Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LETTRES À MON CURÉ






QUATRIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Si vous ne pouvez goûter tous mes raisonnements, au moins, j'en suis sûr, rendrez-vous justice à ma persévérance. En attendant votre réponse aux lettres que j'ai pris la liberté de vous adresser, je continue mes recherches, j'aborde successivement toutes les questions, je prends le catholicisme par tous les bouts. Avouez que ce sera jouer de malheur si, avec tant de zèle, je n'arrive pas à un résultat satisfaisant.

Je vous ai exposé, dans ma dernière lettre, les objections que me paraissent soulever les divers arguments allégués en preuve du catholicisme, mais je n'ai pas cru que ces considérations générales me dispensassent d'entrer dans le détail de ces preuves. C'est ainsi que, sans m'arrêter à l'impossibilité manifeste où sont la plupart des fidèles de peser des témoignages historiques, j'ai voulu cependant passer en revue les arguments que l'Église romaine emprunte à l'histoire.

Les témoignages dont je parle consistent surtout dans des passages du Nouveau Testament. Au premier rang de ces passages se trouvent quelques paroles de Jésus-Christ dans lesquelles le catholicisme croit trouver sa charte fondamentale, et parmi ces paroles il en est deux auxquelles vos théologiens attribuent une importance toute particulière. La première se rapporte à l'établissement de l'Église infaillible, la seconde à la suprématie du pape. Voyons si tel est, en effet, le sens des textes dont il s'agit.

D'après les derniers versets de l'Évangile selon saint Matthieu, le Seigneur, sur le point de se séparer des apôtres, leur adresse ces paroles : « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre. Allez et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde. » (Matth., XXVIII, 18-20.)

Voici maintenant par quel commentaire l'interprétation catholique fait sortir de ce passage l'Église romaine tout entière, tout armée, avec son infaillibilité et son clergé.

« Allez et enseignez toutes les nations. » Par ces mots, le Seigneur institue une classe d'hommes qu'il constitue les dépositaires exclusifs de son Évangile, et auxquels il confère l'autorité d'enseigner et de gouverner en tous lieux. Nous avons donc ici l'établissement de la prêtrise, et plus spécialement de l'épiscopat.

« Je suis, avec vous jusqu'à la fin du monde. » Ces mots, continue l'exégèse catholique, promettent aux apôtres et à leurs successeurs une grâce toute spéciale, sans laquelle ils ne pourraient s'acquitter de la charge dont il vient d'être question. Or, par cette grâce, il faut nécessairement entendre le privilège de ne jamais se tromper. Nous avons donc ici l'établissement de l'infaillibilité.

N'allez pas, Monsieur le Curé, vous écrier que je m'amuse à faire une caricature. C'est à dessein que j'évite de remplir ces feuilles de renvois et de citations, mais je n'en suis pas moins prêt à vous nommer mes auteurs pour peu que vous le désiriez. Je vous assure, en outre, que je me suis adressé aux plus respectables et aux plus accrédités. Mais passons au second texte.

Nous lisons dans l'Évangile selon saint Matthieu, que Pierre ayant déclaré qu'il croyait à Jésus-Christ comme au Messie et au Fils de Dieu, le Seigneur s'adressa à l'apôtre en ces termes - « je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » (Matth., XVI, 18 et 19.)
Cette fois le commentaire traditionnel prend la forme d'un syllogisme : le Seigneur fait de Pierre le fondement de son Église ; or, Pierre devint plus tard évêque de Rome ; donc les papes sont les chefs de l'Église catholique. Quoi de plus évident !

Avant d'aller plus loin, permettez-moi, Monsieur, de vous faire toucher au doigt la vérité de ce que je disais dans ma dernière lettre sur la nature des preuves historiques. Le raisonnement par lequel les papes sont mis en lieu et place de saint Pierre, repose tout entier sur la supposition que saint Pierre a été évêque de Rome. Arrive un protestant qui secoue la tête et qui dit : « Il n'est pas absolument certain que Pierre ait jamais été à Rome, et il est hors de doute qu'il n'y a jamais été évêque.

Aucun des anciens écrivains de l'Église n'a connaissance de cet épiscopat. Les premiers qui en parlent sont Optat de Milève et saint Jérôme, et ceux-ci vivaient dans la seconde moitié du quatrième siècle. C'est dire que pendant trois cents ans il n'a pas seulement été question de cette dignité du prince des apôtres. D'ailleurs, il est facile de prouver par le Nouveau Testament que l'épiscopat, dans le sens catholique et consacré du mot, est totalement étranger aux idées apostoliques. » Comment répondrez-vous à cela, Monsieur le Curé ? Par des arguments ? Mais ces arguments seront-ils assez forts pour exclure tous les doutes ? Par l'anathème ? Eh quoi ! un point d'archéologie et d'histoire deviendra-t-il un article de foi ?

Mais laissons là les discussions critiques. Vous ne vous y sentez peut-être pas à votre aise, ni moi non plus, je vous l'avoue. Les convictions ne se forment ni se détruisent guère par des procédés de ce genre. D'ailleurs, les plus graves objections que soulève dans mon esprit l'interprétation catholique des passages dont nous nous occupons, sont des objections d'un caractère tout à fait général.

Voici la première. Le Seigneur dit - « Allez et enseignez toutes les nations. » Vous voyez là l'institution d'un sacerdoce. Le Seigneur dit : « Je suis avec vous. » Vous voyez là une promesse d'infaillibilité. » Le Seigneur dit : « Je bâtirai mon Église. » Aussitôt s'élève devant vos yeux l'image d'une grande association religieuse, avec une organisation régulière, avec prêtres, évêques et pape, avec puissance sacramentelle et puissance de juridiction, en un mot, l'Église catholique romaine telle que vous la connaissez. C'est-à-dire que, pour interpréter chacun de ces passages, vous commencez par mettre dans les textes ce que vous voulez ensuite en faire sortir.

Quant à moi, il me semble qu'un homme sans prétentions et qui ne connaîtrait pas encore le catholicisme, puiserait difficilement la notion de ce système religieux dans les passages que j'ai cités ; il penserait plutôt et tout naturellement à une Église fondée sur une libre profession de la vérité chrétienne ; à une sainte obligation pour tous de répandre l'Évangile selon leur position ; enfin, à ce secours divin qui, promis à chacun, purifie l'âme de l'erreur en la purifiant du péché.

Ceci me conduit à une autre objection. À vos yeux, le christianisme ne repose pas seulement sur l'Église, mais l'Église est par excellence l'objet de la révélation chrétienne ; et Jésus-Christ est venu avant tout sur la terre pour établir cette Église dépositaire de la vérité, canal de grâces, seul moyen du salut.

En dehors de l'Église romaine vous n'admettez pas la possibilité de la foi, vous ne concevez pas l'Évangile. C'est dire de quelle importance est la notion de l'Église dans le système catholique. Tout en sort et tout y revient. D'après cela, on doit s'attendre à voir l'Église occuper dans les discours du Seigneur et dans les écrits des apôtres une place proportionnée au rang qu'elle occupe, selon vous, dans l'économie chrétienne.

Si Jésus-Christ a voulu l'Église catholique, s'il l'a instituée, il a sans doute exprimé cette intention à diverses reprises, ou tout au moins dans des termes précis ; il a montré qu'il s'agissait, comme dit Bellarmin, d'une société aussi visible et aussi palpable que le royaume de France ou la république de Venise ; il a distingué les laïques du clergé ; il a indiqué que les apôtres devaient avoir des successeurs et que ces successeurs devaient être des évêques ; il a défini la vertu mystérieuse de l'ordination; il a désigné les degrés de la hiérarchie ; il a pourvu à l'unité ; il a proclamé quel est le siège de l'infaillibilité.

Vous savez, Monsieur, avec quel soin et quels détails la loi de Moïse s'occupait du sacerdoce israélite, de ses fonctions, de ses droits. Rien de plus minutieux que ces ordonnances. Il en est qui règlent jusqu'aux vêtements sacrés. À combien plus forte raison le Nouveau Testament n'aura-t-il pas été explicite sur l'institution du nouveau sacerdoce ? Comme il sera, à la fois, abondant et exact, lorsqu'il s'agira d'établir le lien qui rattache le prêtre chrétien au prêtre juif. Comme il va nettement déterminer les attributions respectives du pape, de l'épiscopat et des conciles. Comme il va insister sur le devoir du fidèle de s'attacher à son évêque. Comme il va nous faire admirer l'unité et l'universalité de l'organisation ecclésiastique. Il s'agit des conditions d'existence du christianisme dans le monde, des conditions du salut pour l'individu sur la terre, - nécessairement tout sera clair, catégorique, évident.

Encore une fois, Monsieur, ce n'est pas une satire que j'écris, et ce n'est pas ma faute si j'en ai l'air. Suis-je donc trop difficile ? En présence d'une Église qui proclame la divinité de son institution, l'infaillibilité de ses décrets, et la perte éternelle de tous ceux qui ne lui appartiennent point, n'ai-je pas le droit, disons mieux. n'ai-je pas le devoir de demander sur quoi reposent des prétentions dont on peut dire qu'elles sont monstrueuses si elles ne sont fondées ? Il me semble que le Nouveau Testament devrait être rempli de l'Église romaine ; je suis trop exigeant, me dit-on. Eh bien, soit ! Je me contenterai d'un passage, d'un demi-passage, pourvu qu'il soit positif. Au lieu de cela, que m'offre-t-on ? Trois ou quatre versets dans lesquels on ne trouve le système romain qu'à force de subtilités ou de violences.

À en croire vos théologiens, Jésus-Christ se serait appliqué à parler en énigmes. Au lieu de manifester sa volonté sur un sujet d'une importance aussi extrême, il aurait employé tous ses efforts à cacher cette volonté. Il se serait étudié à parler de manière à ne pas être compris. Car, encore une fois, Monsieur, qui prétendra que le sens prêté par votre Église aux passages dont il s'agit soit un sens évident ? Et que penseriez-vous d'un législateur humain qui aurait rédigé ses lois de cette manière ? d'une constitution politique qui s'appuierait sur une charte aussi équivoque ?

Le catholicisme manque donc de fondement biblique, et il devrait renoncer à chercher dans le Nouveau Testament des titres qui deviennent illusoires à force d'être insuffisants. Mais ce n'est pas tout, Monsieur, et je vous prie de me prêter ici une nouvelle attention.

Les protestants rejettent un grand nombre de doctrines et de rites par la seule raison que ces rites ne sont pas commandés, que ces doctrines ne sont pas enseignées dans l'Écriture. - « Vous n'avez pas le droit d'en agir ainsi, répondent les catholiques. Vous partez du principe que l'Écriture est la seule règle en matière de religion, tandis que c'est précisément là ce qui est en question. » J'ai toujours reconnu une certaine justesse dans ce raisonnement.

Mais si, en thèse générale, le silence de la Bible n'est pas une raison suffisante pour rejeter un enseignement, si le caractère exclusif de l'autorité de la Bible doit au moins être préalablement établi, vous m'accorderez cependant, Monsieur, que les enseignements de l'Église catholique ne doivent pas être opposés à l'Écriture, c'est-à-dire à la doctrine du Seigneur et des apôtres. Eh bien, c'est ici que je vous arrête. Le catholicisme tout entier, dans sa lettre et dans son esprit, me paraît en contradiction avec le Nouveau Testament. Vous cherchez péniblement des textes pour justifier tel article, pour appuyer tel autre, pour colorer ce troisième. Laissons ces misères, je vous prie. Tâchons de nous placer ensemble à un point de vue plus élevé. Considérons la dispensation évangélique dans son caractère général, dans son esprit incontestable, dans ses tendances manifestes.

Que voyons-nous ? Jésus-Christ est venu accomplir la loi, c'est-à-dire en dégager l'essence éternelle. Laissant tomber tout ce qui était rituel et temporaire, il a fondé un royaume de Dieu, où chacun entre sans autre condition que l'humilité, la repentance, les saints désirs, la charité. L'apôtre saint Paul, dans un admirable accord avec la pensée et la parole du Maître, a condamné la légalité, la lettre, les rites ; il a montré dans toutes ces choses l'ombre des biens dont l'Évangile est la réalité ; il a réprimandé ceux qui abandonnaient l'esprit pour revenir à des observances qu'il appelait la chair ; il a prêché une religion dans laquelle il n'y a plus de place pour un sacerdoce ; il a passé sa vie à combattre le judaïsme. Or, le catholicisme n'est autre chose qu'une restauration du judaïsme, qu'un judaïsme christianisé. C'est le régime de la loi substitué à celui de la grâce ; c'est la règle extérieure remise à la place de la liberté spirituelle.

Le catholicisme a son importance. Comme le judaïsme, il est une préparation à l'Évangile, j'entends au véritable et pur Évangile ; mais, comme le judaïsme aussi, il devient un ennemi de cet Évangile, lorsqu'il méconnaît la nature inférieure et préparatoire de son propre rôle. Il est la religion de ceux qui sont incapables d'en avoir une autre. Il discipline les peuples ignorants et grossiers. Il sera sans doute longtemps encore le tuteur spirituel des masses et le refuge des âmes faiblement trempées. Je suis prêt à lui rendre cette justice, toute justice ; je ne demande qu'une chose, c'est qu'on ne réclame pas pour l'Église romaine l'institution divine et le caractère apostolique. Il n'y a qu'à ouvrir le Nouveau Testament pour voir l'absurdité de cette prétention.

Je ne veux pas finir cette lettre, Monsieur le Curé, sans vous faire part d'une réflexion qui ne se rattache pas directement à ce que je viens de dire, mais qui nous ramènera cependant à notre point de départ. Aussi bien, je ne suis pas au bout de mon papier, et je ne saurais mieux employer mes loisirs qu'à m'entretenir avec vous.

Le catholicisme, je crois pouvoir l'affirmer, le catholicisme ne peut alléguer de preuves proprement dites. Et cependant il exerce une puissance incontestable sur les esprits. Quel est le secret de cette puissance ? Question difficile et l'une des plus intéressantes sans doute qu'un penseur puisse se proposer. J'y ai souvent réfléchi, et, si vous le permettez, je vous exposerai mes idées sur ce sujet.

Si le catholicisme ne peut agir par voie de démonstration, il lui reste la voie de la pression morale. Le problème consiste pour lui à déterminer la volonté sans s'adresser à la raison, et il faut avouer qu'il a résolu ce problème avec un remarquable succès.
Comme moi, vous avez cent fois entendu les défenseurs de l'Eglise romaine alléguer qu'en dehors du catholicisme il n'y a qu'incertitude, incrédulité et corruption. « Rome seule, disent-ils, donne aux hommes le repos après lequel ils soupirent.

Le libre examen, au contraire, enfante nécessairement le doute. Aussi, le protestantisme se dévore-t-il lui-même. On voit ses sectateurs tomber tour à tour des doctrines de la Réformation dans le socinianisme, du socinianisme dans le déisme, du déisme dans le panthéisme, du panthéisme, enfin, dans le socialisme. » À ces arguments ad terrorem viennent se joindre des considérations bien connues : « Dieu ne peut avoir refusé aux hommes la certitude en matière de foi ; il ne peut avoir livré le monde aux embarras des recherches religieuses ; il ne peut avoir donné sa révélation sans avoir donné en même temps un moyen sûr de la connaître. Or, ce moyen c'est l'Église catholique. Une, universelle, palpable, chacun sait où la trouver. Immuable, elle enseigne toujours les mêmes choses. Infaillible, elle exclut le doute aussi bien que l'erreur. Partout ailleurs l'homme se trouve sur le terrain des vérités relatives, et, par conséquent, incertaines, tandis que là il se trouve sur le terrain de la vérité absolue et absolument certaine. »

Ainsi que je l'exprimais tout à l'heure, ces arguments ne sont pas des preuves destinées à convaincre, mais des considérations destinées à pousser les âmes dans les bras de l'Église. On ne peut se dissimuler, du reste, que ces considérations répondent à un besoin très général, le besoin de certitude, disons mieux, le besoin de quiétude en matière religieuse. Nous voulons voir la religion de nos yeux, la toucher de nos mains, l'enfermer dans nos formules. Son excellence morale n'est pas pour nous une preuve suffisante de sa vérité. Nous exigeons qu'elle se fasse reconnaître à des signes extérieurs et matériels. Pourquoi cela ? Ne serait-ce pas que, si elle était plus spirituelle, la religion n'aurait de certitude que pour l'âme religieuse ? Ne serait-ce pas que là où manque la démonstration intérieure de l'esprit, force est bien de remplacer cette démonstration par la certitude extérieure des sens ? Mais je touche ici à un sujet délicat et que je ne veux pas aborder aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, la force du catholicisme réside dans l'évidence dont il entoure ou dont il prétend entourer le christianisme. La hardiesse avec laquelle il revendique le caractère de vérité absolue ne fait qu'attirer davantage des esprits avides de certitude. D'un côté on trouve un sacerdoce qui se dit sûr de son affaire, d'un autre côté on voit le champ ouvert à la recherche, au doute, au changement... Comment le choix de chacun ne serait-il pas tout fait ? Le catholicisme a raison par cela seul qu'il offre plus de sécurité. Et, quant au fondement de cette sécurité, il ne peut être question de l'examiner, puisque ce serait retomber dans un labeur auquel il s'agit d'échapper à tout prix. Vous connaissez d'ailleurs le proverbe : « À cheval donné, on ne regarde point à la bouche. »

Au fond, l'apologétique romaine se réduit tout entière à un raisonnement d'après lequel Dieu a nécessairement dû nous octroyer sa révélation sous une forme précise, arrêtée, immuable, et semblable en tout à la forme catholique. On pourrait contester le droit que s'arrogent les partisans de cette apologétique, de déterminer comment Dieu a dû agir et d'enfermer la liberté divine dans les conceptions de leur intelligence. Mais il est plus sûr encore de comparer ces conceptions avec les faits. Voyons un peu.
Je parcours l'histoire des dispensations divines et je ne trouve nulle part le caractère dont on prétend faire la marque de la vraie religion.

Dieu ne se révèle point d'une manière impérieuse. il n'impose pas aux intelligences une doctrine immuable. il n'a pas pour tous les temps et pour tous les pays une religion toute faite. Il a lentement et diversement préparé l'humanité à la révélation. Au lieu de refouler brusquement les nations dans leurs voies, il les y a guidées et disciplinées. Il a fait de l'erreur même, il a fait du paganisme un moyen d'éducation. D'un autre côté, il a montré, dans la loi de Moïse, qu'une révélation divine pouvait n'être que temporaire. Mais si, avant Jésus-Christ, l'histoire religieuse de l'humanité n'est autre chose qu'une éducation spirituelle destinée à préparer les coeurs à Celui qui devait venir, pourquoi refuseriez-vous, Monsieur, de considérer l'histoire depuis Jésus-Christ comme une nouvelle éducation, destinée à faire avancer les hommes dans l'intelligence et dans la communion de Celui qui est venu ?

À ce point de vue, je l'ai déjà reconnu, il se trouve que le catholicisme a joué un rôle considérable dans l'accomplissement du plan divin. On peut dire de lui qu'il s'est abaissé pour nous élever. Ses infidélités au pur esprit chrétien, ses transactions avec le judaïsme, son opposition à l'enseignement du Nouveau Testament, ont peut-être été inévitables et même jusqu'à un certain point favorables à l'évangélisation du monde. Cependant, sous ce régime approprié au temps de sa minorité spirituelle, la chrétienté devenait insensiblement capable d'une plus grande indépendance. Le jour arriva où l'enfant, devenu homme, rompit les lisières qui avaient guidé ses premiers pas. Telle est la signification qu'il faut attribuer au grand mouvement du seizième siècle. Mais la Réformation elle-même n'est pas sans doute le dernier mot du christianisme, et le Dieu qui s'est révélé à nous dans son Évangile, a encore bien des révélations à nous faire sur le sens, les richesses cachées et les applications infinies de la parole de vie.

Il semble vraiment que l'idée d'après laquelle Dieu a dû instituer sur la terre quelque moyen d'exclure toute incertitude, tout tâtonnement, toute recherche, et, par suite, tout progrès en matière de religion, il semble, dis-je, que cette idée s'impose à l'esprit humain avec une nécessité parfaite. Oui, à l'esprit sans culture, et c'est ce qui fait que cette idée a tant d'empire sur les masses. L'ignorance croit volontiers à la vérité absolue ; mais l'éducation et l'expérience nous apprennent à voir des nuances là où nous trouvions des contrastes, de simples différences là où tout semblait opposition. Aussi, l'homme qui, dans sa jeunesse, porte des jugements si tranchants sur les personnes et sur les choses, change-t-il de ton lorsque l'âge a ébréché les anguleux contours de sa pensée.

Faisons un essai, Monsieur le Curé. Consentez pour un instant à laisser de côté vos idées préconçues sur la forme que doit revêtir une révélation, et supposez avec moi que les choses se soient passées de la manière suivante. Dieu a donné son Fils au monde pour qu'il enseignât, vécût et souffrît, et pour qu'en croyant en lui nous eussions la vie éternelle. Jésus-Christ a été de lieu en lieu faisant du bien, il a guéri les malades,Il a jeté autour de lui la semence de sa parole, il est mort répandant son sang pour la vérité et la justice, pour le salut des hommes et pour la cause de Dieu. Confiant dans la vertu intrinsèque de sa parole, il ne l'a pas fait enregistrer par des greffiers, il s'est contenté de la graver dans les coeurs. Sachant que la vérité vivante ne se formule pas en bulles et en canons, il s'est gardé d'établir un tribunal infaillible et il a abandonné la vérité à sa propre énergie.

Certain que sa vie et sa mort ne pouvaient être vaines, il n'en a pas fait dresser procès-verbal, et voici ! le souvenir de cette mort et de cette vie n'en domine pas moins tous les souvenirs de l'humanité. il a confié un germe à la terre, et il a laissé pousser ce germe. Il a mêlé le levain à la pâte, et il a laissé ce levain pénétrer la pâte. Il a prévu que son Évangile serait tout d'abord trop profond pour les uns et trop simple pour les autres ; il a prévu que toutes les puissances du péché, de l'orgueil, de l'ignorance et de la sottise allaient se liguer pour en obscurcir le divin éclat ; il a prévu tout cela, et cependant il n'a pas douté du sort définitif de l'Évangile. Il a légué aux siècles la réalisation de son oeuvre. Il a voulu que les hommes s'appropriassent et, pour ainsi dire, s'assimilassent toujours davantage le christianisme à mesure que, par l'effet du christianisme lui-même, ils deviendraient plus spirituels. Bref, il a admis dans les destinées de son Église la loi du développement... Dites, Monsieur le Curé, trouvez-vous dans cette supposition quelque chose qui soit indigne de Jésus-Christ ? Vous semble-t-il que la théorie catholique soit plus conforme à la justice et à la bonté de Dieu ?

Mais je m'oublie à causer avec vous. Veuillez, Monsieur, ne pas perdre de vue que vous me devez déjà plusieurs réponses. Je compte, quant à moi, vous adresser incessamment de nouvelles questions ; mon embarras, je ne vous le cache pas, va tous les jours en croissant.



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