LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
LIVRE SECOND - LA VIE
RELIGIEUSE
CHAPITRE
VI
LA SYNAGOGUE
Origine de la Synagogue. - Le
but des Synagogues. - Leur nombre. -
Comment, elles se fondaient. - Les chefs
de la Synagogue. - Le Mazzan. Description
de l'édifice. - La
célébration du culte. -
L'ordre du service. Jésus dans la
Synagogue de Nazareth. - Les lectures du
Lundi et du Jeudi. - La Synagogue moderne.
- Les premières assemblées
chrétiennes.
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Chaque ville, chaque village possédait
une ou plusieurs maisons de réunions
publiques consacrées à la lecture de
la Loi et à la prière. Leur nom
hébreu était Beth-hakeneseth
(1) (maison de
réunion); en araméen : Beth
Kenicheta. On les appelait aussi Beth-ha-tephila
(maison de prières). La traduction grecque
se trouve partout dans le Nouveau
Testament. Josèphe n'emploie ce mot que
trois fois
(2).
Dans un édit d'Auguste, dont il
nous donne le texte
(3), se trouve le
terme Philon disait (4),
(5)
et
(6), mais ce
dernier mot désigne moins la synagogue
proprement dite que les réunions à
ciel ouvert tenues par les Juifs
disséminés hors des villes et
à proximité d'un cours d'eau. Ils y
accomplissaient les ablutions et purifications
ordonnées par la Loi
(7).
La tradition attribuait à Esdras
l'institution de ces « assemblées
» et cette origine est certainement
authentique. Ce grand homme comprit la
nécessité absolue de réunions
périodiques où le peuple entendit
lire et expliquer la Loi. Il s'agissait de faire
son éducation religieuse et nationale, de
lui enseigner ses croyances et ses devoirs envers
Dieu. Mais certains Docteurs ne manquèrent
pas de trouver cette date trop récente et
affirmèrent que la première synagogue
avait été bâtie pendant l'exil
; les captifs qui avaient accompagné le roi
Joïachim auraient construit une maison de
prières sur la terre étrangère
avec des pierres apportées de Palestine
(8).
Josèphe. va plus loin et fait remonter
à Moïse l'origine des synagogues; les
Targoums parlent même des synagogues des
patriarches (9).
On sait que les Juifs avaient une tendance à
tout attribuer à Moïse et aux
patriarches. Mais Esdras fut le seul fondateur des
maisons de prières et le Psaume LXXIV,
verset 8, nomme les synagogues parce qu'il a
été composé au temps des
Macchabées.
Esdras, en les établissant, fit
oeuvre de génie. Nulle institution n'a plus
contribué à donner à la
religion de Moïse la vitalité qu'elle
possède encore aujourd'hui. Elle lui
permettait de vivre indépendamment du Temple
et de ses cérémonies. Avec son
manuscrit de la Loi, tout Juif, où qu'il se
trouve, peut fonder une synagogue. Il emporte
jusqu'au bout du monde sa religion avec lui. Le
judaïsme n'a plus besoin de Jérusalem
et des sacrifices pour subsister. Il est partout
où quelques fidèles s'assemblent et
lisent la Thorah.
Il ne faut pas confondre la synagogue
avec une église. Elle est un
établissement laïque où le
prêtre n'a pas une place
prépondérante. Le
premier à la synagogue, c'est le docteur,
c'est quiconque est capable d'enseigner.
Les Pharisiens, ces vrais continuateurs
d'Esdras, favorisèrent beaucoup
l'établissement des « maisons de
prière » par opposition au sacerdoce et
aux Saducéens. Ceux-ci ne pouvaient vivre
sans le Temple. Ils disparaîtront avec lui
dans la catastrophe de l'an soixante-dix; mais le
pharisaïsme ne périra pas, parce qu'il
établira, partout où il ira, ses
assemblées, ses lectures, ses prières
publiques, ses synagogues.
Le nombre de ces établissements
était considérable au premier
siècle. La seule ville de Jérusalem
en avait de 460 à 480
(10) . Elles se
touchaient, pour ainsi dire ; chaque rue en
renfermait plusieurs
(11). Il
semble, en vérité, que chaque famille
ait eu la sienne. C'est ainsi qu'aujourd'hui on
rencontre en Orient un nombre de mosquées
tout à fait hors de proportion avec le
chiffre de la population et qui sont
précisément des mosquées de
famille. Parfois c'était une corporation qui
fondait une synagogue. Nous savons que les
chaudronniers de Jérusalem en avaient
établi une.
On s'y réunissait, non seulement
le samedi, jour du sabbat, mais encore le lundi et
le jeudi. En outre, elle était ouverte trois
fois par jour pour les prières
(12). Celle du
matin s'appelait Schaharith, celle de
l'après-midi
(13) Minhah et
celle du soir Arbith
(14).
La prière du matin était
très suivie; dès les premières
heures du jour, avant la chaleur, à la ville
comme au village, on pouvait voir les femmes, les
Pharisiens dévots , les docteurs de la Loi
se rendant à la synagogue et portant leurs
Teffillims attachés sur le bras. Ils
allaient y réciter leurs prières du
matin, laissant les
prêtres saducéens offrir seuls au
Temple le sacrifice quotidien de l'agneau.
Le Temple n'instruisait pas, on n'y
apprenait rien; aucune prédication n'y
était prononcée et on savait d'avance
par coeur les formules de bénédiction
que les prêtres y réciteraient; ne
valait-il pas mieux aller apprendre à la
synagogue? la vraie .édification ne se
trouvait-elle pas plus facilement dans
l'étude de la Loi, où l'on
découvrait toujours des nouveautés,
que dans la contemplation stérile d'un
sacrifice? Et, en effet, le premier but de la
synagogue était d'instruire
(15).
Les docteurs fixèrent à
dix le nombre de personnes nécessaires pour
fonder une synagogue
(16). Elles
formaient ce qu'on appelait minian (le nombre), une
sorte de corps moral représentant
Israël. Un seul homme pouvait faire
l'édifice ou choisir une maison quelconque
en l'appelant synagogue.
« Si quelqu'un bâtit une
maison, disent les Talmuds, et ensuite la consacre
en synagogue, elle est de la nature de la
synagogue (17).
» « Bâtir une maison, y lit-on
encore, dans laquelle on se réunit pour les
oraisons, à l'heure de la prière,
c'est la synagogue
(18).
»
La communauté israélite
(Kehilah) prenait une grande importance
aussitôt que le minian s'y était
formé. Tous les actes du culte pouvaient
être célébrés : la
circoncision, les mariages, les services
funèbres. Un des dix fondateurs de la
synagogue s'en chargeait; ce qui était
d'autant plus facile que ces
cérémonies étaient beaucoup
plus civiles que religieuses
(19). Les
pharisiens, prévoyant la ruine possible de
la nation et du Temple, avaient
préparé l'existence future du
Judaïsme dispersé sur toute
la terre. Saint Paul devait
partout rencontrer ces communautés. Elles
servirent puissamment à la diffusion du
christianisme. C'est à elles que
l'apôtre s'adressait d'abord, et c'est sur le
modèle de la Kekila qu'il fondait partout
ses Églises, ses L'organisation en
était la même; le service s'y
célébrait de la même
façon. Les presbytres des premières
communautés chrétiennes
étaient en tout semblables aux hommes pieux
fondateurs (le la synagogue. Tous étaient
prêtres, tous étaient égaux et
élus par le peuple. Il n'y avait point
encore de pouvoir central, et saint Paul, imbu des
idées pharisiennes depuis son enfance,
devait jeter sur le monde ce puissant réseau
de sociétés religieuses qui peu
à peu détruiront l'Empire.
Parmi les dix membres fondateurs de la
synagogue, trois remplissaient les fonctions
prépondérantes et étaient
appelés « les chefs », (20)
Ils jugeaient les différends qui
surgissaient entre les membres, administraient les
finances, décidaient de l'admission des
prosélytes
(21), etc. Ils
avaient toute la responsabilité de l'oeuvre
et, en particulier, des services religieux. L'un
des trois présidait les deux autres et
était « le chef » par excellence
« Rosch hakeneseth
(22). »
Jaïrus était le chef de l'importante
synagogue de Capharnahum; mais ce président,
ne l'oublions pas, n'avait aucun pouvoir
spécial, il n'était que « primus
inter pares », et le collège des
anciens de la primitive Église s'est
calqué sur ce modèle.
Les trois chefs avaient sous leurs
ordres immédiats un personnage fort
important appelé le Hazzan dans le Nouveau Testament
(23)).
C'était une sorte de domestique à la
fois et de sacristain, auquel était
confiée toute la partie matérielle du
service. Lorsqu'on fonda des
écoles d'enfants en Palestine le Hazzan fat
chargé de diriger celles qui avaient moins
de vingt-cinq élèves
(24). Il
remplissait encore les fonctions d'exécuteur
quand le sanhédrin local condamnait
quelqu'un à la bastonnade.
La disposition de la synagogue
était fort simple. Le bâtiment
consistait en une salle rectangulaire plus ou moins
grande. Celles des grandes villes avaient à
l'intérieur des rangées de colonnes,
ordinairement au nombre de quatre. Au dehors un
portique de l'ordre grec
(25) indiquait
qu'on n'avait pas affaire à une maison
ordinaire. A l'intérieur, sur un parquet
surélevé où se tenaient les
Scribes, était le meuble principal,
l'armoire sainte (Tébah
(26)), dont la
façade était tournée du
côté de Jérusalem et dans
laquelle on tenait renfermés les manuscrits.
Ceux de la loi (Thorah) et ceux des autres livres
saints (Sepharim
(27)).
C'étaient, sans nul doute, les manuscrits
des Prophètes, celui des Psaumes, celui de
Daniel, les cinq rouleaux (Negilloth),
(c'est-à-dire le Cantique des cantiques,
Ruth, les Lamentations, l'Ecclésiaste et
Esther), et d'autres encore. Ils étaient
conservés dans une toile de lin
(28) et dans un
étui
(29). Devant
l'armoire un rideau imitait le voile du Temple. La
salle était garnie de bancs et, à
l'extrémité, sur l'estrade, on
apercevait une espèce de chaire
(30). Sur le
sol on répandait de la menthe pour parfumer
et purifier l'air
(31). Les
premières places étaient
payées et fort
enviées
(32). Les
Docteurs de la Loi, les Pharisiens, les personnages
importants de la communauté avaient soin de
les occuper de bonne heure. Ils étaient
d'autant plus en vue qu'ils avaient le visage
tourné vers le peuple et le surveillaient ;
la foule des simples fidèles venait ensuite
et les prosélytes restaient debout à
la porte. La synagogue étant destinée
à tenir lieu du Temple, on avait une
tendance à y distinguer des parties plus
sacrées que d'autres. La place des pauvres
et des païens était près de
l'entrée et figurait le parvis des Gentils.
Au fond de l'édifice, au contraire, le
parquet plus élevé
représentait la cour des prêtres et le
sanctuaire. Il est probable aussi que les hommes
étaient séparés des femmes
comme dans le Temple. Le christianisme, dès
son origine, eut soin d'éviter ces
distinctions et de proclamer
l'égalité des croyants dans
l'intérieur des Églises
(33).
Le service du Sabbat était fait
par sept personnes désignées par le
président et appelées à haute
voix par le Hazzan. Ce nombre sept n'était
pas de rigueur pour les offices de semaine.
S'il se trouvait, par hasard, un
prêtre dans l'assemblée, il
était appelé le premier à
prendre la parole. Les lévites
venaient ensuite, puis les
simples laïques. Ces sept personnages, presque
toujours les mêmes dans les petites
localités, sont sans cesse appelés
dans les Talmuds : « les sept hommes de bien
de la cité ».
L'ordre du service était
certainement fixe et invariable au temps de
Jésus-Christ. Le moment principal de
l'office était celui de la lecture de la
Loi, car on était réuni avant tout
pour l'entendre et pour l'étudier
(34). La prière
précédait cette étude et la
lecture d'un passage choisi des Prophètes,
suivie de la bénédiction, terminait
les exercices religieux.
Il faut distinguer plusieurs parties
dans la prière du début. Elle
commençait par la récitation du
Schema (35).
Puis venait le Schemoné Esré (les
dix-huit actions de grâces)
(36). Le
peuple, pendant cette récitation solennelle,
se tenait debout
(37), le visage
tourné vers Jérusalem et le Lieu
très Saint
(38). Celui qui
priait, prenait le nom de Chaliach tsibbour. Il se
plaçait devant l'armoire aux manuscrits
(39).
Tout membre de l'assemblée
pouvait être appelé par le
président à remplir cette importante
fonction. Les mineurs seuls étaient
exceptés
(40) et
Jésus-Christ peut avoir quelquefois
prononcé ces premières actions de
grâces soit à Nazareth, soit à
Capharnahum. Le peuple répondait d'une voix
forte Amen à la fin de chaque prière
(41), donnant
ainsi son adhésion aux paroles
prononcées.
La lecture de la Loi venait ensuite; le
Hazzan prenait le rouleau du
manuscrit dans l'armoire sainte, le tirait de son
étui, et le remettait au premier lecteur.
Les sept membres désignés se levaient
(42) et
lisaient tour à tour, trois versets au moins
chacun. Le premier prononçait, avant de
commencer, une courte formule de
bénédiction qu'il
répétait aussi à la fin
(43). La Thorah
était divisée en 153 Sedarim
(sections) appelées aussi Parschioth. En
trois ans on l'avait lue en entier, Plus lard, on
fit les sections trois fois plus longues, et la Loi
tout entière fut lue dans l'espace d'une
année. Cet usage était celui de
Babylone, où l'on avait les 54 Parschioth,
divisions actuelles de nos Bibles
hébraïques, mais il n'existait pas
encore en Palestine au premier siècle, et le
fragment lu chaque sabbat était d'environ
une cinquantaine de versets.
Le Hazzan se tenait tout le temps
près du lecteur et veillait à ce
qu'il ne commit pas d'erreur et ne lût rien
d'inconvenant pour une lecture publique. Chaque
verset, lu dans la langue sainte, était
immédiatement traduit en araméen; le
mineur même pouvait traduire. On ajoutait
toujours à la lecture et à la
traduction un commentaire oral (Midrasch)
(44), sorte
d'homélie qui prit une grande importance
dans les Églises. chrétiennes et
devint peu à peu le sermon. Ainsi donc le
Targoum a donné naissance à la
prédication et celle-ci se trouve être
essentiellement une création des Pharisiens.
De l'explication paraphrasée du texte on
passa peu à peu aux développements et
à l'exhortation édifiante. Au temps
de Jésus-Christ l'usage de ces
développements était
général.
On ne les faisait pas seulement à
la synagogue, mais aussi en plein air. Les Rabbis
avaient l'habitude de haranguer le
peuple. « Il y a foule
partout où l'on prêche », dit la
Mischna (45).
Quand un de ces prédicateurs se trouvait
dans l'assemblée, on lui offrait la parole.
Il s'appelait Dareschan. Il y en avait qui, comme
Jésus-Christ, étaient
prédicateurs itinérants.
La lecture de la Loi terminée, la
personne qui avait dit la première
prière lisait un fragment tiré des
Prophètes
(46). Cette
péricope portait le nom de haphtare
(leçon finale), parce qu'elle achevait
l'office. Son lecteur, appelé maphtir,
était désigné par le chef de
la synagogue; il lisait trois versets de suite,
puis on les traduisait. Jésus-Christ lut un
jour une de ces leçons finales dans la
synagogue de Nazareth
(47). Il est
possible cependant qu'il ait choisi lui-même
le passage. Remarquons qu'il ne lut que deux
versets; il en avait le droit, parce qu'il se
proposait de les commenter.
La bénédiction finale
était prononcée ensuite et
l'assemblée se retirait. Voici donc quel
était l'ordre habituel du service de la
synagogue : le Schema ; le Schemoné
Esré ; lecture du texte de la Loi (section
du jour); traduction orale en araméen,
commentaire appelé Midrasch; lecture des
Prophètes ; traduction orale en
araméen ; Bénédiction.
Il est possible que le chant des Psaumes
fit aussi partie du service, car ce recueil
était devenu le livre de cantiques de la
synagogue. Enfin trois diacres étaient
chargés du soin des pauvres. Deux d'entre
eux faisaient la collecte. Le troisième les
aidait dans les distributions. On acceptait les
dons en nature aussi bien que l'argent
(48).
Les synagogues, avons-nous dit,
étaient ouvertes trois, fois par jour pour
la prière. Le lundi et le jeudi, jours de
marché et d'audience judiciaire
(deuxième et cinquième jour de la
semaine), on se
réunissait plus spécialement encore
à la synagogue. La foule de la campagne
affluait à la ville ou au village et on en
profitait pour lui faire entendre la Loi. Cette
lecture était simplement ajoutée
à la prière du matin. Trois membres
du conseil se la partageaient
(49). Les
Talmuds font remonter jusqu'à Esdras
l'établissement de ces deux services
supplémentaires
(50).
Les synagogues étaient
très fréquentées. Tous les
Juifs sans exception s'y rendaient
régulièrement et en être
expulsé était le dernier des affronts
(51). Tous vos
biens étaient confisqués.
Il y avait vingt-quatre causes
d'excommunication et l'une d'elles,
rédigée sans doute longtemps
après l'établissement du
christianisme, était ainsi conçue :
« Celui qui confesse que Jésus est le
Christ ».
Les trois chefs jugeaient de toutes les
affaires litigieuses
(52) et l'une
des peines qu'ils prononçaient le plus
souvent était la bastonnade. Elle n'avait
pas le caractère infamant qu'elle a toujours
eu en Occident. Cette flagellation était
exécutée soit dans l'intérieur
de la synagogue, soit en plein air par le Hazzan.
Saint Paul nous raconte l'avoir reçue cinq
fois
(53).
La synagogue moderne peut-elle
être comparée à la synagogue
ancienne? Oui, mais elle ne saurait lui être
assimilée. La tendance à imiter le
Temple, qui existait déjà autrefois,
s'est développée depuis la ruine du
sanctuaire, et les pompes actuelles des services
religieux dans les synagogues ne peuvent nous
donner aucune idée de la simplicité
antique du culte, tel qu'on le
célébrait au temps de
Jésus-Christ. Les ressemblances sont tout
extérieures. La plus frappante, celle qui
choque tout chrétien
à son entrée dans une synagogue est
l'absence complète de recueillement. On se
croirait sur une place publique.
Le culte des premiers chrétiens,
nous l'avons dit, a été copié
sur le service de la synagogue ; et il est probable
que d'abord il n'y eut pas beaucoup plus de
recueillement chez eux que chez les Juifs
(54). La
différence fondamentale des deux services,
fut, chez les chrétiens, la
célébration de la Cène; et
encore l'établissement de ce rite fut-il
certainement facilité par l'usage pharisien
des agapes dont nous avons parlé. Mais le
repas eucharistique, célébré
solennellement au culte, renfermait en germe tous
les développements à venir.
Dès le second siècle, une
hiérarchie s'organise, le clergé est
mis à part et séparé des
fidèles, le choeur est, dans la maison de
prières, distingué de la nef : le
repas eucharistique deviendra bientôt un
sacrifice. Encore quelques pas en avant et la messe
est créée.
Les protestants, en supprimant ces
développements du culte chrétien, ont
voulu le ramener à ce qu'ils appellent
« sa pureté primitive. » Mais
à quelle époque du premier
siècle faut-il s'arrêter? La
transition de la synagogue à l'Eglise a
été insensible. Quand saint Paul
parcourt l'empire, les assemblées de la
communauté de Corinthe ressemblent fort
à celles de la plus indisciplinée des
synagogues. L'élément juif y a
apporté avec ses usages traditionnels ses
habitudes de désordre et ses disputes. Il
est certain, au contraire, qu'après la mort
des apôtres, quand un lien se forma entre les
diverses églises, le calme s'établit,
la sainte Cène fut entourée d'un
profond respect, le prêtre commença
à avoir une grande influence sur le simple
fidèle.
Eh bien, il nous semble que c'est
à cette époque que l'on devrait
chercher le type du vrai culte chrétien. Les
assemblées du second et du troisième
siècle, telles que nous les décrivent
les Pères d'alors
(55),
répondent bien à ce que doit
être le service de l'Eglise. Ce n'est pas le
culte catholique de l'avenir ; la Cène est
célébrée telle que
Jésus l'a instituée; elle n'est pas
encore le sacrifice renouvelé du Christ;
mais ce n'est pas non plus la sécheresse du
calvinisme et du puritanisme protestant. La
liturgie est simple mais complète, le peuple
prend part au service; la lecture des saintes
Ecritures est à la place qui leur convient,
le sermon est déjà important sans
être trop étendu et sans jouer le
rôle prépondérant. Bref, sauf
quelques modifications de détail, il nous
semble que c'est en imitant le service du second et
du troisième siècle que les
protestants de nos jours réaliseront le
mieux les réformes urgentes de leurs rites
religieux.
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