LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
LIVRE SECOND - LA VIE
RELIGIEUSE
CHAPITRE
X
LA PRIERE
Le Schema. - Quand le
disait-on? Le Schemoné-Esré.
- Était-il récité ail
temps de Jésus-Christ? - Les
Tsitsith. Les Phylactères. - Les
prières d'actions de grâces -
Les Rabbis enseignaient des prières
à leurs disciples. - Les Talmuds et
l'oraison dominicale. - La
piété des Arabes de nos
jours.
|
La prière est l'expression la plus
élevée, la plus pure, la plus
complète du sentiment religieux. Elle est la
manifestation naturelle de la piété;
la place qu'elle occupe dans la vie et surtout la
manière dont elle est comprise et
pratiquée donnent toujours une juste
idée de la foi religieuse d'une personne ou
d'une nation. Comment un peuple, comment un
individu prient-ils? La réponse à
cette question donnera la mesure de leur
piété et le degré
d'intensité de leur vie spirituelle. Eh
bien, chez les Juifs, sauf de rares et touchantes
exceptions, il en était de la prière
comme de l'aumône, comme du jeûne,
comme de tout le reste; elle n'était qu'un
acte mécanique et une récitation
méritoire. Presque jamais spontanée,
arrivant à certaines heures fixes, et mise
d'avance en formules invariables et obligatoires,
elle n'avait plus de commun que le nom avec la
véritable prière.
Nous avons déjà
parlé des prières de la synagogue et
nous décrirons plus loin celles du Temple.
Dans ce chapitre-ci nous ne traiterons que des
requêtes individuelles.
Tous les matins et tous les soirs, le
Juif récitait une oraison appelée le
Schema, parce qu'elle commençait par ce mot
qui veut dire : Écoute. Les femmes, les
enfants et les esclaves en étaient seuls
dispensés. A vrai dire, ce Schema
était plutôt une
répétition de
versets qu'une prière
(1). Il se
composait des trois fragments suivants : «
Écoute, Israël, l'Eternel notre Dieu,
est le seul Eternel. (Béni soit à
jamais le nom de son règne glorieux
(2).Tu aimeras
l'Eternel, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute
ton âme et de toute ta pensée. Et ces
commandements que je te donne aujourd'hui seront
dans ton coeur. Tu les inculqueras à tes
enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta
maison, quand tu iras en voyage, quand tu te
coucheras et quand tu te lèveras, tu les
lieras comme un signe sur tes mains. et ils seront
comme des fronteaux entre tes yeux. Tu les
écriras sur les poteaux de ta maison et sur
tes portes (3).
»
« Si vous obéissez à
mes commandements que je vous prescris aujourd'hui,
si vous aimez l'Eternel votre Dieu, et si vous le
servez de tout votre coeur et de toute votre
âme, je donnerai à votre pays la pluie
en son temps, la pluie de la première et de
l'arrière-saison, et tu recueilleras ton
blé, ton moût et ton huile; je mettrai
aussi dans tes champs de l'herbe pour ton
bétail, et tu mangeras et tu te rassasieras.
Gardez-vous de laisser séduire votre coeur,
de vous détourner, de servir d'autres dieux
et de vous prosterner devant eux. La colère
de l'Eternel s'enflammerait alors contre vous ; il
fermerait les cieux, et il n'y aurait point de
pluie ; la terre. ne donnerait plus ses produits,
et vous péririez promptement dans le bon
pays que l'Eternel vous donne. Mettez dans votre
coeur et dans votre âme ces paroles que je
vous dis. Vous les lierez comme un signe sur vos
mains, et elles seront comme des fronteaux entre
vos yeux. Vous les enseignerez à vos enfants
et vous leur en parlerez quand tu seras dans ta
maison, quand tu iras en voyage, quand tu te
coucheras et quand tu te lèveras. Tu les
écriras sur les poteaux de ta maison et sur
tes portes. Et alors vos jours et les jours de vos
enfants, dans le pays que
l'Eternel a juré à vos pères
de leur donner, seront aussi nombreux que les jours
des cieux le seront au-dessus de la terre
(3). »
« L'Eternel dit à Moïse
: Parle aux enfants d'Israël, et dis-leur
qu'ils fassent de génération en
génération des franges (tsitsith) aux
coins de leurs vêtements, et qu'ils attachent
un fil de laine bleue à la frange de chaque
coin. Quand vous aurez cette frange vous la
regarderez, et vous vous souviendrez de tous les
commandements de l'Eternel pour les mettre en
pratique, et vous ne suivrez pas les désirs
de vos coeurs et de vos yeux pour vous laisser
entraîner à
l'infidélité. Vous vous souviendrez
ainsi de mes commandements, vous les mettrez en
pratique, et vous serez saints pour votre Dieu. Je
suis l'Eternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir
du pays d'Egypte, pour être votre Dieu. Je
suis l'Eternel, votre Dieu
(4).
»
Telles étaient les paroles que
tous les matins et tous les soirs, sur toute
l'étendue du territoire de la Palestine, les
Juifs bredouillaient à la hâte, comme
on dit un chapelet. L'heure à laquelle on
les récitait nous est indiquée au
premier chapitre du traité des Berakhoth. Le
soir, on pouvait dire le Schema depuis le moment
où les prêtres rentraient au Temple
pour manger de l'oblation jusqu'à la fin de
la première veille. Rabbi Gamaliel
permettait de le dire toute la nuit. Pour celui du
matin on avait depuis le point du jour
jusqu'à la troisième heure,
c'est-à-dire neuf heures
(5), mais il
valait mieux le dire de bonne heure, dès
qu'on pouvait distinguer le bleu d'avec le blanc.
Rabbi Eliézer préférait
attendre qu'on pût distinguer le bleu du vert
(6) car c'est,
plus difficile et on est plus sûr que le jour
est bien commencé.
Ce Schema se prononçait partout,
à la synagogue
(7), sur les
places, dans les rues, dans les maisons, en un mot,
là où l'on se trouvait
(8) lorsque le
moment de le réciter était venu.
« L'homme surpris par l'heure de la
prière pendant qu'il cueille des fruits dans
un arbre doit dire sa prière
(9). » C'est
évidemment contre cette
répétition du Schema que
Jésus-Christ s'est élevé quand
il s'est écrié : « Quand vous
priez n'usez pas de vaines redites comme les
païens
(10). »
Nous avons dans les liturgies Israélites de
nombreux exemples de ces « vaines redites.
»
Le matin on prononçait, outre le
Schema, trois formules d'actions de grâces,
deux avant de le dire et une après l'avoir
récité. Le soir on disait une formule
de bénédiction de plus, soit quatre
en tout.
Jamais le Juif ne s'agenouillait pour
prier; quelquefois il se prosternait jusqu'en terre
suivant la coutume de saluer des Orientaux, mais ce
n'était que dans les circonstances
exceptionnelles. D'ordinaire, l'Israélite
disait ses prières debout, la tête
inclinée en avant, les yeux fixés sur
le sol. « En priant il faut se voiler la
tête et regarder en bas
(11). »
« Le disciple des sages regarde en bas quand
il se tient debout et prie
(12). »
Avant de commencer à prier, on se tournait
du côté de Jérusalem et de son
sanctuaire : « Si on prie dans le Temple, on
regarde vers le Saint des saints, si on prie
ailleurs, on regarde vers Jérusalem.
»
Ce n'est pas tout. Il est une autre de
ces vaines redites, aussi souvent
répétée que le Schema, et plus
longue que lui, contre laquelle Jésus-Christ
s'est élevé aussi, nous voulons
parler du Schemoné Esré
(c'est-à-dire les dix-huit), nommé
aussi Amida. On appelait ainsi dix-huit actions de
grâces que tout
Israélite, homme, femme, enfant, esclave,
devait réciter trois fois par jour, le
matin, l'après-midi à l'heure de
l'oblation
(13), et le
soir. Voici la traduction intégrale de cette
prière :
1. « Sois loué, Eternel
notre Dieu, Dieu de nos pères, Dieu
d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, Dieu grand,
fort, redoutable, Être suprême,
dispensateur des bienfaits et des grâces,
créateur de toutes choses. Tu te souviens de
la piété des patriarches et tu
enverras un Libérateur à leurs
enfants pour glorifier ton nom et pour manifester
ton amour. 0 Roi notre aide, notre secours et notre
bouclier, sois loué, Eternel, bouclier
d'Abraham.
2. « Tu es à jamais Tout
Puissant, Seigneur, tu ressuscites les morts; tu es
Tout Puissant pour secourir (tu fais souffler les
vents et tomber la pluie
(14)) Tu
nourris les vivants par ta grâce; tu
ressuscites les morts par ta grande
miséricorde, tu soutiens ceux qui
chancellent, tu guéris les malades, tu
délivres les prisonniers et tu gardes les
promesses à ceux qui dorment dans la terre.
Qui est Tout Puissant, comme toi, Seigneur ? Qui
petit t'être comparé ? O notre Roi,
c'est toi qui fais mourir et qui fais vivre ; de
toi vient tout secours. Tu accompliras ta promesse
de ressusciter les morts. Sois loué,
Eternel, qui ressuscites les morts. »
3. « Tu es Saint, ton nom est
Saint, et tous les jours tes Saints te glorifient.
Selah. Sois loué, Eternel ! Dieu saint.
»
4. « Tu donnes la sagesse à
l'homme et tu lui inspires l'intelligence.
Favorise-nous, Seigneur, de sagesse, de
discernement et d'intelligence. Sois loué,
Eternel, dispensateur de la sagesse. »
5. « Ramène-nous sous ta
Loi, ô notre Père ; rapproche-nous,
ô notre Roi, de ton service,
ramène-nous à foi par un repentir
sincère sois loué, ô Eternel,
qui acceptes notre repentir. »
6. « Pardonne-nous, ô notre
Père, nous avons péché;
absous-nous, ô notre Roi, nous t'avons
offensé ; tu es un Dieu qui absous et qui
pardonnes ; sois loué, ô Eternel, qui
par ta miséricorde, pardonnes souvent et
pour longtemps. »
7. « Vois notre misère,
Seigneur, et prends notre défense,
délivre-nous bientôt au nom de ta
gloire; car tu es un tout puissant
libérateur. Sois loué, 0 Eternel,
libérateur d'Israël. »
8. « Guéris-nous, ô
Eternel, et nous serons guéris ;
secours-nous et nous serons secourus. Tu es l'objet
de nos louanges.
Apporte donc un remède efficace
à tous nos maux. Tu es le Roi Tout-Puissant,
notre vrai médecin, plein de
miséricorde ! Sois loué, ô
Eternel, qui guéris les malades des enfants
d'Israël. »
9. « Bénis, Eternel notre
Dieu, cette année et ces récoltes,
(donne la rosée et la pluie
(15)), donne ta
bénédiction à la terre ;
rassasie-nous par ta bonté et bénis
cette année comme les bonnes années.
Sois loué, Eternel, qui bénis les
années. »
10. « Fais retentir la trompette de
la délivrance, élève
l'étendard qui ralliera nos
dispersés, rassemble-nous bientôt des
quatre coins de la terre. Sois loué,
Eternel, qui rassembleras les dispersés de
ton peuple d'Israël. »
11. « Rends leurs places à
nos juges comme autrefois, à nos magistrats
comme dans les temps passés.
Délivre-nous de l'affliction et de
l'angoisse ; règne seul sur nous, ô
Eternel, par ta grâce et ta
miséricorde et absous-nous dans les
jugements. Sois loué, ô Eternel, qui
aimes la droiture et la justice. »
11 bis (12). « Que les
calomniateurs n'aient plus d'espoir ; que tous les
artisans d'iniquité soient anéantis,
que les rebelles soient
détruits; que la puissance de l'orgueil>
soit humiliée; sois loué, Eternel,
qui brises tes ennemis et humilie les orgueilleux.
»
12 (13). « Que la
miséricorde, Eternel, soit émue en
faveur des justes, des humbles, des anciens de ton
peuple d'Israël, du reste de ses docteurs, en
faveur des étrangers pieux et de nous tous;
accorde une bonne récompense à ceux
qui mettent sincèrement leur confiance en
ton nom ; que dans l'avenir nous partagions leur
sort ; que notre espérance ne soit pas
déçue ; nous mettons, nous aussi,
notre confiance en toi ; sois loué, Eternel,
qui es le soutien et l'espérance des
fidèles. »
13 (14). « Reviens dans ta
miséricorde vers ta ville de
Jérusalem; fais-en ta demeure comme tu l'as
promis; rebâtis-la de nos jours ; qu'elle
soit indestructible; relèves-y bientôt
le trône de David. Sois loué, ô
Eternel, toi qui rebâtiras Jérusalem
(16).
»
14 (15). « Fais bientôt
croître le rejeton de David, et relève
sa gloire par ton secours, car c'est en toi que
nous espérons tous les jours. Sois
loué, ô Eternel, qui fais naître
la gloire du salut. »
15 (16). « Entends nos
supplications, ô Eternel notre Dieu ;
protège-nous, aie pitié de nous ;
exauce nos prières avec miséricorde
et bienveillance; car tu es le Dieu qui
écoutes les prières et les
supplications; ne nous renvoie pas, ô notre
Roi, sans nous avoir exaucés. Tu accueilles
avec miséricorde les prières de ton
peuple d'Israël. Sois loué, Eternel qui
exauces les prières. »
16 (17). « Que ton peuple
d'Israël et ses prières te soient
agréables. Ramène
le service divin dans les parvis de ta maison;
Reçois par ta grâce les offrandes
d'Israël et ses prières, et que le
culte de ton peuple d'Israël te soit toujours
agréable. Puissent nos yeux voir le jour,
où par ta miséricorde tu retourneras
à Sion. Sois loué, ô Eternel,
qui rétabliras ta demeure à Sion.
»
17 (18). « Nous confessons que tu
es l'Eternel notre Dieu et le Dieu de nos
pères, aujourd'hui et aux siècles des
siècles. Tu es le rocher de notre vie, le
bouclier de notre salut, de
génération en
génération. Grâces et louanges
soient rendues à ton nom saint et grand;
pour la vie que tu nous as donnée, pour nos
âmes que tu préserves, pour tes
miracles quotidiens en notre faveur, pour les
merveilles et les bontés dont tu nous
entoures à toute heure, le matin, à
midi, le soir. Dieu de bonté, ta
miséricorde est infinie, tes grâces ne
cessent point; nous espérons
éternellement en toi. Que pour tous ces
bienfaits, ton nom soit béni et
exalté à jamais. Que tous les
êtres vivants te tendent grâces; Selah.
Qu'ils louent ton nom avec sincérité.
Sois loué, ô Eternel, ton nom est bon
et seul tu es digne de louanges. »
18 (19). « 0 Notre Père,
répands la paix, la
prospérité, ta
bénédiction, tes faveurs, tes
grâces et ta miséricorde sur nous et
sur tout ton peuple d'Israël.
Bénis-nous tous ensemble avec la
lumière de ta face, car c'est par cette
lumière, Eternel notre Dieu, que tu nous as
donné une loi éternelle, l'amour de
la droiture et de la justice, la
bénédiction, la miséricorde,
la vie et la paix. Qu'il te soit agréable de
bénir ton peuple d'Israël en tous temps
et en tous lieux, et de lui donner ta paix. Sois
loué, ô Eternel, qui donnes la paix
à ton peuple d'Israël. »
Tel était le Schemoné
Esré. Il subissait certaines modifications
(additions ou retranchements) les jours de
fête. Nous avons indiqué en note les
admirables paroles de pénitence
prononcées le 9 du mois d'Ab. De même,
à la fête des Purim on disait quelques
phrases rappelant le grand souvenir que l'on
célébrait. A la fête de la
Dédicace on ajoutait aussi une importante
section à ces dix-huit
bénédictions.
Il suffit de lire le Schemoné
Esré pour se convaincre qu'il ne pouvait
exister sous sa forme actuelle pendant la vie de
Jésus. Il y est sans cesse fait allusion
à la ruine de Jérusalem et à
la destruction du Temple ; il a donc
été écrit après l'an
soixante-dix. Mais nous savons qu'une prière
semblable était en usage cent ans avant la
ruine du Sanctuaire, c'est-à-dire au moment
même de la naissance du Christ. Il en a, sans
doute, été du Schemoné
Esré comme de toute prière liturgique
; il s'est modifié peu à peu, il a
été complété par des
additions successives ; on peut dire toutefois que
la prière elle-même est très
ancienne.
Le nombre de ses parties était-il
déjà de dix-huit au commencement du
premier siècle? Étaient-elles
déjà rangées dans l'ordre
actuel? Nous n'en savons rien; le Talmud de
Babylone dit qu'un certain Siméon Pekoleus
avait fait, du temps de Gamaliel l'ancien, une
série de dix-huit prières. Samuel le
Petit aurait aussi composé une oraison sur
la demande de ce docteur. C'est une preuve de plus
qu'à l'époque de Jésus-Christ,
il existait des prières
rédigées semblables à celles
que la liturgie israélite a fait parvenir
jusqu'à nous.
Enfin, les Talmuds disent que le
Schemoné Esré n'avait d'abord que
dix-huit bénédictions et « que
la dix-neuvième a été
ajoutée à Jabné
(17) ». Ce
renseignement nous fait remonter fort
loin, car le séjour des
Rabbins à Jabné commença
aussitôt après la ruine du Temple, et
nous savons que le Schemoné Esré
était récité par Aquiba, par
Gamaliel le Jeune, par Josua, etc,
c'est-à-dire dès le commencement du
second siècle après
Jésus-Christ.
Sous sa forme actuelle, le
Schemoné Esré est d'une incomparable
beauté; et certainement les idées
exprimées dans cette magnifique
prière n'étaient pas
étrangères aux Juifs pieux
contemporains de Jésus. Sans doute ces
idées sont déjà dans l'Ancien
Testament et, si l'on cherchait bien, on ne
trouverait guère dans le Schemoné
Esré que des lambeaux de phrases
tirés des Psaumes et des Prophètes ;
mais c'est beaucoup que de les avoir réunis
et d'avoir composé, avec ces lambeaux, ces
apostrophes sublimes exprimant tour à tour
l'adoration, la foi, l'humiliation,
l'espérance.
N'oublions donc pas de rendre justice
à tout ce qu'il y a d'admirable et de
touchant dans la piété juive du
premier siècle. L'idée de Dieu en
particulier, telle que les livres de l'ancienne
alliance l'exposaient à chacune de leurs
pages, était comprise dans toute sa grandeur
et toute sa beauté. Dieu était
l'Eternel, le Tout-Puissant, l'Etre qui a dit
« Je suis Celui qui suis » et il
était aussi le Père céleste.
Nous sommes convaincu que ce nom popularisé
par l'enseignement de Jésus n'était
pas nouveau pour ses contemporains.
Cependant la plus belle des
prières peut n'être qu'une «
vaine redite » si elle est prononcée
machinalement ; les Rabbins ont bien essayé
parfois de s'opposer à ces
répétitions inintelligentes. «
Si l'on dit sa prière, comme pour
s'acquitter d'une récitation obligatoire ce
ne sont point des supplications
(18). »
«Ne considère. pas ta prière
comme un devoir fixe, mais comme un acte
d'humilité pour obtenir la
miséricorde divine
(19). »
Cette dernière parole est attribuée
à Rabbi Siméon qui
précisément vivait à
l'époque que. nous étudions, mais ces
protestations des Rabbis ne
signifient rien ; il n'y avait qu'un remède
: la disparition de ces prières quotidiennes
et c'est à quoi se résolurent les
premiers chrétiens. Ajoutons que
Jésus n'a nullement protesté contre
la récitation des prières en soi,
mais contre le mérite attaché
à cette récitation.
En lisant le Schema le lecteur aura
remarqué les ordres de Moïse pour la
conservation des commandements qu'il renferme;
ceux-ci devaient être attachés aux
portes des maisons, aux mains, au front du
fidèle, et lui être rappelés
même par la bordure de son manteau. Les Juifs
mettaient en pratique au pied de la lettre ces
diverses recommandations. Aux quatre coins de leurs
manteaux ils portaient les Tsitsith (dans le
Nouveau Testament : Nous en avons
déjà parlé en décrivant
leurs vêtements. c'étaient des franges
bleues ou blanches
(20) que les
Pharisiens affectaient de porter fort longues
(21) que
Jésus-Christ lui-même avait à
sa robe (22) et
dont l'usage était imposé par un
commandement formel de Moïse
(23). Les Juifs
pieux se servaient en outre d'une petite boite
allongée appelée la
Mesusa qu'ils suspendaient aux
portes des maisons et des chambres et qui
renfermait un petit rouleau de parchemin. Ce
manuscrit contenait en vingt-deux lignes les deux
fragments
: Deutér, IV, 4-9 sur l'amour
pour Dieu et
XI, 13-21 sur les
bénédictions attachées
à l'obéissance aux commandements. Cet
usage n'est pas encore perdu et plus d'une famille
juive, surtout en Allemagne, suspend la Mesusa
au-dessus de la porte d'entrée de la maison
(24).
Nous avons déjà
décrit les Teffilins (dans le Nouv. Test.
(25)),
petits étuis ou bandes de parchemin
assujetties par des courroies sur la main ou sur la
tête, qui renfermaient les
deux passages de la Mesusa et deux autres encore
(26) sur la
Pâque et le rachat des premiers-nés.
Les Talmuds nous parlent sans cesse des
phylactères et Maimonide nous en donne la
plus exacte description
(27). Nous
savons comment ils étaient attachés ;
comment les versets qu'ils renfermaient
étaient écrits
(28); comment
on devait les réciter
(29). Il y a
là des détails d'une minutie
puérile et d'une interminable longueur dans
lesquels nous ne pouvons songer à entrer.
Jésus a sans doute possédé des
phylactères, car s'il a blâmé
ceux qui en font parade, ceux qui affectent de les
porter très grands, il n'a point
condamné leur usage. A douze ans,
c'est-à-dire à l'époque de
l'initiation à la Loi, on enseignait
à l'enfant à réciter les
phylactères et c'est sans doute à cet
âge, qui eut sur l'avenir de Jésus une
si décisive influence, qu'il apprit, lui
aussi, à se servir de ces étuis et
commença à répéter les
versets qui y étaient renfermés. Il
est certain toutefois que l'Ancien Testament ne
parle clairement que des Tsitsith. Les passages
où l'on a cru trouver des ordres relatifs
à la Mesusa et aux phylactères ont
sans doute été
interprétés trop littéralement
(30).
Il est évident que la
prière occupait une place importante dans la
vie du Juif et surtout, semble-t-il, la
prière d'actions de grâces. Tout un
traité de la Mischna, le traite Berakhoth
(c'est-à-dire Bénédictions),
est consacré à ce sujet. Jamais un
Juif ne commençait ni ne terminait son,
repas sans rendre grâces
(31). Les
formules prononcées alors étaient
fixes et invariables.
On ne se bornait pas à
bénir la table en général, on
bénissait chaque aliment
(32), le pain,
le vin., les fruits des arbres et de la terre; on
bénissait aussi la lumière, le feu,
l'eau, l'orage, l'éclair, la nouvelle lune.
Lorsque Jésus institua la Cène, il
rendit grâces pour le pain et ensuite pour le
vin (33). On
priait en se levant, en se couchant, en assistant
à une naissance, à un mariage, etc.
« Plût à Dieu, s'écrie
Rabbi Johanan, que l'homme priât toute la
journée
(34) ».
Jésus blâmait les longues
prières. Quelques Rabbis, en effet, y
attachaient une grande importance. R. Isaac disait
que « les longues prières sont utiles
si l'on croit être exaucé par le
prolongement de la méditation »
(35). Mais ce
n'était pas l'avis de tout le monde, et le
traité Berakhoth nous a conservé
cette belle parole : « La meilleure des
adorations consiste à garder le silence
».
Les prières étant en
général récitées, il
arrivait souvent aux Docteurs de la Loi d'en
composer eux-mêmes à l'usage de leurs
disciples. Jean-Baptiste en enseigna une aux siens
(36), et
Jésus-Christ aussi. C'était,
d'après les Talmuds, une coutume
généralement répandue alors et
le traité Berakhoth du Talmud de Babylone
nous a conservé quelques-unes de ces
oraisons. Elles n'étaient point
destinées à remplacer les
prières publiques ordinaires ; au contraire,
elles les complétaient; on prononçait
ces courtes demandes après le Schema ou
après le Schemoné Esré et
elles portaient le nom de prières de
conclusion
(37). « R.
Eliézer, en finissant ses
prières, ajoutait
ordinairement celle-ci : Qu'il te plaise, Seigneur,
que l'amour et la fraternité soient notre
partage. »
Rabbi Johanan ajoutait après les
siennes : « Qu'il le plaise, Seigneur, d'avoir
égard à notre bassesse et de voir nos
misères. » Il est probable que c'est
sous cette forme de conclusion que les
apôtres et les premiers disciples de
Jésus répétèrent
d'abord l'oraison dominicale. Elle trouvait
naturellement sa place après, la
récitation du Schemoné Esré,
ou plutôt de ce qui en existait
déjà. Lui-même était
abrégé par certains Docteurs. Rabbi
Gamaliel imposait sa récitation tout
,entière, mais R. Josua permettait de n'en
dire que le résumé, et B. Aquiba
s'exprimait ainsi : « Si l'on peut dire les
dix-huit bénédictions en entier,
qu'on les dise; si on ne peut pas, qu'on en dise le
résumé
(38). » Il
est difficile de si l'oraison dominicale a
été, dans la pensée de
Jésus, un résumé du
Schemoné Esré ; mais. cela nous
semble bien peu probable.
Passons en revue les demandes qui
composent la prière du Seigneur, et, quelle
que soit leur teneur, nous verrons qu'elles
répondent toutes aux exigences de la
théologie juive du premier siècle. Il
n'est presque pas une de ces requêtes dont
l'équivalent ne se trouve dans les
Talmuds.
D'abord le nom de Père
donné à Dieu ne doit pas nous
surprendre. Il était
généralement usité alors et
nous le trouvons plusieurs fois dans le
Schemoné Esré.
« Que ton nom soit sanctifié
! » « Que ton règne vienne !
» « Toute prière, dit un des
Talmuds (39),
où le règne de Dieu n'est pas
mentionné, n'est pas une prière.
»
« Que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel! » R.
Eliézer disait : « Qu'est-ce qu'une
prière courte : accomplis la volonté
au ciel en haut et donne satisfaction à ceux
qui te craignent sur la terre
(40).
»
« Donne-nous aujourd'hui notre pain
quotidien. » « Qu'il
te plaise de donner à
chacun ce qu'il lui faut, pour se nourrir
(41). »
Sur le pardon des offenses qui vient "ensuite, nous
n'avons rien trouvé d'identique dans les
Talmuds, mais cette parole : «
Délivre-nous du mal
(42) »,
nous est rappelée par ce passage: « R.
Judah avait l'habitude de prier ainsi : Qu'il te
plaise de nous délivrer de l'effronterie de
l'homme mauvais, de l'accident fâcheux, de la
maladie mauvaise, d'un compagnon mauvais, d'un
voisin mauvais, de Satan destructeur, d'un jugement
dur et d'un adversaire dur
(43). » La
doxologie qui termine l'oraison dominicale dans le
texte reçu du Nouveau Testament, ne faisait
pas primitivement partie de la prière du
Seigneur; cependant, elle aussi est
expliquée par les Talmuds qui nous
mentionnent en plusieurs passages
(44) des
oraisons se terminant ainsi : « Que le nom de
la gloire de ton règne soit béni aux
siècles des siècles
(45).»
Au moment de terminer ces chapitres
consacrés à l'étude de la
piété juive au temps de
Jésus-Christ (purifications, jeûnes,
aumônes), nous sommes frappé plus que
jamais de la ressemblance de la vie arabe de nos
jours et de, la vie israélite d'autrefois.
Nous disons la ressemblance; nous devrions dire
l'identité. Les Arabes, par exemple,
pratiquent le jeûne exactement, comme les
Juifs de l'époque que nous étudions.
Quand un disciple de Mahomet célèbre
le Ramadan, il ne doit ni
boire ni manger, « depuis l'heure matinale,
où le soleil apparaît, jusqu'à
l'heure où l'oeil ne distingue plus un fil
blanc d'un fil rouge
(46) »
N'est-ce pas, au pied de la lettre, les
préceptes des Rabbis que nous rappelions
tout à l'heure ?
Les hommes, les femmes, les enfants
à partir de quinze ans, restent le jour
entier sans manger ni boire." Quelques-uns
s'affranchissent de ce
jeûne; ce sont les Arabes des familles
nobles. lis disent, comme les Saducéens
aristocrates d'autrefois : « Nous sommes des
gentilshommes ; la religion est bonne pour le
peuple et non pour nous. » Il n'est pas
jusqu'à la haine de l'étranger qui,
chez les indigènes de nos colonies
d'Afrique, ne rappelle, à s'y
méprendre, la haine que les Juifs montraient
aux Romains leurs maîtres.
Décidément, les personnes
désireuses de se faire une idée
exacte de la vie des enfants d'Israël au temps
de Jésus n'ont qu'à parcourir notre
Algérie moderne. Les Roumis
conquérants sont, aux yeux des habitants, ce
qu'étaient les Romains en Palestine. «
Les Arabes se répètent, dit le
voyageur que nous venons de citer, que s'ils tuent
un de ces Roumis, ils vont droit au ciel, que
l'époque de notre domination touche à
sa fin. » Plus loin, le même auteur nous
décrit « les fanatiques à l'air
calme, qui vont et viennent, prêchant la
révolte, annonçant ta fin de la
servitude. » C'est ainsi que les occasions de
comparer les deux peuples, de rapprocher leurs
coutumes, d'identifier leurs moeurs et leurs
idées, se présentent sans cesse. La
race est la même, la vie sociale n'a point
changé, et l'attitude du Musulman dans sa
mosquée, sous l'oeil du Mufti et du
Marabout, ressemble étrangement à
celle du Juif dans sa synagogue, sous l'oeil du
Scribe et du Docteur de la Loi.
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