LETTRES
À MON CURÉ
SIXIÈME LETTRE
Monsieur le Curé,
Plus j'y pense, plus il me semble que j'ai bien
fait de changer de méthode dans les
recherches auxquelles je me livre. Aussi longtemps
que j'ai voulu envisager les questions dans leur
généralité et
déterminer ce que c'est que le catholicisme,
l'infaillibilité, l'Église, je n'ai
rien trouvé que des abstractions qui
échappaient à tous mes efforts pour
leur donner un sens précis.
De guerre lasse j'ai résolu de
prendre une autre voie. Je me suis mis à
étudier le catholicisme dans les
catholiques, les éléments du
système dans la croyance et la vie des
fidèles. Ce moyen m'a réussi ;
je me sens placé sur un
sol moins mobile et je commence enfin à voir
clair autour de moi.
J'ai dit qu'il faut trois choses pour faire
un catholique - la foi orthodoxe, la soumission
à l'Église et la participation aux
sacrements.
De ces trois points, il en est un qui nous a
déjà occupés. La foi
catholique, avons-nous vu, est essentiellement une
foi implicite, et le fidèle, dans le
système romain, est sauvé en croyant
ce que croit l'Église ou, ce qui revient au
même, en croyant à l'Église.
Ainsi la doctrine se réduit à ce seul
article ; tout le reste est un
hors-d'oeuvre.
La seconde condition du salut consiste dans
la soumission au gouvernement et à la
discipline de l'Église. Il n'est pas
nécessaire, ce me semble, que nous nous
arrêtions beaucoup à cette condition.
Au fond, elle ne fait qu'un avec la
précédente. Dans une religion dont la
doctrine fondamentale est l'autorité de
l'Église, on ne peut croire à la
doctrine sans se soumettre aussi à la
discipline ; la foi entraîne
l'obéissance, et je ne conçois
guère, sur ce terrain, de schisme qui ne
soit une hérésie,
d'hérésie qui ne soit un
schisme.
Il n'en est pas tout à fait de
même des sacrements. Si la participation aux
sacrements suppose la foi, la foi et les sacrements
sont cependantdeux choses
distinctes et elles constituent deux conditions du
salut qu'on ne saurait confondre.
Un sacrement, au sens de l'Église
catholique, est un rite qui efface les
péchés et qui produit la
sainteté.
Ce n'est pas seulement un symbole qui
représente telle ou telle grâce
chrétienne, c'est le moyen que Dieu a
établi pour communiquer ces grâces aux
fidèles.
Bien plus, il est des grâces que l'on
ne peut obtenir autrement que par l'acte rituel
auquel elles sont attachées, de sorte que la
qualité de chrétien et le salut
éternel dépendent de la participation
aux sacrements. Il est même vrai de dire que
c'est dans le sacrement que l'Église a sa
raison d'être.
Jésus-Christ, à en croire la
théorie catholique, a confié à
ses apôtres le dépôt des
grâces divines qu'il voulait répandre
sur le monde. Les apôtres, à leur
tour, ont transmis ces grâces aux
évêques leurs successeurs, les
évêques les ont transmises à
d'autres, et ainsi jusqu'à nos jours. En un
mot, l'Église est un vaste corps dont le
clergé forme les artères et dans
lequel, par ces canaux sacrés, circule la
vertu d'en haut. Eh bien, c'est par les sacrements
que cette vertu se répand du clergé
sur les fidèles.
Mais comment cette vertu appartient-elle au
sacrement ? Selon l'Église catholique,
cette vertu est inhérente
au sacrement lui-même ; elle est
attachée, soit aux substances
employées, du moment que celles-ci ont
été consacrées par certaines
paroles, soit à la célébration
même de la cérémonie, à
la consommation de l'acte, de sorte que le
fidèle reçoit la grâce par sa
participation matérielle à cet acte,
et, comme on dit, ex opere operato. Aussi le
sacrement est-il nul si les formes prescrites n'ont
pas été exactement
observées.
Le baptême, par exemple, ne serait pas
valable s'il n'était fait avec de l'eau
pure, ou si l'officiant omettait l'un des mots de
la formule indiquée.
Je ne vous cacherai point, Monsieur le
Curé, qu'en lisant les canons de Trente et
les articles du Catéchisme romain qui
traitent de ce sujet, qu'en voyant se
dérouler devant moi la théorie
catholique des sacrements, j'ai
éprouvé une sorte de
consternation.
Le pardon des péchés
communiqué par de l'eau !
La sainteté produite par une
onction !
La vie chrétienne attachée
à des cérémonies et à
des rubriques !
J'avais souvent entendu attribuer cette
manière de voir à l'Église
catholique, mais j'avais toujours tenu cette
imputation pour une calomnie. Désormais je
ne pouvais plus révoquer la chose en
doute.
Ce n'est pas que la doctrine romaine
soit toujours d'accord avec
elle-même. En effet, si des textes positifs
attribuent l'efficace du sacrement à l'acte
sacramental lui-même, il en est d'autres
qu'exigent certaines dispositions
intérieures, soit de la part de celui qui
confère le sacrement, soit de la part de
celui qui le reçoit.
L'officiant doit avoir l'intention
« de faire ce que fait
l'Église » (c'est l'expression
usitée).
Le fidèle, de son côté,
ne doit point mettre obstacle à la
grâce sacramentelle, et, pour avoir part aux
bienfaits de la pénitence, il faut
même qu'il soit affligé de ses
péchés.
Ne pourrait-on pas conclure de ces exemples
que la doctrine catholique n'est pas
entachée du matérialisme qu'on lui
reproche ?
Je n'ose le croire, Monsieur le Curé.
Tout ce que prouvent les passages auxquels je viens
de faire allusion, c'est que la doctrine romaine du
sacrement est en contradiction avec
elle-même. Vous pourrez trouver des
assertions officielles qui atténuent le
caractère magique du sacrement, mais vous ne
pourrez effacer ce caractère même. Il
reparaît, il perce, il éclate sur tous
les points.
S'agit-il de l'ordre : l'Église
défend de le conférer aux enfants ou
aux aliénés, mais elle maintient que,
si des aliénés ou des enfants l'ont
néanmoins reçu, ils sont bien et
dûment ordonnés
S'agit-il de
l'eucharistie : l'Église prétend
que le prêtre conserve le pouvoir
d'opérer la transsubstantiation de l'hostie,
alors même qu'il serait en état de
péché mortel, alors même qu'il
serait devenu turc ou païen.
S'agit-il du baptême :
l'Église enseigne qu'un enfant
nouveau-né et qui, par conséquent, ne
peut prendre plus de part à la
cérémonie qu'un animal ou qu'une
pierre, elle enseigne, dis-je, que cet enfant est
régénéré,
sanctifié, sauvé par le
baptême ; elle enseigne que, sans le
baptême, ce même enfant ne saurait
aller au ciel.
Après cela, je le répète,
que l'Église catholique exige telle ou telle
disposition intérieure pour tel ou tel
sacrement, il faut en conclure qu'elle dit non
après avoir dit oui, qu'elle dit blanc
après avoir dit noir, mais non pas
assurément qu'elle abandonne l'idée
d'une vertu spécifique inhérente
à l'acte sacramentel.
J'avoue donc bien qu'il y a deux
éléments dans la théorie
sacramentelle de l'Église romaine, mais en
même temps je suis forcé de
reconnaître, que l'élément
spirituel est exclu par l'ensemble du
système et qu'il y forme une anomalie. Cela
est si vrai que vous ne pouvez insister sur la
nécessité des dispositions morales
sans mettre tout le catholicisme en danger. Nous
avons vu que, n'osant faire du
prêtre une pure et simple machine,
l'Église veut que le prêtre ait
l'intention de conférer le sacrement. Ce
n'est pas beaucoup demander sans doute ; eh
bien, c'est encore trop demander. Il fallait exiger
plus ou ne rien exiger du tout.
Voyez, en effet, quelles sont les
conséquences de cette
inconséquence.
L'Église catholique a un grand nombre
de prêtres exemplaires, mais elle en a aussi
d'indifférents, d'incrédules, de
criminels même et de sacrilèges. Il y
a eu des Borgia sous la tiare, des Retz sous la
barrette et des Contrefatto sous la soutane. Loin
de moi la pensée d'en faire un crime au
catholicisme ou de tenir une société
quelconque pour responsable du caractère de
tous ses membres ; je me contente de rappeler
un fait.
Supposons maintenant qu'un de ces
prêtres indignes administre le baptême,
qu'il donne l'absolution, qu'il consacre l'hostie
sans penser à ce qu'il fait, ou même
avec une intention sacrilège de ne pas
produire l'effet sacramentel ; voilà
une paroisse dans laquelle les communiants sont
frustrés du corps de Christ, les
pénitents sont privés de l'absolution
et les enfants sont exclus de la vie
éternelle. Il y a plus. Supposez un
évêque à l'ordination duquel
ait présidé la même
légèreté ou la même
impiété. il n'est évêque
qu'en apparence, il consacrera,
à son tour, des prêtres qui n'auront
eux aussi que l'apparence de la prêtrise, et
qui iront répandre dans une multitude de
paroisses la nullité des sacrements et la
damnation des âmes. Ces considérations
n'ont pas échappé à
quelques-uns des Pères du concile de
Trente ; ils comprenaient fort bien où
aboutissait la doctrine qui a prévalu et ils
voulaient qu'on se passât tout à fait
de l'intention de l'officiant pour la
validité, du sacrement.
Les deux éléments du sacrement
catholique jurent donc ensemble. On peut les
juxtaposer, mais on ne peut les fondre. C'est
pourquoi il faut que l'un des deux l'emporte et
étouffe son rival. Est-il besoin de rappeler
quel est celui qui l'a emporté ? Je
vous le demande à vous-même. De quel
côté penche le dogme catholique ?
Dans quel sens s'est-il
développé ? Sous l'empire de
quelle idée le prêtre
célèbre-t-il la messe, le
fidèle participe-t-il à
l'eucharistie, le mourant réclame-t-il
l'extrême-onction ?
En un mot qu'est-ce qui domine dans le
système, qu'est-ce qui en constitue la
physionomie, qu'est-ce qui en détermine le
caractère ?
Évidemment ce n'est pas l'obligation
morale imposée au fidèle, mais la
vertu intrinsèque attribuée au
sacrement.
Je sais bien que si vous faites
dépendre le salut du sacrement, c'est parce
que vous regardez le sacrement comme la source des
grâces chrétiennes.
Le sacrement, à entendre la doctrine
catholique, sauve les hommes parce qu'il les
régénère, et l'Église
n'attache le bonheur éternel à la
consommation du rite qu'après avoir
attaché à ce rite la justification et
la sanctification. Sans doute on doit tenir compte
à l'Église de n'avoir pas tout
à fait oublié ces grâces
excellentes. On dirait que le spiritualisme
évangélique a su obtenir du
matérialisme même quelque stipulation
en faveur de ses anciens droits.
Mais hélas ! cette stipulation
n'est qu'illusoire. Tout à l'heure nous
étions en présence de deux assertions
contradictoires ; eh bien, attacher la
religion à la matière du sacrement,
c'est plus encore qu'une contradiction, c'est unir
deux choses qui n'ont entre elles aucun rapport
possible. L'effet ne peut être d'une autre
nature que sa cause, la matière ne peut
enfanter l'esprit, des manipulations et des
formules latines ne peuvent faire un
chrétien.
Lorsqu'on prétend purifier
l'âme en lavant le corps et sanctifier la
volonté en appliquant un chrême, on
ravale les vertus chrétiennes au rang des
choses sensibles. Vous faites découler les
grâces divines de la rubrique ; une
logique instinctive en conclut
que les grâces dont il s'agit sont
elles-mêmes affaire de rites et de
cérémonies. Vous présentez la
sainteté comme liée à des
actes qui ne sont avec la sainteté dans
aucune connexion intelligible et
appréciable ; chacun en conclut que la
sainteté dont il s'agit n'est pas tant un
état moral qu'une condition
extérieure et arbitraire du salut.
J'ai prononcé le mot d'arbitraire.
Aucun mot n'exprime mieux le caractère de la
doctrine catholique sur les moyens de salut.
Cette doctrine exige, comme condition de la
vie éternelle, la foi à
l'infaillibilité de l'Église.
De quel droit ?
Pour que la foi soit une condition du salut,
il faut qu'elle produise ce salut,
c'est-à-dire qu'elle mette l'âme de
l'homme en contact avec des vérités
et des faits capables de la toucher, de l'humilier,
de la sanctifier, avec des faits qui fassent
rentrer le pécheur en lui-même, qui
renferment des appels à la conscience et des
exhortations à une vie nouvelle. Mais la foi
à l'Église, à
l'autorité de l'Église, à
l'infaillibilité de l'Église, une foi
implicite, inconsciente, vide, une foi qui, au
fond, n'est que l'absence de la foi, comment
pourrait-elle agir sur l'âme, et dès
lors comment pourrait-elle sauver le
pécheur ?
Il en est de même du sacrement.
Pour qu'un rite quelconque puisse servir au
salut, il faut qu'il s'adresse à l'homme
intérieur et qu'il agisse sur les affections
et sur la volonté. Mais les affections ne
peuvent être émues ni la
volonté excitée, si ce n'est par le
sens religieux que le fidèle attache au
rite.
On n'est point moralement influencé
par un acte qui n'a point de caractère
intelligible ni de signification morale. Or, le
sacrement catholique ne demande pas à
être compris, il n'aspire pas à
émouvoir, il veut agir directement et par
ses seuls éléments
matériels.
C'est dire que son action n'est pas une
action chrétienne, que le sacrement n'est
dans aucun rapport intime avec le salut, et que,
s'il en est une condition, il en est une condition
arbitraire.
Après cela ce serait perdre son temps
que de montrer en quoi l'idée catholique du
sacrement est contraire au christianisme
évangélique. L'opposition n'est pas
seulement dans la lettre des textes, elle est dans
l'esprit des institutions, elle est dans le
génie tout entier des deux systèmes.
Quand on passe des Évangiles et des
Épîtres aux canons du concile de
Trente, on passe d'une atmosphère morale
dans une autre, et du christianisme à ce qui
n'en est plus que la contrefaçon. Ce n'est
pas tropdire. Il y a là
deux religions en présence.
L'une est intérieure, tandis que
l'autre est extérieure.
L'une veut la conviction, l'autre exige la
soumission.
La première s'attache au
caractère personnel du ministre de Christ,
la seconde s'attache au caractère officiel
du ministère.
Selon la première, l'efficace
dépend de l'esprit ; selon l'autre, la
vertu découle de l'acte rituel.
Celle-là inspire des sentiments et
détermine la volonté, celle-ci
assujettit la vie à un système de
cérémonies.
En un mot, l'Évangile agit par la
parole, le catholicisme par le sacrement.
Au fond, si la théorie catholique des
moyens de salut est essentiellement arbitraire,
c'est que la notion catholique du salut est une
notion essentiellement matérielle. Le salut,
c'est, pour vous, l'admission en paradis, et le
paradis est un lieu de délices dont saint
Pierre a les clefs et dans lequel on entre
lorsqu'on apporte un certificat en règle et
un mot d'ordre convenu. À ces idées
si grossières et, pour tout dire, si
irréligieuses, substituez une conception
plus chrétienne et tout l'édifice du
catholicisme croulera. Placez la
félicité à venir dans l'homme
au lieu de la placer hors de l'homme ; faites
consister le ciel dans la communion avec Dieu,
source éternelle et suprême du beau,
du vrai et du bien ;
reconnaissez que la sanctification est moins encore
la condition du salut que le salut lui-même,
et il ne restera plus de place pour une doctrine
qui attache la vie éternelle à la foi
aveugle et à l'eau baptismale.
Matérialiser l'idée de la vie
religieuse et de la vie éternelle, c'est
sans doute une affreuse corruption de
l'Évangile, et s'il est des
côtés par lesquels l'Église
catholique est tombée dans le judaïsme,
il semble que par ce côté-là
elle ait reculé jusqu'au paganisme.
Cependant nous ne sommes pas au bout et nous
n'avons pas encore atteint les dernières
conséquences du système.
En attachant le christianisme et le salut
aux conditions que nous avons dites, le
catholicisme proclame que l'on ne peut être
chrétien ni avoir part à la vie
éternelle à moins de se soumettre
à ces conditions. C'est là le sens du
principe fameux : hors de l'Église
point de salut. Mais voici ce qui arrive. Comme les
conditions catholiques du salut sont arbitraires,
c'est-à-dire sans rapport nécessaire
avec la vie chrétienne, il se trouve qu'on
peut être sauvé sans avoir la vie
chrétienne et qu'on peut avoir cette vie
sans être sauvé ; en d'autres
termes, il y a dans l'Église catholique
des fidèles sans aucune
piété, et il y a en dehors de
l'Église de véritables disciples de
Jésus-Christ que cette Église est
obligée de vouer à la damnation.
C'est un fait et un fait qui peut se
vérifier tous les jours : les vertus
évangéliques ne sont point
exclusivement liées à l'orthodoxie
romaine.
On rencontre, parmi ceux que vous appelez
hérétiques, on rencontre le coeur
humble et contrit dans lequel Dieu se plaît
à habiter, la foi qui rend visible le monde
invisible, la charité qui ne s'aigrit point
et qui supporte tout, le zèle qui parcourt
le désert pour chercher la brebis
égarée ; on trouve, parmi ceux
que vous excluez du ciel, on trouve la connaissance
de Jésus-Christ, la recherche de sa
communion, l'amour de sa parole, l'espérance
de sa gloire.
Vous-même, Monsieur le Curé,
vous n'êtes pas sans avoir vu quelquefois ce
spectacle. Ah ! dites, quels ont
été vos sentiments lorsque vous avez
ainsi contemplé des hommes auxquels
manquait, il est vrai, le sceau de vos sacrements,
mais qui portaient le sceau de
l'Évangile ? Avez-vous involontairement
salué en eux des enfants du Père
céleste, des héritiers de la vie
éternelle ? Prenez garde, car alors
vous avez tacitement renié cette foi
catholique à l'essence de laquelle
appartient l'exclusivisme. Ou
bien avez-vous peut-être cherché
à douter de la réalité des
grâces dont l'éclat frappait vos yeux,
avez-vous essayé de les expliquer par
l'orgueil, par l'enthousiasme, par l'esprit de
parti, leur avez-vous donné quelque nom
outrageant ? Alors, Monsieur, permettez-moi de
vous le dire, vous avez
blasphémé.
Écoutez. L'autre jour j'étais
occupé à parcourir le Nouveau
Testament. Parmi les passages qui
arrêtèrent successivement mon
attention, il en est un dont le sens
menaçant m'avait déjà
quelquefois préoccupé. Vous
connaissez ce passage.
Jésus venait de guérir un
infortuné auquel manquaient à la fois
l'usage de la vue et celui de la parole. Les
pharisiens avaient été témoins
du miracle, mais au lieu d'y reconnaître une
manifestation de la puissance et de la bonté
divines, ils l'avaient attribué à un
pacte qu'aurait formé Jésus avec le
prince des démons. Le Seigneur les entendit
et leur répondit par ces paroles
terribles ; « Tout
péché et tout blasphème sera
pardonné aux hommes, mais le
blasphème contre l'esprit ne leur sera point
pardonné. »
Or, savez-vous, Monsieur le Curé,
quel était le péché de ces
pharisiens ? ils n'avaient pas voulu admettre
que Dieu fût avec celui qui n'était
pas des leurs. Ils avaient vu une
oeuvre sainte, et, poussés
par l'esprit de secte, ils avaient fermé les
yeux, ils avaient étouffé la voix de
leur conscience, ils avaient expliqué le
bien par le mal, et la grâce divine par
l'influence du démon.
Eh bien, voilà justement à
quoi en est réduite votre Église.
Semblable aux pharisiens, elle s'est
regardée comme ayant le monopole du salut et
elle a attaché la grâce d'en haut
à des conditions extérieures. Par
là elle s'est engagée à nier
la possibilité de la vie chrétienne
ailleurs qu'en son sein. Et quand elle a
rencontré cette vie chrétienne, pure,
dévouée, éclatante, elle s'est
vue obligée de la méconnaître,
et non seulement de la méconnaître,
mais de la vilipender. C'est ainsi qu'elle en est
venue à appeler le bien mal et le mal
bien ; c'est ainsi qu'elle est poussée
à jeter le venin et la boue sur tout ce qui
ose être saint sans être
catholique ; c'est ainsi qu'elle est
condamnée à blasphémer le
Saint-Esprit dès que cet Esprit se manifeste
en dehors de la communion avec Rome.
Condamnée à blasphémer
le Saint-Esprit... Quel jugement de Dieu sur
l'Église catholique ! Quelle
malédiction prononcée sur ce
mélange d'esprit sectaire et de formalisme
vide qui caractérise l'Église
romaine ! Mais je m'arrête. il me
répugne de parler si rigoureusement. Je
voudrais pouvoir douter de
l'évidence. Je cherche à me persuader
que j'ai mal lu les textes, mal compris les
doctrines, mal tiré les conclusions. Je
nourris un secret espoir que vous me convaincrez
d'erreur ou d'exagération. Aussi est-ce avec
impatience que j'attendrai votre réponse.
Combien je serais heureux de voir que je me suis
trompé dans mon appréciation des
principes du catholicisme.
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