LETTRES
À MON CURÉ
DIXIÈME LETTRE
Monsieur le Curé,
L'Histoire des Variations est un bien beau
livre, le plus beau peut-être de ceux qui
sont sortis de la plume de Bossuet. On ne saurait
trop admirer l'érudition du grand
évêque, la sagacité avec
laquelle il démêle les
subtilités des docteurs, l'aisance avec
laquelle il se meut au milieu des nombreux
éléments de la controverse,
l'autorité enfin avec laquelle il domine
tout le débat. Et cependant l'Histoire des
Variations est un livre manqué, parce que la
donnée qui sert de point de départ
à l'auteur est fausse.
Bossuet est tombé, dans une erreur que j'ai
déjà signalée, et dont il
semble que les écrivains catholiques ne
puissent absolument pas se garantir.
Il a considéré le
protestantisme comme une contre-partie exacte du
catholicisme. il y a vu un système
déterminé de doctrines et
d'instructions. Il l'a envisagé sous la
forme d'une vaste Église. Dès lors
aussi, il s'est imaginé que les protestants
étaient solidaires les uns des autres, les
calvinistes solidaires des luthériens, les
pasteurs de Charenton solidaires des
réformateurs du seizième
siècle.
En un mot, malgré l'admirable
souplesse de son génie, il n'a pu se placer
entièrement au point de vue qu'il attaquait,
et reconnaître que le protestant est
essentiellement, comme on dit aujourd'hui, un
individualiste, et, par conséquent, un homme
fort indifférent sur la question de savoir
si Luther a parfois changé d'opinions et si
les Églises séparées de
l'Église romaine ont toujours
été fidèles à leurs
confessions de foi.
Je sais bien que les protestants n'ont que
trop donné lieu à la méprise
dont il s'agit. Ce n'est que peu à peu
qu'ils ont acquis la conscience du principe qu'ils
représentent et des conséquences de
ce principe. On les a vus pendant deux
siècles répudier à l'envi cet
individualisme religieux qui est
le vrai sens de la
réforme. Que dis-je ? les
réformateurs eux-mêmes ont
ignoré la portée de l'oeuvre qu'ils
accomplissaient. Comme Rome, comme Bossuet, ils
croyaient à la vérité absolue,
ils attachaient le plus grand prix à
l'unité de la doctrine, ils s'estimaient les
défenseurs de l'orthodoxie. Dès lors
aussi ils s'imaginaient avoir substitué une
Église à l'Église romaine, la
véritable Église à la fausse.
Il ne faut pas s'en étonner. Le dessein de
Dieu est toujours plus grand que l'intention des
hommes qui sont appelés à
l'exécuter. Luther, Zwingle, Calvin, ont
enfoncé une porte qui, depuis lors, est
restée ouverte, que personne ne refermera
jamais, et par laquelle nous pouvons
assurément passer aujourd'hui, sans prendre
la responsabilité des opinions de Calvin, de
Zwingle ou de Luther.
Mais si le caractère fondamental du
protestantisme ne permet pas qu'on regarde les
protestants comme liés par autre chose que
par le principe même de
l'individualité des croyances, il en est
autrement des catholiques. Le catholicisme suppose,
au contraire, la plus étroite
solidarité entre l'Église et ses
chefs, entre l'Église et son passé.
C'est sur ce dernier point que je voudrais
m'arrêter.
Le catholicisme ne peut être divin, et
l'Église catholique ne peut être
infaillible, à moins
qu'ils n'aient été
institués par Jésus-Christ et ses
apôtres, et qu'ils ne soient restés,
à travers les siècles, fidèles
à cette institution. Il faut que cette
oeuvre divine se soit constamment montrée
identique à elle-même, qu'elle ait
toujours en les mêmes principes, les
mêmes doctrines, la même organisation.
Telle est, en effet, je n'ai pas besoin de vous le
dire, la prétention du système
catholique. Il se donne pour avoir
été expressément établi
par le Seigneur. Il retrouve ses formes dans celles
de l'Église apostolique. Il affirme qu'il
n'a point changé, et qu'au milieu des
vicissitudes infinies des idées et des
choses, lui seul reste immuable comme ce Dieu dont
il est l'oeuvre et la
révélation.
La prétention est hardie, mais elle a
l'avantage de ramener la question, par sa hardiesse
même, à des termes extrêmement
simples. En effet, le changement est tellement la
loi des choses d'ici-bas, que l'immutabilité
d'une institution peut à bon droit passer
pour un miracle, et, par conséquent, pour un
signe de la divine origine de cette institution. Si
le catholicisme est resté le même,
ainsi qu'il le proclame, il faut cesser de discuter
avec lui, Dieu a parlé en sa faveur, le
sceau du surnaturel est sur son front.
J'ajoute qu'il sera facile de constater le
miracle.
Il en est comme de la prétention
à la vérité absolue, dont je
parlais dans ma dernière lettre, et dont la
prétention à l'immutabilité
n'est, au fond, que la conséquence. Comment
ne pas reconnaître l'édifice qui seul
se tient debout au milieu de la poussière
des empires ? Comment le rocher immobile ne se
distinguerait-il pas, au premier coup d'oeil, de
ces vagues incessamment agitées qui se
brisent contre ses flancs ? Vous dites que le
catholicisme est invariable : Je le
veux ; mais il faut que le
phénomène soit manifeste, que
l'histoire entière rende témoignage
à un si magnifique prodige.
L'histoire nous apprend, au contraire, que
le catholicisme a partagé le sort de toutes
les choses humaines. il a eu sa période de
croissance, son époque de maturité et
de pleine force, après quoi il a
déchu peu à peu, pour entrer enfin
dans l'état de sénilité
où nous le voyons aujourd'hui. Toutes ses
institutions ont changé, tous les
siècles portent les traces de ses
variations. Le christianisme du Nouveau Testament
ne renferme rien d'analogue à l'organisation
qui surgit cinquante ans plus tard. Le catholicisme
primitif diffère infiniment de
l'Église des apôtres ; il ne
diffère guère moins du catholicisme
postérieur. De simple ancien qu'il
était, l'évêque devient d'abord
le pasteur et le
représentant du troupeau ; ce n'est que
plus tard qu'il deviendra évêque dans
le sens hiérarchique du mot.
Une fois constitué,
l'épiscopat proprement dit subira, à
son tour, plusieurs modifications successives. Au
dessus de l'évêque diocésain
viendront s'élever le métropolitain,
puis le patriarche, puis le pape.
Mêmes variations en ce qui concerne ce
dernier. L'évêque de Rome n'a pas
été tout d'abord le vicaire de
Jésus-Christ et le législateur de la
chrétienté.
Au troisième siècle, la
primauté des patriarches romains
était simplement honorifique ou, pour mieux
dire, symbolique ; elle n'impliquait aucune
subordination des autres évêques
à l'égard de leur puissant
confrère ; ce dernier n'était
que le successeur de Pierre, et, comme tel, le
premier entre des égaux.
Peu à peu, ce qui n'était que
rang devient autorité ; le pape se
considère comme le vicaire du prince des
apôtres, et, en quelque sorte, comme le
métropolitain universel. Plus tard encore,
le vicaire de Pierre devient vicaire de
Jésus-Christ, le souverain pontife concentre
et absorbe en sa personne tous les pouvoirs
ecclésiastiques, et les autres
évêques ne sont plus que ses
délégués. On comprend que le
dogme de l'infaillibilité papale a dû
suivre ces évolutions. Les
évêques de Rome avaient
été vantés d'abord pour la
pureté de leur foi et la
constance de leur orthodoxie. Bientôt les
assertions allèrent plus loin : la
chaire de saint Pierre ne pouvait errer. Plus tard,
enfin, on transporta implicitement à
l'individu ce qui avait été
affirmé du siège qu'il occupait, et
l'on alla jusqu'à s'écrier :
Dominus Deus noster Papa !
C'est ainsi, Monsieur, que le catholicisme a
changé de gouvernement ;
d'épiscopal il est devenu papal ; sa
constitution était aristocratique et
représentative, elle a fini par prendre la
forme d'une monarchie absolue. Mais ce changement
n'est pas le seul.
Le concile de Trente a modifié toutes
les conditions de la foi catholique, en
définissant ce qui était auparavant
indéterminé, et en supprimant ainsi
la liberté dogmatique dont le fidèle
jouissait sous le système
précédent.
La Réformation a agi autrement, mais
plus profondément encore sur le
catholicisme. En détruisant l'unité
religieuse de l'Occident, elle a détruit le
prestige de l'Église qui se disait une,
unique et universelle. Il y a plus : à
la suite de la Réformation, la
société s'est affranchie, les
États se sont sécularisés, et
Rome s'est vue dépouillée de sa
suzeraineté européenne. Jadis, un mot
du souverain pontife armait mille bras contre le
prince rebelle, contre les populations
hérétiques. Aujourd'hui, Rome,
privée de tout point
d'appui dans les croyances, ne peut ni ressaisir sa
puissance temporelle ni s'en passer.
Il n'est pas jusqu'aux temps où nous
vivons qui n'aient été témoins
de quelques-uns de ces changements que subit le
catholicisme. Au dix-septième siècle,
le centre du système était dans la
doctrine ; c'est sur ce point que portaient
toutes les discussions ; c'est d'après
cette règle que se mesuraient les
mérites des diverses confessions. On se
demandait avant tout ce que pensait le
Catéchisme Romain de l'état primitif
de l'homme, de la chute, de la justification, des
sacrements. Bossuet, Möhler lui-même, il
y a vingt ans, ne comprenaient pas autrement la
controverse. Eh bien ! Möhler a vieilli.
La dogmatique n'est plus en cause. Le catholicisme
a réduit toute sa doctrine au seul point de
l'infaillibilité de l'Église. Il n'a
plus d'autre croyance aujourd'hui. Cela se
comprend. À son point de vue, il ne peut
être question de savoir si un dogme est
clair, juste, scripturaire, fondé sur la
nature de Dieu et sur celle de l'homme, propre
à sanctifier les âmes. À
supposer que cette démonstration fût
possible au catholicisme, à supposer qu'elle
ne fût pas dangereuse en tant qu'elle
implique un appel au jugement individuel, il est
manifeste qu'elle serait superflue. Pourquoi tant
d'ambages ?
Croyez-vous à l'infaillibilité
de l'Église, ou n'y croyez-vous pas ?
Si vous n'y croyez pas, vous n'avez rien de mieux
à faire que de vous convertir. Si vous y
croyez, vous n'avez pas de devoir plus
évident que la confiance ou la soumission.
Voilà le langage du catholicisme moderne, de
celui dont Joseph de Maistre peut être
regardé comme le père. Or, Monsieur
le Curé, vous connaissez trop bien
l'histoire des institutions et des idées
catholiques, pour ne pas voir qu'il y a là
une modification profonde apportée à
l'ancienne orthodoxie.
Cela est si vrai, les variations du
catholicisme sont si patentes, le progrès
des études historiques les a si bien mises
dans tout leur jour, que les défenseurs de
l'Église se sont vus obligés de
reconnaître le fait. Ils ont cherché,
en même temps, à changer de position
pour faire de nouveau face à l'ennemi. Du
temps que l'histoire de France était
écrite par les Velly et les Villaret, on se
représentait Pharamond,
Mérovée et Clovis, couronne en
tête, sceptre au poing, et trônant
à la manière de Louis XIV. Du temps
que la polémique antiprotestante
était conduite par les Bellarmin et les Du
Perron, on se représentait saint Pierre,
saint Lin et saint Clet comme des papes à la
façon d'innocent III, de Boniface VIII ou de
Sixte-Quint, Aujourd'hui, la
fiction est décidément trop
transparente, et, je le répète, force
a été d'aviser aux moyens de la
remplacer par quelque chose de plus
spécieux. Nous allons voir comment on s'y
est pris.
L'explication nouvelle porte le nom de
théorie du développement. On nous
rappelle (comme si le catholicisme n'avait pas tenu
jadis un langage tout opposé) que Dieu
n'intervient pas brusquement et violemment dans les
choses humaines, mais qu'il se prête aux
conditions de la vie des peuples et se soumet, en
quelque sorte, aux lois de l'histoire.
Ainsi, poursuit-on, l'Éternel ne
jette point sur la terre des institutions toutes
formées ; loin de là, il
introduit peu à peu celles qu'il veut
établir, il les cultive dans l'ombre, il les
laisse grandir d'elles-mêmes jusqu'à
ce qu'enfin elles soient parvenues à ce
parfait épanouissement qui étonne les
hommes et réjouit les anges. il en est comme
de la semence, ténue et presque invisible,
qui est confiée à la terre, qui perce
lentement le sol, qui se développe sous
l'action du soleil et des pluies du ciel, et qui
devient enfin un grand arbre dans les branches
duquel les oiseaux habitent. Telles sont les
habitudes de la Providence. Le mosaïsme est
venu s'enter sur la dispensation patriarcale, la
prophétie sur le mosaïsme. Le Nouveau
Testament, à son tour,
est sorti de l'Ancien. Pourquoi n'en serait-il pas
de même des institutions et des dogmes du
catholicisme ? Jésus-Christ n'a pas
sans doute établi l'Église romaine
telle qu'elle s'est montrée plus tard aux
yeux des peuples, il n'a fait que jeter un germe en
terre, mais ce germe a levé, et un
développement organique, à la fois
insensible et puissant, a tiré de la semence
sacrée tout ce que Dieu y avait
renfermé.
Voilà, Monsieur le Curé, la
théorie catholique la plus
récente ; voilà le romanisme
à la mode. Peut-être bien des gens
penseront-ils que, entre toutes les transformations
de l'Église, ce changement apporté
à l'ancienne apologétique n'est pas
l'un des moins extraordinaires. Quant à moi,
je ne puis vous dire combien l'explication dont il
s'agit me causa de plaisir, lorsque j'appris
d'abord à la connaître. Jamais rien ne
m'avait paru si naturel, si simple, si
irrésistible. Toutes les difficultés
semblaient levées comme par enchantement.
Cependant, je réfléchis qu'il
était de mon devoir, en matière si
grave, d'y regarder à deux fois, avant de me
tenir pour entièrement satisfait.
Hélas ! un examen plus
approfondi a renouvelé tous mes doutes. Je
veux, au reste, vous faire juge des
considérations qui m'ont
arrêté.
Vous connaissez l'adage : comparaison
n'est pas raison. Or, la théorie du
développement n'est, au fond, pas autre
chose qu'une comparaison. On assimile le
christianisme à une plante dont
l'Évangile serait le germe, tandis que
l'Église catholique en offrirait le
développement. Mais la comparaison est-elle
exacte ? La ressemblance est-elle
certaine ? je ne puis me le persuader.
Les faits de l'ordre moral ne
s'accomplissent pas avec la
régularité et la
nécessité que les lois de la nature
imposent aux phénomènes physiques.
Quand j'ai planté un arbre, je sais d'avance
ce que produira la semence confiée à
la terre. Son port, son feuillage, son fruit, son
espèce, en un mot, sont
déterminées par des règles
fatales. il n'en est pas de même d'une
religion telle que le christianisme, d'une
institution telle que l'Église.
Un chêne ne peut, en croissant, de
venir un ormeau, un lys devenir un rosier, mais il
arrive souvent, il arrive tous les jours qu'une
institution change peu à peu d'esprit, de
tendance, de caractère. Le nom reste, mais
qui nous garantit que, sous ce nom, nous avons
toujours la même chose ? il y a eu
développement, mais qui nous prouve que ce
développement a été
légitime ? Le catholicisme est le
produit du christianisme : un produit, je le
veux bien, mais un produit
altéré, une
dégénération, une corruption.
La théorie du développement suppose
que l'Évangile renfermait le catholicisme
à l'état de germe, ou, ce qui revient
au même, elle affirme que le catholicisme a
été un simple épanouissement
du christianisme primitif. Quant à moi, je
suis souvent tenté de me représenter
les choses sous une autre image.
Le catholicisme est moins un produit
authentique du christianisme qu'une plante parasite
qui s'y est attachée. Il agrandi avec lui,
il s'est nourri de sa substance, il a confondu ses
rameaux avec les siens, mais il n'a jamais fait un
avec lui.
Le chêne diffère, il est vrai,
du gland dont il est sorti, mais au moins
existe-t-il entre eux une affinité intime.
L'arbre en germe et l'arbre devenu grand ne peuvent
être de nature opposée.
Or, l'Église romaine et
l'Évangile de Jésus-Christ ne sont
pas l'une à l'égard de l'autre dans
le rapport du commencement et du
développement, ce sont sur bien des points
deux religions diverses. Je vous ai
déjà dit quelle est en cela mon
impression : je vois d'un côté
une religion toute personnelle, de l'autre une
religion où le prêtre tient la place
du fidèle ; d'un côté le
culte en esprit et en vérité, de
l'autre le culte mécanique et
extérieur, d'un côté la parole,
de l'autre le sacrement ; là
une doctrine qui, à tous
les égards, se trouve en harmonie avec
l'âme humaine, ici un système de
dogmes abstraits, de rites magiques et
d'institutions arbitraires. Quel rapport
voulez-vous qu'il y ait entre ces choses ?
Comment le contraire pourrait-il naître de
son contraire ?
Je ne conteste point la logique
intérieure du catholicisme, non plus que la
régularité de ses
développements. Loin de là, je ne
sais point de système religieux qui porte
plus distinctement en soi le caractère d'une
formation organique. Le principe donné, tout
en sort le plus naturellement du monde. Mais ce
principe n'est pas l'Évangile, c'est le
judaïsme. Le catholicisme est fils de cette
dispensation que le Nouveau Testament est venu
abroger en l'accomplissant ; il a ses racines
dans ce culte extérieur et légal que
le Seigneur condamnait ; et s'il peut se
vanter de son ancienneté, c'est qu'il
était déjà présent et
agissant dans les tendances auxquelles le plus
grand des apôtres faisait une si rude guerre,
et qui cherchaient sans cesse à substituer,
malgré lui, la loi à la grâce
et la chair à l'esprit.
Au reste, je ne veux rien exagérer.
Le catholicisme, comme le judaïsme dont je le
fais descendre, est à la fois en opposition
au christianisme et en
affinité avec lui. S'il
est contraire au spiritualisme
évangélique, il en offre cependant
les symboles. Voici donc ce qu'il en faut penser.
Le catholicisme est un judaïsme, mais
un judaïsme chrétien. Il est une
conception imparfaite et élémentaire
de la vérité chrétienne.
Vous regardez l'Évangile comme le
germe d'où est sortie l'Église,
l'Église comme le plein développement
de l'Évangile. C'est le contraire qu'il
faudrait dire.
Le catholicisme n'offre que les rudiments
d'une Église vraiment chrétienne. Il
n'est que la grossière ébauche de
l'oeuvre dont Jésus-Christ a confié
l'exécution à tous les
siècles. il semble, en effet, que
l'enseignement du Sauveur était trop
élevé et trop simple, trop naïf
et trop sublime pour être saisi tout d'abord.
Rien ne frappe davantage dans l'étude de
l'histoire que l'impuissance des hommes à
comprendre ces discours merveilleux. Plus on
remonte haut et plus on s'étonne de voir
combien la parole évangélique a
été obscurcie par les imaginations et
les subtilités des docteurs.
L'exégèse des Pères serait
tout ce qu'il y a de plus risible si elle
n'était tout ce qu'il y a de plus triste au
monde. La pleine conception comme l'entière
réalisation de l'Évangile ne se
trouve pas derrière nous, mais devant. C'est
le but vers lequel nous avançons constamment
sans devoir peut-être y
arriver jamais. Ce qui est certain, c'est que
chacun des pas qui nous en approche est un pas que
nous faisons en dehors du catholicisme, un pas qui
nous éloigne de l'Église
romaine.
Le catholicisme, j'entends celui des
premiers siècles, par cela même qu'il
était chrétien, portait en soi les
éléments d'une transformation. Or,
cette transformation a déjà eu lieu.
Comme l'Ancien Testament renfermait le Nouveau dans
ses flancs, le catholicisme renfermait en soi la
Réformation. Les Églises de la
Réformation, à leur tour, ne sont
peut-être pas loin du jour où elles
feront place à un christianisme plus pur que
le leur. Mais le catholicisme, en se
régénérant, en se
rajeunissant, a laissé derrière lui
une dépouille sans vie qui porte encore son
image et son nom. Son essence éternelle
s'est dégagée, elle est entrée
dans de nouvelles combinaisons, et l'Église
romaine d'aujourd'hui n'est plus qu'un
résidu inutile, un caput mortuum dans le
creuset qui consume et transforme toutes choses.
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