LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
LIVRE SECOND - LA VIE
RELIGIEUSE
CHAPITRE
XI
LE TEMPLE. - LES PARVIS (Suite)
LA COUR DES FEMMES
(Azarath Naschim)
Pénétrons maintenant dans la
partie du Temple qui n'était accessible
qu'aux Juifs.
La première cour dans laquelle
nous entrons est appelée « cour des
femmes ». Tous les Israélites, hommes
ou femmes, y circulent librement, mais les femmes
ne peuvent aller plus loin, et de là vient
le nom de ce parvis. Il est carré et a cent
trente-cinq coudées (60 m. 75) de
côté. Il est séparé de
la cour extérieure ou parvis des Gentils par
deux murs parallèles et J'espace compris
entre ces murs qui a dix coudées (4 m. 50)
de largeur porte le nom de Hel (espace entre les
murs). Le premier, celui qui sépare le Hel
de la cour des païens, n'aurait eu,
d'après la Mischna, que dix palmes de
hauteur et n'aurait été qu'une simple
barrière
(34).
Josèphe nous indique un chiffre plus
probable quand il lui donne trois coudées (1
m. 35). C'était une balustrade de pierre,
travaillée avec art, et percée de
treize portes. Devant elles, de distance en
distance, treize colonnes portaient une
inscription, probablement en grec et en latin,
défendant aux païens, sous peine de
mort, de pénétrer plus avant.
Josèphe, qui nous décrit ces petits
monuments, nous dit que les Romains les
respectaient
(35). On a mis
en doute cette assertion de l'historien juif; mais
si saint Paul fut un jour accusé d'avoir
laissé des Grecs entrer dans
le Temple
(36), cette
accusation suppose bien une défense formelle
et écrite. Philon, du reste, parle aussi de
ces inscriptions
(37) ; et M.
Clermont-Ganneau a précisément
découvert, il y a quelques années,
l'une de ces stèles gravées en
caractères grecs. On peut supposer que
Jésus l'a vue, l'a lue; il est certainement
passé devant
(38).
On entrait dans le Hel par les treize
portes placées derrière les treize
colonnes. La principale était à l'Est
et avait un escalier de quatorze marches. Chacune
d'elles ayant une demi-coudée de hauteur (0
m. 22 c. 1/2), on montait en tout 3 m. 15 ; puis on
traversait le Hel et alors venait une seconde porte
donnant accès dans la cour des femmes. Cette
porte aussi avait un escalier de douze marches (2
m. 30 environ). La cour des femmes était
donc plus élevée de 5 m. 45 que la
cour des Gentils. La porte dont nous venons de
parler s'appelait la Belle
(39) ou la
Corinthienne
(40). Ses deux
battants ensemble avaient trente coudées de
hauteur (13 m. 50) et quinze de largeur (6 m. 75);
à l'intérieur de la voûte deux
colonnes de douze coudées (5 m. 40) de
circonférence supportaient la tour. Le mur
qui séparait la cour des femmes du Hel avait
vingt-cinq coudées (11 m. 25) et neuf
portes, quatre au Nord, quatre au Sud et la Belle
à l'Est. Un portique semblable à ceux
de la cour des païens, mais plus simple
régnait à l'intérieur de la
cour
(41).
Devant les portes treize troncs
appelés dans les Talmuds Schoupheroth
(trompettes), à cause du goulot
étroit qui les surmontait, recevaient les
sommes offertes pour les divers
services du Temple. Chacun avait
sa destination différente indiquée
par une inscription en langue hébraïque
(42). Le
premier portait : sicles nouveaux,
c'est-à-dire sicles consacrés aux
dépenses de la présente année;
le second : sicles anciens, c'est-à-dire
sicles consacrés aux dépenses de
l'année précédente; le
troisième portait : colombes et tourterelles
; l'argent qu'on y mettait servait à couvrir
le prix à payer par celui qui avait à
offrir deux tourterelles ou deux colombes, l'une en
holocauste, l'autre en sacrifice pour le
péché. Au-dessus du quatrième
tronc, était écrit : Holocaustes,
c'était l'argent couvrant les
dépenses des autres holocaustes. Le
cinquième portait le mot : Rois, il
renfermait les dons des fidèles
destinés à acheter du bois pour
l'autel. Le sixième : Encens (argent pour
acheter l'encens); le septième : Pour le
sanctuaire (argent pour le propitiatoire); les six
derniers portaient l'inscription dons à
volonté
(43).
Nous savons leur destination : lorsqu'on
avait acheté ce qu'il fallait pour offrir un
sacrifice et qu'il restait quelque chose, on
mettait ce surplus dans l'un de ces troncs. L'un
recevait ce qui restait après un sacrifice
pour le péché, l'autre après
un sacrifice pour une maladie ou pour la
purification d'une femme récemment
accouchée; un autre ce qui restait
après un sacrifice offert par un
lépreux guéri, etc., etc. Devant un
de ces treize troncs s'est passée la
scène racontée par l'Evangile et
où Jésus vit une pauvre veuve jeter
une pite, tout ce qui lui restait, tout ce qu'elle
avait pour vivre
(44). «
Jésus regardait ce que chacun mettait;
» les offrandes étaient, en effet,
toutes volontaires
(45);
cependant, si l'on donnait pour le bois ou pour
l'encens, il y avait un minimum au-dessous duquel
on ne devait rien offrir. Il fallait donner au
moins ce qui était nécessaire pour
une poignée d'encens ou
pour deux morceaux de bois longs d'une
coudée (0 m. 45) et gros en proportion. Tous
ces dons réunis constituaient le Corban
(46),
c'est-à-dire l'argent consacré
à Dieu, et la partie de la cour des femmes,
où se trouvaient les Schoupheroth,
était appelée le trésor.
Lorsqu'il nous est dit : « Jésus parla
ainsi enseignant dans le trésor
(47), »
cela signifie enseignant dans la cour des femmes et
près des treize Schoupheroth.
Dans ce parvis, les femmes
Israélites remplissaient leurs devoirs
religieux. Elles s'avançaient à
l'extrémité du côté du
sanctuaire jusqu'à une balustrade qui
était assez basse pour leur permettre de
voir plus loin. L'entrée de la cour des
femmes était interdite à quiconque
avait contracté une souillure et s'en
était purifié le jour même
(48).
Aux quatre angles de ce parvis, se
trouvaient quatre chambres (lischca en
hébreu), oui plutôt quatre petites
cours, car elles étaient à ciel
ouvert, et jusqu'ici, sauf les portiques, nous
n'avons rien remarqué qui ne fût en
plein air.
Elles avaient quarante coudées de
côté (18 mètres) et
étaient carrées
(49). Celle du
Nord-Est était la chambre du Naziréat
c'est là que les Naziréens cuisaient
leurs repas de sacrifice, se faisaient couper les
cheveux et les livraient pour être
brûlés
(50). Au
Sud-Est était la chambre du Bois. Les
prêtres y visitaient celui qu'on apportait
pour les sacrifices et s'assuraient qu'il
n'était pas piqué des vers. Le bois
reconnu attaqué ne pouvait servir à
l'autel. Au Sud-Ouest était la chambre des
Lépreux. C'était là, et aussi
à la porte de Nicanor, que se pratiquaient
les rites ordonnés pour leur
purification.
Nous les avons décrits
(51). Enfin, la
cour du Nord-Ouest était
appelée chambre du Vin et de
l'Huile.
COUR DES ISRAÉLITES
(Azarath Yisraël)
Elle était très étroite,
elle n'avait que onze coudées (4 m. 95) de
profondeur. Sa longueur était naturellement
la même que celle du côté ouest
de la cour des femmes, cent trente-cinq
coudées (60 m. 75). C'était moins une
cour qu'un emplacement réservé aux
hommes qui se tenaient devant les femmes. On y
entrait par une porte appelée de Nicanor ;
elle était de bronze, tandis que toutes les
autres étaient de bois et revêtues
d'or et d'argent
(52). La
tradition disait qu'elle avait été
apportée d'Alexandrie par un certain Nicanor
et miraculeusement sauvée d'un naufrage. A
cette porte on montait un escalier de quinze
marches en demi-cercle, mais ces marches
étaient peu élevées. Elles
n'étaient pas plus hautes, dit
Josèphe
(53), que cinq
des autres.
La cour d'Israël n'était
donc que de deux coudées (1 m. 12) plus
élevée que la cour des femmes.
D'après les Talmuds on aurait chanté
sur ces quinze marches les quinze Psaumes dits des
degrés
(54).
La tour qui surmontait la porte de
Nicanor avait cinquante coudées (22 m. 50)
de hauteur et quarante coudées (18
mètres) de largeur
(55).
C'est à cette porte qu'on donnait
à boire les eaux amères aux femmes
soupçonnées
d'infidélité
(56). Cette
singulière cérémonie, qui est
décrite dans la Mischna
(57),
était devenue extrêmement rare. Elle
n'est mentionnée que deux fois dans
les traditions rabbiniques et
Rabbi Johanan ben Zaccaï l'abolit tout
à fait au premier siècle. On
pratiquait aussi à cette porte de Nicanor la
purification de la femme accouchée et, en
partie, celle du lépreux
(58).
La limite extrême de la cour
d'Israël était marquée par une
balustrade au milieu de laquelle se trouvaient
trois marches et une estrade où se
plaçaient les prêtres pour prononcer
la bénédiction sur le peuple
(59).
COUR DES PRÊTRES
(Azarath Cohanim)
Nous approchons du sanctuaire; nous voici
à la dernière cour, celle des
prêtres, le parvis où ceux-ci
pouvaient seuls pénétrer. Au milieu
s'élevait le le Temple au sens strict de ce mot,
bâtiment couvert et dont nous parlerons plus
loin. En entrant dans le parvis des prêtres
on montait une marche d'une coudée (45
cent.), Si nous y ajoutons les trois marches de
l'estrade du haut de laquelle les sacrificateurs
bénissaient le peuple et qui avaient chacune
une demi-coudée de hauteur, nous arrivons
à un total de trois coudées (1 m. 35)
pour l'élévation de la cour des
prêtres sur la cour d'Israël. Ce dernier
parvis était immense ; il avait cent
trente-cinq coudées de largeur (60 m. 75) et
une profondeur de cent quatre-vingt-sept
coudées (84 m. 15). Le mur intérieur
était entouré d'une
colonnade.
Derrière l'estrade des
bénédictions et devant la porte du
sanctuaire s'élevait le grand autel des
holocaustes, bâti de pierres non polies. Il
était au milieu de la cour en face de
l'entrée. Il était carré. Les
Talmuds lui donnent trente-deux coudées (14
m. 40) de côté. Josèphe lui en
donne cinquante (22 m. 50) et ajoute qu'il avait
quinze coudées de hauteur (6 m. 75) ; cette
différence s'explique aisément.
Josèphe comprend dans son
évaluation les gradins qui donnaient
accès à l'autel, les Rabbins ne les
ont pas comptés dans la leur. Les
prêtres y montaient par une pente douce
ménagée du côté du Midi.
Les pointes des quatre angles de l'autel se
terminaient en forme de corne. On avait
ménagé un conduit au Sud-Ouest par
lequel le sang s'écoulait et allait se
perdre dans le torrent de Cédron. Au Nord de
l'autel plusieurs tables de marbre servaient
à déposer la chair des
victimes.
Au Nord et au Sud de la cour des
prêtres et le long des portiques s'ouvraient
plusieurs salles couvertes ; chacune avait une
destination spéciale. La plus importante
était celle des séances du
Sanhédrin ou salle en pierres de taille
(Lischeat-ha-Gazith); nous l'avons
déjà décrite
(60). Elle
avait deux entrées : l'une par la cour,
l'autre par le Hel
(61). Comme il
n'était permis qu'au roi de s'asseoir dans
la pur d'Israël, les membres du
Sanhédrin ne pouvaient le faire dans la
salle (te leurs séances que lorsqu'ils se
tenaient dans la partie comprise dans le Hel,
c'est-à-dire dans la première
moitié. On s'est demandé où
était Jésus enfant lorsqu'il «
s'assit (62)
» au milieu des docteurs. Il y avait trois
endroits dans le Temple où l'on pouvait
s'asseoir pour discuter, le premier à la
porte de Suse, le second à la porte de la
cour des Gentils et le troisième ici dans la
première moitié de la salle en
pierres de taille ; c'est dans l'un ou l'autre de
ces endroits que Marie retrouva Jésus. Cette
salle des séances du Sanhédrin avait
assez la forme d'une basilique. Elle était
exactement placée à l'angle Sud-Est
de la cour des prêtres
(63). A
côté d'elle et plus à l'Ouest
était la salle dite de la Source. Elle
renfermait un puits
surmonté d'une poulie. On
y puisait l'eau nécessaire dans la cour des
prêtres
(64).
La porte des eaux, donnant directement
par le Hel dans le parvis des Gentils, était
contiguë. Son nom lui venait sans doute de sa
situation, à côté de la salle
de la source. Il est possible aussi que l'on
passât par cette porte l'eau dont on avait
besoin dans certaines fêtes, les Tabernacles
par exemple, où celle fournie par le puits
ne suffisait pas
(65).
Après cette porte, venait la
salle du bois. Le bois trouvé pur,
c'est-à-dire qui n'était pas
attaqué par les vers, y était
déposé avant d'être
brûlé sur l'autel. Au-dessus de cette
salle, au premier étage, s'en trouvait une
autre où les prêtres se
réunissaient pour discuter les questions
relatives aux divers services. Enfin venaient les
portes de l'oblation et de l'incendie. Les deux
entrées correspondantes, placées
exactement en face au Nord, avaient le même
nom.
De ce côté nous trouvons
d'abord une porte et une salle où
étaient de garde les prêtres et les
lévites. On l'appelait Nitsots et aussi
porte du choeur
(66).
Ensuite venaient la salle où on
lavait les entrailles des victimes, et celle
où on salait les peaux
(67). Au-dessus
d'elles se trouvait une chambre où se
baignait le grand prêtre au jour solennel des
expiations
(68).
Plus loin, s'ouvraient les portes de
l'oblation et de l'incendie, comme au
côté Sud de la cour. Elles
étaient séparées par la
chambre du sel où l'on déposait le
sel des oblations. La porte de l'oblation
s'appelait aussi porte des femmes.
Son premier nom venait de ce que les
bêtes destinées aux sacrifices
entraient par là, et le second de ce qu'elle
servait en particulier aux
femmes pour y livrer aux prêtres les victimes
qu'elles désiraient offrir sur
l'autel.
La porte de l'incendie tirait son nom de
l'usage auquel était consacrée la
salle contiguë. On y entretenait le feu
perpétuel dont avaient besoin les
sacrificateurs. On donnait aussi à ces deux
portes (de l'oblation et de l'incendie) le nom de
portes du Corban, parce que le trésor du
Temple se trouvait tout auprès. On
réunissait là, sous le nom d'argent
sacré ou Corban, le produit des treize
troncs dont nous avons parlés, ainsi que
l'impôt direct d'un demi-sicle par tête
et par année
(69).
C'était la caisse
générale. Les Romains ne se faisaient
pas faute d'y puiser de temps en temps et nous
avons raconté comment Pilate se rendit
odieux en prenant le Corban pour payer la
construction d'un aqueduc amenant à
Jérusalem les eaux des étangs de
Salomon
(70).
Le Corban était très
considérable; « l'or de chaque
collecte, disait-on, remplit trois immenses cuves
creusées dans les souterrains du Temple
(71). »
Cet argent servait avant tout à payer le
sacrifice quotidien. On l'employait aussi pour le
salaire des fonctionnaires subalternes, de ceux qui
décidaient si les animaux amenés
étaient purs ou impurs, des Scribes
attachés au sanctuaire et chargés
officiellement de faire des copies de la Loi, des
boulangers qui faisaient les pains de proposition,
des préparateurs d'encens, etc., etc.
(72).
Enfin, à côté de la
porte de l'incendie, étaient quatre salles:
- 1° celle des agneaux où
étaient les agneaux réserves pour
les sacrifices;
2° celle des pains de
proposition ;
3° la salle où les
Asmonéens avaient déposé
les pierres de l'autel après que les rois
successeurs d'Alexandre l'eurent profané
;
4° une salle de bains.
Il ne nous reste plus qu'à mentionner au
sud-est du sanctuaire, dans la
cour, un grand bassin d'airain semblable à
celui qui avait été dans le
Tabernacle et dans le Temple de Salomon. Un certain
Ben-Katon y fit mettre douze robinets pour que
douze prêtres pussent s'y laver à la
fois. Le même personnage y fit installer un
appareil y amenant directement l'eau du
puits.
Telle était la cour des
prêtres. L'impression première qui se
dégage de la description succincte que nous
venons d'en faire, impression irrésistible,
est qu'elle devait ressembler beaucoup à
l'intérieur d'un abattoir.
La bergerie pour les moutons qui sont
amenés, la salle où on lavera leurs
intestins, celle où on salera leurs peaux,
rien n'y manque. Voici six rangées de quatre
anneaux chacune auxquels on attache les victimes
pour les égorger, voici huit tables de
marbre sur lesquelles on dépose la chair des
animaux sacrifiés, voici huit colonnes
auxquelles on suspend les quartiers de viande pour
les dépouiller et les écorcher. Sur
l'autel ce sont des scènes de boucherie que
nous avons peine a imaginer et qui contrastent
étrangement avec l'idée que nous nous
faisons aujourd'hui d'un culte, d'un sanctuaire,
d'une cérémonie religieuse, sans
parler de l'odeur écoeurante de la graisse
brûlée. Il nous est difficile,
impossible même, à cause des longs
siècles écoulés depuis que les
religions où de tels sacrifices
étaient pratiqués ont disparu, de
donner à ces scènes d'abattoir un
caractère sacré, de nous
représenter à la fois les beuglements
des victimes, le sang qui coule, le bois qui
s'allume et le sacrificateur en costume, le
décorum accompagnant chaque acte de ce culte
sanglant, la solennité avec laquelle tout
s'accomplit, malgré l'inévitable
désordre de certains sacrifices, Mais que
nous puissions ou non nous faire une idée de
ce culte des Juifs, il se pratiquait cependant ; il
est vrai qu'il était aux dernières
années de sa vie, mais il avait
derrière lui un long passé de
plusieurs siècles.
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