LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
LIVRE SECOND - LA VIE
RELIGIEUSE
CHAPITRE
XI
LE TEMPLE. - LES PARVIS
Caractères
généraux de la religion du
Temple. - Aspect du Temple vu du Mont des
Oliviers. - Sa construction. - Le parvis
clos Gentils. - Ses portes. - Ses
portiques. - Son usage. - Le Hel. - Le
parvis des femmes. - Les treize portes et
les treize troncs pour les aumônes.
- Le parvis d'Israël. - Le parvis des
prêtres. - L'autel des holocaustes.
- La salle des séances du
Sanhédrin. - Les salles et les
portes' du parvis des prêtres. - Le
Corban.
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La religion juive, telle que nous venons de la
décrire dans les chapitres qui
précèdent, est complète ; le
Pharisien l'a façonnée à son
image, il a assuré son avenir, et le Temple
avec ses cérémonies antiques, ses
prêtres et ses lévites, ses sacrifices
et ses holocaustes, n'est plus absolument
nécessaire à l'Israélite
fidèle. Il peut pratiquer la Loi sans y
monter jamais. Le Saducéen seul est à
son aise dans le Sanctuaire, car il
représente avec lui un passé qui
s'en. va. Dans quelques années, après
la catastrophe de l'an soixante-dix, l'un et
l'autre disparaîtront. Il n'y aura plus ni
Temple, ni Saducéens, mais il y aura encore
des synagogues et des Pharisiens ; cela suffira. Le
Judaïsme subsistera tout entier. Cet
énorme monument qui domine Jérusalem
et toute la Judée, cette gigantesque
construction qui s'appelle le Temple, n'a plus de
prestige que pour le Juif arrivant de loin et qui
ne l'a jamais vue, pour le pèlerin
Galiléen venant y faire ses ardentes
dévotions.
Mais le bourgeois de Jérusalem
sait depuis longtemps à quoi s'en tenir. Il
n'ignore pas que les prêtres Saducéens
qui sont de service sourient tout bas des
cérémonies qu'ils pratiquent et sont
de purs formalistes. Le
sacrifice a été condamné le
jour où Esaïe s'est écrié
: « Qu'ai-je à faire de la multitude de
vos sacrifices, dit l'Eternel? Je suis
rassasié des holocaustes de bélier et
de la graisse des veaux. Je ne prends point plaisir
au sang des taureaux, des brebis et des boucs
(1). » Ces
paroles avaient été vraiment
prophétiques, elles renfermaient le germe de
l'avenir; à dater du jour où elles
furent prononcées, le Temple fut perdu.
Esdras eut beau restaurer la Loi et par suite le
Sanctuaire, Hérode eut beau bâtir un
somptueux monument, la synagogue devait le
remplacer; l'hébraïsme antique avait
fait son temps, une évolution était
nécessaire, et Esdras, en instituant partout
les maisons de prières, fut l'initiateur de
cette inévitable réforme. Au
commencement du premier siècle, et tout le
temps que l'édifice sacré sera
debout, le Pharisien s'y rendra encore, il saura
même mourir pour le défendre et ne se
doutera pas qu'il a travaillé contre lui, en
s'opposant au Saducéisme, en disant que la
synagogue suffit et en spiritualisant le
Judaïsme. Toutes les formes sont
observées, on ne sait même pas que ces
formes sont désormais vides de sens, mais il
en est ainsi. L'indifférence des coeurs est
profonde ; le règne du Sanctuaire touche
à sa fin.
Après les remarquables travaux
dont le Temple de Jérusalem a
été l'objet, nous ne pouvons songer
à en donner ici qu'une simple description
topographique destinée à faciliter
l'intelligence du Nouveau Testament. Nous avons
deux sources capitales à consulter,
Josèphe
(2) et la Mischna
(3). L'admiration
de l'historien juif est sans bornes : « Cet
édifice, dit-il, était certainement
le plus admirable qui ait jamais existé sous
le soleil » ; et les Rabbins ne s'expriment
pas avec moins d'enthousiasme : « Celui qui
n'a pas vu le Temple d'Hérode n'a jamais vu
de bel édifice
(4)
».
La meilleure place pour l'apercevoir
d'un peu loin et se faire une
idée de l'ensemble était le sommet du
Mont des Oliviers. C'est là que Jésus
s'assit un jour et prédit à ses
apôtres la ruine prochaine des grands
bâtiments qu'ils avaient sous les yeux
(5).
L'apparence générale
était celle d'une forteresse, à cause
de l'énorme mur de défense qui
entourait les cours et formait la première
enceinte. Il était un peu moins
élevé du côté oriental
(6). On pouvait
donc, du haut du Mont des Oliviers, voir au
delà, et on apercevait dans
l'intérieur une série d'enceintes
successives dont les murailles étaient
toujours plus élevées en se
rapprochant du centre, et, entre ces murailles, des
terrasses qui formaient autant de cours et qui
communiquaient entre elles par des escaliers
(7).
Il y avait plusieurs de ces parvis et il
fallait les traverser tous pour arriver au sommet
où se trouvait le Sanctuaire l'hiéron, bâtiment
couvert, renfermant le « lieu saint » et
le « lieu très saint ». Les
parvis, placés les uns au-dessus des autres,
se succédaient de l'Est à l'Ouest. Le
plus grand, le premier, celui qui renfermait les
autres était immense. Quant au Sanctuaire
lui-même, il était, dit
Josèphe, couvert de dorures
étincelantes ; le toit en particulier
était semé d'aiguilles et de pointes
dorées pour empêcher les oiseaux de
s'y poser, et, de loin, du haut du Mont des
Oliviers, quand le soleil levant les
éclairait, on croyait voir un effet de neige
(8).
Tel était l'aspect
général au temps du Christ.
Aujourd'hui la mosquée d'Omar est
bâtie sur cet emplacement appelé par
les musulmans le Haram. La parole de Jésus :
« Il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne
soit renversée
(9) » s'est
accomplie au pied de la lettre pour le Temple, pour
le Sanctuaire. Quant à la première
enceinte elle subsiste encore en partie et telle
que Jésus l'a vue. Elle est faite de pierres
énormes et en place depuis le temps du roi
Hérode
(10). C'est
d'elles que parlaient les
apôtres quand ils
s'écriaient : « Quelles pierres
(11)! »
Les voyageurs modernes les ont mesurées;
elles ont jusqu'à six mètres
trente-cinq centimètres et quelques-unes
sept mètres vingt-cinq centimètres de
longueur (12).
Elles forment maintenant le mur du Haram, et c'est
dans cette muraille que l'on voit l'origine d'une
arche qui faisait partie du pont traversant la
vallée des fromagers et dont nous avons
parlé au second chapitre de notre premier
livre
(13).
La tradition plaçait sur la
montagne du Temple l'emplacement de l'aire d'Ornan
le Jébusien, sur lequel David avait
élevé un autel
(14). On disait
encore qu'Abraham y bâtit l'autel sur lequel
il fut sur le point de sacrifier Isaac, que
Noé y brûla son holocauste en sortant
de l'arche, que Caïn et Abel y offrirent leurs
sacrifices, enfin qu'Adam lui-même
après sa création y rendit un culte
à l'Eternel
(15).
Un seul fait est certain :
c'était là que s'élevait le
Temple de Salomon. Il fut détruit de fond en
comble quand le peuple fut emmené en
captivité ; et, à leur retour de
l'exil, les Juifs avaient construit sur ses ruines
un édifice provisoire. Devenu depuis
longtemps insuffisant, il fut rebâti par
Hérode le Grand et c'est de ce Temple
d'Hérode que nous parlons ici.
Commencé la dix-huitième année
de son règne, l'an 734 de Rome (19 avant
Jésus-Christ) il fut achevé sous son
arrière-petit-fils, Agrippa II, en l'an 64
après Jésus-Christ
(16). On mit
donc quatre-vingt-trois ans à le
bâtir. On y travaillait encore pendant la vie
de Jésus et lorsqu'il commença son
ministère on était dans la quarante.
sixième année depuis le commencement
des travaux
s(17).
Six ans après qu'il fut
achevé (70), il fut détruit de
nouveau et entièrement
(18). Quand
Jésus le vit, il ne restait à faire
que des détails d'ornementation
intérieure, Dix-huit mois avaient suffi pour
que le bâtiment principal fût
terminé et les portiques avaient
été achevés au bout de huit
ans
(19).
Ce Temple était construit dans le
goût grec et romain du temps ; lourd à
la fois et prétentieux
(20). Le seul
fragment qui en reste, la Porte Dorée,
aujourd'hui murée, suffit à nous
donner une idée de l'ensemble. Elle est
surmontée de chapiteaux formés de
deux rangs superposés de feuille d'acanthe
ou d'un végétal semblable à
l'acanthe (21).
LA COUR DES PAÏENS
La première enceinte n'était qu'un
immense carré de cinq cents coudées
de côté (225 mètres)
(22).
L'intérieur formait une cour appelée
parvis des Gentils ou cour des païens, dont on
peut dire qu'elle était le lieu de
réunion de la Palestine entière. Dans
cette cour et vers le Nord-Ouest se trouvaient les
bâtiments du Temple, comme on peut le voir
sur le plan ci-joint.
On pénétrait dans le
parvis des Gentils par un certain nombre de portes.
Du côté de l'Est était la porte
de Suse, elle s'ouvrait sur le Mont des Oliviers ;
il y avait, en outre, deux entrées au Midi,
quatre à l'Occident et une au Nord ; mais on
ne se servait pas de celle-ci. Le voisinage de la
Tour Antonia était
peut-être le motif de
cette exclusion. Les portes du Temple formaient,
comme celles de la ville, un passage profond et
couvert avec deux battants à chaque
extrémité et, au-dessus, une chambre
ou tour destinée à défendre
l'accès de l'édifice. Ces tours
eurent une grande importance à la fin du
siège de Jérusalem quand les derniers
combattants s'y réfugièrent pour
empêcher l'envahissement du
Sanctuaire.
A l'intérieur du parvis et le
long des murs régnaient des portiques,
C'étaient des abris contre la pluie et le
soleil, des promenoirs retentissant tout le jour de
la voix aigre des Scribes, des discussions ardentes
des Pharisiens, des moqueries insultantes des
Saducéens. Le portique qui longeait le mur
oriental des deux côtés de la porte de
Suse s'appelait portique de Salomon. Celui qui
longeait le mur du Midi était le portique
royal, Il était triple, dit Josèphe
(23),
c'est-à-dire qu'il était
composé de quatre rangées de colonnes
formant trois allées. Celui de Salomon
n'avait que trois rangées de colonnes, et
par suite deux allées seulement. Les toits
de ces galeries étaient de bois de
cèdre sculpté ; les colonnes avaient
vingt-cinq coudées (11 m. 25) de hauteur, et
la largeur de l'espace couvert était de
trente coudées (13 m. 50). Les piliers
étaient formés d'un seul bloc de
marbre blanc, et le sol était couvert de
pierres de différentes couleurs
(24). Du
portique de Salomon
(25), on
découvrait toute la vallée de
Cédron ; et, en face de lui, le spectateur
avait les tombeaux des prophètes
(26),
bâtis sur la pente de la colline des
Oliviers.
La cour des Gentils, appelée cour
commune par les Juifs, était ouverte
à tout le monde. Les païens, hommes ou
femmes, y circulaient librement
(27), ainsi que
les excommuniés, les
hérétiques, les
personnes dans le deuil, et ceux qui avaient
contracté des impuretés
(28) .
Josèphe appelle cette cour «
le Temple extérieur. » C'était
une place publique, un forum, un bazar, les
marchands de bestiaux s'y installaient dès
le matin, et les changeurs y dressaient leurs
petites tables, offrant la monnaie sacrée
contre la monnaie romaine; la foule allait et
venait; on vendait des tourterelles prises sur les
cèdres de Hanan
(29) aux femmes
relevées de couches et des passereaux aux
lépreux
(30) ; on leur
en donnait cinq pour deux pites
(31). A
certains jours il y avait affluence de
pèlerins venus de Galilée ou
d'ailleurs. On discutait, on argumentait, on se
disputait; l'édification et le recueillement
étaient totalement absents et le
désordre d'une mosquée musulmane peut
seul donner une idée de l'aspect ordinaire
de la cour des Gentils.
Cependant il y avait certains
règlements à observer et tout Juif,
tout zélateur de la Loi pouvait prendre
l'initiative de leur observation. Les vendeurs et
les changeurs devaient s'établir non dans la
cour, mais hors de l'enceinte, près des
portes. Leur présence à
l'intérieur du parvis, tolérée
depuis longtemps, était un pur abus.
Jésus chercha un jour à y mettre fin
en chassant impitoyablement tous les marchands. il
est probable que plus d'un Pharisien l'approuva en
secret. Il alla plus loin : « Il ne laissa
personne transporter aucun objet à travers
le Temple (32).
» Il ne faisait que suivre les prescriptions
des rabbins. « Quel est le respect que l'on
doit au Temple? disent les Talmuds
(33), c'est que
personne ne vienne dans la cour des païens
avec son bâton, avec ses chaussures, avec sa
bourse, avec de la poussière aux pieds, et
qu'il ne s'en serve pas comme de
chemin en la traversant, et qu'il n'en fasse pas un
endroit où il crache à terre.
»
L'intérieur de la cour des
païens avait été nivelé,
comme du reste le sol de tous les parvis. On
marchait de plain-pied dans toutes les cours, et
les escaliers qui conduisaient de l'une dans
l'autre se trouvaient aux portes.
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