Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LETTRES À MON CURÉ






CINQUIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Je vous ai raconté, dans mes deux premières lettres, combien je me suis inutilement donné de peine pour découvrir le siège de l'autorité infaillible. Plus tard j'ai dû vous avouer que je n'avais pas mieux réussi à déterminer sur quelles preuves reposent les prétentions de l'Église romaine. Une religion dont les preuves, une Église dont le siège même se dérobent à toutes les recherches, n'offrent assurément pas un facile sujet d'étude. Mais vous avez déjà pu le voir, je ne me décourage pas aisément. Aussi ai-je résolu de faire un nouvel effort pour savoir en quoi consiste le catholicisme.

Cette fois-ci, cependant, je m'y suis pris d'une manière détournée. Puisque l'Église romaine a des fidèles, me suis-je dit, voyons un peu ce qu'ils sont ; examinons par quelles croyances ils se distinguent des autres hommes ; à défaut du catholicisme, tâchons de savoir ce que c'est qu'un catholique. Cela reviendra au même. Tous les chemins ne conduisent-ils pas à Rome ?

Il faut trois choses pour faire un catholique, en d'autres termes votre Église attache le salut à trois conditions réunies. Ces conditions sont la foi orthodoxe, la participation aux sacrements, l'obéissance à la discipline et au gouvernement de l'Église. Cependant il est clair que la foi domine toutes les autres conditions, puisqu'elle en est elle-même la condition ; on n'obéit à l'Église et l'on ne participe à ses sacrements, que parce que l'on croit aux sacrements et à l'autorité de l'Église.

En quoi consiste donc la foi du catholique ? Évidemment cette foi embrasse toute la doctrine catholique, c'est-à-dire non seulement les vérités du catéchisme, mais toute l'Écriture sainte, toute la tradition, tous les décrets des conciles, et, qui plus est, elle embrasse toutes ces choses dans le sens où l'Église les entend. D'un autre côté il existe fort peu d'hommes en état d'étudier et, par conséquent, de recevoir en connaissance de cause un corps de doctrine aussi considérable. C'est ce qui fait qu'on a inventé une distinction entre la foi explicite et la foi implicite. D'après cette distinction, qui se trouve déjà dans saint Thomas d'Aquin, il est des choses que le fidèle est tenu de recevoir à bon escient, tandis qu'il en est d'autres pour lesquelles il suffit de croire sur la foi de l'Église et sans savoir d'ailleurs de quoi il s'agit.

Mais quelles sont les choses qu'il faut croire explicitement ? Quelques théologiens demandent, comme minimum, le symbole des apôtres. Toutefois le fait seul qu'ils demandent le symbole, prouve que l'Église ne le demande point, car les théologiens n'auraient pas besoin de parler si l'Église avait prononcé. D'ailleurs ce n'est pas le symbole qui fait le catholique, puisque le symbole renferme la moindre partie, et surtout la partie la moins caractéristique du catholicisme.
Les protestants, par exemple, ont toujours admis et récité cette confession de foi, et vous ne les en regardez pas moins comme placés en dehors de la communion des fidèles.

Il est certain que l'Église catholique n'a jamais exigé de ses enfants qu'un article de foi, à savoir la foi à l'Église catholique elle-même. À la vérité cet article renferme tous les autres, mais il les renferme implicitement. Aussi, dans le système romain, la foi est-elle essentiellement une foi implicite. Les uns peuvent croire plus, les autres moins, peu importe, pourvu qu'ils se rencontrent tous sur le dogme fondamental de l'infaillibilité de l'Église.

Il semble inutile de prouver une assertion qui ne fait qu'exprimer le caractère essentiel du catholicisme. Demandez à vos propres docteurs en quoi ils font consister la supériorité de leur religion sur le protestantisme. Le catholicisme, vous répondront-ils, est seul à la portée de tous les hommes ; il ne demande rien au pécheur, si ce n'est de se jeter avec abandon dans les bras de l'Église, et, par l'extrême simplicité de cette condition, il se rend accessible aux plus simples et aux plus ignorants.

Remarquez d'ailleurs une chose, Monsieur le Curé. Quand bien même un catholique connaîtrait tous les dogmes chrétiens, l'Église serait cependant, dans tous les dogmes, le véritable objet sur lequel porterait sa croyance. Pourquoi, en effet, reçoit-il ces dogmes ? Non pas, sans doute, parce qu'il les a examinés, éprouvés et approuvés, non pas en vertu de l'excellence qu'il y a reconnue, mais bien parce que l'Église les lui impose. Or n'est-il pas manifeste que croire ainsi, c'est moins croire aux dogmes qu'à l'Église ? Sous les divers articles du Credo n'est-ce pas l'Église que voit le fidèle, n'est-ce pas elle qu'il retrouve, n'est-ce pas à elle qu'il rend hommage ?

Voulez-vous une dernière preuve de mon assertion sur le caractère de la foi catholique ? Il est devenu de mode parmi ceux de vos écrivains qui se piquent plus particulièrement d'orthodoxie, de soumettre d'avance leurs opinions et leurs écrits au jugement du saint-siège. Ils peuvent errer sur les sujets les plus importants, sur les dogmes les plus essentiels ; ils peuvent être trithéistes ou sabelliens, monophysites ou nestoriens, que sais-je ? panthéistes ou socialistes, mais ils souscrivent à la décision de l'Église quelle que puisse être cette décision ; cela suffit pour purifier leur foi, ils restent de bons et vrais catholiques. Je ne connais rien de plus significatif.

En résumé, l'Église romaine peut avoir un corps de doctrine chrétienne, et elle en a un en effet, mais cette doctrine n'est au fond qu'un hors-d'oeuvre. Cela est si vrai que les caractères particuliers qui distinguent la dogmatique catholique, tiennent tous les jours moins de place dans l'enseignement et dans la polémique de vos coreligionnaires.

Obéissant à des tendances profondes, le catholicisme a fini par se concentrer et pour ainsi dire par s'absorber tout entier dans son principe, l'autorité infaillible de l'Église.
La conséquence en est que la foi catholique s'est peu à peu réduite à un seul article, la croyance à cette autorité et le devoir de s'y soumettre.

Croire, pour un catholique, c'est admettre tout ce que l'Église a décidé, tout ce qu'elle décide et décidera ; c'est l'admettre les yeux fermés, c'est l'admettre sans même savoir en quoi consistent ces décisions. Tranchons le mot, le catholique croit par procuration.

La foi, dans le système en question, est un blanc-seing que le fidèle remet à l'Église et que celle-ci se charge de remplir. C'est ce qu'on appelle la foi du charbonnier : « Je crois ce que croit mon curé. » - « Et que croit votre curé ? » - « Oh ! il croit ce que croit l'Église. »

La nature de la foi catholique est tout le secret de cette unité que l'Église regarde comme l'un de ses plus éclatants privilèges.
Les hommes sont ainsi faits, soit par suite de leur individualité naturelle, soit par une conséquence du péché, qu'ils ne s'accordent jamais en très grand nombre que sur un très petit nombre de points. Multipliez les articles qui doivent servir de base à une association et vous diminuez d'autant le chiffre des membres qui doivent entrer dans celle-ci. Cela est vrai surtout d'une association religieuse, parce que les convictions religieuses sur lesquelles il s'agit de s'accorder sont généralement plus absolues, partant plus exclusives que les autres ; ne s'appartenant pas à elles-mêmes, mais se considérant comme l'expression de la vérité divine, elles n'admettent pas les transactions qui jouent un si grand rôle dans les diverses sphères de la société civile.

Aussi une confession de foi détaillée écarte-t-elle beaucoup plus de croyants qu'elle n'en réunit, et la première condition d'existence pour une Église qui ne regarde qu'au nombre est-elle la simplification des symboles.
C'est ce que l'Église catholique a merveilleusement compris.

Le lien qui en unit les membres est aussi simple que possible, puisqu'il consiste en un seul article et un article très général, à savoir la soumission à l'Église.
Je dis que ce lien est simple, je devrais plutôt dire qu'il est factice, et que l'unité dont il forme le noeud est moins élémentaire encore qu'illusoire. En effet, nous l'avons vu, ce lien n'est pas la foi, mais le manque de la foi, j'entends l'absence de toute croyance personnelle, consciente, éprouvée. L'Église catholique est un assemblage d'hommes qui s'accordent sur le choix d'un gérant, qui remettent à cet agent commun le soin de leurs intérêts spirituels et qui, cela fait, s'en vont chacun leur chemin. Or, je le demande, n'est-ce pas une dérision que de décorer du titre d'unité cet accord purement négatif ? Est-il bien surprenant que des gens se disputent peu sur des matières dont ils ne s'occupent pas ?

L'erreur du catholicisme, sur ce point comme sur tant d'autres, provient de l'idée qu'il se fait de l'Église ; l'Église ne doit pas être une fin, mais seulement un moyen, et le catholicisme en est venu à voir dans l'Église la fin même de la religion, l'alpha et l'oméga du christianisme. Il en est de même de l'unité.

L'unité ne doit pas être un but ; le vrai but d'une société chrétienne, c'est le développement de la vie religieuse de ses membres ; là où cette vie existe, l'unité se produit spontanément. Mais non, le catholicisme a voulu l'unité pour elle-même ; dès lors il a cherché à l'établir par des moyens artificiels, et c'est ainsi qu'il est arrivé à une unité sans réalité. La véritable unité est la communion des âmes, communion qui suppose la vie, la liberté, l'individualité, et qui, d'un autre côté, n'exclut pas d'assez grandes différences de sentiments et de conduite. Eh bien, en s'appliquant à dépouiller ses membres de tout ce qui constitue la vie de l'âme et la personnalité, humaine, le catholicisme a méconnu les conditions de l'union spirituelle. Il a préféré l'uniformité à l'unité. Il a lâché la proie pour l'ombre. Au lieu de bâtir à la face du ciel un édifice assez solide pour résister à la tempête et pour abriter des hommes, il a mieux aimé élever un château de cartes et le remplir de poupées.

Il fut un temps, Monsieur le Curé, où la société tout entière obéissait à la loi catholique. Une nouvelle théocratie s'était constituée.
L'orthodoxie était devenue la base du droit public.
L'erreur religieuse était mise au ban des nations.
La croisade exterminait les hérétiques que l'interdit ne suffisait pas à ramener.
L'Europe s'était laissé façonner à l'image de l'Église. Pourquoi ces temps ont-ils cessé ?
Pourquoi le monde a-t-il échappé à l'Église ?
Pourquoi entre Rome et les peuples cette lutte dans laquelle les peuples se sont affranchis ?
Pourquoi cette sécularisation de la société, qui forme le caractère non méconnaissable des temps modernes ?
Pourquoi, si ce n'est parce que le catholicisme a été pour l'Europe une forme plutôt qu'un principe de vie, un moule plutôt qu'une âme ?

Puisque je suis en train de parler de l'unité catholique, je prendrai la liberté de vous soumettre une pensée qui m'est souvent venue à l'esprit.
L'Église romaine se vante de son unité comme d'un privilège qui lui est propre. C'est là, je l'avoue, ce que je ne puis comprendre.

En quoi consiste, en effet, l'unité religieuse ?
Dans l'homogénéité de croyance entre les membres d'une Église et, par suite, dans l'exclusion de ceux qui ne partagent pas la croyance officielle. Mais toutes les Églises, toutes les sectes ne sont-elles pas, sous ce rapport, dans une même position ? Toutes ne s'accordent-elles pas à admettre les fidèles qui reçoivent leurs articles de foi, à repousser ceux qui les rejettent ?
Et dès lors par quoi l'unité de l'Église catholique diffère-t-elle de l'unité des autres Églises ? Quant à moi, je ne sais voir de différence ici que celle du nombre, et ce n'est pas le nombre qui fait l'unité.

Les prétentions du catholicisme à l'avantage exclusif de l'unité reposent probablement sur la notion ridicule que les écrivains catholiques se font du protestantisme. Vous prenez ce mot dans un sens analogue à celui du mot catholicisme.

Vous entendez par protestantisme, non pas l'insurrection religieuse du seizième siècle, non pas le principe du libre examen, mais une communion religieuse déterminée, dont tous les membres seraient solidaires les uns des autres. Puis, comme il y a beaucoup d'Églises diverses qui sont connues sous la dénomination commune de protestantes, vous arrivez à l'idée d'une Église divisée en plusieurs Églises, d'une communion religieuse dont les adeptes diffèrent considérablement entre eux et quelquefois même se combattent et s'anathématisent.

En vérité, il serait temps, Monsieur, de laisser là un fantôme dressé par l'ignorance ou la mauvaise foi. Le terme de protestantisme, pris pour désigner l'ensemble des Églises protestantes, est une simple abstraction ; chaque Église protestante est une en elle-même; elle ne diffère point de l'Église catholique sous ce rapport, si ce n'est peut-être que son homogénéité est plus réelle; enfin, il faut l'avouer, elle a, tout aussi bien que Rome, le droit de se regarder, si bon lui semble, comme le centre du système chrétien, et de considérer les autres Églises, y compris l'Église romaine elle-même, comme des sociétés rebelles ou égarées.

Je me trompe, et, sans y penser, je viens de toucher à la véritable distinction. Les protestants reconnaissent pour chrétienne toute Église dans laquelle l'Évangile est professé ; ils s'accordent à proclamer que l'on peut être sauvé dans toutes les Églises ; ils n'en exceptent pas même l'Église romaine.

Celle-ci, au contraire, ne reconnaît d'Église, de christianisme, de salut que dans le système catholique. C'est dans ce sens que l'Église romaine est une, ou du moins qu'elle professe le principe de l'unité ; les autres Églises admettent plusieurs Églises ; pour elle, elle n'en admet qu'une seule. Le caractère exclusif, voilà bien le trait qui distingue le catholicisme, le mot qui résume peut-être le mieux son être complexe. Reste à savoir si ce caractère est un élément de force ou de ruine, s'il est un signe d'honneur ou de condamnation.




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