monsieur le Curé, le catholicisme n'a rien à attendre des preuves tirées de l'histoire. Il est impossible qu'il consente jamais à livrer la question de ses droits et la cause de son autorité aux hasards de recherches érudites, difficiles, et au bout desquelles se rencontre souvent le doute, et rarement cette pleine certitude dont l'Église romaine ne saurait se passer.

Que ferons-nous d'ailleurs des simples, des ignorants, des artisans, des laboureurs que nous ne voulons pas sans doute abandonner à l'incrédulité et dont nous ne pouvons exiger des études historiques ? Cette objection me paraît décisive. Son Éminence le cardinal Wiseman, qui est lui-même un savant homme, a fort bien compris la chose. Aussi la foi catholique, selon lui, est-elle une grâce que Dieu accorde aux enfants dans le baptême. À la bonne heure. Voilà un argument qui ne peut être renversé. il est vrai qu'il ne peut pas non plus être prouvé, et que nous sommes obligés de recevoir l'assertion sur la parole du prélat.

En résumé, Monsieur, les théologiens de votre Église ont sans doute beaucoup de preuves à m'offrir, mais des preuves qui n'en sont pas, ou des preuves qui sont inaccessibles à la plupart des mortels. Aussi mon embarras n'a-t-il fait que croître depuis ma dernière lettre. L'autre jour je ne savais que croire, aujourd'hui je ne sais pourquoi il faut croire. Mais il est impossible que Rome n'ait pas prévu une pareille difficulté, qu'elle n'ait pas quelque bonne réponse en réserve, et je n'ai pas besoin d'ajouter que je compte sur vous, Monsieur le Curé, pour me transmettre cette réponse.

Permettez-moi de vous dire que tout le secours de votre science ne sera pas ici de trop. Vous le sentiriez vous-même, si vous saviez quels discours j'entends sans cesse autour de moi et combien j'ai parfois de peine à les réfuter. Voici ce qui m'est arrivé pas plus tard que ce matin.

J'étais dans mon cabinet, occupé aux recherches dont cette lettre vous donne une espèce de résumé, lorsque je vis entrer l'un de mes amis. C'est l'un des hommes dont le jugement m'inspire le plus de confiance, parce que c'est l'un de ceux dont l'intelligence me paraît montrer le plus d'élévation et d'impartialité. Je l'avais souvent entendu, non sans quelque surprise, tantôt défendre le catholicisme contre d'étroits préjugés protestants, tantôt, il faut le dire, s'emporter contre l'Église romaine, ses intrigues politiques, ses superstitions obstinées, l'ignorance de ses prêtres et le ton de ses journalistes. J'en avais conclu, bien naïvement peut-être, que c'était un homme sans prévention.
Quoi qu'il en soit, il entre, il s'approche, et me demande quel est l'objet de mes études. Je le lui fais connaître, avec un secret espoir qu'il m'aidera à trouver mon chemin. Mais lui : « Vous perdez votre temps, me dit-il. Le travail auquel vous vous livrez montre assez que vous n'avez pas encore compris la nature du sujet qui vous occupe. La puissance du catholicisme est uniquement une puissance de fait. L'Eglise romaine est en possession et, au fond, elle n'a pas besoin d'autres titres.
On discute ses droits, elle les exerce. À qui demande des raisons elle répond par son existence. Ses prétentions vous paraissent excessives, mais ces prétentions sont justement le secret de sa force. Un individu qui a le verbe haut et qui se pose carrément, peut exciter le dédain des gens bien élevés, mais il n'en fait pas moins son chemin dans le monde ; il impose et il en impose. Le catholicisme a bâti sur le plus solide des fondements, je veux dire sur l'imbécillité des masses. il y a sur la terre infiniment peu d'hommes qui réfléchissent ; troupeau de moutons, la plupart d'entre eux paissent là où ils se trouvent parqués. Une religion, pour de pareilles intelligences, n'a pas besoin de preuves.

Des preuves ! l'Église romaine n'en a point, elle ne peut en avoir, elle ne saurait qu'en faire.
Qu'est-ce qu'une preuve en matière de foi, si ce n'est quelque chose de moral qui va à la conscience, qui l'éveille, qui l'éclaire et qui la lie ? qu'est-ce, si ce n'est le trait vainqueur qui pénètre dans les profondeurs de l'âme, l'onction souveraine qui apaise les agitations et qui guérit les plaies du coeur ? qu'est-ce, en un mot, si ce n'est une manifestation de la puissance spirituelle de la vérité ?

Et comment voulez-vous que le catholicisme qui, en définitive, n'est qu'une société ecclésiastique, une organisation hiérarchique, soit susceptible de pareilles preuves ? Mais je vais plus loin. Je prétends que demander des preuves au catholicisme c'est lui demander une inconséquence et, pour tout dire, un suicide. Fournir des preuves, c'est prendre l'esprit humain pour arbitre ; or, le dogme fondamental de Rome est précisément l'incompétence de l'esprit humain. C'est ce qui fait que chacun de vos pas pour vous rapprocher de l'Église romaine est un pas qui vous en éloigne. En contrôlant ses assertions vous pratiquez le libre examen, et par conséquent vous vous mettez en dehors des conditions de la foi à laquelle vous voulez parvenir. On entend quelquefois parler, il est vrai, d'un usage de la raison qui doit aboutir à l'abdication de la raison, d'un libre examen qui conduit jusqu'au seuil du temple et qui se retire alors pour faire place à la soumission. Illusion, mon cher, illusion ! On ne devient pas catholique par la méthode protestante.

Quand on a appris une fois à examiner, on risque fort de continuer toute sa vie à le faire, et je ne crois pas beaucoup à ce renoncement de l'intelligence qui, après avoir établi les questions de principe, se récuse sur les questions de détail. Soyez donc conséquent. Vous voulez entrer dans l'Église romaine ? Laissez là vos livres et vos recherches. Défaites-vous du besoin de tout examiner et de tout discuter. Hâtez-vous d'imposer silence à votre raison. Consentez à croire sans voir et sans savoir. Dégagez-vous de vous-même par un vigoureux acte de volonté. Jetez-vous les yeux fermés dans le giron maternel qui s'ouvre à vous. Courez de ce pas chez un directeur de conscience, abandonnez entre ses mains votre intelligence, votre conscience, votre personnalité tout entière. Prenez de l'eau bénite. Plongez-vous dans les pratiques. Pascal n'a pu trouver d'autre remède aux doutes que le catholicisme soulevait dans son esprit ; soyez sûr que vous n'échapperez pas autrement aux difficultés que l'examen a accumulées devant vous. » Telles furent, Monsieur le Curé, les paroles de mon ami. Je ne vous cacherai pas qu'elles ont fait quelque impression sur mon esprit. Toutefois, je ne doute pas que vous ne parveniez à en dissiper l'effet en me montrant que l'abêtissement n'est pas la route royale du christianisme, et c'est pourquoi je me suis empressé de prendre la plume et de vous conter mes nouvelles angoisses.



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