Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LETTRES À MON CURÉ






SEPTIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Il me reste un point à examiner pour compléter l'étude que j'ai entreprise, c'est la confession.
La doctrine de l'Église nous a fait connaître la croyance du fidèle, les sacrements nous ont indiqué où ils puisent les grâces dont il a besoin, il faut maintenant que la confession nous montre le catholique dans la vie active. En d'autres termes, nous avons déjà vu ce qui concerne le dogme et le rite, nous avons encore à voir ce qui concerne la morale du catholique.

Je connais un homme, membre de votre communion, qui, après avoir passé une partie de sa vie dans l'indifférence pour les choses spirituelles, revint un jour à des sentiments meilleurs. Résolu à devenir catholique tout de bon, il s'adressa à un prêtre et lui demanda ce qu'il devait faire. - « Prenez un confesseur, » lui répondit l'ecclésiastique.

Je ne sais, Monsieur le Curé, si vous en jugerez comme moi, mais cette réponse me paraît significative. La confession, sans tenir une bien grande place dans les expositions du système catholique, n'en est peut-être pas moins le rouage principal de ce système. C'est par elle que le catholicisme passe de la théorie à la pratique, c'est par elle qu'il entre en contact avec les masses, par elle qu'il pénètre dans la vie des individus, par elle qu'il s'assied au foyer des familles ; bref, c'est par elle qu'il s'applique et qu'il s'impose.

Vous savez, Monsieur le Curé, qu'avec vous je me permets une entière franchise. Sûr que vous tenez compte de mes intentions, confiant dans les ressources que vous possédez pour lever les difficultés qui me troublent, je ne crains pas de vous laisser voir mes impressions dans toute leur vivacité. Il me semble que de cette façon-là vous saurez mieux à quoi vous en tenir sur mon état spirituel, et que, connaissant le fort et le faible de mes sentiments, vous serez mieux à même d'appliquer le remède aux doutes opiniâtres pour lesquels je vous consulte. Je vous dirai donc, sans déguisements, ce que je pense de la confession.

J'avançais l'autre jour que la doctrine catholique renverse la doctrine chrétienne en y substituant la foi d'autorité ; je vous montrais dernièrement comment le sacrement catholique renverse le sacrement chrétien en y substituant une opération magique ; eh bien ! je ne puis m'empêcher d'ajouter aujourd'hui que la morale catholique renverse la morale chrétienne en y substituant la direction de conscience.

Un mot suffit pour exprimer ce que devient la morale entre les mains du prêtre qui reçoit la confession. Elle devient la casuistique, c'est-à-dire ce qu'il y a au monde de plus différent de la morale évangélique. Et je ne parle pas ici de ces détails abominables qu'enseignent les manuels de vos séminaires et qui, après avoir sali l'imagination de vos ecclésiastiques, vont étonner le vice même derrière la grille du confessionnal. Ce sont là des conséquences affreuses du système, mais des conséquences qui se justifient, je le reconnais, du moment que le principe de la casuistique est admis.

Ce principe, c'est l'appréciation des actions à un point de vue purement extérieur. En effet, le prêtre qui ne peut pénétrer dans la conscience des hommes, et qui, par conséquent, est obligé de juger les fautes sans connaître les intentions, le prêtre est inévitablement amené à considérer le péché comme consistant tout entier dans l'acte qui fait l'objet de la confession.

Il en est de lui comme d'un médecin qui confond les symptômes avec la maladie, et qui dès lors néglige de remonter au siège et au caractère général de celle-ci. La vie lui apparaît, non dans l'unité de ses tendances, mais comme une certaine somme d'actions, bonnes ou mauvaises. Il étudie les phénomènes moraux dans leur isolement. Il se préoccupe des péchés plus que du péché, et des oeuvres pies plus que de la vie chrétienne. Il prend, pour juger de la valeur des actes, une mesure toute matérielle. Il pèse les circonstances accidentelles au milieu desquelles les faits se sont accomplis. Surtout il met son habileté à distinguer.

Selon lui, il est des devoirs qui lient tous les hommes, ce sont les préceptes ; mais il en est d'autres qui offrent de simples conseils et qui ne concernent que les gens épris de la perfection. Il y a des péchés mortels qui sont incompatibles avec la grâce, et des péchés véniels qui sont compatibles avec elle. Il y a des cas prévus pour lesquels la jurisprudence est fixée, il y a des cas imprévus qui se règlent d'après la probabilité. Il y a un amour négatif qui consiste à ne pas haïr Dieu, et cet amour est obligatoire ; mais il y a un amour affirmatif qui consiste dans des actes formels d'amour de Dieu, et il suffit de s'acquitter de quelqu'un de ces actes de loin en loin, et, par exemple, tous les cinq ans.

On sera inexcusable de tuer un voleur pour conserver un ducat, pour en conserver cinq, mais non s'il s'agit d'en conserver six, ou dix, ou vingt. Je m'arrête. La confession a engendré la casuistique et, grâce à la casuistique, la morale catholique est devenue ce que nous connaissons tous, la morale dévoilée par les Provinciales et contre laquelle l'honnêteté publique a fini par pousser un cri de réprobation.

La confession se présente à nous avec le même caractère, lorsque nous examinons le rôle qu'y joue le fidèle.
Le fidèle est tenu de déclarer tous ses péchés, spécialement tous les péchés mortels qu'il peut avoir commis depuis sa confession précédente. En d'autres termes, il procède par voie d'énumération et de distinction. Cela me suffit. La notion catholique du péché se révèle dans ce seul trait, et cette notion est extérieure, superficielle, judaïque. Elle consiste à considérer l'acte matériel au lieu de regarder à la disposition du coeur.

L'homme qui rentre sérieusement en lui-même et qui se prosterne devant la sainte majesté de Dieu, cet homme trouve moins dans sa conscience le souvenir de ce qu'il a fait que la pensée de ce qu'il est ; sa vie ne se présente pas à lui comme une série d'actions qu'il a accomplies, mais comme un état de ses désirs et de ses affections. Il ne dresse pas un catalogue de ses faits et gestes pour approuver les uns, excuser les autres et condamner les troisièmes, il ne cherche pas à tirer entre ses péchés une ligne de démarcation en deçà de laquelle ils sont tout pardonnés, et au delà de laquelle il leur faut l'absolution ; c'est au pharisien de la parabole qu'appartient ce rôle.

Le chrétien ne sait que s'accuser ; il reconnaît qu'il n'y a en lui que misère et péché ; ses meilleures actions, les plus bienfaisantes, les plus désintéressées, les plus héroïques même lui apparaissent souillées d'égoïsme et de mondanité ; il n'éprouve qu'un besoin, celui de se frapper la poitrine en s'écriant : 0 Dieu ! aie pitié de moi qui suis pécheur !

Peut-être me répondrez-vous que Dieu seul lit directement dans les coeurs, et que le fidèle est obligé d'énumérer ses actes pour guider le regard du prêtre dans l'appréciation de son état moral.
Mais non, vous ne direz point cela, car ce serait donner à la confession un sens qu'elle ne saurait avoir. Si la fin de la confession n'est plus l'absolution des péchés, mais l'éducation spirituelle des chrétiens, si la confession cesse d'être cet acte mécanique et grossier qui se termine par une pénitence de quelques jeûnes et de quelques avé, si elle cesse d'être cela pour devenir une opération délicate de thérapeutique religieuse ; en un mot, si la confession suppose l'intelligence et la piété de la part du confesseur, oh ! alors il faut fermer les confessionnaux.

Ou bien osez affirmer qu'une vertu surnaturelle de l'Esprit transforme tous vos prêtres en autant de St-Cyran et de Fénelon, ou bien reconnaissez que le confesseur ne porte pas en général ses regards au delà des actes extérieurs, reconnaissez que la confession fausse par là le sentiment moral du fidèle, qu'elle porte atteinte à toute notion profonde du péché, qu'elle travestit la repentance et qu'elle n'est, en dernière analyse, qu'une parodie du commerce secret de l'âme avec son Dieu.

On comprend, à la rigueur, qu'un directeur de conscience éclairé puisse transformer la confession en la spiritualisant, mais il est dans la nature des choses que la confession, au contraire, tende sans cesse à descendre jusqu'au formalisme le plus vide pour ne pas dire le plus profane.

Est-ce tout ? Non. Si la confession détruit la morale en trompant le sentiment du péché, si elle la détruit en la remplaçant par la casuistique, elle la détruit encore plus efficacement peut-être par cela seul qu'elle enlève l'homme à sa responsabilité personnelle pour le livrer à la direction d'un autre. Ce n'est pas assez que le prêtre croie pour le laïque, ce n'est pas assez qu'il transmette au fidèle les grâces du sacrement, il faut encore qu'il se substitue à la conscience du chrétien. Mais si la foi par dévolution n'est pas la foi, que dirons-nous d'une conscience qui s'aliène ? Que dirons-nous d'une Église qui impose cette aliénation comme l'une des conditions de la piété et du salut éternel ?

J'avoue bien que le gros des fidèles ne paraît pas disposé à repousser une aussi odieuse prétention. Non pas toutefois que la direction de conscience réponde à un besoin légitime du coeur humain, mais plutôt parce qu'elle s'accorde avec des instincts fâcheux. Si les hommes se déchargent volontiers sur le prêtre des intérêts de leur salut, c'est que le soin de leur propre conscience leur est un fardeau. La responsabilité morale leur pèse. Il faut absolument donner quelque attention aux affaires de son âme... Obligation importune ! Heureusement qu'il y a un moyen de s'en tirer : on met son âme en régie.
Mais, Monsieur, ce n'est pas impunément qu'un homme commet en sa personne un pareil attentat contre la dignité humaine. Sa conscience ne lui appartient pas et il ne peut y renoncer sans sacrilège.
Pour se donner à Dieu, il faut qu'il s'appartienne, et il ne s'appartient plus dès qu'il livre à autrui la gestion de son âme.

Son premier devoir est d'être homme, et pour être homme il faut qu'il relève directement de soi. En s'abandonnant à la direction d'un confesseur, il s'abdique lui-même, il abdique en quelque sorte la virilité morale. L'avouerai-je ? le catholique dans le confessionnal me rappelle malgré moi ces esclaves mutilés qui remplissent les palais de l'Orient, et qui, impuissants pour la vertu comme pour le vice, portent l'ineffaçable sceau de la servilité.

Ceci me suggère une dernière réflexion. Vous savez combien les peuples catholiques diffèrent des peuples protestants. Peut-être avez-vous voyagé et avez-vous observé vous-même un phénomène qui devient chaque jour plus frappant.

Passez de la France à l'Angleterre et de l'Italie à la Suisse, passez en Alsace d'un village luthérien au village catholique qui le touche ; passez, en Suisse, des montagnes du Valais à celles du canton de Berne ; traversez l'Océan, comparez les colonies espagnoles avec les colonies saxonnes ; en un mot, allez où vous voudrez, et partout où vous trouverez les deux confessions en présence, vous trouverez que les protestants ont l'avantage en ce qui concerne l'instruction, l'industrie et la prospérité.

On a expliqué ce fait de diverses manières. Évidemment il ne suffit pas de le mettre sur le compte d'une différence de races, puisqu'il resterait à expliquer l'affinité de telle race avec telle foi, et puisque d'ailleurs le contraste dont il s'agit se manifeste souvent au sein d'une même population.
Quant à moi, voici mon avis.
Je ne prétends nullement attribuer une valeur directement religieuse à la supériorité sociale du protestantisme, je ne fais point de difficulté de reconnaître que la prospérité des peuples qui se sont affranchis de Rome n'est pas toujours en raison directe de la vie chrétienne qui règne au milieu d'eux. D'un autre côté, c'est bien à une différence religieuse qu'est due la différence de développement et de culture.

La Réformation a arraché le fidèle au prêtre pour le rendre à lui-même, parce qu'elle devait le rendre à lui-même pour le restituer à Dieu. Elle lui a appris que pour être chrétien il faut être homme. Elle l'a convié à l'indépendance intérieure, à l'énergie individuelle, au gouvernement de soi. Eh bien ! c'est par là surtout, c'est par là qu'elle a jeté les bases d'un monde nouveau et qu'elle a substitué une nouvelle civilisation à la civilisation catholique, une nouvelle société à la société du moyen âge.

Mais que dis-je ? J'oubliais que c'est à vous que je parle, Monsieur le Curé, et sans y penser j'ai pris le ton de l'agression au lieu du ton du doute et de la recherche. Au surplus, c'est un peu à vous qu'en est la faute. Me voici à ma septième lettre et vous ne m'avez pas encore répliqué un mot. J'avais espéré converser avec vous et vous me laissez parler tout seul. Sans doute vous trouvez mes objections bien puériles, mes questions bien peu dignes de réponse, cependant, il me semble que leur insignifiance même devrait vous engager à une réfutation qui vous coûterait peu de peine. Veuillez vous rappeler que je ne me présente pas à vous comme un jouteur jaloux de rompre une lance avec un champion exercé, mais uniquement comme un catéchumène désireux de recevoir les instructions de son pasteur.




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