LETTRES
À MON CURÉ
SEPTIÈME LETTRE
Monsieur le Curé,
Il me reste un point à examiner pour
compléter l'étude que j'ai
entreprise, c'est la confession.
La doctrine de l'Église nous a fait
connaître la croyance du fidèle, les
sacrements nous ont indiqué où ils
puisent les grâces dont il a besoin, il faut
maintenant que la confession nous montre le
catholique dans la vie active. En d'autres termes,
nous avons déjà vu ce qui concerne le
dogme et le rite, nous avons encore à voir
ce qui concerne la morale du
catholique.
Je connais un homme, membre de votre
communion, qui, après avoir passé une
partie de sa vie dans l'indifférence pour
les choses spirituelles, revint un jour à
des sentiments meilleurs. Résolu à
devenir catholique tout de bon, il s'adressa
à un prêtre et lui demanda ce qu'il
devait faire. - « Prenez un
confesseur, » lui répondit
l'ecclésiastique.
Je ne sais, Monsieur le Curé, si vous
en jugerez comme moi, mais cette réponse me
paraît significative. La confession, sans
tenir une bien grande place dans les expositions du
système catholique, n'en est peut-être
pas moins le rouage principal de ce système.
C'est par elle que le catholicisme passe de la
théorie à la pratique, c'est par elle
qu'il entre en contact avec les masses, par elle
qu'il pénètre dans la vie des
individus, par elle qu'il s'assied au foyer des
familles ; bref, c'est par elle qu'il
s'applique et qu'il s'impose.
Vous savez, Monsieur le Curé, qu'avec
vous je me permets une entière franchise.
Sûr que vous tenez compte de mes intentions,
confiant dans les ressources que vous
possédez pour lever les difficultés
qui me troublent, je ne crains pas de vous laisser
voir mes impressions dans toute leur
vivacité. Il me semble que de cette
façon-là vous saurez mieux à
quoi vous en tenir sur mon état
spirituel, et que, connaissant le
fort et le faible de mes sentiments, vous serez
mieux à même d'appliquer le
remède aux doutes opiniâtres pour
lesquels je vous consulte. Je vous dirai donc, sans
déguisements, ce que je pense de la
confession.
J'avançais l'autre jour que la
doctrine catholique renverse la doctrine
chrétienne en y substituant la foi
d'autorité ; je vous montrais
dernièrement comment le sacrement catholique
renverse le sacrement chrétien en y
substituant une opération magique ; eh
bien ! je ne puis m'empêcher d'ajouter
aujourd'hui que la morale catholique renverse la
morale chrétienne en y substituant la
direction de conscience.
Un mot suffit pour exprimer ce que devient
la morale entre les mains du prêtre qui
reçoit la confession. Elle devient la
casuistique, c'est-à-dire ce qu'il y a au
monde de plus différent de la morale
évangélique. Et je ne parle pas ici
de ces détails abominables qu'enseignent les
manuels de vos séminaires et qui,
après avoir sali l'imagination de vos
ecclésiastiques, vont étonner le vice
même derrière la grille du
confessionnal. Ce sont là des
conséquences affreuses du système,
mais des conséquences qui se justifient, je
le reconnais, du moment que le principe de la
casuistique est admis.
Ce principe, c'est l'appréciation des
actions à un point de vue purement
extérieur. En effet, le prêtre qui ne
peut pénétrer dans la conscience des
hommes, et qui, par conséquent, est
obligé de juger les fautes sans
connaître les intentions, le prêtre est
inévitablement amené à
considérer le péché comme
consistant tout entier dans l'acte qui fait l'objet
de la confession.
Il en est de lui comme d'un médecin
qui confond les symptômes avec la maladie, et
qui dès lors néglige de remonter au
siège et au caractère
général de celle-ci. La vie lui
apparaît, non dans l'unité de ses
tendances, mais comme une certaine somme d'actions,
bonnes ou mauvaises. Il étudie les
phénomènes moraux dans leur
isolement. Il se préoccupe des
péchés plus que du
péché, et des oeuvres pies plus que
de la vie chrétienne. Il prend, pour juger
de la valeur des actes, une mesure toute
matérielle. Il pèse les circonstances
accidentelles au milieu desquelles les faits se
sont accomplis. Surtout il met son habileté
à distinguer.
Selon lui, il est des devoirs qui lient tous
les hommes, ce sont les préceptes ;
mais il en est d'autres qui offrent de simples
conseils et qui ne concernent que les gens
épris de la perfection. Il y a des
péchés mortels qui sont incompatibles
avec la grâce, et des
péchés
véniels qui sont compatibles avec elle. Il y
a des cas prévus pour lesquels la
jurisprudence est fixée, il y a des cas
imprévus qui se règlent
d'après la probabilité. Il y a un
amour négatif qui consiste à ne pas
haïr Dieu, et cet amour est obligatoire ;
mais il y a un amour affirmatif qui consiste dans
des actes formels d'amour de Dieu, et il suffit de
s'acquitter de quelqu'un de ces actes de loin en
loin, et, par exemple, tous les cinq ans.
On sera inexcusable de tuer un voleur pour
conserver un ducat, pour en conserver cinq, mais
non s'il s'agit d'en conserver six, ou dix, ou
vingt. Je m'arrête. La confession a
engendré la casuistique et, grâce
à la casuistique, la morale catholique est
devenue ce que nous connaissons tous, la morale
dévoilée par les Provinciales et
contre laquelle l'honnêteté publique a
fini par pousser un cri de réprobation.
La confession se présente à
nous avec le même caractère, lorsque
nous examinons le rôle qu'y joue le
fidèle.
Le fidèle est tenu de déclarer
tous ses péchés, spécialement
tous les péchés mortels qu'il peut
avoir commis depuis sa confession
précédente. En d'autres termes, il
procède par voie d'énumération
et de distinction. Cela me suffit. La notion
catholique du
péché se révèle dans ce
seul trait, et cette notion est extérieure,
superficielle, judaïque. Elle consiste
à considérer l'acte matériel
au lieu de regarder à la disposition du
coeur.
L'homme qui rentre sérieusement en
lui-même et qui se prosterne devant la sainte
majesté de Dieu, cet homme trouve moins dans
sa conscience le souvenir de ce qu'il a fait que la
pensée de ce qu'il est ; sa vie ne se
présente pas à lui comme une
série d'actions qu'il a accomplies, mais
comme un état de ses désirs et de ses
affections. Il ne dresse pas un catalogue de ses
faits et gestes pour approuver les uns, excuser les
autres et condamner les troisièmes, il ne
cherche pas à tirer entre ses
péchés une ligne de
démarcation en deçà de
laquelle ils sont tout pardonnés, et au
delà de laquelle il leur faut
l'absolution ; c'est au pharisien de la
parabole qu'appartient ce rôle.
Le chrétien ne sait que
s'accuser ; il reconnaît qu'il n'y a en
lui que misère et péché ;
ses meilleures actions, les plus bienfaisantes, les
plus désintéressées, les plus
héroïques même lui apparaissent
souillées d'égoïsme et de
mondanité ; il n'éprouve qu'un
besoin, celui de se frapper la poitrine en
s'écriant : 0 Dieu ! aie
pitié de moi qui suis
pécheur !
Peut-être me répondrez-vous que
Dieu seul lit directement dans
les coeurs, et que le fidèle est
obligé d'énumérer ses actes
pour guider le regard du prêtre dans
l'appréciation de son état moral.
Mais non, vous ne direz point cela, car ce
serait donner à la confession un sens
qu'elle ne saurait avoir. Si la fin de la
confession n'est plus l'absolution des
péchés, mais l'éducation
spirituelle des chrétiens, si la confession
cesse d'être cet acte mécanique et
grossier qui se termine par une pénitence de
quelques jeûnes et de quelques avé, si
elle cesse d'être cela pour devenir une
opération délicate de
thérapeutique religieuse ; en un mot,
si la confession suppose l'intelligence et la
piété de la part du confesseur,
oh ! alors il faut fermer les confessionnaux.
Ou bien osez affirmer qu'une vertu
surnaturelle de l'Esprit transforme tous vos
prêtres en autant de St-Cyran et de
Fénelon, ou bien reconnaissez que le
confesseur ne porte pas en général
ses regards au delà des actes
extérieurs, reconnaissez que la confession
fausse par là le sentiment moral du
fidèle, qu'elle porte atteinte à
toute notion profonde du péché,
qu'elle travestit la repentance et qu'elle n'est,
en dernière analyse, qu'une parodie du
commerce secret de l'âme avec son Dieu.
On comprend, à la rigueur, qu'un
directeur de conscience éclairé
puisse transformer la confession
en la spiritualisant, mais il est dans la nature
des choses que la confession, au contraire, tende
sans cesse à descendre jusqu'au formalisme
le plus vide pour ne pas dire le plus profane.
Est-ce tout ? Non. Si la confession
détruit la morale en trompant le sentiment
du péché, si elle la détruit
en la remplaçant par la casuistique, elle la
détruit encore plus efficacement
peut-être par cela seul qu'elle enlève
l'homme à sa responsabilité
personnelle pour le livrer à la direction
d'un autre. Ce n'est pas assez que le prêtre
croie pour le laïque, ce n'est pas assez qu'il
transmette au fidèle les grâces du
sacrement, il faut encore qu'il se substitue
à la conscience du chrétien. Mais si
la foi par dévolution n'est pas la foi, que
dirons-nous d'une conscience qui
s'aliène ? Que dirons-nous d'une
Église qui impose cette aliénation
comme l'une des conditions de la
piété et du salut
éternel ?
J'avoue bien que le gros des fidèles
ne paraît pas disposé à
repousser une aussi odieuse prétention. Non
pas toutefois que la direction de conscience
réponde à un besoin légitime
du coeur humain, mais plutôt parce qu'elle
s'accorde avec des instincts
fâcheux. Si les hommes se déchargent
volontiers sur le prêtre des
intérêts de leur salut, c'est que le
soin de leur propre conscience leur est un fardeau.
La responsabilité morale leur pèse.
Il faut absolument donner quelque attention aux
affaires de son âme... Obligation
importune ! Heureusement qu'il y a un moyen de
s'en tirer : on met son âme en
régie.
Mais, Monsieur, ce n'est pas
impunément qu'un homme commet en sa personne
un pareil attentat contre la dignité
humaine. Sa conscience ne lui appartient pas et il
ne peut y renoncer sans sacrilège.
Pour se donner à Dieu, il faut qu'il
s'appartienne, et il ne s'appartient plus
dès qu'il livre à autrui la gestion
de son âme.
Son premier devoir est d'être homme,
et pour être homme il faut qu'il
relève directement de soi. En s'abandonnant
à la direction d'un confesseur, il s'abdique
lui-même, il abdique en quelque sorte la
virilité morale. L'avouerai-je ? le
catholique dans le confessionnal me rappelle
malgré moi ces esclaves mutilés qui
remplissent les palais de l'Orient, et qui,
impuissants pour la vertu comme pour le vice,
portent l'ineffaçable sceau de la
servilité.
Ceci me suggère une dernière
réflexion. Vous savez
combien les peuples catholiques diffèrent
des peuples protestants. Peut-être avez-vous
voyagé et avez-vous observé
vous-même un phénomène qui
devient chaque jour plus frappant.
Passez de la France à l'Angleterre et
de l'Italie à la Suisse, passez en Alsace
d'un village luthérien au village catholique
qui le touche ; passez, en Suisse, des
montagnes du Valais à celles du canton de
Berne ; traversez l'Océan, comparez les
colonies espagnoles avec les colonies
saxonnes ; en un mot, allez où vous
voudrez, et partout où vous trouverez les
deux confessions en présence, vous trouverez
que les protestants ont l'avantage en ce qui
concerne l'instruction, l'industrie et la
prospérité.
On a expliqué ce fait de diverses
manières. Évidemment il ne suffit pas
de le mettre sur le compte d'une différence
de races, puisqu'il resterait à expliquer
l'affinité de telle race avec telle foi, et
puisque d'ailleurs le contraste dont il s'agit se
manifeste souvent au sein d'une même
population.
Quant à moi, voici mon avis.
Je ne prétends nullement attribuer
une valeur directement religieuse à la
supériorité sociale du
protestantisme, je ne fais point de
difficulté de reconnaître que la
prospérité des peuples qui se sont
affranchis de Rome n'est pas toujours en raison
directe de la vie chrétienne
qui règne au milieu
d'eux. D'un autre côté, c'est bien
à une différence religieuse qu'est
due la différence de développement et
de culture.
La Réformation a arraché le
fidèle au prêtre pour le rendre
à lui-même, parce qu'elle devait le
rendre à lui-même pour le restituer
à Dieu. Elle lui a appris que pour
être chrétien il faut être
homme. Elle l'a convié à
l'indépendance intérieure, à
l'énergie individuelle, au gouvernement de
soi. Eh bien ! c'est par là surtout,
c'est par là qu'elle a jeté les bases
d'un monde nouveau et qu'elle a substitué
une nouvelle civilisation à la civilisation
catholique, une nouvelle société
à la société du moyen
âge.
Mais que dis-je ? J'oubliais que c'est
à vous que je parle, Monsieur le
Curé, et sans y penser j'ai pris le ton de
l'agression au lieu du ton du doute et de la
recherche. Au surplus, c'est un peu à vous
qu'en est la faute. Me voici à ma
septième lettre et vous ne m'avez pas encore
répliqué un mot. J'avais
espéré converser avec vous et vous me
laissez parler tout seul. Sans doute vous trouvez
mes objections bien puériles, mes questions
bien peu dignes de réponse, cependant, il me
semble que leur insignifiance même devrait
vous engager à une réfutation qui
vous coûterait peu de peine. Veuillez
vous rappeler que je ne me
présente pas à vous comme un jouteur
jaloux de rompre une lance avec un champion
exercé, mais uniquement comme un
catéchumène désireux de
recevoir les instructions de son pasteur.
|