Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LETTRES À MON CURÉ






HUITIÈME LETTRE

 Monsieur le Curé,

 Nous avons analysé le catholicisme. Sa doctrine, sa morale, ses sacrements ont successivement formé l'objet de notre examen. Je voudrais aujourd'hui rassembler les différents traits que nous ont offerts ces recherches, et déterminer enfin quel est le caractère général du système. Grande question, qui doit nous conduire en même temps à découvrir le principe constitutif du catholicisme. Il me semble que la controverse ne s'est pas assez occupée de cette question de principe, ou, du moins, qu'elle s'est contentée de réponses bien superficielles. Il ne manque pas de protestants qui croient trouver l'idée-mère de l'Église romaine, soit dans l'infaillibilité papale, soit dans l'autorité accordée à la tradition, soit dans des erreurs sur le dogme de la justification, soit dans une notion grossière de la vertu sacramentelle, que sais-je ? dans le sacrifice de la messe, dans le culte rendu à la Vierge et aux Saints... Quant à moi, il me paraît évident qu'il faut creuser plus avant pour arriver au fond des choses.

Ai-je besoin d'ajouter que je n'oserais entreprendre cette nouvelle tâche, si je ne me sentais comme surveillé par vous ? Plus que jamais je vais avoir besoin de vos avertissements. Il faut, Monsieur le Curé, il faut que votre force redresse ma faiblesse, comme il faut que votre charité excuse les témérités de ma critique. Maudite critique ! Pourquoi faut-il que je sois né protestant, et combien l'on est à plaindre de ne savoir rien admettre sans de bonnes raisons.

Le catholicisme, si je ne me trompe, n'est autre chose que la satisfaction d'une tendance générale de l'humanité. Tout homme est plus ou moins partagé entre le besoin de chercher Dieu et le besoin de l'éviter, entre l'obligation de vivre pour son service et le désir de vivre pour soi, entre la crainte des conséquences d'une vie toute donnée à la terre et la répugnance pour une vie toute consacrée aux intérêts de l'âme, bref, entre la nécessité d'avoir une religion et la commodité de n'en avoir point.

Cette contradiction s'explique aisément. La religion, prise en son essence, consiste dans un abandon sans réserve à la direction du Dieu infiniment saint ; c'est un nouvel esprit, un esprit divin prenant en nous la place de l'esprit propre.

Le christianisme exige le renoncement, et, sur la porte du royaume des cieux, il est écrit que celui qui veut sauver sa vie doit commencer par la perdre. Mais la chair frémit devant ce sacrifice. Cet abandon fait horreur à l'égoïsme qui forme la substance même du péché et le fond de notre nature mauvaise. De là le compromis dont je parlais.

Dans ce conflit tragique entre les deux puissances qui se disputent l'homme, l'homme prend le parti de transiger. Non pas toutefois de propos délibéré et en pleine connaissance de cause, mais instinctivement et en se trompant lui-même. Le siège de la religion c'est l'âme, c'est-à-dire ce qui, en nous, pense, sent et veut, l'être moral, la vie spirituelle ; l'extérieur, la forme sont secondaires et n'ont de valeur que comme manifestation et expression de la vie intérieure. Eh bien ! l'homme conclut une espèce d'arrangement en vertu duquel il se réserve le dedans et abandonne à Dieu le dehors; il refuse ses affections et il livre ses actes ; il repousse le culte en esprit et en vérité, prêt à se soumettre, en revanche, aux plus pénibles exigences, aux plus assujettissantes cérémonies. « Tout, tel est son langage, tout, assujettissements, observances, macérations, martyre même, tout, pourvu que dans le secret et le fond de ma vie je continue à m'appartenir ; tout, excepté ma liberté ; tout, excepté mon moi ; tout, excepté tout. »

Beaucoup de religions, Monsieur le Curé, doivent leur origine à un compromis de ce genre. il n'est peut-être pas une forme du paganisme qui ne trahisse à la fois la conscience de Dieu et de ses droits, et la volonté de vivre en dehors de lui. Le judaïsme lui-même, sans doute parce que, étant une religion préparatoire, il était une religion d'accommodement, le judaïsme lui-même consacre à Dieu l'homme extérieur, mais sans pouvoir créer l'affection et l'obéissance volontaire. J'ajoute qu'il en est de même du catholicisme.

Le catholicisme a été le produit de l'alanguissement de la vie spirituelle dans l'Église. Sa naissance marque une chute de la société chrétienne.

Au commencement l'esprit de Dieu régnait avec plénitude dans les âmes. L'élan était indomptable, la ferveur extraordinaire. La proximité des faits évangéliques, les entraînements du prosélytisme, les périls du martyre contribuaient à entretenir le feu sacré. Cependant, le grain de sénevé devint un arbre. Le filet d'eau auquel étaient venus s'abreuver quelques voyageurs fatigués, forma un grand fleuve, et ce fleuve, grossi de mille affluents, élargit sans cesse son lit et précipita toujours plus rapidement ses flots.
Vous savez ce qui arrive alors.

En grossissant ainsi, en débordant sur les campagnes, les eaux se troublent ; elles gagnent en étendue, mais elle perdent de leur pureté. Telle est aussi la loi des mouvements religieux. L'âge d'or d'une Église, c'est le moment où elle est encore comprise tout entière entre les disciples du cénacle. Plus tard, elle sort de ce cercle étroit, elle marche à ses destinées, elle subjugue le monde, elle entraîne la multitude, la multitude, c'est-à-dire des hommes que l'exemple gagne, que le nombre emporte, que la nouveauté séduit, et qui, au fond, sont plus au moins étrangers à la foi qu'ils ont embrassée. Ces hommes, néanmoins. font désormais partie de l'Église, et l'Église se trouve profondément modifiée par leur présence. Le niveau de la vie religieuse baisse nécessairement dans la communauté qu'ils ont envahie. Le principe intérieur, qui jusque-là, avait tout soutenu, ce principe vient à manquer. Or, là où le principe intérieur fait défaut, l'âme s'attache inévitablement à ce qui, est extérieur ; manquant de l'énergie spirituelle dont elle s'inspirait, elle s'appuie sur ce qui est visible et sensible. Ainsi prend naissance le compromis dont je parlais tout à l'heure.

On supplée à la religion de l'âme par celle des sens, à l'esprit du culte par ce qui n'en est que la forme. Le fidèle porte, pour ainsi parler, la dévotion du dedans au dehors.

On devient chrétien, non plus par la conversion du coeur, par la direction de la volonté et des affections, mais par la célébration de certains rites et l'application de certains spécifiques.

L'eau du baptême lave le péché, l'absolution remet la peine, l'eucharistie communique des grâces attachées à l'aliment même que l'on mange. La vie entière est entourée d'un réseau d'observances au moyen desquelles notre salut se fait tout seul.
En un mot, de spirituel qu'il était, qu'il est dans son essence, dans son origine, dans ses premiers disciples et ses premiers écrits, l'Évangile devient sacramentel.

Il devient en même temps sacerdotal. La tendance qui porte le chrétien à confondre ce qui est spirituel avec ce qui n'est que rituel, le besoin d'avoir une religion qui n'en soit pas une, d'avoir une piété qui n'implique pas la communion avec Dieu, une foi qui n'oblige point ou n'oblige que le moins possible, cette tendance, ce besoin ont aussi inventé la religion par procuration. Mettre la religion dans le prêtre qu'est-ce, sinon un autre moyen de la pousser, si j'ose m'exprimer ainsi, à la circonférence, afin de l'exclure plus sûrement du centre, à savoir de l'âme ? Telle est l'origine du prêtre, du prêtre chargé de croire et de décider pour le fidèle, telle est l'origine de la foi d'autorité et de la direction de conscience.

D'ailleurs, la théorie du sacrement suppose le prêtre. C'est lui, nous l'avons vu, qui est le canal de ces grâces magiques, lesquelles, selon cette déplorable théologie, proviennent du Christ lui-même, ont été transmises des apôtres aux évêques, et s'écoulent sur les fidèles au moyen du sacerdoce.

Le sacerdoce catholique et le sacrement catholique sont si bien les produits d'un même besoin, les éléments d'un même système, que le prêtre peut être considéré comme le sacrement personnifié. Le sacrement agit par lui-même, indépendamment de toute condition spirituelle ; de même l'action du prêtre, dans la théorie romaine des moyens de grâce, est parfaitement indépendante de la valeur morale de ce prêtre. Rien ne sert mieux à mesurer le changement qui s'est accompli dans l'ancienne Église, lorsqu'elle a passé du régime apostolique au régime catholique, que le changement qui s'est opéré, à la même époque, dans l'idée du ministère religieux.

À l'origine, on regardait avant tout au caractère chrétien du pasteur ; on en est venu peu à peu à regarder uniquement au caractère officiel du prêtre.
Au reste, le sacerdoce remplit encore une autre fonction dans le catholicisme. À côté du pouvoir de l'ordre, il y a, comme on dit, le pouvoir de la juridiction ; en d'autres termes, à côté de l'élément sacramentel, il y a l'élément hiérarchique. De même que le sacrement représente les grâces chrétiennes, de même la hiérarchie représente l'unité chrétienne. Grâce et unité sont des réalités spirituelles, des biens intérieurs qui ont échappé à l'Église catholique, mais qu'elle croit retenir et qu'elle se plaît à contempler dans des formes vides, formes auxquelles elle attache d'autant plus de prix que c'est là tout ce qui lui reste. La véritable unité est l'union de tous les fidèles dans l'amour, le service et la communion de Jésus-Christ. La chrétienté, sentant cette unité vivante lui échapper peu à peu par l'effet de sa propre décadence religieuse, voulut exprimer d'une manière apparente aux sens l'idéal glorieux qu'elle avait entrevu. Le clergé représentant de l'Église, le clergé devenu l'Église par excellence, offrit naturellement les signes et, en quelque sorte, les matériaux symboliques dont on avait besoin. Le pasteur, l'évêque, le métropolitain, furent comme étagés les uns au-dessus des autres. Bien des siècles travaillèrent au mystique édifice. La soif d'unité visible ne fut satisfaite que lorsque l'Église entière se trouva personnifiée dans un seul individu.

On voit quel rôle joue le prêtre dans ce grand système au moyen duquel l'Église met la forme à la place du fond, l'apparence à la place de la réalité, le symbole à la place de la chose signifiée, le sacrement à la place de la piété, le ministre de la religion à la place de la religion. Cependant le prêtre est quelque chose de plus encore. L'Église, pour être ainsi dégénérée, n'en conserve pas moins un souvenir de la mission qui lui a été confiée, et c'est sur le clergé, représentant et ministre de l'Église, que retombe naturellement le soin de remplir cette mission. Le clergé se trouve ainsi l'instituteur né de ces masses indifférentes et grossières, qui ne demandent pas mieux que de s'abandonner à la direction du prêtre, mais qui, par là même, imposent des devoirs à celui-ci. C'est dire que le sacerdoce, à côté de son rôle sacramentel et symbolique, a un rôle pédagogique. ici se déroule à nos regards tout un nouvel aspect du catholicisme.

Le peuple de l'Église, répétons-le encore une fois, se compose d'hommes qui ont abdiqué le soin de leurs intérêts spirituels entre les mains du clergé, ou qui n'ont pas même eu à abdiquer, parce qu'ils n'ont jamais possédé. L'heure de la majorité intellectuelle et morale n'a jamais sonné pour eux. Aussi sont-ils tombés en tutelle. Cette tutelle est exercée par le sacerdoce. L'Église romaine s'est chargée de conduire l'humanité à la lisière, et le caractère superficiel, la tendance matérialiste, les accommodements apportés à l'Évangile, tous les vices du catholicisme peuvent être regardés comme les conséquences plus ou moins inévitables des fonctions pédagogiques que l'Église se croit appelée à remplir.

Il s'agit, en effet, de masses dont l'éducation chrétienne est tout à faire. La religion, pour des hommes qui se trouvent dans cet état, ne peut être la religion personnelle, spirituelle et pure de l'Évangile. C'est, au contraire, une religion imposée, c'est-à-dire une religion d'autorité. C'est, de plus, une religion légale, c'est-à-dire que, au lieu de pénétrer l'homme comme un principe de vie et de liberté, la religion s'offre à lui comme une loi, et agit sur lui comme une forme ; elle l'emprisonne dans des observances, elle le réglemente au lieu de l'inspirer, elle le contraint au lieu de l'influencer, elle le menace au lieu de le gagner.

La plupart des fidèles sont encore sous l'Ancien Testament, par cela seul qu'ils ne sont pas encore mûrs pour le Nouveau. Il leur faut encore des symboles, des cérémonies, des lois, parce qu'ils ne sont pas capables de recevoir la vérité sous sa forme pure. Ils sont encore dans la chair, comment pourraient-ils supporter le régime de l'esprit ? C'est avec toute raison qu'on a parlé du judaïsme de l'Église catholique ; le catholicisme n'est pas le christianisme, c'est une préparation au christianisme.

Est-ce un reproche que je lui adresse ? Nullement. La minorité spirituelle des masses, leur inaptitude à comprendre une religion aussi élevée que l'Évangile, est un fait, et dès lors la tutelle de ces masses tombe d'elle-même aux mains de celui qui se trouve assez zélé pour la saisir ou. assez fort pour l'exercer.
Je vais plus loin.

Je crois que tout pasteur d'une Église, dans l'état actuel de la chrétienté, exerce inévitablement une action de ce genre, parce que toute Église est inévitablement composée, pour la plus grande partie, de faibles et d'enfants. Le chrétien n'est jamais ici-bas entièrement spirituel et par conséquent entièrement capable de se passer de la tutelle dont nous parlons. En un sens, nous sommes toujours mineurs, nous faisons toujours partie du peuple de la promesse et de la préparation. Aussi n'est-il pas de plus beau rôle pour une société religieuse que de travailler à élever graduellement l'humanité à l'intelligence de l'Évangile. Le reproche que j'adresse au catholicisme porte donc sur un autre point. Si l'action ecclésiastique est une éducation, l'Église ne doit jamais oublier que le but de l'éducation est d'amener l'enfant à l'état d'homme fait, partant à l'indépendance.
L'instituteur ne saurait, sans danger pour sa tâche, méconnaître le caractère purement relatif des moyens dont il use, ou attribuer à ces moyens une autre valeur que leur valeur éducative. Or, voilà précisément ce qu'a fait l'Église catholique. Au lieu de chercher à mettre le chrétien en état de se passer d'elle, elle s'efforce de le retenir à jamais ; au lieu de tendre à l'affranchissement graduel des fidèles, elle les enserre de mille liens ; au lieu de voir en eux des hommes futurs, elle voit en eux une race inférieure éternellement vouée à la servitude ; au lieu de les préparer à une religion personnelle et indépendante, elle met tous ses efforts à étouffer parmi eux toute aspiration de ce genre.

Et comme elle n'a pas reconnu ce que son rôle a de passager, elle n'a pas reconnu non plus ce que les moyens qu'elle emploie ont de relatif. Sous ce rapport encore, elle en est au point de vue du judaïsme, qui, lui aussi, se regardait comme définitif et tenait pour un blasphème l'idée d'une institution nouvelle et supérieure. Cela se comprend d'ailleurs. Le catholicisme, pour remplir sa tâche pédagogique, a dû se présenter comme une institution positive de Dieu, et, qui plus est, il a dû le faire de bonne foi. Quelque étrange que puisse sembler l'illusion, il en est arrivé à croire que l'Église romaine est la forme même du christianisme, et par conséquent aussi, la forme définitive et éternelle de la religion. Dès lors toutes les institutions du catholicisme ont été revêtues de ce même caractère absolu. Nous avons eu une nouvelle théocratie, et une théocratie au delà de laquelle il n'y a rien à attendre, parce qu'elle constitue la révélation parfaite et dernière de Dieu.

Mais je m'arrête. Le rôle pédagogique du catholicisme suppose une action légale ; celle-ci suppose à son tour une institution divine, et cette institution, regardée comme l'essence même de la révélation chrétienne, tire de cette prétention un caractère définitif et absolu. Ce dernier point est capital. Souffrez que j'en renvoie l'examen à une prochaine lettre.



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